Transcription de l’interview de Muriel Salmona par Marine Périn

La journaliste féministe Marine Périn est l’autrice de la chaîne Youtube Marinette – femmes et féminisme. Je vous encourage à aller explorer cette chaîne, car elle contient des vidéos très intéressantes sur des thématiques féministes.

Marine Périn a notamment réalisé 2 vidéos remarquables sur la sidération. La 1ère vidéo s’intitule « Violences sexuelles : la sidération psychique » (Marinette, 2016a). La seconde vidéo s’intitule « La sidération : pour aller plus loin » (Marinette, 2016b).

Sur la première vidéo, on trouve le témoignage de Marine Périn qui a elle-même été confrontée à la sidération lors d’une agression, ainsi qu’une interview de Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie. La seconde vidéo contient la suite de l’interview de Muriel Salmona. Sous chaque vidéo, figurent encore des liens concernant le travail de Muriel Salmona et celui de Marine Périn.

L’interview de Muriel Salmona constitue une mine d’informations qui peut s’adresser autant à des professionnel-le-s prenant en charge des victimes (but formateur) qu’à des victimes (but thérapeutique) et à toute personne intéressée (changement social).

Il est important de savoir que la majorité des professionnel-le-s de la santé ne sont pas encore formé-e-s à la psychotraumatologie, avec pour conséquence de graves erreurs dans la prises en charge des victimes de violences (faux diagnostics, expertises erronées, traitements contre-indiqués, etc.). Cette interview est une bonne entrée en matière qui peut leur donner envie d’en savoir davantage sur le sujet, afin de pouvoir correctement prendre en charge les victimes et ne pas les mettre en danger notamment en ne détectant pas la gravité de l’état des victimes et/ou en créant des pathologies iatrogènes (pathologies créées par le traitement lui-même), ce qui a pour effet d’aggraver et/ou chroniciser les victimes au lieu de les soigner. Pour les victimes, le simple fait d’être mieux informées est en lui-même thérapeutique et apporte souvent un immense soulagement, une libération, ainsi que la possibilité, en cas de besoin, de choisir en toute connaissance de cause un-e thérapeute compétent-e dans ce domaine. Plus largement, il est fondamental que ces notions soient connues du plus grand nombre pour créer un véritable changement de société au niveau de la prise en charge des victimes, de la condamnation des agresseurs et de mettre ainsi fin à la culture du viol.

Pour toutes ces raisons, afin d’en permettre la diffusion la plus large possible en utilisant également le support de l’écrit, j’ai retranscrit l’intégralité de cette interview de Muriel Salmona répartie sur les 2 vidéos. Le témoignage de Marine Périn se trouve déjà retranscrit ici (Kuhni, 2017b).

Sur ses vidéos, Marine Périn a organisé l’interview en chapitres. Les titres qui ponctuent cette retranscription correspondent aux titres des chapitres.

Interview de Muriel Salmona (vidéo 1)

Début de l’interview

Capture d’écran vidéo 1

Muriel Salmona, psychiatre-psychotraumatologue

« La définition de la sidération, c’est un état psychologique de paralysie face à une situation qui est une situation qui dépasse l’entendement en quelque sorte, qui est totalement soit horrible, soit complètement incongrue, soit impensable, et qui va vraiment paralyser tout l’espace psychique. La personne qui est sidérée se retrouve dans l’impossibilité de réagir, de parler, de bouger. »

Le mécanisme psychique

« Le mécanisme complet, c’est que la sidération est à l’origine d’un blocage de la fonction supérieure. Et normalement, ce sont les fonctions supérieures qui modulent la réaction au stress de l’organisme. Et quand il n’y a pas de contrôle et de régulation par les fonctions supérieures, il va y avoir un survoltage avec une production d’hormones de stress très importante qui ne va pas être contrôlée, ce qui représente un risque vital pour l’organisme. La surproduction d’adrénaline va entraîner des atteintes possibles au niveau du système cardio-vasculaire. Et au niveau du cortisol, c’est le système neurologique, ce sont les neurones qui vont être très impactés par le cortisol. Et c’est là qu’il va y avoir un mécanisme exceptionnel de sauvegarde qui va faire disjoncter le système puisqu’il faut absolument interrompre cette surproduction d’hormones de stress pour éviter un risque vital. Et donc, comme dans un circuit électrique qui serait en survoltage, ça va disjoncter et protéger le cœur et le cerveau. »

La dissociation

« Il faut bien différencier sidération et dissociation. La sidération, c’est la paralysie, le fait de ne pas pouvoir réagir. Et puis ensuite, au moment de la disjonction, il y a cette dissociation qui fait qu’il y a une déconnexion émotionnelle et ça donne un sentiment d’irréalité, d’être déconnecté de la réalité, d’être spectatrice de l’événement, de ne plus ressentir ce qui se passe, ni la douleur, ni les émotions, comme si c’était irréel, comme si on était à l’extérieur de l’événement, comme si l’événement ne nous concernait pas.

Et du coup, la personne peut devenir un petit peu comme une sorte de pantin qu’on va pouvoir utiliser, sans pouvoir réagir et sans qu’elle ressente quoi que ce soit de ce qui se passe. »

Le cerveau à l’IRM

« Les IRM, ce sont des examens d’imagerie en résonance magnétique nucléaire et ça permet de voir la sidération : on peut voir la paralysie du cerveau. Ce qu’on fait, c’est qu’on met dans une IRM quelqu’un qui a été traumatisé par exemple et on lui fait revivre le trauma – ça a été fait par exemple sur des vétérans du Vietnam – on le reconfronte à des images de guerre qui rallument sa mémoire traumatique. Et du coup, il va revivre la même situation, il va se retrouver de nouveau en état de sidération. On voit sur l’IRM que le cerveau ne fonctionne pas. Et pour la dissociation, on va voir l’hyper-activité de l’amygdale cérébrale qui va être très importante et très colorée et on va voir que tout le reste du cerveau est déconnecté par rapport à cette amygdale. »

Méconnaissance et culture du viol

« Il y a une méconnaissance de tous les mécanismes neurobiologiques, sidération, dissociation, mémoire traumatique qui font que le plus souvent on va reprocher aux victimes des symptômes qui sont directement liés au traumatisme et qui sont pour nous, médecins, des preuves du trauma. Et particulièrement, cette sidération où on va dire à la victime « Mais puisque vous n’avez pas crié, vous ne vous êtes pas débattue, vous n’avez pas fui, c’est bien la preuve qu’il n’y a pas eu viol » par exemple « et que vous étiez consentante puisque vous n’avez rien dit, rien fait ». On va aller rechercher dans leur histoire, dans leur personnalité, des éléments qui pourraient prouver qu’elles racontent n’importe quoi. Il y a une sorte d’enquête de crédibilité de la victime qui est quelque chose d’intolérable.

Et puis la dissociation, aussi, ça fait que la victime n’a pas de bons repérages au niveau temporo-spatial, donc elle ne va pas être précise sur la date, l’heure, la durée des violences. Ça va lui être reproché. Elle va être tellement déconnectée de ses émotions qu’elle va mettre beaucoup de temps avant de pouvoir parler des violences ou, d’autant plus, aller porter plainte. Quand on est traumatisé, on ne peut pas faire certaines démarches. Donc on va le lui reprocher : pourquoi elle porte plainte si longtemps après ? »

Un élément de la défense

« Ça va être un élément sur lequel la défense, dans le cadre de procédures juridiques, va insister sur « Il ne pouvait pas savoir que ce qu’il faisait était mal puisque la victime ne réagissait pas ». J’ai un exemple très récent d’un procès-verbal, c’est vraiment tout ce système très pervers de retournement des phénomènes de preuves. Et ça, dans les procès, on le voit très bien. Donc les agresseurs utilisent ce système-là, à la fois pour bloquer et piéger leur victime et à la fois ensuite pour leur défense. Ils vont le réutiliser une deuxième fois. Et la méconnaissance de tout le monde fait que ça passe. »

La mémoire traumatique

« Au moment de la disjonction, ce qui disjoncte aussi, c’est le circuit de la mémoire. Et du coup, la mémoire émotionnelle, à partir du moment où ça a disjoncté, toutes les violences qui se produisent ne vont pas pouvoir passer par le circuit habituel de la mémoire et être intégrées par l’hippocampe qui est le système d’exploitation de la mémoire pour être transformée en mémoire autobiographique. Tout va rester piégé dans l’amygdale cérébrale. Et cette mémoire non intégrée va être susceptible d’envahir la victime au moindre lien qui rappelle les violences. On peut revivre en même temps ce qu’on ressent, ce qu’on a vu, ce qu’on a entendu, ce qu’on a senti, même, aussi, des images, des flashs, des odeurs, qui reviennent à l’identique, avec les mêmes émotions, une sorte de crise de panique, qui envahissent la personne.

Les personnes qui sont traumatisées vont devoir mettre en place des stratégies de survie pour ne pas exploser continuellement. Il y a deux sortes de stratégies de survie : il y a des conduites d’évitement, c’est-à-dire que ma vie est un terrain miné, le seul moyen, c’est de ne plus mettre les pieds dessus. Donc on ne bouge plus, on ne pense plus, on s’isole, on contrôle tout, plus rien ne bouge, rien ne change. Et petit à petit, la victime arrive à développer des petits espaces où elle se sent en sécurité, avec des personnes sécures. Et il ne faut rien leur bouger. L’autre solution quand il faut quand même avancer sur le terrain miné, alors qu’on sait qu’il y a des mines, que ça risque de sauter, c’est d’avancer. Les premières choses qu’on rencontre, pour se dissocier, c’est l’alcool, la drogue. Donc des produits dissociants, qui reproduisent la dissociation. Ou les médicaments. Et puis, ce qui est moins bien compris, c’est les conduites à risque, les mises en danger. Ça peut être se taper dessus, se mordre, se brûler, se couper. Mais ça peut être aussi avoir des conduites à risque au niveau de pratiques sportives très dangereuses, de pratiques automobiles sur la route très dangereuses. Ça peut être aussi des conduites à risque sexuelles. »

Les conséquences à long terme

« Et puis ces conduites dissociantes, c’est du stress continuel, c’est des mises en danger continuelles, c’est une alcoolisation, c’est une drogue, et c’est ça qui va avoir des conséquences catastrophiques sur la santé. A la fois au niveau cardio-vasculaire, au niveau du diabète, c’est toutes les maladies liées au stress. Ça va entraîner des troubles de l’immunité, des troubles respiratoires à cause du tabagisme – le tabac aussi à hautes doses, c’est dissociant. Donc toutes ces conduites dissociantes vont faire que, par exemple, quand on a subi des violences sexuelles, des violences dans l’enfance, on peut avoir jusqu’à 20 ans d’espérance de vie en moins. Et c’est le déterminant principal de la santé 50 ans après. »

Interview de Muriel Salmona (vidéo 2)

La stratégie de l’agresseur

« Les agresseurs, ils connaissent bien le phénomène puisqu’ils l’utilisent et d’ailleurs, ils excellent dans leur capacité à sidérer les victimes. Mais on le voit, on le voit d’ailleurs avec les terroristes : ils cherchent à sidérer, ils cherchent à traumatiser, donc ils cherchent à sidérer. Donc il faut toujours faire quelque chose que la victime n’attend pas, sur lequel elle n’est pas préparée. Il faut dire des choses qui vont perturber la victime. Il faut avoir un regard, des gestes, une façon d’être qui va être très sidérante. Donc tout comme les bourreaux, ils savent très bien manier les mécanismes psychotraumatiques pour traumatiser très durablement des victimes de torture.

Une jeune femme qui était stagiaire sur une île du Pacifique s’est trouvée, comme elle était stagiaire, à ne pas pouvoir aller dans l’hôtel où il y avait toutes les personnes de l’ambassade. Donc elle s’est retrouvée seule dans un petit hôtel où elle s’est sentie très en insécurité. Et elle avait parfaitement raison puisqu’elle avait beau s’enfermer la nuit, en plein milieu de nuit, un agresseur est arrivé, a défoncé la porte à coups de hache et sous la menace d’un couteau l’a violée. A un moment donné, elle raconte – donc elle était complètement sidérée, bien entendu, dans l’incapacité de bouger, elle était menacée en plus avec un couteau et persuadée qu’elle allait être tuée, vu le contexte – et à un moment donné, elle a commencé à reprendre un petit peu pied par rapport à la sidération, donc à pouvoir penser un petit peu à ce qui était en train de se passer. L’agresseur, lui, a senti qu’elle reprenait pied. Soit il fallait que de nouveau il lui fasse très peur : de nouveau qu’il mette en scène toute une destruction, qu’il se remette à hurler, qu’il se remette à reprendre son couteau, etc. Mais ça, ça l’empêchait de pouvoir continuer ce qu’il était en train de faire. Ou alors, c’est lui dire quelque chose qui allait complètement la sidérer, quelque chose de totalement incongru, fou. Il a opté pour la deuxième solution et il lui a dit : « Tu aimes ça, ce que je te fais ». Et ça l’a fait repartir, ça l’a de nouveau sidérée. Elle décrit bien à ce moment-là que de nouveau, elle était paralysée et elle a de nouveau été dissociée. Et ensuite, c’est quelque chose qu’elle n’a jamais osé dire pendant toute la procédure parce qu’elle avait honte, elle se sentait coupable : « Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour qu’il me dise que j’aime ça ? Est-ce qu’il a senti une réaction de mon corps ? Est-ce qu’il a perçu quelque chose ? ». Et pour elle, c’était une sorte de torture mentale. Et quand je lui expliquais que c’était tout simplement une stratégie, du coup, ça l’a beaucoup soulagée. »

