Transcription de l’interview de Muriel Salmona par Marine Périn

La journaliste féministe Marine Périn est l’autrice de la chaîne Youtube Marinette – femmes et féminisme. Je vous encourage à aller explorer cette chaîne, car elle contient des vidéos très intéressantes sur des thématiques féministes.

Marine Périn a notamment réalisé 2 vidéos remarquables sur la sidération. La 1ère vidéo s’intitule « Violences sexuelles : la sidération psychique » (Marinette, 2016a). La seconde vidéo s’intitule « La sidération : pour aller plus loin » (Marinette, 2016b).

Sur la première vidéo, on trouve le témoignage de Marine Périn qui a elle-même été confrontée à la sidération lors d’une agression, ainsi qu’une interview de Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie. La seconde vidéo contient la suite de l’interview de Muriel Salmona. Sous chaque vidéo, figurent encore des liens concernant le travail de Muriel Salmona et celui de Marine Périn.

L’interview de Muriel Salmona constitue une mine d’informations qui peut s’adresser autant à des professionnel-le-s prenant en charge des victimes (but formateur) qu’à des victimes (but thérapeutique) et à toute personne intéressée (changement social).

Il est important de savoir que la majorité des professionnel-le-s de la santé ne sont pas encore formé-e-s à la psychotraumatologie, avec pour conséquence de graves erreurs dans la prises en charge des victimes de violences (faux diagnostics, expertises erronées, traitements contre-indiqués, etc.). Cette interview est une bonne entrée en matière qui peut leur donner envie d’en savoir davantage sur le sujet, afin de pouvoir correctement prendre en charge les victimes et ne pas les mettre en danger notamment en ne détectant pas la gravité de l’état des victimes et/ou en créant des pathologies iatrogènes (pathologies créées par le traitement lui-même), ce qui a pour effet d’aggraver et/ou chroniciser les victimes au lieu de les soigner. Pour les victimes, le simple fait d’être mieux informées est en lui-même thérapeutique et apporte souvent un immense soulagement, une libération, ainsi que la possibilité, en cas de besoin, de choisir en toute connaissance de cause un-e thérapeute compétent-e dans ce domaine. Plus largement, il est fondamental que ces notions soient connues du plus grand nombre pour créer un véritable changement de société au niveau de la prise en charge des victimes, de la condamnation des agresseurs et de mettre ainsi fin à la culture du viol.

Pour toutes ces raisons, afin d’en permettre la diffusion la plus large possible en utilisant également le support de l’écrit, j’ai retranscrit l’intégralité de cette interview de Muriel Salmona répartie sur les 2 vidéos. Le témoignage de Marine Périn se trouve déjà retranscrit ici (Kuhni, 2017b).

Sur ses vidéos, Marine Périn a organisé l’interview en chapitres. Les titres qui ponctuent cette retranscription correspondent aux titres des chapitres.

Interview de Muriel Salmona (vidéo 1)

Début de l’interview

Capture d’écran vidéo 1

Muriel Salmona, psychiatre-psychotraumatologue

« La définition de la sidération, c’est un état psychologique de paralysie face à une situation qui est une situation qui dépasse l’entendement en quelque sorte, qui est totalement soit horrible, soit complètement incongrue, soit impensable, et qui va vraiment paralyser tout l’espace psychique. La personne qui est sidérée se retrouve dans l’impossibilité de réagir, de parler, de bouger. »

Le mécanisme psychique

« Le mécanisme complet, c’est que la sidération est à l’origine d’un blocage de la fonction supérieure. Et normalement, ce sont les fonctions supérieures qui modulent la réaction au stress de l’organisme. Et quand il n’y a pas de contrôle et de régulation par les fonctions supérieures, il va y avoir un survoltage avec une production d’hormones de stress très importante qui ne va pas être contrôlée, ce qui représente un risque vital pour l’organisme. La surproduction d’adrénaline va entraîner des atteintes possibles au niveau du système cardio-vasculaire. Et au niveau du cortisol, c’est le système neurologique, ce sont les neurones qui vont être très impactés par le cortisol. Et c’est là qu’il va y avoir un mécanisme exceptionnel de sauvegarde qui va faire disjoncter le système puisqu’il faut absolument interrompre cette surproduction d’hormones de stress pour éviter un risque vital. Et donc, comme dans un circuit électrique qui serait en survoltage, ça va disjoncter et protéger le cœur et le cerveau. »

La dissociation

« Il faut bien différencier sidération et dissociation. La sidération, c’est la paralysie, le fait de ne pas pouvoir réagir. Et puis ensuite, au moment de la disjonction, il y a cette dissociation qui fait qu’il y a une déconnexion émotionnelle et ça donne un sentiment d’irréalité, d’être déconnecté de la réalité, d’être spectatrice de l’événement, de ne plus ressentir ce qui se passe, ni la douleur, ni les émotions, comme si c’était irréel, comme si on était à l’extérieur de l’événement, comme si l’événement ne nous concernait pas.

Et du coup, la personne peut devenir un petit peu comme une sorte de pantin qu’on va pouvoir utiliser, sans pouvoir réagir et sans qu’elle ressente quoi que ce soit de ce qui se passe. »

Le cerveau à l’IRM

« Les IRM, ce sont des examens d’imagerie en résonance magnétique nucléaire et ça permet de voir la sidération : on peut voir la paralysie du cerveau. Ce qu’on fait, c’est qu’on met dans une IRM quelqu’un qui a été traumatisé par exemple et on lui fait revivre le trauma – ça a été fait par exemple sur des vétérans du Vietnam – on le reconfronte à des images de guerre qui rallument sa mémoire traumatique. Et du coup, il va revivre la même situation, il va se retrouver de nouveau en état de sidération. On voit sur l’IRM que le cerveau ne fonctionne pas. Et pour la dissociation, on va voir l’hyper-activité de l’amygdale cérébrale qui va être très importante et très colorée et on va voir que tout le reste du cerveau est déconnecté par rapport à cette amygdale. »

Méconnaissance et culture du viol

« Il y a une méconnaissance de tous les mécanismes neurobiologiques, sidération, dissociation, mémoire traumatique qui font que le plus souvent on va reprocher aux victimes des symptômes qui sont directement liés au traumatisme et qui sont pour nous, médecins, des preuves du trauma. Et particulièrement, cette sidération où on va dire à la victime « Mais puisque vous n’avez pas crié, vous ne vous êtes pas débattue, vous n’avez pas fui, c’est bien la preuve qu’il n’y a pas eu viol » par exemple « et que vous étiez consentante puisque vous n’avez rien dit, rien fait ». On va aller rechercher dans leur histoire, dans leur personnalité, des éléments qui pourraient prouver qu’elles racontent n’importe quoi. Il y a une sorte d’enquête de crédibilité de la victime qui est quelque chose d’intolérable.

