Article mis à jour le 3 mai 2020.
La violence masculine millénaire envers les femmes a des conséquences sociétales majeures sur leurs processus psychiques et leurs comportements. Par exemple, le syndrome de Stockholm sociétal qui se manifeste lorsque les femmes font alliance avec leurs agresseurs sociétaux et qu’elles leur vouent un amour inconditionnel. Et c’est exactement le but recherché par ces violences. En effet, le syndrome de Stockholm sociétal est le résultat de la stratégie des sociétés patriarcales : favoriser les violences masculines sociétales envers les femmes pour les terroriser dans un contexte où elles n’ont aucune échappatoire (huis clos sociétal), afin de les mettre sous l’emprise des hommes (colonisation psychique par les agresseurs sociétaux). Sans cette emprise, les femmes n’accepteraient jamais d’être dominées par les hommes.
L’emprise ou colonisation psychique du syndrome de Stockholm sociétal est la même, mais à un niveau sociétal, que celle que l’on retrouve dans les contextes de violence conjugale. D’ailleurs, aujourd’hui, lorsque l’on parle d’une femme sous emprise d’un homme violent dans le cadre d’un couple, l’on nomme souvent cette emprise : syndrome de Stockholm.
Le syndrome de Stockholm sociétal a été théorisé par Dee L. R. Graham, professeure agrégée de psychologie à l’Université de Cincinnati (USA), dans son livre : Loving to Survive: Sexual Terror, Men’s Violence, and Women’s Lives (Aimer pour survivre : la terreur sexuelle, violence des hommes et vies de femmes).
En tant que femmes, cet ouvrage est d’une importance primordiale parce qu’il nous permet de prendre conscience à quel point les violences masculines sociétales envers nous façonnent nos processus psychiques et nos comportements. Il nous donne également des outils pour nous extraire du statut d’esclave dans lequel la domination masculine nous maintient depuis des millénaires.
Le postulat de Dee L. R. Graham et des co-auteures du livre est que la psychologie actuelle des femmes est une psychologie de femmes dans des conditions de captivité, à savoir dans des conditions de terreur infligée par la violence masculine envers les femmes. Elles postulent que les réponses des femmes aux hommes et à la violence masculine ressemblent aux réponses des otages face aux ravisseurs. De même que les otages qui travaillent à apaiser leurs ravisseurs de peur que ces ravisseurs ne les tuent, les femmes travaillent à satisfaire les hommes. La féminité est un ensemble de comportements qui font plaisir aux hommes (dominants), parce que ces comportements transmettent l’acceptation de la femme de son statut de dominée. Ainsi les comportements féminins sont des stratégies de survie, comme les otages qui se lient à leurs ravisseurs.
La théorie du syndrome de Stockholm sociétal permet d’expliquer beaucoup de comportements apparemment irrationnels des femmes. Par exemple : pourquoi tant de femmes rejettent le féminisme (comment une femme peut-elle ne pas vouloir les mêmes droits que les hommes) ? Pourquoi tant de femmes font alliance avec les hommes (il serait beaucoup plus utile de faire alliance avec les femmes) ? Pourquoi tant de femmes ont des love-addictions (ressemble à l’amour inconditionnel d’un syndrome de Stockholm) ?
Le PDF du livre entier (en anglais) est disponible ici ou ici.
Loving to Survive: Sexual Terror, Men’s Violence, and Women’s Lives
(théorisation du syndrome de Stockholm sociétal)
par Dee L. R. Graham, professeure agrégée de psychologie à l’Université de Cincinnati (USA)
Citation tirée de la couverture du livre :
« Contends that women’s psychology reflects a condition of captivity borne of terror caused by male violence. The authors make a convincing case. The New York Times Book Review »
Traduction en français de la préface du livre
Le 3 avril 2020, le site Tradfem a publié une traduction française de la préface du livre.