Un agresseur dissocié

« L’extrême violence est traumatisante, à la fois pour les victimes, pour les témoins, mais aussi pour l’agresseur. La différence entre un agresseur et une victime, c’est que l’agresseur, il veut absolument être dissocié pour justement bénéficier d’une anesthésie émotionnelle pour pouvoir aller beaucoup plus loin et ne plus avoir aucune entrave par rapport à une violence extrême et à des actes inhumains de barbarie, et surtout ne pas être touché par la détresse ou la souffrance de la victime. Parce qu’on a des neurones miroirs qui font qu’on ressent les émotions d’autrui. Et ça, c’est très gênant, parce que ressentir la détresse de quelqu’un, c’est vivre cette détresse et du coup, c’est bloquant pour agir contre cette personne-là. Par rapport au 7 janvier [attentat de Charlie Hebdo], par exemple, les terroristes, tout le monde avait remarqué à quel point ils étaient complètement froids, calmes. Ils pouvaient tuer quelqu’un comme ça, en passant, comme si c’était rien. Et du coup, tout le monde se demandait s’ils n’avaient pas pris des drogues. Mais en fait, dans l’extrême violence, il n’y a pas besoin de drogue. C’est-à-dire que quand on installe une violence extrême, à la fois, on va dissocier la victime, donc il ne va plus y avoir d’émotion chez la victime. Et on va aussi dissocier ses propres émotions. »

Quand la dissociation dure

« Il y a beaucoup de victimes de violences qui sont traumatisées, dont on peut penser qu’elles ne vont pas si mal parce qu’elles sont complètement dissociées. C’est-à-dire que si vous restez en contact, soit avec le lieu, le contexte ou avec l’agresseur, et ça, c’est fréquent, à ce moment-là, vous restez dissociée, vous êtes déconnectée de vos émotions. Donc vous pouvez paraître aller pas si mal. Ça, c’est un élément essentiel pour la non prise en charge des victimes et le fait que personne n’a peur pour elle. C’est que, plus elles sont en danger, plus elles sont dissociées, moins les gens vont s’inquiéter pour elles. Comme elles sont déconnectées, elles n’ont pas d’émotions. Et quand vous êtes face à quelqu’un qui n’a pas d’émotions, vous n’avez pas d’émotions non plus parce que les neurones miroir ne vous renvoient rien. Donc vous êtes indifférent à quelqu’un. Je me rappelle un magistrat lors d’une formation qui me dit « Ah, mais je comprends alors pourquoi cette femme qui me racontait des actes de torture et de barbarie par son mari, comme elle ne réagissait pas et qu’elle m’en parlait comme si elle était indifférente à ce qui s’est passé, eh bien moi, j’avais considéré que c’était pas grave. ». Alors que la description, c’était des faits extrêmement graves. Je travaille aussi avec la Cour Nationale des Droits d’Asile et c’est frappant de voir que plus les gens ont subi des violences extrêmes, moins ils sont considérés comme crédibles. Plus ils ont vécu des violences extrêmes, plus ils sont dissociés, totalement, et plus les gens sont indifférents à eux et ne les croient pas. Je dis souvent aux médecins : « si vous vous endormez face à quelqu’un que vous recevez : alarme totale, c’est que vous avez certainement quelqu’un de très traumatisé en face de vous ». »

La prise en charge de la mémoire traumatique

«La première chose à faire, c’est que les personnes soient protégées pour qu’elles ne soient plus dissociées. Parce que quand vous avez quelqu’un de dissocié, pour traiter la mémoire traumatique, c’est compliqué. Puis là, pour qu’elle s’engage dans une démarche thérapeutique, c’est compliqué parce qu’elle ne ressent pas. Enfin, nous, on travaille avec les émotions, justement. Donc il faut déjà que les personnes puissent sortir de leur dissociation pour être prises en charge. La mémoire traumatique, après, ça se travaille … en fait, le but de la prise en charge de la mémoire traumatique, c’est de l’intégrer en mémoire autobiographique. On va faire tout un travail d’intégration en faisant des liens, en allant sur place, en travaillant sur tout ce qui s’est passé au niveau sidération pour que l’on puisse revivre l’événement sans la sidération, avec une analyse corticale. D’ailleurs, sur les IRM, on voit le travail thérapeutique qui fonctionne parce que du coup, aussitôt que le cortex peut comprendre et analyser ce qui se passe, du coup, les choses s’intègrent. Ça fonctionne, les circuits se remettent à fonctionner. Donc d’où l’importance aussi de comprendre ce qui est arrivé. Et d’ailleurs, les victimes de violences sexuelles, elles passent souvent leur vie à essayer de comprendre, parce qu’elles sentent bien que c’est là, la solution, c’est de comprendre ce qui se passe. Sauf qu’on ne leur donne jamais d’outils. Nous on donne tous les outils pour comprendre, repasser, voir tout ce qui s’est passé, pour petit à petit intégrer chaque moment, chaque élément, en mémoire autobiographique. Le problème actuellement, c’est que les professionnels ne sont pas formés, ni au repérage des troubles psychotraumatiques, ni à la connaissance des mécanismes. Donc ils ne peuvent pas informer réellement les victimes. Et puis, ils ne sont pas formés non plus au traitement. Ils n’ont pas d’outils pour traiter les personnes. Ils vont d’abord faire de faux diagnostics. C’est-à-dire que la mémoire traumatique, quand vous entendez des voix, vous voyez qu’il y a quelqu’un dans une pièce, vous avez l’impression qu’on vous touche, c’est tout de suite pris pour des hallucinations. Vous avez l’impression qu’on veut vous tuer, etc. on va vous dire que vous êtes schizophrène, psychotique. Il y a beaucoup de gens qui sont étiquetés schizophrènes, alors qu’ils sont simplement traumatisés. On va dire aux personnes qu’elles ont des troubles thymiques, maniaco-dépressifs, etc. alors que c’est simplement des accès de mémoire traumatique qui les replongent. Et puis, on va traiter leurs symptômes en les dissociant. Sauf qu’on va donner des médicaments qui vont dissocier les personnes. Donc on va faire des cocktails avec anxiolytiques, anti-dépresseurs, neuroleptiques, somnifères, thymorégulateurs. Mais tout ça, c’est très efficace, ils sont complètement déconnectés. Tout ce qui est sismothérapie, vous savez, les électrochocs, comment ça fonctionne : ça fait disjoncter le cerveau. Donc c’est hyper-efficace pour faire dissocier quelqu’un. Donc c’est comme ça qu’on a utilisé et qu’on utilise toujours les électro-chocs pour traiter les gens psychotraumatisés. Qu’est-ce qui marche bien aussi pour dissocier les gens, c’est d’être violents avec eux. Vous avez quelqu’un qui fait une crise d’angoisse, une attaque de panique, vous lui donnez une grande claque, c’est très efficace. Vous le mettez sous une douche froide, c’est très efficace. Vous hurlez contre cette personne, c’est très efficace, vous la calmez. Sauf que vous la calmez en la dissociant et en la traumatisant. Donc dans l’ensemble, le traitement sauvage des troubles psychotraumatiques, c’est de dissocier les gens et de dire, tout va bien. Après, il y a des dissociations un peu plus douces qui vont être l’hypnose, l’EMDR, etc. où ce sont des dissociations plus légères, mais s’il n’y a pas de travail psychothérapique derrière pour traiter la mémoire traumatique, c’est aussi une façon de « circulez, y a plus rien à voir ». Donc on essaye de ne pas donner de médicaments dissociants. On essaye, c’est vraiment le traitement de fond, c’est la psychothérapie, c’est la prise en charge sur la mémoire traumatique, de faire refonctionner les circuits. On peut traiter la douleur mentale quand elle est trop importante, exactement comme on donne de la morphine. Mais dans l’ensemble, on essaye d’utiliser le moins possible de médicaments psychotropes parce qu’ils sont plutôt dissociants. En revanche, on utilise un traitement qui est très efficace qui est les béta-bloquants. C’est un médicament qui diminue la production d’adrénaline. Donc, il diminue les facteurs stress, adrénaline, cortisol, et du coup il évite les allumages intempestifs de mémoire traumatique. Donc il sécurise un peu la personne. Et puis, ça permet de traiter la personne en donnant plus de sécurité et d’aller plus sur le terrain sans que ça parte en vrille. Et puis, ça protège le coeur, ça protège le cerveau, donc c’est tout bénéfice aussi. »

Les solutions

« C’est cette nécessité de développer des formations pour les professionnels pour qu’ils puissent prendre en charge, poser la question, avoir une culture de la protection des victimes, c’est-à-dire chercher à les protéger, et une culture de la prise en charge des troubles psychotraumatiques. Il faut une formation dès les études initiales et ensuite, dans les études de spécialité. C’est fou que pour la psychiatrie il n’y a pas une [formation], c’est plus de 60 % de la psychiatrie qui est liée aux psychotraumatismes. Donc c’est absolument essentiel. Les violences, c’est un problème de santé publique majeur, donc il faut s’en emparer et il faut que tous les professionnels soient formés. Et il faut absolument créer des centres de soin spécifiques. Actuellement, c’est une galère absolument épouvantable pour les victimes pour trouver des professionnels et des prises en charge sécurisées par des professionnels formés, sérieux, compétents. Et il est très important aussi de faire toute une information sur la sexualité pour les plus jeunes, de lutter contre tout ce qui est stéréotypes autour de la sexualité violente, lutter contre la pornographie, donc améliorer encore la lutte contre tout le système prostitutionnel, ce qui a déjà été le cas avec la loi qui maintenant pénalise les clients, mais il faut aller encore, il faut vraiment aller loin là-dessus. Et puis aussi, lutter contre tout ce qui est culture du viol, stéréotypes, informer sur les droits de chacun, sur la notion de consentement, le respect du consentement de l’autre, avec des notions de consentement qui ne doit pas être uniquement sur « elle a pas dit non ». Il faut absolument avoir un « oui » et un « oui  éclairé». Ce qu’on peut espérer, c’est que, là, il y a beaucoup de victimes de terrorisme qui vont avoir des troubles psychotraumatiques très lourds – il faut savoir que les victimes de viol ont les mêmes conséquences psychotraumatiques que les victimes de torture ou d’actes de terrorisme – et qu’il faudra prendre en charge toutes ces personnes. Et on les met moins en cause que les victimes de viol, donc il n’y a pas cette culture du viol. On va peut-être plus les entendre. Parce que les associations – je travaille avec elles – sont quand même assez revendiquantes par rapport à la prise en charge et c’est peut-être par leur intermédiaire qu’on va obtenir ce qu’on arrive pas à obtenir malgré tout notre travail de plaidoyer, nos luttes incessantes, etc. sur une amélioration de la prise en charge. »

Courte explication sur la pornographie et la prostitution (texte figurant sous vidéo 2)

« Explications de Muriel Salmona sur la pornographie et la prostitution : »

« Près de 90% des personnes prostituées ont subi des violences, particulièrement des violences sexuelles, dans l’enfance. Elles se retrouvent prostituées parce qu’elles sont dissociées avec, de ce fait, une grande tolérance aux violences. C’est même la raison pour laquelle elles sont choisies par les proxénètes et cela arrange les client. Je ne suis pas pour la prohibition, je ne veux pas empêcher quiconque d’être prostituée, mais contre le système d’exploitation prostitutionnel (proxénètes et clients) et l’absence de protection et de soins qui livrent et piègent ces personnes traumatisées dans ce système.

De même par rapport à la pornographie, ce que je dénonce c’est le fait de filmer des actes très violents avec des personnes qui les subissent vraiment et de participer à la diffusion d’une sexualité présentée par nature comme violente.

Être dissociée représente un risque majeur de subir des violences à répétition (70% des personnes ayant subi des violences sexuelles en subissent à nouveau) et explique les phénomènes d’emprise.

Parmi les solutions à ne pas oublier, il y a la lutte conte les inégalités, le sexisme et toutes les discriminations. Les violences sexuelles se font dans un contexte de rapport de force et de domination masculine. Les personnes qui subissent le plus de violences sont les enfants (les filles surtout), les personnes handicapées et les femmes. Les violences sexuelles ne relèvent jamais d’un désir ou d’un besoin sexuel : ce sont de la destruction et de l’excitation à la haine. » »

Bibliographie

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Santé Médecine – Journal des Femmes. (2017). Le cortex cérébral [en ligne]. Décembre 2017 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: http://sante-medecine.journaldesfemmes.com/faq/8329-cortex-cerebral-definition

Santé Médecine – Journal des Femmes. (2017). Le cortisol, l‘hormone du stress [en ligne]. Décembre 2017 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: https://www.femmeactuelle.fr/sante/sante-pratique/cortisol-23596

Santé Médecine – Journal des Femmes. (2017). Le cortisol – Analyse de sang [en ligne]. Décembre 2017 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: http://sante-medecine.journaldesfemmes.com/faq/6578-cortisol-analyse-de-sang

La sidération traumatique : une victime paralysée et dissociée pour survivre à l’effroi

« Pour ne pas mourir, la victime se dissocie de son propre corps Ce que décrit la plaignante [procès de Georges Tron], c’est ce qu’on appelle, en psychiatrie, l’état de sidération. En réaction à l’angoisse extrême subie lors d’un viol ou d’une violence, certains mécanismes de défense entrent en jeu. La victime est tétanisée, ce qui lui permet de diminuer sa souffrance physique et psychique, selon la psychiatre Muriel Salmona. La personne, ainsi paralysée, ne peut réagir. Ce sont des « réactions neurobiologiques normales du cerveau face à une situation anormale, celle des violences », précise le Dr Salmona. » (Allodocteurs, 2017).

La sidération est un mécanisme psychique de survie qui s’enclenche dans les situations terrorisantes (effroi) et de non-sens absolu (confusion extrême), soit des situations qui dépassent l’entendement (Marinette, 2016a) en matière de violence et de sens. C’est le cas des violences sexuelles qui font effraction dans la partie la plus intime de la personne. Également lorsque la victime est piégée, enfermée avec son agresseur, sans aucune possibilité de fuite, forcée de rester avec lui, pour des raisons d’emprise (pédocriminalité, violence conjugale, etc.), d’environnement (lieu isolé, etc.) ou de contexte (inceste, travail, etc.). Les agresseurs savent parfaitement utiliser la sidération en terrorisant leurs victimes et en leur tenant des propos insensés/pervers pour les réduire à néant, à l’état de pantin, de marionnette, avec qui ils pourront faire ce qu’ils veulent. Autrement dit, les agresseurs recherchent cette sidération pour pouvoir agir à leur guise et même accuser ensuite la victime, en privé ou dans un procès, de n’avoir pas réagi. (Salmona, 2013b, Marinette, 2016b, Allodocteurs, 2017).