Et puis la dissociation, aussi, ça fait que la victime n’a pas de bons repérages au niveau temporo-spatial, donc elle ne va pas être précise sur la date, l’heure, la durée des violences. Ça va lui être reproché. Elle va être tellement déconnectée de ses émotions qu’elle va mettre beaucoup de temps avant de pouvoir parler des violences ou, d’autant plus, aller porter plainte. Quand on est traumatisé, on ne peut pas faire certaines démarches. Donc on va le lui reprocher : pourquoi elle porte plainte si longtemps après ? »

Un élément de la défense

« Ça va être un élément sur lequel la défense, dans le cadre de procédures juridiques, va insister sur « Il ne pouvait pas savoir que ce qu’il faisait était mal puisque la victime ne réagissait pas ». J’ai un exemple très récent d’un procès-verbal, c’est vraiment tout ce système très pervers de retournement des phénomènes de preuves. Et ça, dans les procès, on le voit très bien. Donc les agresseurs utilisent ce système-là, à la fois pour bloquer et piéger leur victime et à la fois ensuite pour leur défense. Ils vont le réutiliser une deuxième fois. Et la méconnaissance de tout le monde fait que ça passe. »

La mémoire traumatique

« Au moment de la disjonction, ce qui disjoncte aussi, c’est le circuit de la mémoire. Et du coup, la mémoire émotionnelle, à partir du moment où ça a disjoncté, toutes les violences qui se produisent ne vont pas pouvoir passer par le circuit habituel de la mémoire et être intégrées par l’hippocampe qui est le système d’exploitation de la mémoire pour être transformée en mémoire autobiographique. Tout va rester piégé dans l’amygdale cérébrale. Et cette mémoire non intégrée va être susceptible d’envahir la victime au moindre lien qui rappelle les violences. On peut revivre en même temps ce qu’on ressent, ce qu’on a vu, ce qu’on a entendu, ce qu’on a senti, même, aussi, des images, des flashs, des odeurs, qui reviennent à l’identique, avec les mêmes émotions, une sorte de crise de panique, qui envahissent la personne.

Les personnes qui sont traumatisées vont devoir mettre en place des stratégies de survie pour ne pas exploser continuellement. Il y a deux sortes de stratégies de survie : il y a des conduites d’évitement, c’est-à-dire que ma vie est un terrain miné, le seul moyen, c’est de ne plus mettre les pieds dessus. Donc on ne bouge plus, on ne pense plus, on s’isole, on contrôle tout, plus rien ne bouge, rien ne change. Et petit à petit, la victime arrive à développer des petits espaces où elle se sent en sécurité, avec des personnes sécures. Et il ne faut rien leur bouger. L’autre solution quand il faut quand même avancer sur le terrain miné, alors qu’on sait qu’il y a des mines, que ça risque de sauter, c’est d’avancer. Les premières choses qu’on rencontre, pour se dissocier, c’est l’alcool, la drogue. Donc des produits dissociants, qui reproduisent la dissociation. Ou les médicaments. Et puis, ce qui est moins bien compris, c’est les conduites à risque, les mises en danger. Ça peut être se taper dessus, se mordre, se brûler, se couper. Mais ça peut être aussi avoir des conduites à risque au niveau de pratiques sportives très dangereuses, de pratiques automobiles sur la route très dangereuses. Ça peut être aussi des conduites à risque sexuelles. »

Les conséquences à long terme

« Et puis ces conduites dissociantes, c’est du stress continuel, c’est des mises en danger continuelles, c’est une alcoolisation, c’est une drogue, et c’est ça qui va avoir des conséquences catastrophiques sur la santé. A la fois au niveau cardio-vasculaire, au niveau du diabète, c’est toutes les maladies liées au stress. Ça va entraîner des troubles de l’immunité, des troubles respiratoires à cause du tabagisme – le tabac aussi à hautes doses, c’est dissociant. Donc toutes ces conduites dissociantes vont faire que, par exemple, quand on a subi des violences sexuelles, des violences dans l’enfance, on peut avoir jusqu’à 20 ans d’espérance de vie en moins. Et c’est le déterminant principal de la santé 50 ans après. »

Interview de Muriel Salmona (vidéo 2)

La stratégie de l’agresseur

« Les agresseurs, ils connaissent bien le phénomène puisqu’ils l’utilisent et d’ailleurs, ils excellent dans leur capacité à sidérer les victimes. Mais on le voit, on le voit d’ailleurs avec les terroristes : ils cherchent à sidérer, ils cherchent à traumatiser, donc ils cherchent à sidérer. Donc il faut toujours faire quelque chose que la victime n’attend pas, sur lequel elle n’est pas préparée. Il faut dire des choses qui vont perturber la victime. Il faut avoir un regard, des gestes, une façon d’être qui va être très sidérante. Donc tout comme les bourreaux, ils savent très bien manier les mécanismes psychotraumatiques pour traumatiser très durablement des victimes de torture.

Une jeune femme qui était stagiaire sur une île du Pacifique s’est trouvée, comme elle était stagiaire, à ne pas pouvoir aller dans l’hôtel où il y avait toutes les personnes de l’ambassade. Donc elle s’est retrouvée seule dans un petit hôtel où elle s’est sentie très en insécurité. Et elle avait parfaitement raison puisqu’elle avait beau s’enfermer la nuit, en plein milieu de nuit, un agresseur est arrivé, a défoncé la porte à coups de hache et sous la menace d’un couteau l’a violée. A un moment donné, elle raconte – donc elle était complètement sidérée, bien entendu, dans l’incapacité de bouger, elle était menacée en plus avec un couteau et persuadée qu’elle allait être tuée, vu le contexte – et à un moment donné, elle a commencé à reprendre un petit peu pied par rapport à la sidération, donc à pouvoir penser un petit peu à ce qui était en train de se passer. L’agresseur, lui, a senti qu’elle reprenait pied. Soit il fallait que de nouveau il lui fasse très peur : de nouveau qu’il mette en scène toute une destruction, qu’il se remette à hurler, qu’il se remette à reprendre son couteau, etc. Mais ça, ça l’empêchait de pouvoir continuer ce qu’il était en train de faire. Ou alors, c’est lui dire quelque chose qui allait complètement la sidérer, quelque chose de totalement incongru, fou. Il a opté pour la deuxième solution et il lui a dit : « Tu aimes ça, ce que je te fais ». Et ça l’a fait repartir, ça l’a de nouveau sidérée. Elle décrit bien à ce moment-là que de nouveau, elle était paralysée et elle a de nouveau été dissociée. Et ensuite, c’est quelque chose qu’elle n’a jamais osé dire pendant toute la procédure parce qu’elle avait honte, elle se sentait coupable : « Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour qu’il me dise que j’aime ça ? Est-ce qu’il a senti une réaction de mon corps ? Est-ce qu’il a perçu quelque chose ? ». Et pour elle, c’était une sorte de torture mentale. Et quand je lui expliquais que c’était tout simplement une stratégie, du coup, ça l’a beaucoup soulagée. »