Cette traduction de la préface du livre est précieuse, car ce texte écrit par Dee L. R. Graham résume avec une grande clarté les points-clés de l’ouvrage. Je vous en recommande donc vivement la lecture : Dee Graham — Aimer pour survivre : terreur sexuelle, violence des hommes et vies de femmes
Pour vous en donner un avant-goût, voici quelques passages de cette traduction :
« En tant qu’autrices, nous faisons deux promesses à notre auditoire. La première est que la nouvelle vision des relations hommes-femmes que nous proposons ici changera à jamais votre regard sur les femmes, les hommes et leurs relations. Notre deuxième promesse est que la prise de conscience à laquelle ce livre vous invite sera émotionnellement éprouvante. (…)
Nous pensons que la psychologie actuelle des femmes est en fait une psychologie de personnes en état de captivité, c’est-à-dire dans des conditions de terreur causées par les violences masculines contre elles. (En fait, les conditions des femmes sont des conditions d’esclavage.) Nous pensons également que personne ne peut imaginer ce que serait la psychologie des femmes dans des conditions de sécurité et de liberté. Nous proposons la thèse qu’une psychologie des femmes en captivité (et en esclavage) n’est pas plus « naturelle » ou intrinsèque aux femmes, au sens génétique ou biologique, que ne serait naturelle la psychologie d’animaux sauvages maintenus en cage. (…)
Nous croyons que tant que les hommes n’auront pas cessé de terroriser les femmes — et que le souvenir de ces violences n’aura pas disparu de la mémoire collective des femmes — nous ne pouvons pas savoir si l’amour des femmes pour les hommes et l’hétérosexualité des femmes sont autre chose que des stratégies de survie expliquées par le syndrome de Stockholm. Nous nous référons à cette théorie de la psychologie actuelle des femmes comme théorie du syndrome de Stockholm sociétal. (…)
Le chapitre 3 reprend l’idée que le syndrome de Stockholm est présent dans toutes les relations de groupe entre oppresseurs et opprimé·es. Nous montrons comment évaluer la pertinence du syndrome de Stockholm sociétal à n’importe quel ensemble de relations inégales entre groupes. En particulier, nous abordons deux questions: si les quatre conditions précurseures hypothétiques du développement du syndrome de Stockholm (menace perçue pour la survie, perception d’une incapacité à s’échapper, isolement et perception d’une gentillesse) sont présentes dans les relations hommes-femmes et, le cas échéant, dans quelle mesure. (…)
Au chapitre 6, nous nous demandons comment les femmes peuvent transformer leur psychologie d’otages (syndrome de Stockholm sociétal) alors qu’elles vivent encore la violence masculine, l’isolement idéologique et physique les unes des autres, l’impossibilité de s’échapper, et la dépendance à des bribes de gentillesse masculine. Pour créer un monde où les relations soient basées sur un principe de mutualité plutôt que de domination et subordination, nous devons être capables d’imaginer un tel monde. Pour la captive ou l’esclave, imaginer est un acte subversif et révolutionnaire. Pour nous aider à développer de nouvelles visions et à sortir de l’esclavage, ce chapitre esquisse quatre thèmes à partir de la science-fiction féministe: l’empathie et le pouvoir de connexion des femmes, un langage qui articule les points de vue des femmes, apprendre à se méfier des hommes/les tenir pour responsables de leurs violences, et percevoir les femmes en tant que guerrières en honorant notre colère. Quatre méthodes de résistance sont aussi décrites: revendiquer notre espace, développer notre mémoire, prendre soin les unes des autres, et gagner en intelligence tactique. » (Tradfem, 2020)
Voici un dernier passage que je trouve essentiel pour la reconnaissance de nos expériences communes, soit la condition sine qua non pour créer la forte solidarité entre femmes dont nous avons absolument besoin pour nous libérer de la domination masculine. Ainsi, en tant que femmes, il me paraît déjà très important de nous intégrer par le « nous » dans le groupe des femmes lorsque nous écrivons sur les femmes :
« L’autrice rompt avec la convention de style et utilise les mots « nous » et « notre » par opposition à « ils », « eux » et « leurs » quand elle se réfère aux femmes en tant que groupe. Il y a de nombreuses raisons à cela. Bien trop souvent, les femmes doivent se demander si les écrivains et conférenciers entendent inclure les femmes dans leur utilisation de termes génériques comme « homme » et « il ». Le langage utilisé ici est choisi pour assurer à son auditoire que ce livre a été adressé à des femmes par des femmes pour des femmes au sujet des femmes. Il semble grossièrement inapproprié d’être une femme qui écrit à des femmes sur les vies des femmes et les points de vue des femmes tout en utilisant des mots impliquant que le mot « femmes » désigne d’autres personnes que le public visé et l’autrice. » (Tradfem, 2020)
Bibliographie
Graham, Dee L.R., Rawlings, «E. I., Rigsby, R. K. (1994). Loving to Survive: Sexual Terror, Men’s Violence, and Women’s Lives. New York/London, USA/UK : NYU Press.
Tradfem. (2020). Dee Graham — Aimer pour survivre : terreur sexuelle, violence des hommes et vies de femmes [en ligne]. 3 avril 2020 [consulté le 1er mai 2020]. Disponible à l’adresse : https://tradfem.wordpress.com/2020/04/03/dee-graham-aimer-pour-survivre-terreur-sexuelle-violence-des-hommes-et-vies-de-femmes/
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