Témoignage de Marine Périn

Sur sa chaîne Youtube, la journaliste féministe Marine Périn a réalisé 2 vidéos remarquables sur la sidération, avec son témoignage et une longue interview de Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie. La 1ère vidéo s’intitule « Violences sexuelles : la sidération psychique » (Marinette, 2016a). La seconde vidéo s’intitule « La sidération : pour aller plus loin » (Marinette, 2016b)

Marine Périn a elle-même été confrontée à la sidération lors d’une agression. Voici la transcription de son puissant témoignage qui décrit de façon très précise comment se passent la sidération (paralysie) et la dissociation (déconnexion) déclenchées par des situations de violences, notamment des violences sexuelles. Nous pouvons ainsi appréhender la sidération au moyen de « la sidération vécue de l’intérieur » (Marinette, 2016a), ce qui, me semble-t-il, est la meilleure façon pour comprendre ce mécanisme qui empêche les victimes de se défendre ou de fuir leur(s) agresseur(s).

En ce qui concerne linterview de Muriel Salmona par Marine Périn, il est intégralement retranscrit ici (Kuhni, 2017b).

Témoignage de Marine Périn (Marinette 2016a, min. 0.45) : « Donc j’ai été agressée. C’était il y a environ 5 ans. J’étais en train de rentrer chez moi après une soirée quand je me suis rendue compte qu’il y avait deux mecs qui me suivaient. Enfin, je savais qu’il y avait deux mecs qui marchaient derrière moi. Pour être sûre, pour m’assurer qu’ils ne me suivaient pas, j’ai fait ce que beaucoup de personnes qui ne se sentent pas en sécurité dans la rue ont fait : j’ai sorti mon téléphone de ma poche, je me suis mise sur le côté, je me suis arrêtée pour qu’ils puissent me dépasser, en fait, et que ça me rassure. J’ai fait ça quelques mètres avant ma porte d’entrée, parce que je me disais quand même que s’ils me suivaient, il ne fallait pas qu’ils me suivent chez moi. Là, ça a été très vite : ils m’ont dépassés, ils m’ont dit « bonsoir », je leur ai répondu « bonsoir » et puis j’ai rangé peut-être trop rapidement mon téléphone dans ma poche et il y en a un des deux qui m’a attrapée par derrière. Ses gestes étaient extrêmement précis. Donc, c’est terrible à dire, mais je pense qu’il savait ce qu’il faisait. Parce qu’en une fraction de seconde, je me suis retrouvée agenouillée parterre, avec son genou dans le dos et sa main gauche sur la bouche qui me serrait aussi mon torse, ce qui fait que j’étais complètement immobilisée. Je me souviens très exactement de ce que je me suis dit. Je me suis dit, mais non, non, ce n’est pas en train d’arriver. Mon cerveau refusait juste d’y croire, parce que c’était trop improbable de se faire vraiment attraper de manière aussi cliché dans la rue. Voilà, on m’avait toujours dit que c’était impossible. Donc j’y croyais simplement pas. Très rapidement, mon agresseur a commencé à faire ce que, je pense, il voulait faire depuis le début, c’est-à-dire qu’il a glissé sa main dans le col de mon manteau, il l’a mis dans mon soutien-gorge et il a commencé à me presser le sein. Encore une fois, tout est très flou, donc je ne sais pas à quel moment ça a basculé. Mais à ce moment-là, ce que je peux vous dire, c’est que j’étais déjà plus dans mon corps. c’est-à-dire que je voyais la scène d’en haut, exactement comme si je planais au-dessus de la rue. Je la voyais. Je pense que mon cerveau générait ces images. Et donc, ce que je voyais, c’était moi, mais j’étais plus dans mon corps, à genoux, complètement inerte, comme un pantin, avec le mec qui faisait ce qu’il voulait.

« à ce moment-là, ce que je peux vous dire,
c’est que j’étais déjà plus dans mon corps
 »

(capture d’écran de la vidéo)

Donc voilà, ça se passe comme ça. J’ai pas de notion du temps. Je sais pas combien de temps ça dure. Mais à un moment donné, je sais que je commence à reprendre mes esprits, sûrement que mon cerveau s’est dit « bon ben c’est en train d’arriver, maintenant fais quelque chose ». Donc j’élabore une stratégie. Je me dis que je vais essayer avec mes mains d’enlever la main de l’agresseur de ma bouche pour le supplier, en espérant peut-être le convaincre que c’est pas très sympa, je sais pas. C’est un peu naïf, hein, mais dans ces moments-là, on fait ce qu’on peut et en plus, on est dans une rue déserte, donc on n’imagine pas une seconde qu’on puisse par exemple appeler à l’aide et que quelqu’un vienne. Et en fait, contre toute attente, exactement à ce moment-là, y a des voisins qui se sont mis à ouvrir leur fenêtre, qui ont crié sur les agresseurs qu’ils avaient appelé la police. Et y en a même qui sont sortis de chez eux, qui habitaient à l’entresol de mon immeuble, qui voyaient la scène par cette fenêtre, là, qui est au niveau du trottoir, qui sont sortis de chez eux et qui ont poursuivi les agresseurs. Et ça a pris fin à ce moment-là. Mais là, je sais que c’est pas le sujet, mais j’en place quand même une pour ma chance d’être tombée sur ces personnes-là, parce qu’on sait qu’il y a beaucoup d’agressions qui ont lieu en public et où personne n’intervient. Là, c’était dans une ruelle déserte et les gens se sont levés, ont ouvert leur fenêtre, sont sortis de chez eux pour intervenir. C’est incroyable. Et je sais pas où j’en serais et je sais pas ce qui me serait arrivé si ça ne c’était pas passé comme ça. D’autant plus que les personnes qui ont poursuivi l’agresseur m’ont ensuite un peu pris en charge pendant l’heure qui a suivi, le temps qu’un autre ami s’en occupe. Donc voilà, l’agression prend fin à ce moment-là. Je reprends mes esprits le plus vite possible, je me relève. Et là, quand je me relève et c’est un détail pas anodin, j’ai les mains dans les poches. C’est-à-dire que pendant tout le temps que ça a duré, j’ai gardé les mains dans les poches, je me suis pas débattue. La stratégie où je pensais commencer à enlever sa main, ça n’avait pas commencé, en fait. Et c’est vraiment pas anodin parce que c’est quelque chose qui va beaucoup me travailler ensuite. Je pensais pas être une ninja face à ce genre de situation, mais quand même, ne pas réagir à ce point-là, ça m’a beaucoup perturbée, ça m’a beaucoup culpabilisée. Et en fait, c’est le principe même de la sidération et c’est pour ça que beaucoup de victimes, aussi, culpabilisent, en plus du fait que certains les font culpabiliser. Mais elles culpabilisent elles-mêmes de pas avoir réagi. Les heures et les jours qui ont suivi, il a fallu que j’oublie quand même un peu l’expérience entre guillemets « paranormale » que je venais de vivre, parce que, à ce moment-là, on se concentre sur les faits et les gens veulent savoir ce qui est arrivé, particulièrement les policiers quand tu portes plainte où tu essayes d’être le plus précise possible. Moi, ça me tenait à cœur, en plus, de bien décrire ce qui s’était passé. Donc j’ai complètement omis le fait, qu’en fait j’étais même plus dans mon corps quand ça a eu lieu. Par ailleurs, à l’époque, je savais pas du tout ce qu’était la sidération. J’en avais jamais entendu parler. Donc ça me paraissait encore plus bizarre. C’est quelques mois plus tard, en lisant un roman, que j’ai découvert ce que c’était parce que l’un des personnages en avait été victime, en fait, lors d’un viol, et il racontait, donc là, j’ai su ce qui c’était passé. Et rien que le fait de le savoir, ça faisait beaucoup de bien. Ça efface pas tout, bien sûr, mais c’est quand même un soulagement, ça m’enlève un poids, une culpabilité. C’est aussi pour ça que je voulais en parler. (…). » (Marinette, 2016a)

La sidération : la victime est paralysée

La sidération traumatique est un processus psychique qui paralyse la personne confrontée à des violences, plus particulièrement aux violences sexuelles (effraction dans l’intime). Ces situations violentes déclenchent un sentiment d’effroi (peur de mourir) et un sentiment de non-sens absolu (confusion extrême), ce qui a pour conséquence d’affoler le cortex qui n’est alors plus en mesure d’assumer ses tâches habituelles d’analyse et de prise de décision. Dès cet instant, « L’activité corticale de la victime se paralyse, elle est en état de sidération. Le cortex sidéré est dans l’incapacité d’analyser la situation et d’y réagir de façon adaptée. » (Salmona, 2013, p. 75). Cette paralysie, cette panne du cortex (très visible sur des IRM) va paralyser la victime. Dès lors, elle ne sera plus capable de bouger, de parler, de crier, de réagir, de fuir le(s) agresseur(s). Elle est paralysée.

Cortex cérébral éteint (2ème IRM)

Source : Marinette – femmes et féminisme, 2016a

« Le cortex cérébral règne sur ce qu’on nomme les « fonctions nerveuses élaborées » et est regroupé en aires ayant des fonctions différentes notamment sensorielles, motrices et d’association. Le cortex cérébral participe à de nombreuses fonctions cognitives notamment entre autres, certains sens, le langage, les actions volontaires de la motricité et la mémoire. » (Santé Médecine – Journal des Femmes)

Cortex cérébral

Cortex préfrontal

L’inutile préparation à la fuite ou au combat

Dès le début d’une situation de violence, notre organisme va produire massivement des hormones de stress, afin de nous préparer à la fuite ou au combat. Il y aura par exemple une forte production d’adrénaline (sécrétée par les glandes surrénales) pour stimuler le système cardio-vasculaire et la respiration, ainsi qu’une forte production de cortisol (sécrétée par les glandes corticosurrénales) pour stimuler la production d’énergie. Cette surproduction d’hormones de stress va booster l’organisme et lui donner des capacités extraordinaires pour réagir face à une situation de danger (force musculaire, perceptions, etc.). Les personnes auront alors l’impression d’avoir des ailes lorsqu’elles courent pour s’enfuir, une force décuplée pour combattre et une rapidité d’action exceptionnelle. Une fois le danger passé, elles seront souvent stupéfaites par leurs prouesses et trembleront parfois de peur après coup en pensant à ce qui se serait passé si elles n’avaient pas eu de tels réflexes et de telles capacités.

« Cortisol : une hormone essentielle en cas de danger – Quand vous êtes face à une situation risquée, plusieurs hormones boostent votre organisme pour vous aider à surmonter le danger. La plus connue d’entre elles est l’adrénaline. Surnommée « l’hormone guerrière », elle mobilise toute votre énergie disponible et aiguise instantanément vos sens. Quant au cortisol, il est produit en masse quelques minutes après la poussée d’adrénaline. Ses effets sont moins perceptibles mais extrêmement importants. Il participe activement à la production d’énergie en transformant les réserves de graisse en sucres. Il dirige également cette énergie au bon endroit, comme dans les muscles de vos jambes si vous devez prendre la fuite ! Le cortisol contribue réellement à vous sauver la vie. » (Santé Médecine – Journal des Femmes)

Toutefois, dans un grand nombre de situations de violences, les victimes n’ont aucune possibilité de fuite ou de combat. Elles sont coincées par leur(s) agresseurs(s), piégées par eux, en raison d’une emprise (pédocriminalité, violence conjugale, par exemple) ou de l’environnement (lieu isolé, etc.) ou du contexte (inceste, travail, etc.).

La fuite ou la combat est également impossible, bien sûr, lorsque les victimes sont déjà en état de sidération, totalement paralysées par un cortex sidéré, paralysé. Or, c’est précisément le rôle du cortex de réguler la réaction au stress de l’organisme. Donc lorsque cette instance supérieure ne fonctionne plus, les hormones de stress vont affluer massivement, de façon incontrôlée en raison d’une hyper-activité de l’amygdale cérébrale (visible sur les IRM) qui crée un risque de survoltage (surchauffe de l’amygdale cérébrale). Ce survoltage présente un risque vital pour l’organisme : cardio-vasculaire (adrénaline) et neurologique (cortisol).

La dissociation : la victime se déconnecte de son propre corps

Le cerveau déclenche alors un processus de survie qui consiste à faire disjoncter le circuit cérébral responsable de la production des hormones de stress « en libérant des substances chimiques, de la morphine, de la kétamine, qui vont faire disjoncter le système d’alarme. L’amygdale est isolée, exactement comme un réacteur nucléaire fermé dans un coffrage. Résultat : la production d’hormones de stress est alors stoppée » (Allodocteurs, 2012). Cette disjonction va entraîner une anesthésie émotionnelle, une dissociation, des troubles de la mémoire (amnésie du traumatisme, partielle ou totale), ainsi que la création d’une mémoire traumatique qui va rester piégée dans l’amygdale cérébrale déconnectée, sans pouvoir se diriger normalement vers l’hippocampe pour être transformée en mémoire autobiographique. Cette mémoire traumatique renfermant la situation violente telle quelle, avec tout son déchaînement d’effroi, de chaos, de douleur, de non-sens, etc., est la source du stress post-traumatique qui risque de se développer à la sortie de l’événement traumatique.

Après la disjonction, la personne dissociée se retrouve dans un état d’irréalité, ne ressentant quasiment plus rien, avec perte de la notion du temps, du lieu, etc. et perception de la situation comme si cela ne la concernait pas, comme s’il s’agissait d’une situation vécue par quelqu’un d’autre. La dissociation propulse donc la personne hors d’elle-même (corps, émotions, sensations, etc.) et hors du temps, de l’espace (désorientation temporo-spatiale). Autrement dit, la personne n’est plus présente, même si son corps est toujours là et qu’elle n’est pas morte.