Un agresseur dissocié

« L’extrême violence est traumatisante, à la fois pour les victimes, pour les témoins, mais aussi pour l’agresseur. La différence entre un agresseur et une victime, c’est que l’agresseur, il veut absolument être dissocié pour justement bénéficier d’une anesthésie émotionnelle pour pouvoir aller beaucoup plus loin et ne plus avoir aucune entrave par rapport à une violence extrême et à des actes inhumains de barbarie, et surtout ne pas être touché par la détresse ou la souffrance de la victime. Parce qu’on a des neurones miroirs qui font qu’on ressent les émotions d’autrui. Et ça, c’est très gênant, parce que ressentir la détresse de quelqu’un, c’est vivre cette détresse et du coup, c’est bloquant pour agir contre cette personne-là. Par rapport au 7 janvier [attentat de Charlie Hebdo], par exemple, les terroristes, tout le monde avait remarqué à quel point ils étaient complètement froids, calmes. Ils pouvaient tuer quelqu’un comme ça, en passant, comme si c’était rien. Et du coup, tout le monde se demandait s’ils n’avaient pas pris des drogues. Mais en fait, dans l’extrême violence, il n’y a pas besoin de drogue. C’est-à-dire que quand on installe une violence extrême, à la fois, on va dissocier la victime, donc il ne va plus y avoir d’émotion chez la victime. Et on va aussi dissocier ses propres émotions. »

Quand la dissociation dure

« Il y a beaucoup de victimes de violences qui sont traumatisées, dont on peut penser qu’elles ne vont pas si mal parce qu’elles sont complètement dissociées. C’est-à-dire que si vous restez en contact, soit avec le lieu, le contexte ou avec l’agresseur, et ça, c’est fréquent, à ce moment-là, vous restez dissociée, vous êtes déconnectée de vos émotions. Donc vous pouvez paraître aller pas si mal. Ça, c’est un élément essentiel pour la non prise en charge des victimes et le fait que personne n’a peur pour elle. C’est que, plus elles sont en danger, plus elles sont dissociées, moins les gens vont s’inquiéter pour elles. Comme elles sont déconnectées, elles n’ont pas d’émotions. Et quand vous êtes face à quelqu’un qui n’a pas d’émotions, vous n’avez pas d’émotions non plus parce que les neurones miroir ne vous renvoient rien. Donc vous êtes indifférent à quelqu’un. Je me rappelle un magistrat lors d’une formation qui me dit « Ah, mais je comprends alors pourquoi cette femme qui me racontait des actes de torture et de barbarie par son mari, comme elle ne réagissait pas et qu’elle m’en parlait comme si elle était indifférente à ce qui s’est passé, eh bien moi, j’avais considéré que c’était pas grave. ». Alors que la description, c’était des faits extrêmement graves. Je travaille aussi avec la Cour Nationale des Droits d’Asile et c’est frappant de voir que plus les gens ont subi des violences extrêmes, moins ils sont considérés comme crédibles. Plus ils ont vécu des violences extrêmes, plus ils sont dissociés, totalement, et plus les gens sont indifférents à eux et ne les croient pas. Je dis souvent aux médecins : « si vous vous endormez face à quelqu’un que vous recevez : alarme totale, c’est que vous avez certainement quelqu’un de très traumatisé en face de vous ». »

La prise en charge de la mémoire traumatique

«La première chose à faire, c’est que les personnes soient protégées pour qu’elles ne soient plus dissociées. Parce que quand vous avez quelqu’un de dissocié, pour traiter la mémoire traumatique, c’est compliqué. Puis là, pour qu’elle s’engage dans une démarche thérapeutique, c’est compliqué parce qu’elle ne ressent pas. Enfin, nous, on travaille avec les émotions, justement. Donc il faut déjà que les personnes puissent sortir de leur dissociation pour être prises en charge. La mémoire traumatique, après, ça se travaille … en fait, le but de la prise en charge de la mémoire traumatique, c’est de l’intégrer en mémoire autobiographique. On va faire tout un travail d’intégration en faisant des liens, en allant sur place, en travaillant sur tout ce qui s’est passé au niveau sidération pour que l’on puisse revivre l’événement sans la sidération, avec une analyse corticale. D’ailleurs, sur les IRM, on voit le travail thérapeutique qui fonctionne parce que du coup, aussitôt que le cortex peut comprendre et analyser ce qui se passe, du coup, les choses s’intègrent. Ça fonctionne, les circuits se remettent à fonctionner. Donc d’où l’importance aussi de comprendre ce qui est arrivé. Et d’ailleurs, les victimes de violences sexuelles, elles passent souvent leur vie à essayer de comprendre, parce qu’elles sentent bien que c’est là, la solution, c’est de comprendre ce qui se passe. Sauf qu’on ne leur donne jamais d’outils. Nous on donne tous les outils pour comprendre, repasser, voir tout ce qui s’est passé, pour petit à petit intégrer chaque moment, chaque élément, en mémoire autobiographique. Le problème actuellement, c’est que les professionnels ne sont pas formés, ni au repérage des troubles psychotraumatiques, ni à la connaissance des mécanismes. Donc ils ne peuvent pas informer réellement les victimes. Et puis, ils ne sont pas formés non plus au traitement. Ils n’ont pas d’outils pour traiter les personnes. Ils vont d’abord faire de faux diagnostics. C’est-à-dire que la mémoire traumatique, quand vous entendez des voix, vous voyez qu’il y a quelqu’un dans une pièce, vous avez l’impression qu’on vous touche, c’est tout de suite pris pour des hallucinations. Vous avez l’impression qu’on veut vous tuer, etc. on va vous dire que vous êtes schizophrène, psychotique. Il y a beaucoup de gens qui sont étiquetés schizophrènes, alors qu’ils sont simplement traumatisés. On va dire aux personnes qu’elles ont des troubles thymiques, maniaco-dépressifs, etc. alors que c’est simplement des accès de mémoire traumatique qui les replongent. Et puis, on va traiter leurs symptômes en les dissociant. Sauf qu’on va donner des médicaments qui vont dissocier les personnes. Donc on va faire des cocktails avec anxiolytiques, anti-dépresseurs, neuroleptiques, somnifères, thymorégulateurs. Mais tout ça, c’est très efficace, ils sont complètement déconnectés. Tout ce qui est sismothérapie, vous savez, les électrochocs, comment ça fonctionne : ça fait disjoncter le cerveau. Donc c’est hyper-efficace pour faire dissocier quelqu’un. Donc c’est comme ça qu’on a utilisé et qu’on utilise toujours les électro-chocs pour traiter les gens psychotraumatisés. Qu’est-ce qui marche bien aussi pour dissocier les gens, c’est d’être violents avec eux. Vous avez quelqu’un qui fait une crise d’angoisse, une attaque de panique, vous lui donnez une grande claque, c’est très efficace. Vous le mettez sous une douche froide, c’est très efficace. Vous hurlez contre cette personne, c’est très efficace, vous la calmez. Sauf que vous la calmez en la dissociant et en la traumatisant. Donc dans l’ensemble, le traitement sauvage des troubles psychotraumatiques, c’est de dissocier les gens et de dire, tout va bien. Après, il y a des dissociations un peu plus douces qui vont être l’hypnose, l’EMDR, etc. où ce sont des dissociations plus légères, mais s’il n’y a pas de travail psychothérapique derrière pour traiter la mémoire traumatique, c’est aussi une façon de « circulez, y a plus rien à voir ». Donc on essaye de ne pas donner de médicaments dissociants. On essaye, c’est vraiment le traitement de fond, c’est la psychothérapie, c’est la prise en charge sur la mémoire traumatique, de faire refonctionner les circuits. On peut traiter la douleur mentale quand elle est trop importante, exactement comme on donne de la morphine. Mais dans l’ensemble, on essaye d’utiliser le moins possible de médicaments psychotropes parce qu’ils sont plutôt dissociants. En revanche, on utilise un traitement qui est très efficace qui est les béta-bloquants. C’est un médicament qui diminue la production d’adrénaline. Donc, il diminue les facteurs stress, adrénaline, cortisol, et du coup il évite les allumages intempestifs de mémoire traumatique. Donc il sécurise un peu la personne. Et puis, ça permet de traiter la personne en donnant plus de sécurité et d’aller plus sur le terrain sans que ça parte en vrille. Et puis, ça protège le coeur, ça protège le cerveau, donc c’est tout bénéfice aussi. »