Les victimes de violences sont d’ailleurs presque toujours confrontées à la peur de mourir (effroi). A ce titre, il est intéressant de noter que le récit de décorporation (sortie de leur corps) que font certaines personnes qui ont vécu la dissociation peut comporter des ressemblances sur certains points avec des récits de décorporation de personnes ayant précisément frôlé la mort, par exemple celles ressortant du coma ou celles ayant vécu une expérience de NDE et EMI (Near-Death Experience ou expérience de mort imminente).

La sidération – Le Magazine de la Santé, France 5 (Allodocteurs, 2012)

L’émission Allodocteurs (Magazine de la Santé, France 5) a diffusé le 26 novembre 2012 un excellent sujet consacré à la sidération, avec des images de synthèse montrant très clairement ce qui se passe au niveau de l’amygdale cérébrale et de l’hippocampe au moment de la sidération et de la dissociation. Un petit bémol : ce sujet passe un peu vite sur le rôle du cortex dans la sidération. Il n’y a d’ailleurs aucune image de synthèse sur la panne du cortex (très visible sur des IRM). Or, c’est bien le cortex sidéré, le cortex paralysé qui est à l’origine de la sidération, de la paralysie de la victime.

Le Nouvel Obs a publié le 26 novembre 2012 un article sur cette émission contenant la vidéo à télécharger directement à partir de l’article.  (Nouvel Obs, 2012). Cette vidéo est aussi proposée en lecture sur une page intitulée « Viol : quelle prise en charge pour les victimes ? » (2ème sujet de la page) sur le site Allodocteurs (Allodocteurs, 2012).

Je retranscris intégralement ce remarquable sujet sur la sidération de Allodocteurs (vidéo téléchargeable sur article du Nouvel Obs), car les images de synthèse et les explications données sont d’une grande clarté et décrivent parfaitement le processus qui conduit à la surchauffe de l’amygdale cérébrale, à la disjonction du circuit responsable du stress, à la dissociation traumatique, à la création d’une mémoire traumatique et, finalement, au stress post-traumatique. L’ensemble du sujet s’appuie sur les travaux de Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie. Les images qui ponctuent la transcription sont des captures d’écran de la vidéo.

Titre du sujet : « Pourquoi parle-t-on de sidération lors d’un viol ? »

Marina Carrère d’Encausse : « Pourquoi parle-t-on de sidération et de stress post-traumatique après un viol ? C’est une question aujourd’hui en forme d’erratum pour repréciser ce que nous vous avions dit lors du Allodocteurs consacré au viol. On vous avait montré une animation qui permet de comprendre pourquoi, après une agression sexuelle, la violence du traumatisme ne s’arrête pas. Pourquoi, c’est une véritable torture qui touche l’intimité de la personne. Tout ça, on le sait aujourd’hui, grâce aux travaux d’une psychiatre, le Dr. Muriel Salmona. »

Michel Cymes : « Alors sur le plan cérébral, dès le début d’une agression, notre système d’alarme que vous allez voir, l’amygdale, qui est chargée de décoder les émotions et les stimuli de menace, va s’activer. Elle va déclencher une cascade de réactions pour préparer notre fuite. Elle provoque entre autre la production par les glandes surrénales, que vous allez voir en jaune au-dessus du rein, des hormones du stress, vous connaissez, l’adrénaline, le cortisol. Résultat : tout l’organisme est sous tension, le flux sanguin, le rythme cardiaque, la respiration s’accélèrent et les muscles sont contractés, prêts à amorcer la fuite. »

L’amygdale cérébrale s’active

Marina Carrère d’Encausse : « Quand une victime est immobilisée par un agresseur, très vite, c’est la surchauffe. L’amygdale cérébrale s’affole, les centres nerveux au niveau du cortex censés analyser et modérer les réactions sont comme dépassés par les signaux d’alerte. Et c’est la panique totale. L’amygdale surchauffe et donc la victime est en état de sidération, comme paralysée. Du coup, elle ne peut plus se défendre, ni crier, ni même plus réagir, elle est comme paralysée. La victime est dans un état de stress extrême, dépassé. Elle sent qu’elle va mourir. »

Michel Cymes : « Alors pour éviter que le survoltage de cette amygdale ne provoque un arrêt cardiaque, le cerveau, vous allez le voir, déclenche une sorte de court-circuit en libérant des substances chimiques, de la morphine, de la kétamine, qui vont faire disjoncter le système d’alarme. L’amygdale est isolée, exactement comme un réacteur nucléaire fermé dans un coffrage. Résultat : la production d’hormones de stress est alors stoppée. »

L’amygdale cérébrale libère des substances chimiques,
de la morphine, de la kétamine pour faire disjoncter le système d’alarme
(court-circuit)

L’amygdale est isolée (disjonction)

Marina Carrère d’Encausse : « La victime est comme coupée du monde, déconnectée de ses émotions, et pourtant la violence continue, mais elle ne ressent presque plus rien, ce qui lui donne un sentiment d’irréalité totale. C’est ça qu’on appelle la dissociation. D’ailleurs, les victimes le disent : à un moment donné, elles ont l’impression d’être spectatrices de l’événement. »

Michel Cymes : « Oui, c’est cette dissociation qui permet de rester en vie. Mais ce système de sauvegarde fait aussi des dégâts. Isolée, anesthésiée par des décharges permanentes de morphine et de kétamine, cette amygdale n’évacue pas le traumatisme du viol vers une autre structure que vous voyez clignoter, l’hippocampe. Cette structure, c’est notre système de mémorisation et d’analyse des souvenirs. Ce qui fait que le moment du viol va resté piégé, en l’état, dans l’amygdale. Et à chaque flashback, c’est le souvenir du viol qui n’a pas été traité par le cerveau que va revivre la victime. C’est un moment extrêmement violent. Et c’est ce qu’on appelle le stress post-traumatique. »

L’amygdale isolée et l’hippocampe

La sidération, par la Dre Muriel Salmona (2013)

Dans un article du 23 août 2013 intitulé «Une victime de viol qui ne se débat pas, ça ne veut pas dire qu’elle consent », Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, s’indigne de la façon dont la sidération traumatique est utilisée contre les victimes pour mettre en doute leur crédibilité. En plus de la description du processus de la sidération, elle décrit aussi la parfaite connaissance que les violeurs ont de ce mécanisme psychique paralysant et la manière dont ils l’utilisent à 2 niveaux : pour piéger leurs victimes, puis pour inverser la situation en justice (la victime devient la coupable). Cet article synthétise si bien l’ensemble de cette problématique que je le retransmets intégralement :

« À toutes celles et ceux qui sont encore tenté-e-s de dire, ou de se dire en leur for intérieur, quand on leur rapporte un viol : « pourquoi n’a-t-elle pas crié, ne s’est-elle pas débattue, n’a-t-elle pas fui ? », « moi, à sa place, jamais je ne me serais laissé faire ! » ; et si la victime est un homme : « comment est-ce possible ? », Beverly Donofrio leur répond dans son excellent article « J’ai été violée à 55 ans et je n’ai pas crié« , sur Slate.fr.

Pourquoi ces personnes ont-elles de fausses croyances aussi tenaces ? Au mieux, elles n’ont pas beaucoup d’imagination et sont très mal informées sur la sidération traumatique, et, au pire, elles adhèrent au déni de la réalité des viols et aux stéréotypes sexistes, en sont complices et projettent la culpabilité sur la victime.

Le minimum serait déjà qu’elles se représentent le risque encouru par la victime face à un violeur armé ou non qui menace sa vie, à un violeur dont la détermination criminelle et la haine en font un individu extrêmement dangereux (les victimes décrivent presque toutes un regard de tueur qui les a tétanisées), à un violeur qui les nie, les chosifie, les humilie et veut jouir de leur détresse.

Beverly Donofrio nous le rappelle, lors d’un braquage, d’un cambriolage, la première recommandation que l’on fait est de ne surtout rien tenter, de se soumettre et d’obéir en raison des risques graves encourus.

Faudrait-il, pour laver une victime de viol de tout soupçon de consentement et de complicité, qu’elle soit grièvement blessée ou morte ? Les stéréotypes catastrophiques ont la vie bien dure…

Ensuite, ces personnes pourraient réfléchir à ce qui se passe dans la tête du violeur plutôt que de se focaliser sur la victime et sur ce qu’elle a fait ou n’a pas fait. Elles pourraient se rendre compte qu’il s’agit d’un prédateur qui, très rarement, agit de façon impulsive, mais qui, tel un chasseur, prémédite, organise sa traque, affûte ses stratégies et attend son heure.

Un état de sidération qui paralyse la victime

Les scénarios qu’il imagine font déjà partie de sa jouissance perverse. Et dans ses stratégies, il va élaborer des plans pour pouvoir commettre son crime dans les meilleures conditions, et faire en sorte que la victime ne puisse pas crier, ni se débattre ou fuir, et que personne ne puisse venir la secourir.

S’il connaît la victime (ce qui est le cas dans près de 80% des viols), il va organiser son impunité en lui imposant le silence, en la manipulant, en l’embrouillant, en faisant en sorte de créer chez elle des doutes et un sentiment de culpabilité et de honte.

Et contrairement au commun des mortels, et malheureusement de bien des professionnels censés prendre en charge les victimes, il [le violeur] sait très bien ce qu’est un état de sidération, qui paralyse la victime, car c’est ce qu’il cherche avant tout à mettre en place avec des stratégies très efficaces.

Ce serait donc la moindre des choses que tout le monde s’informe sur les conséquences et les mécanismes psychotraumatiques des violences, qui sont parfaitement connues et décrites depuis plus de 30 ans, et que tous les professionnels au contact des victimes soient formés à ces connaissances !

À commencer par le mécanisme de sidération qui paralyse l’activité corticale de la victime de viol et l’empêche de réagir. Cela éviterait pour les victimes beaucoup de questions injustifiées, empreintes des pires soupçons.

Une effraction qui balaie les représentations mentales

Le viol crée une effraction psychique et balaie toutes les représentations mentales, toutes les certitudes, le cortex se retrouve alors en panne (nous verrons que cette panne est visible sur les IRM). Il est dans l’incapacité d’analyser la situation et d’y réagir de façon adaptée. La victime est comme pétrifiée, elle ne peut pas crier, ni parler, ni organiser de façon rationnelle sa défense.

Pour sidérer une victime, il faut :

– soit la terroriser par la soudaineté et la brutalité de l’agression, la réduire à l’impuissance par des menaces de mort, par des violences physiques et par une volonté de destruction inexorable ;

– soit la paralyser par le non-sens, le caractère incongru, incompréhensible, impensable de l’agression et de sa mise en scène, qui est alors impossible à intégrer, comme dans les situations de viols incestueux et de viols commis par des personnes dans le cadre de leurs fonctions de responsabilité et d’autorité (comme des professeurs, des entraîneurs, des éducateurs, des responsables religieux, des soignants, etc.) pour les enfants et les adolescents (qui représentent, ne l’oublions pas, plus de la moitié des 150.000 des victimes de viol par an en France), ou pour les adultes dans le cadre de relations de confiance, de responsabilité, où la sécurité devrait normalement être assurée (amis, conjoint, médecins, kinés, collègues de travail, employeurs, policiers, etc.).

Les violences les plus sidérantes sont celles qui sont les plus « insensées », celles qui n’ont aucun sens par rapport au contexte, aucun sens par rapport à la victime, par rapport à son histoire, à ce qu’elle a fait ou pas, à ce qu’elle a dit ou pas. Le viol en fait partie. Cette violence impensable ne concerne pas la victime, c’est une violence qui vient d’une autre scène, celle de l’agresseur !

Ce dernier impose à la victime de jouer de force un rôle qui n’est pas le sien, dans un scénario inconnu d’elle, imprévisible, qui n’appartient qu’à l’agresseur et qu’il met en scène pour son propre compte.

Des troubles de la mémoire importants

Une patiente, violée par un inconnu entré par effraction avec une hache dans sa chambre d’hôtel, me rapportait qu’au bout de quelques minutes, alors qu’elle commençait à sortir de son état de sidération et cherchait autour d’elle un objet pour tenter d’assommer l’agresseur, celui-ci s’en était rendu compte, et il lui avait suffi de lui murmurer « je t’aime » et « tu aimes ça, hein ? » pour qu’elle retombe dans son état de sidération.

De plus, tant que le cortex est en panne, il ne peut pas contrôler la réponse émotionnelle, celle-ci continue alors de monter en puissance, l’organisme se retrouve rapidement en état de stress extrême avec des sécrétions de plus en plus importantes d’hormones de stress, adrénaline et cortisol qui deviennent rapidement toxiques pour le système cardio-vasculaire et le cerveau et représentent un risque vital pour l’organisme.

Pour y échapper, le cerveau (comme lors d’un survoltage dans un circuit électrique) va faire disjoncter le circuit responsable du stress, ce qui va avoir pour effet d’éteindre la réponse émotionnelle, mais aussi de déconnecter les fibres qui informent le cortex des émotions, entraînant une anesthésie émotionnelle et une dissociation (c’est-à-dire état de conscience altérée, un sentiment d’irréalité et d’être spectateur de la scène), et de déconnecter les fibres qui permettent la transformation de la mémoire émotionnelle non consciente en mémoire consciente autobiographique.

Cela va entraîner des troubles de la mémoire : amnésie partielle ou complète du traumatisme et mémoire traumatique, mémoire émotionnelle qui reste piégée, hypersensible, immuable, l’intensité des affects restant intacte, et qui peut « s’allumer » lors de situations, d’affects, de sensations sensorielles rappelant l’événement traumatique, envahissant alors la conscience et faisant de façon incontrôlable revivre à l’identique le viol avec la même détresse, les mêmes angoisses et entraînant la même sidération, le même survoltage et le même risque vital.