Les solutions

« C’est cette nécessité de développer des formations pour les professionnels pour qu’ils puissent prendre en charge, poser la question, avoir une culture de la protection des victimes, c’est-à-dire chercher à les protéger, et une culture de la prise en charge des troubles psychotraumatiques. Il faut une formation dès les études initiales et ensuite, dans les études de spécialité. C’est fou que pour la psychiatrie il n’y a pas une [formation], c’est plus de 60 % de la psychiatrie qui est liée aux psychotraumatismes. Donc c’est absolument essentiel. Les violences, c’est un problème de santé publique majeur, donc il faut s’en emparer et il faut que tous les professionnels soient formés. Et il faut absolument créer des centres de soin spécifiques. Actuellement, c’est une galère absolument épouvantable pour les victimes pour trouver des professionnels et des prises en charge sécurisées par des professionnels formés, sérieux, compétents. Et il est très important aussi de faire toute une information sur la sexualité pour les plus jeunes, de lutter contre tout ce qui est stéréotypes autour de la sexualité violente, lutter contre la pornographie, donc améliorer encore la lutte contre tout le système prostitutionnel, ce qui a déjà été le cas avec la loi qui maintenant pénalise les clients, mais il faut aller encore, il faut vraiment aller loin là-dessus. Et puis aussi, lutter contre tout ce qui est culture du viol, stéréotypes, informer sur les droits de chacun, sur la notion de consentement, le respect du consentement de l’autre, avec des notions de consentement qui ne doit pas être uniquement sur « elle a pas dit non ». Il faut absolument avoir un « oui » et un « oui  éclairé». Ce qu’on peut espérer, c’est que, là, il y a beaucoup de victimes de terrorisme qui vont avoir des troubles psychotraumatiques très lourds – il faut savoir que les victimes de viol ont les mêmes conséquences psychotraumatiques que les victimes de torture ou d’actes de terrorisme – et qu’il faudra prendre en charge toutes ces personnes. Et on les met moins en cause que les victimes de viol, donc il n’y a pas cette culture du viol. On va peut-être plus les entendre. Parce que les associations – je travaille avec elles – sont quand même assez revendiquantes par rapport à la prise en charge et c’est peut-être par leur intermédiaire qu’on va obtenir ce qu’on arrive pas à obtenir malgré tout notre travail de plaidoyer, nos luttes incessantes, etc. sur une amélioration de la prise en charge. »

Courte explication sur la pornographie et la prostitution (texte figurant sous vidéo 2)

« Explications de Muriel Salmona sur la pornographie et la prostitution : »

« Près de 90% des personnes prostituées ont subi des violences, particulièrement des violences sexuelles, dans l’enfance. Elles se retrouvent prostituées parce qu’elles sont dissociées avec, de ce fait, une grande tolérance aux violences. C’est même la raison pour laquelle elles sont choisies par les proxénètes et cela arrange les client. Je ne suis pas pour la prohibition, je ne veux pas empêcher quiconque d’être prostituée, mais contre le système d’exploitation prostitutionnel (proxénètes et clients) et l’absence de protection et de soins qui livrent et piègent ces personnes traumatisées dans ce système.

De même par rapport à la pornographie, ce que je dénonce c’est le fait de filmer des actes très violents avec des personnes qui les subissent vraiment et de participer à la diffusion d’une sexualité présentée par nature comme violente.

Être dissociée représente un risque majeur de subir des violences à répétition (70% des personnes ayant subi des violences sexuelles en subissent à nouveau) et explique les phénomènes d’emprise.