Un état de stress post-traumatique

Des expériences effectuées par des scientifiques américains [1] ont permis de mettre en évidence cette paralysie corticale sur des IRM encéphaliques fonctionnelles qu’ils ont faites à chaque fois à deux personnes, une qui a subi de graves violences et qui présente un état de stress post-traumatique, et une autre qui n’a pas subi de violence, ces IRM fonctionnelles permettent de visualiser les zones du cerveau qui s’activent.

Lors de l’examen, les chercheurs font écouter simultanément aux deux personnes un enregistrement avec d’abord un récit neutre, puis soudain un récit de violences extrêmes. Ce récit violent entraîne chez les deux personnes une réponse émotionnelle.

Chez la personne qui n’a pas de troubles psychotraumatiques, on voit sur l’IRM de nombreuses zones corticales s’activer pour répondre au stress déclenché par le récit ce qui permet d’analyser la situation (il ne s’agit que d’un récit) et de moduler et d’éteindre la réponse émotionnelle, la personne développe un discours intérieur qui lui permet de se calmer, et elle peut décider de se plaindre à la fin de l’examen.

En revanche, sur l’IRM de la personne traumatisée, lors du récit des violences on constate une absence d’activité des zones corticales concernant les prises de décision (le cortex frontal ne se colore pas) et une hyperactivation de la zone émotionnelle (amygdale cérébrale), la personne est sidérée, elle ne va pas pouvoir calmer la réponse émotionnelle que le récit a enclenchée.

Une sidération recherchée par l’agresseur

Cette sidération recherchée par l’agresseur est donc à l’origine de tous les troubles psychotraumatiques, en particulier une dissociation et une mémoire traumatique qu’il sera essentiel de traiter.

La dissociation qui anesthésie et déconnecte la victime, l’empêche d’avoir accès à ses émotions et permet à l’agresseur d’assurer encore plus son contrôle et son emprise et de lui imposer facilement son scénario culpabilisant (c’est de ta faute, tu m’as cherché, tu mérites ce que j’ai fait, tu aimes ça…) ou mystificateur (c’est parce que je t’aime, c’est normal, ce n’est pas grave…).

Il peut même parvenir à lui faire jouer un rôle, lui imposer des comportements qui seront ensuite autant de sources de culpabilisation et de honte pour elle, et d’éléments qui pourront lui être ensuite reprochés.

Le fait de n’avoir pas pu réagir, le sentiment d’irréalité, les troubles de la mémoire aggravent les doutes qui submergent la victime et l’empêchent de dénoncer le crime, de revendiquer ses droits (c’est grave, il n’avait pas le droit de me faire ça) et de se reconnaître comme victime. » (Salmona, 2013b)

Bibliographie

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L’amnésie traumatique, une mémoire déconnectée pour survivre à l’effroi

Les avancées en neurosciences et psychotraumatologie ouvrent aujourd’hui des perspectives intéressantes pour la reconnaissances des violences par la justice. Par exemple, il est probable que les traces des violences que l’on retrouve dans le cerveau et l’ADN des victimes (Kuhni, 2017), ainsi que les souvenirs d’une extraordinaire précision qui ressurgissent après une amnésie traumatique pourront dans un avenir proche servir à faire condamner en justice des agresseurs (violeurs, pédocriminels, etc.).

Sachant que ces agresseurs font rarement une seule victime, ces souvenirs parfaitement conservés et encapsulés momentanément par un processus de survie dans les amygdales cérébrales (mémoire traumatique) pourront sauver d’autres victimes potentielles. C’est pourquoi, même des années après l’agression, cette puissante mémoire qui ressurgit d’une amnésie traumatique peut être un précieux outil de survie et de changement pour la société toute entière.

Toutefois, pour que ces données soient reconnues par la justice comme preuves des agressions subies, il faut dans un premier temps que la loi change, que les délais de prescription soient allongés et surtout que les tribunaux cessent d’utiliser des théories sans aucun fondement scientifique telle la théorie des faux souvenirs pour décrédibiliser la parole des victimes. Pour cela, il faut que les juges et les expert-e-s soient solidement formé-e-s à la psychotraumatologie et aux processus de violence (phénomènes d’emprise, grooming, cycle de la violence, etc.).

Andrea Dworkin « Souvenez-vous, résistez, ne pliez pas »

La puissance de la résurgence des souvenirs après une amnésie traumatique pour changer la société me fait penser à la légendaire féministe Andrea Dworkin et à sa célèbre phrase :

« Souvenez-vous, résistez, ne pliez pas » (Dworkin, 2007)

Ces mots d’Andrea Dworkin nous disent à quel point le souvenir des agressions est un outil majeur pour mettre fin aux violences . Donc intéressons-nous à la parole courageuse des personnes qui sortent d’une amnésie traumatique, soyons solidaires avec elles pour faire reconnaître ces violences. Ces souvenirs très précis des agressions sont une clef vitale pour un réel changement de société.

Voici, résumé en quelques mots, le message d’où est tiré cette célèbre phrase « Souvenez-vous, résistez, ne pliez pas ». En 1995, à Toronto, Andrea Dworkin a livré devant une assemblée de femmes un message à l’occasion d’un colloque intitulé « The Future of Feminism ». Dans ce message d’une grande puissance, elle demande aux femmes de se souvenir, de résister et de ne pas plier face aux violences sexistes et à la domination masculine. Plus précisément, elle demande aux femmes de se souvenir des violences sexistes, des agresseurs et des victimes qui sont la plupart du temps oubliées ; de résister aux hommes et aux agresseurs ; de ne pas plier (ou céder) face à la domination masculine. Elle demande aux femmes de « briser le silence », de commencer à parler de tout ce qui a toujours été caché, occulté, parce que les femmes n’ont jamais eu la parole. Dans toute l’histoire de l’humanité, les femmes ont toujours été silenciées et tout a été décidé et fait sans elles. Elle demande aux femmes de ne pas oublier toutes ces femmes violées et tuées par les hommes et que cette mémoire serve de base à la résistance des femmes. (Tradfem, 2017)

Ce message d’Andrea Dworkin est d’une grande actualité, puisque le hashtag #metoo a précisément lancé une vague de résistance basée sur la parole des victimes et le souvenir des violences sexuelles.

Dans un autre texte célèbre intitulé « Je veux une trêve de 24 heures durant laquelle il n’y aura pas de viol », Andrea Dworkin exprime ces mêmes notions :

« Nous n’avons pas l’éternité devant nous. Certaines d’entre nous n’ont pas une semaine de plus ou un jour de plus à perdre pendant que vous discutez de ce qui pourra bien vous permettre de sortir dans la rue et de faire quelque chose. Nous sommes tout près de la mort. Toutes les femmes le sont. Et nous sommes tout près du viol et nous sommes tout près des coups. (…) Toutes les trois minutes une femme est violée. Toutes les dix-huit secondes une femme est battue par son conjoint. Il n’y a rien d’abstrait dans tout cela. Ça se passe maintenant, au moment même où je vous parle. (…) C’est fait ici et c’est fait maintenant et c’est fait par les gens dans cette salle aussi bien que par d’autres contemporains : nos amis, nos voisins, des gens que l’on connaît. (…) ce jour où pas une femme ne sera violée, nous commencerons la pratique réelle de l’égalité, parce que nous ne pouvons pas la commencer avant ce jour-là. Avant ce jour-là, elle ne veut rien dire parce qu’elle n’est rien ; elle n’est pas réelle ; elle n’est pas vraie. Mais ce jour-là, elle deviendra réelle. Et alors, plutôt que le viol, pour la première fois dans nos vies – tant les hommes que les femmes –, nous commencerons à faire l’expérience de la liberté. » (Tradfem, 2014b)

Dans autre texte intitulé « Terreur, torture et résistance », Andrea Dworkin invite à sortir de l’amnésie individuelle et sociétale qui permet aux agresseurs de poursuivre leur violences :

« Nous vivons sous un règne de terreur. Et ce que je vous dis aujourd’hui, c’est que je veux que nous cessions de trouver ça normal. Et la seule façon de cesser de trouver ça normal est de refuser d’être amnésiques chaque jour de nos vies. De nous rappeler ce que nous savons du monde dans lequel nous vivons. Et de nous lever chaque matin, décidées à faire quelque chose à ce sujet. » (Tradfem, 2014a)

Ces mots d’Andrea Dworkin sont des soutiens pour appréhender pleinement l’importance de la prise en compte des souvenirs d’une grande précision qui ressurgissent après une amnésie traumatique, car ces souvenirs sont un bienfait pour la société entière.

Mié Kohiyama

La journaliste franco-japonaise Mié Kohiyama milite pour que l’amnésie traumatique soit reconnue dans les procédures et que le délai de prescription soit allongé pour tenir compte de cette amnésie à laquelle sont confrontées un très grand nombre de victimes de violences (env. 40% des victimes).

Mié Kohiyama a été elle-même victime de viols à l’âge de 5 ans, avec une amnésie traumatique qui a duré 32 ans. Suite à la résurgence de ses souvenirs traumatiques, elle a écrit un livre sur ce thème : « Le petit vélo blanc » (B., 2015) avec le pseudo Cécile B. Cette journaliste utilise le terme de « mémoire «gelée dans le temps » » qui représente parfaitement ces souvenirs laissés tels quels, avec une précision absolue, comme s’ils avaient été enregistrés avec « une caméra à la main » (Kohiyama, 2017) et que, pour survivre à l’effroi glaçant causé par le viol, cet enregistrement a été figé, conservé par la glaciation du traumatisme depuis des années.

Pour faire connaître l’amnésie traumatique au plus grand nombre, Mié Kohiyama a créé une page Facebook sur laquelle on trouve de nombreux témoignages de victimes ayant été confrontées à une amnésie traumatique. Le nom de cette page est « moiaussiamnésie » (Moiaussiamnésie, 2017), sans doute en référence au hashtag #meetoo qui a permis la libération de la parole des victimes.

Dans une tribune publiée le 14 novembre 2017 dans Le Monde, Mié Kohiyama demande précisément à ce que la loi tienne compte du fait que le souvenir d’un traumatisme ressurgit souvent longtemps après le délai de prescription en raison de l’amnésie traumatique.

Voici le début de ce texte : « La récente actualité autour de l’animatrice Flavie Flament a remis sur le devant de la scène la question de l’amnésie traumatique, qui touche 40% des mineurs victimes de viols et peut durer plus de quarante ans, selon les travaux des psychologues Linda Meyer Wil­liams et Cathy Widom et l’enquête sur l’impact des violences sexuelles dans l’enfance de l’association Mémoire traumatique et victimologie.

Le mécanisme est désormais bien connu médicalement et scientifiquement, comme l’explique la psy­chiatre Muriel Salmona. « Il s’agit d’un mécanisme neurobiologique de sauvegarde bien documenté que le cerveau déclenche pour se protéger de la terreur et du stress extrême générés par les violences qui présentent un risque vital (cardio-vasculaire et neurologique). (…) Ce mécanisme fait disjoncter les circuits émotionnels et ceux de la mémoire, et entraîne des troubles dissociatifs et de la mémoire, responsables des amnésies et d’une mémoire traumatique. »

Il y a quatre ans, j’ai été l’une des pionnières à médiatiser ce sujet en France en menant la première procédure devant la Cour de cassation, aux côtés du bâtonnier Gilles-Jean Portejoie, pour demander une révision des délais de prescription, à la suite des viols dont j’ai été victime en 1977, soit il y a quarante ans. J’avais alors 5 ans.

C’est un cousin éloigné, âgé de 39 ans à l’époque, qui s’en est pris à l’enfant que j’étais, de façon particulièrement brutale. Mon cerveau a occulté les faits, qui ont ressurgi avec une violence inouïe en 2009 à la suite d’un choc émotionnel et d’une séance d’hypnose. Ces souvenirs ont explosé à ma conscience avec une précision « chirurgicale », comme si j’avais une caméra à la main et que je revivais les scènes dans ma chair.

Mémoire « gelée dans le temps »

Un mécanisme expliqué par le fait que la mémoire traumatique est comme « gelée dans le temps », contrairement à la mémoire autobiographique qui, elle, est plus [aléatoire, explique la docteure Salmona. « La mémoire traumatique est une mémoire émotionnelle (…)] » (Kohiyama, 2017)

Flavie Flament

L’animatrice de radio/TV et autrice Flavie Flament dont parle Mié Kohiyama dans sa tribune (Kohiyama, 2017) milite également pour l’allongement du délai de prescription des crimes sexuels commis sur des mineur.e-s.

Flavie Flament a elle-même été violée par un célèbre photographe à l’âge de 13 ans, avec une amnésie traumatique qui a duré 22 ans. En 2009, au cours d’une séance de psychothérapie, le souvenir du viol lui est brutalement revenu. En 2016, elle a publié un livre intitulé « La consolation » dans lequel elle parle de son histoire et du viol en alternant des passage à la 1ère personne et des passages à la 3ème personne, mais sans jamais citer de noms réels et en utilisant pour elle-même le surnom de « Poupette ».

Le 22 novembre 2016, Flavie Flament a été nommée par Laurence Rossignol (ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes) à la tête d’une mission gouvernementale de réflexion sur le prolongement du délai de prescription pour les viols. En avril 2017, cette mission a proposé de passer le délai de 20 à 30 ans dans les cas de crimes sexuels commis sur des mineurs.