Parmi les solutions à ne pas oublier, il y a la lutte conte les inégalités, le sexisme et toutes les discriminations. Les violences sexuelles se font dans un contexte de rapport de force et de domination masculine. Les personnes qui subissent le plus de violences sont les enfants (les filles surtout), les personnes handicapées et les femmes. Les violences sexuelles ne relèvent jamais d’un désir ou d’un besoin sexuel : ce sont de la destruction et de l’excitation à la haine. » »

Bibliographie

Allodocteurs [vidéo]. (2012). Pourquoi parle-t-on de sidération lors d’un viol ? France 5, Le Magazine de la Santé [article, sujet no 2]. 2 novembre 2009, mis à jour le 11 mai 2015 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.allodocteurs.fr/se-soigner/violences/viol-agression-sexuelle/viol-quelle-prise-en-charge-pour-les-victimes_1362.html

Allodocteurs, Rédaction. (2017). Viol : qu’appelle-t-on l’état de sidération ?, FranceInfo [en ligne]. 15 décembre 2017 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: https://www.francetvinfo.fr/sante/affaires/viol-qu-appelle-t-on-letat-de-sideration_2516765.html

American Psychiatric Association. (1996). DSM-IV : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Paris, France : Masson.

Donofrio, Beverly. (2013). J‘ai été violée, à 55 ans, et je n’ai pas crié, Slate.fr [en ligne]. 13 août 2013 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: http://www.slate.fr/story/76104/viol-silence-honte-temoignage

Hopper, Jim. (2017). The Brain Under (Sexual) Attack, Psychology Today [en ligne]. 14 décembre 2017 [consulté le 16 décembre 2017]. Disponible à l’adresse:  https://www.psychologytoday.com/blog/sexual-assault-and-the-brain/201712/the-brain-under-sexual-attack

Graham, Dee. L.R., Rawlings, E. I., Rigsby, R. K. (1994). Loving to Survive: Sexual Terror, Men’s Violence, and Women’s Lives. New York/London, USA/UK : NYU Press.

IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte (2015) – Mémoire Traumatique et Victimologie/Laure Salmona [Diaporama]. (2015). 11 septembre 2015 [consulté le 23 novembre 2015]. Disponible à l’adresse : https://fr.slideshare.net/LaureSalmona/impact-des-violences-sexuelles-de-lenfance-lge-adulte-2015-mmoire-traumatique-et-victimologielaure-salmona

IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte. (2015). SALMONA, Laure, auteure, SALMONA Muriel, coordinatrice. Enquête de l’association Mémoire Traumatique et victimologie avec le soutien de l’UNICEF France dans le cadre de sa campagne #ENDViolence. Téléchargeable à l’adresse: http://stopaudeni.com/ et http://www.memoiretraumatique.org

Kuhni, Marianne. (2017a). L’amnésie traumatique, une mémoire déconnectée pour survivre à l’effroi [en ligne]. 13 décembre 2017. Disponible à l’adresse : https://mariannekuhni.com/2017/12/13/lamnesie-traumatique-une-memoire-deconnectee-pour-survivre-a-leffroi/

Kuhni, Marianne. (2017b). La sidération traumatique : une victime paralysée et dissociée pour survivre à l’effroi [en ligne]. 18 décembre 2017. Disponible à l’adresse : https://mariannekuhni.com/2017/12/18/la-sideration-traumatique-une-victime-paralysee-et-dissociee-pour-survivre-a-leffroi/

Marinette – femmes et féminisme [chaîne Youtube]. (2016a). FOCUS — Violences sexuelles : la sidération psychique [vidéo]. 16 août 2016 [consulté le 14 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=gQc5tmSP_rg

Marinette – femmes et féminisme [chaîne Youtube]. (2016b). FOCUS – La sidération: pour aller plus loin [vidéo]. 19 août 2016 [consulté le 14 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=LVgHxho5i8I&feature=youtu.be

Mc Lellan, Betty. (1995). Beyond Psychoppression : A feminist Alternativ Therapy. North Melbourne, Australie : Spinifex Press.

Nouvel Obs [vidéo à télécharger]. (2012). VIDEO. Ce qui se passe dans le cerveau pendant un viol [article]. 26 novembre 2012 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://tempsreel.nouvelobs.com/societe/viol-le-manifeste/20121123.OBS0352/video-ce-qui-se-passe-dans-le-cerveau-pendant-un-viol.html

Organisation Mondiale de la santé. (2000). CIM-10 : Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement. Paris, France : Masson.

Romito, Patrizia. (2006). Un silence de mortes : La violence masculine occultée. Paris, France : Syllepse.

Salmona, Muriel. (2013a). Le livre noir des violences sexuelles. Paris, France : Dunod.

Salmona, Muriel. (2013b). Une victime de viol qui ne se débat pas, ça ne veut pas dire qu’elle consent, Nouvel Obs, Le Plus [en ligne]. 23 août 2013 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse:  http://leplus.nouvelobs.com/contribution/925105-une-victime-de-viol-qui-ne-se-debat-pas-ca-ne-veut-pas-dire-qu-elle-consent.html

Salmona Muriel. (2015). Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses incontournables. Paris, France : Dunod.

Santé Médecine – Journal des Femmes. (2017). L‘adrénaline Définition [en ligne]. Décembre 2017 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: http://sante-medecine.journaldesfemmes.com/faq/8033-adrenaline-definition

Santé Médecine – Journal des Femmes. (2017). Le cortex cérébral [en ligne]. Décembre 2017 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: http://sante-medecine.journaldesfemmes.com/faq/8329-cortex-cerebral-definition

Santé Médecine – Journal des Femmes. (2017). Le cortisol, l‘hormone du stress [en ligne]. Décembre 2017 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: https://www.femmeactuelle.fr/sante/sante-pratique/cortisol-23596

Santé Médecine – Journal des Femmes. (2017). Le cortisol – Analyse de sang [en ligne]. Décembre 2017 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: http://sante-medecine.journaldesfemmes.com/faq/6578-cortisol-analyse-de-sang

La sidération traumatique : une victime paralysée et dissociée pour survivre à l’effroi

« Pour ne pas mourir, la victime se dissocie de son propre corps Ce que décrit la plaignante [procès de Georges Tron], c’est ce qu’on appelle, en psychiatrie, l’état de sidération. En réaction à l’angoisse extrême subie lors d’un viol ou d’une violence, certains mécanismes de défense entrent en jeu. La victime est tétanisée, ce qui lui permet de diminuer sa souffrance physique et psychique, selon la psychiatre Muriel Salmona. La personne, ainsi paralysée, ne peut réagir. Ce sont des « réactions neurobiologiques normales du cerveau face à une situation anormale, celle des violences », précise le Dr Salmona. » (Allodocteurs, 2017).