Le 7 novembre 2017, Flavie Flament était avec Elise Lucet sur le plateau de C à vous (talk-show de France 5) pour présenter le reportage de France 5 intitulé « Viols sur mineurs : mon combat contre l’oubli » qui a été diffusé le 15 novembre 2017 (France 5, 2017). Au cours de cette émission, la journaliste qui présente le sujet se réjouit qu’il y ait enfin une étude scientifique du traumatisme. Elle précise qu’il y a 40 % des victimes qui ont une amnésie totale qui peut durer des années et que cette amnésie peut s’expliquer neurologiquement. S’en suivent des extraits du reportage de France 5. On y entend la neurologue et une voix off pour Flavie Flament : « Quand on a un stress continu avec finalement une production anormale de stress, d’hormone du stress, de cortisol, l’hippocampe va être la cible de ce cortisol. » (la neurologue), « Les vagues de stress émotionnel ont donc affecté mes hippocampes, bloqué mes souvenirs traumatiques, et provoqué mon amnésie. » (voix off), « Donc là, chez un sujet du même âge, on voit que la hauteur de l’hippocampe, ici, est normale, c’est-à-dire que la structure grise qui est l’hippocampe occupe toute la place. Alors que sur l’IRM de Flavie, on voit que cette même structure qui est ici n’occupe pas toute la place, toute la hauteur. Et à la place, on voit ce liseré noir qui est un liseré de liquide céphalo-rachidien. Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est la preuve d’une souffrance chronique matérialisée sur ces hippocampes. » (la neurologue). La journaliste termine le sujet en disant : « Donc grâce à cet IRM, on découvre les marqueurs de la souffrance, ce qui ouvre quand même des perspectives incroyables : déjà on sait que la violence a un impact sur le cerveau et sur le développement cérébral. »

Dans un article à propos de l’ADN et du cerveau (Kuhni, 2017), vous trouverez une transcription complète de cette partie du reportage « Viols sur mineurs : mon combat contre l’oubli » de France 5 dans laquelle Flavie Flament discute avec deux neurologues de ses IRM.

L’amnésie traumatique, un mécanisme neurologique de survie

« Ses souvenirs étaient « enfermés » en elle comme « à double tour ». Ces confidences, extraites du documentaire Viols sur mineurs : un combat contre l’oubli, diffusé mercredi 15 novembre sur France 5 – et écrit par l’animatrice Flavie Flament –, ont remis en lumière l’amnésie traumatique.

(…) L’amnésie traumatique décrit une période pendant laquelle une personne n’a pas conscience des violences qu’elle a subies. Le souvenir, enfoui dans le cerveau, est inaccessible à cause d’une dissociation qui s’opère au moment du traumatisme. A ce moment-là, « pour se protéger de la terreur et du stress extrême générés par les violences, le cerveau disjoncte et déconnecte avec les circuits émotionnels et ceux de la mémoire », explique Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie.

Le phénomène peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années. « C’est comme regarder un paysage montagneux dans un épais brouillard, on devine que quelque chose se cache derrière mais on ne sait pas quoi exactement », décrypte la psychiatre. C’est pourquoi, bien souvent, on constate chez les personnes atteintes d’amnésie traumatique une « sensation de vide », une « souffrance » :

« Elles ont l’impression d’avoir subi quelque chose sans savoir quoi. Elles n’ont pas véritablement oublié leur traumatisme mais émotionnellement, elles n’y ont pas accès à cause de la dissociation. »

La remontée brutale des souvenirs a généralement lieu quand la victime n’est plus exposée à son agresseur ou quand elle vit un changement radical, comme la perte d’un proche, une rencontre, une émigration ou un bouleversement émotionnel du type grossesse ou maladie. 

(…) Découverte au début du XXe siècle, l’amnésie traumatique a d’abord été décrite chez des soldats traumatisés qui ne se souvenaient plus des combats. Mais c’est chez les victimes de violences sexuelles dans l’enfance que l’on retrouve le plus d’amnésies traumatiques, « leur cerveau étant beaucoup plus vulnérable aux violences et au stress extrême ainsi qu’aux traumatismes qu’elles entraînent », précise Muriel Salmona.

Le phénomène peut également toucher des personnes ayant subi dans l’enfance un traumatisme comme la mort d’un proche, ou encore des victimes d’attentat, comme le décrit Mme Salmona (…)

Dans une enquête réalisée en 2015 par le collectif Stop au déni auprès de 1 214 victimes de violences sexuelles, 37 % des victimes mineures ont rapporté des périodes d’amnésies traumatiques qui ont duré jusqu’à quarante ans, et même plus longtemps dans 1 % des cas. Elles ont duré entre vingt et un et quarante ans pour 11 % d’entre elles, entre six et vingt ans pour 29 % et moins de un an à cinq ans pour 42 %.

C’est au regard de ces résultats que plusieurs associations de victimes, telles que Mémoire traumatique et victimologie, ont fait campagne pour que les délais de prescription en cas de viol ou d’agression sexuelle, jugés « inadaptés », soient allongés.

Ainsi, en 2016, Laurence Rossignol, alors ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, confie une mission sur le viol et les délais de prescription au magistrat Jacques Calmettes et à l’animatrice Flavie Flament, violée à l’âge de 13 ans par le photographe David Hamilton et victime d’une amnésie traumatique qu’elle a racontée dans un livre, La Consolation. » (Alouti, 2017b)

Dans le texte qui suit, Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie donne une explication très claire et synthétique de l’ensemble du processus neurologique enclenché pour survivre à une situation de violence extrême, processus qui peut précisément produire une amnésie traumatique dans environ 40 % des cas, selon l’étude précitée : «  « La violence génère un état de sidération des fonctions supérieures du cerveau (cortex frontal et hippocampe) qui, en empêchant le contrôle et la modulation de la réponse émotionnelle, entraîne un stress dépassé avec des sécrétions non contrôlées d’hormones de stress (adrénaline et cortisol) qui représente un risque vital cardiologique et neurologique. Pour échapper à ce risque, le cerveau met en place un mécanisme de sauvegarde neurobiologique avec une production d’un cocktail de drogues assimilables à de la morphine et de la kétamine, qui fait disjoncter le circuit émotionnel. Cette disjonction isole la petite structure sous-corticale responsable de la réponse émotionnelle (l’amygdale cérébrale) et stoppe la sécrétion d’adrénaline et de cortisol par les surrénales, ce qui évite le risque vital mais crée un état de dissociation traumatique avec anesthésie émotionnelle du fait de l’interruption du circuit émotionnel, et une mémoire traumatique du fait de l’interruption du circuit d’intégration de la mémoire. Cette mémoire traumatique est une mémoire émotionnelle qui n’a pas été intégrée par l’hippocampe pour la transformer en mémoire autobiographique. Elle n’est pas consciente et elle contient, de façon indifférenciée, les violences, leurs contextes, les ressentis, les cris, les paroles de la victime et de l’agresseur. Au moindre lien rappelant les violences, elle est susceptible d’envahir le psychisme de la victime, et de lui faire revivre tout ou partie de ce qu’elle a subi, comme une machine infernale à remonter le temps. C’est une torture, elle transforme l’espace psychique de la victime en un terrain miné. » » (Apprendre à éduquer, 2017)

Mémoire, survie et pathologie, guérison

L’une des fonctions vitales de la mémoire est de nous protéger des dangers en conservant le souvenir des situations dans lesquelles un danger est apparu. Cette mémoire de survie permet d’éviter de se confronter à nouveau à des situations similaires (prévention), ou du moins, de se préparer à réagir si elles réapparaissent (action).

Toutefois, grâce à la psychotraumatologie et aux neurosciences, on sait aujourd’hui que pour préserver la vie d’une personne confrontée à une situation d’effroi (viols, tentatives de meurtre, attentats, par exemple) et par conséquent à un risque vital au niveau cardiologique et neurologique, des mécanismes neurologiques de survie vont bloquer l’événement traumatique dans l’amygdale cérébrale sous la forme d’une mémoire traumatique qui ne sera pas accessible consciemment. Autrement dit, pour permettre à la personne d’échapper à une mort cardiaque ou neurologique, une porte se ferme dans l’amygdale cérébrale (mémoire émotive, inconsciente, non encore traitée) pour empêcher l’information d’aller normalement vers l’hippocampe qui est chargé de la transformer en mémoire autobiographique (mémoire consciente).

Amygdale cérébrale

Hippocampe

Mais cette mémoire déconnectée est toujours accessible aux processus inconscients, afin de permettre à la victime d’assurer sa survie en développant des stratégies de protection, même sans avoir le souvenir conscient de la situation d’effroi. L’amnésie traumatique constitue donc un mécanisme extrêmement élaboré de l’organisme pour lui permettre de survivre à un trauma très violent. Il est probable, comme nous le verrons ci-après, que plus l’émotion est forte (effraction psychique) et plus l’atteinte au corps est violente (effraction corporelle), plus l’événement s’inscrira de façon extrêmement précise dans la mémoire, avec le moindre détail de ce que la victime a perçu au moment de l’agression. C’est sans doute la raison pour laquelle, lorsque la mémoire de l’événement traumatique ressurgi, par flash-backs, par exemple, cette mémoire est d’une précision impressionnante, avec des détails très précis (par exemple, les motifs de la tapisserie que la victime voyait pendant le viol, etc.).

C’est en général la mise en sécurité et la fin définitive de la situation d’agression (mort de l’agresseur, etc.) ou le contact avec un événement similaire qui vont la plupart du temps permettre de réveiller cette mémoire brutalement et recréer l’espace d’un instant la connexion avec cette mémoire. Par exemple, j’accompagnais en thérapie depuis quelques mois une jeune femme qui m’avait consultée pour des crises de tétanie foudroyantes. Lorsque cette jeune femme s’est trouvée pour la première fois à faire une fellation à un homme avec lequel elle se sentait en confiance, en sécurité, les souvenir d’un viol qu’elle a subi à l’âge de 5 ans ont ressurgi brutalement. Il s’agissait précisément d’une fellation et l’agresseur était son oncle. Elle a revu la scène de façon très précise, le sexe de son oncle, la chambre à coucher de son oncle, etc. Comme cette jeune femme était en thérapie, nous avons immédiatement travaillé sur ce viol et peu après, les crises de tétanie ont cessé.

Hippocampe et amygdale

Toutefois, malgré l’efficacité de ce mécanisme de survie, avec le temps, cette mémoire traumatique, ce contenu inconscient encapsulé dans l’amygdale cérébrale va la plupart du temps créer une forte anxiété, une forte tension, avec le risque de créer des troubles psychiques et physiques souvent sévères, et ceci pendant des années, voire toute une vie si aucun traitement n’est fait. C’est la raison pour laquelle, il faut absolument et le plus rapidement possible traiter cette mémoire traumatique. La psychothérapie va permettre à la personne de réaccéder ces matériaux psychiques dans un environnement sécurisant et de les remettre en circulation. Ce travail autour de la mémoire traumatique doit se faire dans des conditions ultra-sécures, avec beaucoup de bienveillance, une grande prudence, et, surtout, un grand professionnalisme, c’est-à-dire avec des professionnel-le-s formé-e-s et expérimentée-s. Ainsi, peu à peu, cette mémoire déconnectée va pouvoir émerger en toute sécurité à la conscience parce que la personne aura pris pleinement conscience qu’elle n’est plus en danger, qu’elle n’est plus une enfant ou une personne vulnérable (face à un viol, un attentat, etc,) et qu’elle a les ressources pour contacter corporellement et émotionnellement ce contenu traumatique, cet événement effroyable qu’elle avait du mettre de côté pour survivre. La mémoire traumatique (enfermée dans l’amygdale cérébrale) va ainsi être libérée et pouvoir enfin prendre le circuit cérébral normal vers la transformation en mémoire autobiographique (travail de l’hippocampe).

Fosse postérieure du cerveau

Mémoire, émotions et mouvement

Les neurosciences ont évolué rapidement depuis quelques décennies, mais n’en sont sans doute qu’au début de leurs découvertes dans le domaine fascinant et complexe de la mémoire. « (…) les scientifiques commencent à peine à comprendre comment fonctionne la mécanique des souvenirs. » (Molga, 2017). « « Plus la recherche en neurosciences avance, plus on comprend que de nombreux centres cérébraux sont impliqués dans la mémoire, (…) On suppose que les multiples aspects d’un souvenir sont stockés à différents endroits. À un endroit, il va y avoir la composante émotionnelle, à un autre la composante sensorielle, à un troisième l’aspect factuel… » » (Dufour, 2017)

Une corrélation entre puissance d’impression de la mémoire et puissance des émotions a été observée depuis fort longtemps, ce qui expliquerait la précision chirurgicale des souvenirs ressurgissant de la mémoire traumatique suite à une amnésie traumatique, ou, plus largement, des souvenirs très nets des personnes ayant vécu un trauma sans pour autant déclencher une amnésie traumatique.

«  (…) plus la charge émotionnelle associée au souvenir est forte, mieux on s’en souvient. « À Toulouse, la plupart des gens savent ce qu’ils faisaient lors de l’explosion de l’usine AZF, même s’ils n’étaient pas en train de faire attention à leurs activités » (…). » (Dufour, 2017)

Mieux encore, en 2016, une étude a constaté qu’une personne exposée à des émotions fortes imprime mieux dans sa mémoire les événements qui suivent, même s’ils n’ont pas créé d’émotion particulière pour elle (Actu Santé, 2016). Autrement dit, les émotions fortes semblent augmenter la capacité à mémoriser, et ceci même au-delà de l’instant fortement émotionnel.

Une hypothèse couramment admise au début des années 90 a été que la mémoire ne s’imprime que s’il y a suffisamment d’émotion. « Une expérience ne peut être mémorisée que lorsqu’une émotion suffisante est suscitée » (Ginger, 1995, p. 97). Cette hypothèse s’est appuyée sur les connaissances de l’époque des neurosciences, notamment par le fait que la mémoire et les émotions sont traitées par la même zone du cerveau : le système limbique (zone logée en profondeur au centre du cerveau).

« Terme introduit par Paul MacLean en 1952, le système limbique fut longtemps considéré comme le siège des émotions (agressivité, peur, plaisir, colère). Mc Lean proposa que le cerveau était composé de trois parties : le cerveau reptilien, le système limbique et le néocortex. » (Neuromedia, 2017).

Le système limbique fut d’ailleurs surnommé le « cerveau émotionnel », dénomination utilisée par exemple par le neuropsychiatre et chercheur David Servan-Schreiber (Psychologies, 2003), fondateur de l’Institut français d’EMDR et de l’association EMDR-France. Notons au passage que le système limbique contient précisément l’hippocampe (rôle central dans les processus de mémorisation / mémoire épisodique ou autobiographique) et l’amygdale cérébrale (rôle central dans la gestion des émotions / mémoire émotive) dont nous découvrons depuis quelques années le rôle essentiel en psychotraumatologie.