La sidération est un mécanisme psychique de survie qui s’enclenche dans les situations terrorisantes (effroi) et de non-sens absolu (confusion extrême), soit des situations qui dépassent l’entendement (Marinette, 2016a) en matière de violence et de sens. C’est le cas des violences sexuelles qui font effraction dans la partie la plus intime de la personne. Également lorsque la victime est piégée, enfermée avec son agresseur, sans aucune possibilité de fuite, forcée de rester avec lui, pour des raisons d’emprise (pédocriminalité, violence conjugale, etc.), d’environnement (lieu isolé, etc.) ou de contexte (inceste, travail, etc.). Les agresseurs savent parfaitement utiliser la sidération en terrorisant leurs victimes et en leur tenant des propos insensés/pervers pour les réduire à néant, à l’état de pantin, de marionnette, avec qui ils pourront faire ce qu’ils veulent. Autrement dit, les agresseurs recherchent cette sidération pour pouvoir agir à leur guise et même accuser ensuite la victime, en privé ou dans un procès, de n’avoir pas réagi. (Salmona, 2013b, Marinette, 2016b, Allodocteurs, 2017).

Témoignage de Marine Périn

Sur sa chaîne Youtube, la journaliste féministe Marine Périn a réalisé 2 vidéos remarquables sur la sidération, avec son témoignage et une longue interview de Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie. La 1ère vidéo s’intitule « Violences sexuelles : la sidération psychique » (Marinette, 2016a). La seconde vidéo s’intitule « La sidération : pour aller plus loin » (Marinette, 2016b)

Marine Périn a elle-même été confrontée à la sidération lors d’une agression. Voici la transcription de son puissant témoignage qui décrit de façon très précise comment se passent la sidération (paralysie) et la dissociation (déconnexion) déclenchées par des situations de violences, notamment des violences sexuelles. Nous pouvons ainsi appréhender la sidération au moyen de « la sidération vécue de l’intérieur » (Marinette, 2016a), ce qui, me semble-t-il, est la meilleure façon pour comprendre ce mécanisme qui empêche les victimes de se défendre ou de fuir leur(s) agresseur(s).

En ce qui concerne linterview de Muriel Salmona par Marine Périn, il est intégralement retranscrit ici (Kuhni, 2017b).

Témoignage de Marine Périn (Marinette 2016a, min. 0.45) : « Donc j’ai été agressée. C’était il y a environ 5 ans. J’étais en train de rentrer chez moi après une soirée quand je me suis rendue compte qu’il y avait deux mecs qui me suivaient. Enfin, je savais qu’il y avait deux mecs qui marchaient derrière moi. Pour être sûre, pour m’assurer qu’ils ne me suivaient pas, j’ai fait ce que beaucoup de personnes qui ne se sentent pas en sécurité dans la rue ont fait : j’ai sorti mon téléphone de ma poche, je me suis mise sur le côté, je me suis arrêtée pour qu’ils puissent me dépasser, en fait, et que ça me rassure. J’ai fait ça quelques mètres avant ma porte d’entrée, parce que je me disais quand même que s’ils me suivaient, il ne fallait pas qu’ils me suivent chez moi. Là, ça a été très vite : ils m’ont dépassés, ils m’ont dit « bonsoir », je leur ai répondu « bonsoir » et puis j’ai rangé peut-être trop rapidement mon téléphone dans ma poche et il y en a un des deux qui m’a attrapée par derrière. Ses gestes étaient extrêmement précis. Donc, c’est terrible à dire, mais je pense qu’il savait ce qu’il faisait. Parce qu’en une fraction de seconde, je me suis retrouvée agenouillée parterre, avec son genou dans le dos et sa main gauche sur la bouche qui me serrait aussi mon torse, ce qui fait que j’étais complètement immobilisée. Je me souviens très exactement de ce que je me suis dit. Je me suis dit, mais non, non, ce n’est pas en train d’arriver. Mon cerveau refusait juste d’y croire, parce que c’était trop improbable de se faire vraiment attraper de manière aussi cliché dans la rue. Voilà, on m’avait toujours dit que c’était impossible. Donc j’y croyais simplement pas. Très rapidement, mon agresseur a commencé à faire ce que, je pense, il voulait faire depuis le début, c’est-à-dire qu’il a glissé sa main dans le col de mon manteau, il l’a mis dans mon soutien-gorge et il a commencé à me presser le sein. Encore une fois, tout est très flou, donc je ne sais pas à quel moment ça a basculé. Mais à ce moment-là, ce que je peux vous dire, c’est que j’étais déjà plus dans mon corps. c’est-à-dire que je voyais la scène d’en haut, exactement comme si je planais au-dessus de la rue. Je la voyais. Je pense que mon cerveau générait ces images. Et donc, ce que je voyais, c’était moi, mais j’étais plus dans mon corps, à genoux, complètement inerte, comme un pantin, avec le mec qui faisait ce qu’il voulait.

« à ce moment-là, ce que je peux vous dire,
c’est que j’étais déjà plus dans mon corps
 »

(capture d’écran de la vidéo)

Donc voilà, ça se passe comme ça. J’ai pas de notion du temps. Je sais pas combien de temps ça dure. Mais à un moment donné, je sais que je commence à reprendre mes esprits, sûrement que mon cerveau s’est dit « bon ben c’est en train d’arriver, maintenant fais quelque chose ». Donc j’élabore une stratégie. Je me dis que je vais essayer avec mes mains d’enlever la main de l’agresseur de ma bouche pour le supplier, en espérant peut-être le convaincre que c’est pas très sympa, je sais pas. C’est un peu naïf, hein, mais dans ces moments-là, on fait ce qu’on peut et en plus, on est dans une rue déserte, donc on n’imagine pas une seconde qu’on puisse par exemple appeler à l’aide et que quelqu’un vienne. Et en fait, contre toute attente, exactement à ce moment-là, y a des voisins qui se sont mis à ouvrir leur fenêtre, qui ont crié sur les agresseurs qu’ils avaient appelé la police. Et y en a même qui sont sortis de chez eux, qui habitaient à l’entresol de mon immeuble, qui voyaient la scène par cette fenêtre, là, qui est au niveau du trottoir, qui sont sortis de chez eux et qui ont poursuivi les agresseurs. Et ça a pris fin à ce moment-là. Mais là, je sais que c’est pas le sujet, mais j’en place quand même une pour ma chance d’être tombée sur ces personnes-là, parce qu’on sait qu’il y a beaucoup d’agressions qui ont lieu en public et où personne n’intervient. Là, c’était dans une ruelle déserte et les gens se sont levés, ont ouvert leur fenêtre, sont sortis de chez eux pour intervenir. C’est incroyable. Et je sais pas où j’en serais et je sais pas ce qui me serait arrivé si ça ne c’était pas passé comme ça. D’autant plus que les personnes qui ont poursuivi l’agresseur m’ont ensuite un peu pris en charge pendant l’heure qui a suivi, le temps qu’un autre ami s’en occupe. Donc voilà, l’agression prend fin à ce moment-là. Je reprends mes esprits le plus vite possible, je me relève. Et là, quand je me relève et c’est un détail pas anodin, j’ai les mains dans les poches. C’est-à-dire que pendant tout le temps que ça a duré, j’ai gardé les mains dans les poches, je me suis pas débattue. La stratégie où je pensais commencer à enlever sa main, ça n’avait pas commencé, en fait. Et c’est vraiment pas anodin parce que c’est quelque chose qui va beaucoup me travailler ensuite. Je pensais pas être une ninja face à ce genre de situation, mais quand même, ne pas réagir à ce point-là, ça m’a beaucoup perturbée, ça m’a beaucoup culpabilisée. Et en fait, c’est le principe même de la sidération et c’est pour ça que beaucoup de victimes, aussi, culpabilisent, en plus du fait que certains les font culpabiliser. Mais elles culpabilisent elles-mêmes de pas avoir réagi. Les heures et les jours qui ont suivi, il a fallu que j’oublie quand même un peu l’expérience entre guillemets « paranormale » que je venais de vivre, parce que, à ce moment-là, on se concentre sur les faits et les gens veulent savoir ce qui est arrivé, particulièrement les policiers quand tu portes plainte où tu essayes d’être le plus précise possible. Moi, ça me tenait à cœur, en plus, de bien décrire ce qui s’était passé. Donc j’ai complètement omis le fait, qu’en fait j’étais même plus dans mon corps quand ça a eu lieu. Par ailleurs, à l’époque, je savais pas du tout ce qu’était la sidération. J’en avais jamais entendu parler. Donc ça me paraissait encore plus bizarre. C’est quelques mois plus tard, en lisant un roman, que j’ai découvert ce que c’était parce que l’un des personnages en avait été victime, en fait, lors d’un viol, et il racontait, donc là, j’ai su ce qui c’était passé. Et rien que le fait de le savoir, ça faisait beaucoup de bien. Ça efface pas tout, bien sûr, mais c’est quand même un soulagement, ça m’enlève un poids, une culpabilité. C’est aussi pour ça que je voulais en parler. (…). » (Marinette, 2016a)

La sidération : la victime est paralysée

La sidération traumatique est un processus psychique qui paralyse la personne confrontée à des violences, plus particulièrement aux violences sexuelles (effraction dans l’intime). Ces situations violentes déclenchent un sentiment d’effroi (peur de mourir) et un sentiment de non-sens absolu (confusion extrême), ce qui a pour conséquence d’affoler le cortex qui n’est alors plus en mesure d’assumer ses tâches habituelles d’analyse et de prise de décision. Dès cet instant, « L’activité corticale de la victime se paralyse, elle est en état de sidération. Le cortex sidéré est dans l’incapacité d’analyser la situation et d’y réagir de façon adaptée. » (Salmona, 2013, p. 75). Cette paralysie, cette panne du cortex (très visible sur des IRM) va paralyser la victime. Dès lors, elle ne sera plus capable de bouger, de parler, de crier, de réagir, de fuir le(s) agresseur(s). Elle est paralysée.

Cortex cérébral éteint (2ème IRM)

Source : Marinette – femmes et féminisme, 2016a

« Le cortex cérébral règne sur ce qu’on nomme les « fonctions nerveuses élaborées » et est regroupé en aires ayant des fonctions différentes notamment sensorielles, motrices et d’association. Le cortex cérébral participe à de nombreuses fonctions cognitives notamment entre autres, certains sens, le langage, les actions volontaires de la motricité et la mémoire. » (Santé Médecine – Journal des Femmes)

Cortex cérébral

Cortex préfrontal

L’inutile préparation à la fuite ou au combat

Dès le début d’une situation de violence, notre organisme va produire massivement des hormones de stress, afin de nous préparer à la fuite ou au combat. Il y aura par exemple une forte production d’adrénaline (sécrétée par les glandes surrénales) pour stimuler le système cardio-vasculaire et la respiration, ainsi qu’une forte production de cortisol (sécrétée par les glandes corticosurrénales) pour stimuler la production d’énergie. Cette surproduction d’hormones de stress va booster l’organisme et lui donner des capacités extraordinaires pour réagir face à une situation de danger (force musculaire, perceptions, etc.). Les personnes auront alors l’impression d’avoir des ailes lorsqu’elles courent pour s’enfuir, une force décuplée pour combattre et une rapidité d’action exceptionnelle. Une fois le danger passé, elles seront souvent stupéfaites par leurs prouesses et trembleront parfois de peur après coup en pensant à ce qui se serait passé si elles n’avaient pas eu de tels réflexes et de telles capacités.

« Cortisol : une hormone essentielle en cas de danger – Quand vous êtes face à une situation risquée, plusieurs hormones boostent votre organisme pour vous aider à surmonter le danger. La plus connue d’entre elles est l’adrénaline. Surnommée « l’hormone guerrière », elle mobilise toute votre énergie disponible et aiguise instantanément vos sens. Quant au cortisol, il est produit en masse quelques minutes après la poussée d’adrénaline. Ses effets sont moins perceptibles mais extrêmement importants. Il participe activement à la production d’énergie en transformant les réserves de graisse en sucres. Il dirige également cette énergie au bon endroit, comme dans les muscles de vos jambes si vous devez prendre la fuite ! Le cortisol contribue réellement à vous sauver la vie. » (Santé Médecine – Journal des Femmes)

Toutefois, dans un grand nombre de situations de violences, les victimes n’ont aucune possibilité de fuite ou de combat. Elles sont coincées par leur(s) agresseurs(s), piégées par eux, en raison d’une emprise (pédocriminalité, violence conjugale, par exemple) ou de l’environnement (lieu isolé, etc.) ou du contexte (inceste, travail, etc.).

La fuite ou la combat est également impossible, bien sûr, lorsque les victimes sont déjà en état de sidération, totalement paralysées par un cortex sidéré, paralysé. Or, c’est précisément le rôle du cortex de réguler la réaction au stress de l’organisme. Donc lorsque cette instance supérieure ne fonctionne plus, les hormones de stress vont affluer massivement, de façon incontrôlée en raison d’une hyper-activité de l’amygdale cérébrale (visible sur les IRM) qui crée un risque de survoltage (surchauffe de l’amygdale cérébrale). Ce survoltage présente un risque vital pour l’organisme : cardio-vasculaire (adrénaline) et neurologique (cortisol).