Une autre hypothèse a été que la mémoire s’imprime plus fortement lorsqu’il y a du mouvement. Cette hypothèse s’est également appuyée sur les neurosciences de l’époque, notamment par le fait que l’hémisphère cérébral droit est majoritairement émotionnel, corporel, intuitif, visio-spatial (images et espace), alors que l’hémisphère cérébral gauche est majoritairement verbal, rationnel, analytique. Autrement dit, l’hémisphère cérébral droit prend en charge à la fois les émotions et l’espace (Ginger, 1992, p. 321), en tant que navigation spatiale (sens spatial, orientation, etc.). Partant de là, il n’est pas incohérent d’imaginer que le mouvement puisse avoir un impact identique à celui des émotions sur les processus de mémorisation. Et c’est effectivement ce qui a été observé dans les processus d’apprentissage, sachant que l’hémisphère gauche gère également les apprentissages.

« C’est en effet l’hémisphère droit qui gère – avec son approche globale – la nouveauté et tous les apprentissages, comme l’explique Elkhonon Goldberg (In Prodiges du cerveau – Robert Laffont, 2007), professeur de neurologie à l’école de médecine de l’université de New York, aux États-Unis. Toutes les informations nouvelles passent donc par l’hémisphère droit, le gauche servant au stockage et à l’organisation plus précise et systématique de nos savoirs. » (Psychologies, 2008)

En partant des hypothèses d’une mémorisation favorisée par émotion et mouvement, il n’y aurait donc rien de plus inefficace pour la mémorisation qu’un-e élève passif-ve (assis à un pupitre, par exemple) face à un-e professeur-e incapable de mobiliser de l’émotion chez ses élèves. Depuis, les données en neurosciences ont servi à étayer progressivement les hypothèses des sciences cognitives, ainsi que les méthodes de pédagogie active dans laquelle les élèves/étudiant-e-s participent activement (Pelvillain, 2015). Les thérapies dites « psycho-corporelles » et « psycho-émotionnelles » se sont pour la plupart développées avant que les neurosciences n’apportent ce premier éclairage. En revanche, les thérapeutes intéressé-e-s par les neurosciences y ont sans doute vu une confirmation de l’intérêt d’un travail thérapeutique corporel et émotionnel (Ginger, 1992, pp. 297-324).

Instrumentalisation sexiste des neurosciences

La découverte des neurosciences concernant les hémisphères cérébraux a malheureusement été aussitôt genrée de façon bien patriarcale en attribuant des valeurs féminines et masculines aux cerveaux gauche et droit. Par exemple, certain-e-s ont prétendu que les femmes fonctionneraient majoritairement avec le cerveau gauche (de façon logique, rationnelle, verbale, non émotive, etc.) et les hommes fonctionneraient majoritairement avec le cerveau droit (de façon émotive, non verbale, créative, imaginative, spatiale, etc.) (Ginger, 1992, pp. 322-324).

Cette manière de genrer le cerveau ne sert qu’à aggraver les inégalités et des discriminations pour les femmes et les filles, alors que l’on trouve autant de représentant-e-s de chaque sexe dans les différentes spécificités. Ces stéréotypes de genre ont même souvent inversé la situation puisque les hommes parlent plus que les femmes. Or, ces pseudo-scientifiques ont attribué le fait de parler beaucoup aux femmes, ce qui est un comble alors qu’elles ne peuvent souvent pas s’exprimer et que leur parole est sans cesse coupée par celle des hommes.

Système limbique, hippocampe, amygdale et cortex préfrontal

Pour celles et ceux que cela intéresse, voici quelques très brèves explications concernant les parties et structures du cerveau dont parle cet article.

Système limbique

Source : Mémoire Traumatique et Victimologie

Situé dans le système limbique qui est un groupe de structures de l’encéphale, l’hippocampe (structure du cerveau) joue un rôle essentiel dans l’acquisition des connaissances et la gestion de la mémoire autobiographique « Hippocampe : contrôle de l’humeur, mémorisation, concentration, acquisition de connaissance (…) L’hippocampe participe à des fonctions aussi essentielles à la vie relationnelle que la régulation de l’humeur, l’acquisition des connaissances et de façon plus générale, à l’adaptation d’un individu à son environnement. »  (Neuroplasticité, 2016)

Également logée dans le système limbique, l’amygdale cérébrale (structure du cerveau) joue un rôle essentiel dans toutes les situations de stress et la gestion des émotions. « Amygdale : gestion des émotions, réactions de peur, anxiété, agressivité (…) Structure en forme d’amande située près de l’hippocampe, l’amygdale joue un rôle essentiel dans la gestion de nos émotions et en particuliers nos réactions de peur et d’anxiété. Siège de nos émotions les plus primitives, l’amygdale reçoit des afférences directes de différentes modalités sensorielles et se projette sur de nombreuses régions cérébrales, comme l’hippocampe ou l’hypothalamus. L’action amygdalienne a donc un rôle de survie car c’est elle qui nous fait réagir en une fraction de seconde à la suite d’un stimulus menaçant. L’amygdale a également un rôle important dans la reconnaissance des émotions. » (Neuroplasticité, 2016)

Quant au cortex préfrontal qui est la partie antérieure du cortex du lobe frontal du cerveau, il prend en charge le mental, le rationnel et la mémoire à court terme : « Cortex préfrontal : mémoire à court terme, prise de décision, prise d’initiative (…) A l’inverse des structures du système limbique qui dominent notre comportement lié aux émotions, le cortex préfrontal est en charge de notre capacité d’adaptation. C’est le cerveau de l’intelligence, de l’esprit d’initiative, de la prise de décision, du sang-froid. » (Neuroplasticité, 2016)

Cortex préfrontal

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Les violences sexuelles subies dans l’enfance s’inscrivent dans l’ADN et le cerveau

Depuis quelques années, plusieurs recherches ont démontré que les violences sexuelles et émotionnelles subies dans l’enfance laissent des traces dans le cerveau des victimes, ainsi que dans leur ADN et celui de leurs descendant-e-s (observé sur 3 générations de femmes). Aujourd’hui, il est même possible par l’observation de l’architecture du cerveau d’identifier la nature des violences dont les enfants ont été victimes.

En effet, en 2013, une recherche conjointe entre Canada, Allemagne et USA a constaté que les violences sexuelles et émotionnelles subies dans l’enfance produisent un changement dans l’architecture du cerveau et que ces altérations permettent d’identifier la nature des violences (sexuelles, émotionnelles) (Pruessner, 2013). En 2012, une recherche suisse a démontré que les violences subies dans l’enfance laissent une trace dans l’ADN jusqu’à la 3ème génération. La configuration des 3 générations de femmes observées est la suivante : une grand-mère violée par son père, une mère née de l’inceste (son grand-père est donc aussi son père) et une petite-fille (son arrière-grand-père est donc aussi son grand-père). Or, « La petite fille issue du produit de l’inceste et qui n’a jamais été violée porte la plus grande cicatrice dans le génome de toutes ses cellules. » (adn109, 2012). Quelques années auparavant, en 2009, une recherche canadienne avait déjà démontré que les violences sexuelles subies dans l’enfance laissent une trace génétique (CRIFIP, 2011). Avant cela, depuis 1999, des recherches américaines avaient déjà constaté que les violences sexuelles subies dans l’enfance produisent des lésions cérébrales (Bremner, 1999). « Étude par IRM et PET-MRI [imagerie médicale] des déficits de la structure et de la fonction de l’hippocampe chez les femmes ayant subi des abus sexuels durant l’enfance et présentant un trouble de stress post-traumatique (…) Résultats. Un échec de l’activation de l’hippocampe et une réduction de volume de 16% de l’hippocampe ont été observés chez les femmes qui ont subi des violences avec PTSD par rapport aux femmes violentées sans PTSD. Les femmes violentées et atteintes de PTSD avaient un volume d’hippocampe inférieur de 19% à celui des femmes non violentées et sans stress post-traumatique. » (Bremner, 2003).

Dans un article publié le 18 juin 2013, Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie précise que les traces dans le cerveau ne sont pas irréversibles : Le cerveau des victimes de violences sexuelles serait modifié : ce n’est pas irréversible (Salmona, 2013). En ce qui concerne les traces dans l’ADN, cette précision est également apportée par l’étude canadienne de 2009 « ces changements génétiques sont réversibles » (CRIFIP, 2011).

Avant de poursuivre avec plus de détails sur les recherches ci-dessus, voici un documentaire qui permet de voir très clairement sur des IRM les lésions cérébrales dues aux violences sexuelles dans l’enfance.

Viols sur mineurs : mon combat contre l’oubli (Flavie Flament – 2017)

France 5 a diffusé le 15 novembre 2017 un documentaire remarquable intitulé « Viols sur mineurs : mon combat contre l’oubli », avec Flavie Flament, victime elle-même d’un prédateur sexuel (un célèbre photographe) dans son enfance.

Dans un passage de l’émission, deux neurologues montrent à Flavie Flament le considérable rétrécissement des hippocampes que l’on voit nettement sur les IRM de son cerveau. Ce rétrécissement des hippocampes est considéré aujourd’hui par les neuroscientifiques comme une preuve significative, une matérialisation, d’une souffrance chronique.

Voici la vidéo de ce passage : France 5 – « Même si vous êtes en train de me dire qu’il y a un truc un peu détruit chez moi, en fait, ça me reconstruit (France 5, 2017)

Transcription de la vidéo :

Titre : « Quand la souffrance chronique due aux violences sexuelles pendant l’enfance est visible lors d’une IRM »

Flavie Flament (en voix off) : « Retour à l’IRM, je suis confiante. Presque certaine que les médecins ne découvriront rien, puisque je vais tout à fait bien maintenant. Mais au vu des premières images de mon cerveau, les deux neurologues paraissent surpris. Très surpris. Au bout de 20 minutes, le verdict tombe. »

La neurologue : « En tout cas, là, on le voit, très clairement. Le volume a diminué par rapport à ce qu’on attend. Il y a un marqueur de la souffrance, très significatif. Donc là, chez un sujet du même âge, on voit que la hauteur de l’hippocampe, ici, est normale. C’est-à-dire que la structure grise qui est l’hippocampe occupe toute la place. Alors que sur l’IRM de Flavie, on voit que cette même structure, qui est ici, n’occupe pas toute la place, toute la hauteur et à la place, on voit ce liseré noir, qui est un liseré de liquide céphalo-rachidien qui est venu remplir cet espace vacant, finalement, puisque l’hippocampe lui-même ne remplit plus le volume. Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est la preuve d’une souffrance chronique matérialisée sur ces hippocampes. »

Captures d’écran de la vidéo (France 5, 2017)

Flavie Flament : « Ce qui veut dire que là, c’est encore visible. »

La neurologue : « Oui, c’est encore visible. »

Flavie Flament : « C’est con, c’est émouvant. »

Voix off : « Les dernières recherches en neurosciences montrent que les violences sexuelles affectent profondément le développement cérébral d’un enfant, car son cerveau est immature. Mais jamais les deux neurologues n’en avaient constaté la preuve directe sur une patiente. »

Captures d’écran de la vidéo (France 5, 2017)

Flavie Flament : « Pardon, mais à titre personnel, c’est assez émouvant, c’est la preuve d’une souffrance. Vous comprenez qu’à travers ces images-là, pour nous, c’est quelque chose qui, quelque part, même si vous êtes en train de dire qu’il y a un truc un peu détruit chez moi, mais en fait, ça me reconstruit. »

La neurologue : « Je comprends, parce que, finalement, ça fait d’un handicap invisible quelque chose de matériel, de visible, de quantifiable. Donc c’est ça, effectivement. »

Hôpital universitaire de la Charité de Berlin et Université McGill de Montréal (2013)

Étude de 2013 qui a permis de découvrir des changements dans l’architecture du cerveau chez les enfants victimes de violences sexuelles ou émotionnelles (psychologiques) et que ces altérations montraient la nature des violences subies (sexuelles ou émotionnelles).

« Certains traumatismes subis durant la petite enfance peuvent accroître le risque de maladie mentale à l’âge adulte. Des chercheurs de l’Hôpital universitaire de la Charité de Berlin, en Allemagne, et de l’Université McGill, à Montréal, ont découvert un mécanisme neurologique à l’origine de ce phénomène. Les résultats de leur étude, publiés dans la plus récente édition de l’American Journal of Psychiatry, révèlent qu’il se produit des changements au niveau de l’architecture du cerveau chez les enfants victimes de sévices sexuels ou émotionnels qui reflètent la nature de la maltraitance.

Les jeunes victimes de mauvais traitements ou de sévices sexuels souffrent souvent de troubles psychiatriques graves et de dysfonction sexuelle, mais les mécanismes sous-jacents à cette association n’ont pas encore été clairement élucidés. Un groupe de scientifiques dirigé par la professeure Christine Heim, directrice de l’Institut de psychologie médicale de l’Hôpital universitaire de la Charité de Berlin, et par le professeur Jens Pruessner, directeur du Centre d’études sur le vieillissement de l’Université McGill, a fait appel à l’imagerie par résonance magnétique pour examiner 51 femmes adultes victimes de diverses formes de mauvais traitements pendant l’enfance. Les scientifiques ont mesuré l’épaisseur de leur cortex cérébral, structure responsable du traitement de toutes les sensations.

Les résultats ont montré qu’il existe une corrélation entre certaines formes de sévices et l’amincissement du cortex, précisément dans les régions du cerveau qui interviennent dans la perception de l’abus ou le traitement de l’information qui y est associé.

«L’importance de l’effet et le fait que le type d’abus correspondent à une région précise du cerveau est remarquable,» souligne le professeur Pruessner, également professeur associé, Institut Douglas. Ainsi, le cortex somatosensoriel dans les régions du cerveau correspondant aux organes génitaux féminins était considérablement plus mince chez les femmes victimes de sévices sexuels pendant l’enfance. En revanche, le cortex cérébral des femmes victimes d’abus émotionnels était plus mince dans les régions associées à la conscience de soi et à la régulation émotionnelle.

« Nos données semblent révéler l’existence d’un lien précis entre la plasticité neuronale dépendante de l’expérience et certains problèmes de santé plus tard dans la vie », affirme la professeure Heim. « L’ampleur de l’effet et la spécificité régionale cérébrale correspondant au type d’abus sont remarquables », ajoute le professeur Pruessner. Les scientifiques ont émis l’hypothèse selon laquelle l’amincissement de certaines régions du cortex cérébral pourrait résulter de l’activité des circuits inhibiteurs, que l’on peut interpréter comme un mécanisme de protection du cerveau permettant à l’enfant d’occulter l’expérience initiale, mais susceptible d’entraîner des problèmes de santé plus tard dans la vie. Ces résultats concordent avec les données de la littérature générale sur la plasticité neuronale et montrent que les champs de la représentation corticale sont parfois plus petits à la suite de certaines expériences sensorielles éprouvantes. L’étude a été menée conjointement avec Helen Mayberg de l’Université Emory, Atlanta, Georgia ainsi qu’avec Charles Nemeroff de l’Université de Miami, Floride. » (Pruessner, 2013)

Un second article sur cette étude :

« Des changements dans l’architecture du cerveau se produisent chez les enfants victimes de sévices sexuels ou émotionnels, affirment des chercheurs allemands, américains et canadiens.

Selon le professeur Jens Pruessner de l’Université McGill et ses collègues, ces changements reflètent la nature même de la maltraitance.

La psychiatrie a déjà établi que certains traumatismes subis durant la petite enfance augmentent le risque de maladie mentale à l’âge adulte. Ainsi, les jeunes victimes de mauvais traitements souffrent souvent de troubles psychiatriques graves et de dysfonction sexuelle.

Les auteurs de ces travaux publiés dans l’American Journal of Psychiatry ont découvert des particularités neurologiques à l’origine de ce phénomène. 

Explications

Les cerveaux de 51 femmes adultes victimes de diverses formes de mauvais traitements durant leur enfance ont été analysés à l’aide d’examens d’imagerie par résonance magnétique.

Les chercheurs ont ainsi mesuré l’épaisseur de leur cortex cérébral, structure responsable du traitement de toutes les sensations. Ils ont constaté qu’il existe une corrélation entre certaines formes de sévices et l’amincissement du cortex, particulièrement dans les régions du cerveau qui interviennent dans la perception de l’abus ou le traitement de l’information qui y est associé.

« L’importance de l’effet et le fait que le type d’abus corresponde à une région précise du cerveau sont remarquables. » —
Pr Pruessner

Deux exemples

– Le cortex somatosensoriel dans les régions du cerveau correspondant aux organes génitaux féminins était considérablement plus mince chez les femmes victimes de sévices sexuels pendant l’enfance.

– Le cortex cérébral des femmes victimes d’abus émotionnels était plus mince dans les régions associées à la conscience de soi et à la régulation émotionnelle. Il existerait ainsi un lien précis entre la plasticité neuronale dépendante de l’expérience et certains problèmes de santé chez l’adulte.

Ces résultats montrent donc que les champs de la représentation corticale sont parfois plus petits à la suite de certaines expériences sensorielles éprouvantes.

Un mécanisme aux effets pervers

L’amincissement de certaines régions du cortex cérébral pourrait résulter de l’activité des circuits inhibiteurs. Cette activité serait en quelque sorte un mécanisme de protection du cerveau qui permet à l’enfant d’occulter l’expérience initiale, mais qui peut entraîner des problèmes de santé plus tard dans la vie.

La professeure Christine Heim, de l’Institut de psychologie médicale de l’Hôpital universitaire de la Charité, en Allemagne, et des collègues américains des universités Emory et de Miami ont également participé à cette recherche. » (Radio Canada, 2013)

Université de Genève (2012)

Recherche du Département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Genève qui a démontré que les violences subies dans l’enfance laissent des traces dans l’ADN jusqu’à la 3ème génération.

La télévision suisse a relayé l’information lors d’un journal télévisé. Voici l’extrait en question : Des chercheurs de l’Unige ont découvert que les abus laissent une trace biologique dans l’ADN des victimes (RTS, 2012)

« On sait que la maltraitance, le viol dans l’enfance sont souvent associés, aussi bien chez l’animal que chez l’humain, à des troubles de nature psychiatrique à l’âge adulte.  L’équipe de recherche du professeur Alain Malafosse, du Département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Genève (Suisse) vient de démontrer que, chez l’homme, la maltraitance infantile ou des circonstances de vie difficile laisse des traces dans l’ADN du sang des victimes.

Le stress généré par des abus subis dans l’enfance induit une méthylation génétique (modification épigénétique) au niveau du promoteur du gène du récepteur des glucocorticoïdes (NR3C1), qui agit sur l’axe hypothalamique-hypophysaire-surrénal. Cet axe intervient dans le processus de gestion du stress et, lorsqu’il est altéré, perturbe la gestion du stress à l’âge adulte et peut entraîner le développement de psychopathologies, comme le trouble de la personnalité « borderline ». Les mécanismes de régulation du stress cérébral peuvent être perturbés de manière durable en cas de maltraitances répétées dans l’enfance.  Le traumatisme s’inscrit donc dans notre génome de toutes nos cellules.

L’équipe scientifique a montré que plus la sévérité de l’abus était importante et plus la méthylation du gène était considérable.

Le plus incroyable c’est que ces modifications chimiques du génome se perpétuent au moins sur trois générations.  C’est ainsi que l’équipe a observé que l’ADN d’une petite fille d’une femme qui avait été violée par son père, portait les mêmes modifications épigénétiques que sa grand-mère et que ces modifications étaient beaucoup plus importantes que chez la mère et la grand-mère. La petite fille issue du produit de l’inceste et qui n’a jamais été violée porte la plus grande cicatrice dans le génome de toutes ses cellules.

Il y a cependant une bonne nouvelle, cette trace, cette signature peut être effacée par des thérapies et des traitements médicamenteux.

Encore une raison de soigner ces profonds traumatismes pour les effacer de notre tête mais également de notre ADN. » (adn109, 2012)

« Un traumatisme psychologique dans l’enfance peut laisser une cicatrice génétique chez l’adulte. C’est ce qu’ont découvert une équipe de chercheurs genevois en examinant l’ADN d’adultes souffrants de troubles psychiatriques.

Le groupe de recherche du professeur Alain Malafosse, du Département de psychiatrie de l’UNIGE, en collaboration avec le Département de génétique et de développement, a ainsi démontré que l’association entre maltraitance infantile et certaines pathologies adultes résultait d’une modification des mécanismes de régulation des gènes. Leurs travaux sont publiés dans la revue Transnational Psychiatrie.

Ont participé à l’étude 101 sujets adultes souffrant d’un trouble de la personnalité borderline, caractérisé notamment par une instabilité dans les relations interpersonnelles, les émotions et l’impulsivité. En examinant leur ADN, issu d’une simple prise de sang, les chercheurs ont observé des modifications épigénétiques, c’est-à-dire dans les mécanismes de régulation des gènes, chez les participants ayant été maltraités durant leur enfance (abus physique, sexuel et émotionnel, carences affectives…).

Ces modifications épigénétiques se situent dans le processus de gestion du stress. «C’est la première fois que l’on voit un lien aussi clair entre un facteur environnemental et une modification épigénétique», souligne Ariane Giacobino, du Département de génétique et de développement. Lien d’autant plus fort que plus la maltraitance a été sévère durant l’enfance, plus la modification est importante. » (Brouet, 2012)

Université McGill, Montréal (2009)

Étude d’une équipe de l’université McGill à Montréal , publiée dans la revue Science et Vie (mars 2009) qui a démontré que les violences sexuelles dans l’enfance laissent une trace génétique.

« C’est un fait, les abus sexuels dans l’enfance sont associés à un risque accru de dépression à l’âge adulte. Loin d’être juste psychologique, cette fragilité est aussi génétique, plus précisément épigénétique. C’est ce qu’a découvert une équipe de l’université McGill à Montréal, après avoir étudié le cerveau de 24 victimes de suicide, dont 12 avaient subi des abus sexuels dans l’enfance.

Ces derniers présentaient toutes une baisse de l’expression du gène NR3C1, impliqué dans la réponse au stress. Une anomalie qui explique la vulnérabilité et la tendance accrue au suicide. On savait que l’environnement pouvait influencer nos gènes, mais cette étude surprenante montre que les traumatismes peuvent également perturber notre identité génétique en modifiant directement l’ADN.

«  L’abus sexuel entraine un marquage chimique du gène NR3C1 dans l’hippocampe, une zone du cerveau. Ce marquage appelé methylation, empêche le gène de s’exprimer normalement d’où une réponse altérée au stress » explique Moshe Szyf, l’un des auteurs de l’étude. La methylation est un processus normal de régulation des gènes, mais chez ces victimes, elle se fait de façon erratique, inhibant de 40% l’expression du gène NR3C1. Cette erreur est probablement causée par la libération excessive de l’hormone de stress, comme le cortisol ou l’adrénaline, chez les enfants victimes d’abus. Heureusement, ces changements génétiques sont réversibles. « On sait que certains médicaments anticancéreux annulent la methylation, l’aide psychologique peut également avoir une influence » ajoute Moshe Szyf dont l’équipe réfléchit déjà aux possibilités de traitement. » (Source : Science et vie, mars 2009) (CRIFIP, 2011)

USA (depuis 1999)

Pour terminer, voici trois liens qui permettent de connaître les recherches de James Douglas Bremner, un précurseur en la matière :

Lien concernant une recherche de James Douglas Bremner publiée dans la revue de la Society of Biological Psychiatry : Does Stress Damage the Brain? (Bremner, 1999)

Lien concernant une autre recherche de James Douglas Bremner avec une équipe de 14 chercheur-se-s publiée dans la revue The American Journal of Psychiatry  : MRI and PET Study of Deficits in Hippocampal Structure and Function in Women With Childhood Sexual Abuse and Posttraumatic Stress Disorder (Bremner, 2003)

Article concernant une recherche conduite par James Douglas Bremner au Yale Psychiatric Institute : Childhood Sexual Abuse Causes Physical Brain Damage: An Alarming New Study (Siess, 2015)

Bibliographie

Adn109 [blog]. (2012). La maltraitance dans l’enfance modifie notre ADN jusqu’à la 3ème génération [en ligne]. 29 janvier 2012 [consulté le 30 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://adn109.over-blog.com/article-la-maltraitance-dans-l-enfance-modifie-notre-adn-jusqu-a-la-troisieme-generation-98209267.html

Bremner, James Douglas. (1999). Does stress damage the brain?. Biological Psychiatry [en ligne]. 1er avril 1999. Vol. 45(7), pp. 797-805. [consulté le 30 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/10202566 et https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0006322399000098

Bremner, James Douglas, Vythilingam, Meena +12 authors. (2003). MRI and PET study of deficits in hippocampal structure and function in women with childhood sexual abuse and posttraumatic stress disorder. The American journal of psychiatry. 1er mai 2003. Vol. 160(5), pp. 924-32. [consulté le 30 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12727697 et https://www.semanticscholar.org/paper/MRI-and-PET-study-of-deficits-in-hippocampal-struc-Bremner-Vythilingam/5db40bd9f5263494b70112768d9e4ea6cc89352e

Brouet, Anne-Muriel. (2012). La maltraitance dans l’enfance laisse des traces génétiques, 24heures [en ligne]. 12 janvier 2012 [consulté le 30 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.24heures.ch/suisse/La-maltraitance-dans-lenfance-laisse-des-traces-genetiques/story/21803816

CRIFIP / Centre de recherches internationales et de formation sur l’inceste et la pédocriminalité. (2011). L’abus sexuel dans l’enfance laisse une trace… génétique [en ligne]. Non daté [consulté le 30 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://formation-inceste-pedocriminalite.e-monsite.com/pages/s-informer/la-presse-en-parle.html

France 5 [documentaire]. (2017). France 5 – « Même si vous êtes en train de me dire qu’il y a un truc un peu détruit chez moi, en fait, ça me reconstruit », Facebook [vidéo]. 14 novembre 2017, 00h08 [consulté le 30 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.facebook.com/france5/videos/10155549564799597/

Pruessner, Jens. (2013). Les mauvais traitements subis pendant l’enfance laissent des traces dans le cerveau, Université McGill, Montréal [en ligne]. 1er juin 2013 [consulté le 30 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://www.douglas.qc.ca/news/1205

Radio-Canada. (2013). Des séquelles au cerveau pour les enfants abusés [article]. 5 juin 2013 [consulté le 30 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/617225/enfants-abuses-cerveaux

RTS [Journal du dimanche]. (2012) Des chercheurs de l’Unige ont découvert que les abus laissent une trace biologique dans l’ADN des victimes [vidéo]. 29 janvier 2012 [consulté le 30 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://www.rts.ch/play/tv/le-journal-du-dimanche/video/des-chercheurs-de-lunige-ont-decouvert-que-les-abus-laissent-une-trace-biologique-dans-ladn-des-victimes?id=3745896&station=a9e7621504c6959e35c3ecbe7f6bed0446cdf8da

Salmona, Muriel. (2013). Le cerveau des victimes de violences sexuelles serait modifié: ce n’est pas irréversible, Nouvel Obs Le Plus [en ligne]. 18 juin 2014 [consulté le 30 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/889153-le-cerveau-des-victimes-de-violences-sexuelles-serait-modifie-ce-n-est-pas-irreversible.html

Siess, Gloria. (2015). Traumatic Child Abuse Causes Physical Brain Damage: An Alarming New Study, HubPages [en ligne]. 19 mars 2015 [consulté le 30 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://hubpages.com/health/Childhood-Sexual-Abuse-Causes-Physical-Brain-Damage-A-New-Alarming-Study