La dissociation : la victime se déconnecte de son propre corps

Le cerveau déclenche alors un processus de survie qui consiste à faire disjoncter le circuit cérébral responsable de la production des hormones de stress « en libérant des substances chimiques, de la morphine, de la kétamine, qui vont faire disjoncter le système d’alarme. L’amygdale est isolée, exactement comme un réacteur nucléaire fermé dans un coffrage. Résultat : la production d’hormones de stress est alors stoppée » (Allodocteurs, 2012). Cette disjonction va entraîner une anesthésie émotionnelle, une dissociation, des troubles de la mémoire (amnésie du traumatisme, partielle ou totale), ainsi que la création d’une mémoire traumatique qui va rester piégée dans l’amygdale cérébrale déconnectée, sans pouvoir se diriger normalement vers l’hippocampe pour être transformée en mémoire autobiographique. Cette mémoire traumatique renfermant la situation violente telle quelle, avec tout son déchaînement d’effroi, de chaos, de douleur, de non-sens, etc., est la source du stress post-traumatique qui risque de se développer à la sortie de l’événement traumatique.

Après la disjonction, la personne dissociée se retrouve dans un état d’irréalité, ne ressentant quasiment plus rien, avec perte de la notion du temps, du lieu, etc. et perception de la situation comme si cela ne la concernait pas, comme s’il s’agissait d’une situation vécue par quelqu’un d’autre. La dissociation propulse donc la personne hors d’elle-même (corps, émotions, sensations, etc.) et hors du temps, de l’espace (désorientation temporo-spatiale). Autrement dit, la personne n’est plus présente, même si son corps est toujours là et qu’elle n’est pas morte.

Les victimes de violences sont d’ailleurs presque toujours confrontées à la peur de mourir (effroi). A ce titre, il est intéressant de noter que le récit de décorporation (sortie de leur corps) que font certaines personnes qui ont vécu la dissociation peut comporter des ressemblances sur certains points avec des récits de décorporation de personnes ayant précisément frôlé la mort, par exemple celles ressortant du coma ou celles ayant vécu une expérience de NDE et EMI (Near-Death Experience ou expérience de mort imminente).

La sidération – Le Magazine de la Santé, France 5 (Allodocteurs, 2012)

L’émission Allodocteurs (Magazine de la Santé, France 5) a diffusé le 26 novembre 2012 un excellent sujet consacré à la sidération, avec des images de synthèse montrant très clairement ce qui se passe au niveau de l’amygdale cérébrale et de l’hippocampe au moment de la sidération et de la dissociation. Un petit bémol : ce sujet passe un peu vite sur le rôle du cortex dans la sidération. Il n’y a d’ailleurs aucune image de synthèse sur la panne du cortex (très visible sur des IRM). Or, c’est bien le cortex sidéré, le cortex paralysé qui est à l’origine de la sidération, de la paralysie de la victime.

Le Nouvel Obs a publié le 26 novembre 2012 un article sur cette émission contenant la vidéo à télécharger directement à partir de l’article.  (Nouvel Obs, 2012). Cette vidéo est aussi proposée en lecture sur une page intitulée « Viol : quelle prise en charge pour les victimes ? » (2ème sujet de la page) sur le site Allodocteurs (Allodocteurs, 2012).

Je retranscris intégralement ce remarquable sujet sur la sidération de Allodocteurs (vidéo téléchargeable sur article du Nouvel Obs), car les images de synthèse et les explications données sont d’une grande clarté et décrivent parfaitement le processus qui conduit à la surchauffe de l’amygdale cérébrale, à la disjonction du circuit responsable du stress, à la dissociation traumatique, à la création d’une mémoire traumatique et, finalement, au stress post-traumatique. L’ensemble du sujet s’appuie sur les travaux de Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie. Les images qui ponctuent la transcription sont des captures d’écran de la vidéo.

Titre du sujet : « Pourquoi parle-t-on de sidération lors d’un viol ? »

Marina Carrère d’Encausse : « Pourquoi parle-t-on de sidération et de stress post-traumatique après un viol ? C’est une question aujourd’hui en forme d’erratum pour repréciser ce que nous vous avions dit lors du Allodocteurs consacré au viol. On vous avait montré une animation qui permet de comprendre pourquoi, après une agression sexuelle, la violence du traumatisme ne s’arrête pas. Pourquoi, c’est une véritable torture qui touche l’intimité de la personne. Tout ça, on le sait aujourd’hui, grâce aux travaux d’une psychiatre, le Dr. Muriel Salmona. »

Michel Cymes : « Alors sur le plan cérébral, dès le début d’une agression, notre système d’alarme que vous allez voir, l’amygdale, qui est chargée de décoder les émotions et les stimuli de menace, va s’activer. Elle va déclencher une cascade de réactions pour préparer notre fuite. Elle provoque entre autre la production par les glandes surrénales, que vous allez voir en jaune au-dessus du rein, des hormones du stress, vous connaissez, l’adrénaline, le cortisol. Résultat : tout l’organisme est sous tension, le flux sanguin, le rythme cardiaque, la respiration s’accélèrent et les muscles sont contractés, prêts à amorcer la fuite. »

L’amygdale cérébrale s’active

Marina Carrère d’Encausse : « Quand une victime est immobilisée par un agresseur, très vite, c’est la surchauffe. L’amygdale cérébrale s’affole, les centres nerveux au niveau du cortex censés analyser et modérer les réactions sont comme dépassés par les signaux d’alerte. Et c’est la panique totale. L’amygdale surchauffe et donc la victime est en état de sidération, comme paralysée. Du coup, elle ne peut plus se défendre, ni crier, ni même plus réagir, elle est comme paralysée. La victime est dans un état de stress extrême, dépassé. Elle sent qu’elle va mourir. »

Michel Cymes : « Alors pour éviter que le survoltage de cette amygdale ne provoque un arrêt cardiaque, le cerveau, vous allez le voir, déclenche une sorte de court-circuit en libérant des substances chimiques, de la morphine, de la kétamine, qui vont faire disjoncter le système d’alarme. L’amygdale est isolée, exactement comme un réacteur nucléaire fermé dans un coffrage. Résultat : la production d’hormones de stress est alors stoppée. »

L’amygdale cérébrale libère des substances chimiques,
de la morphine, de la kétamine pour faire disjoncter le système d’alarme
(court-circuit)

L’amygdale est isolée (disjonction)

Marina Carrère d’Encausse : « La victime est comme coupée du monde, déconnectée de ses émotions, et pourtant la violence continue, mais elle ne ressent presque plus rien, ce qui lui donne un sentiment d’irréalité totale. C’est ça qu’on appelle la dissociation. D’ailleurs, les victimes le disent : à un moment donné, elles ont l’impression d’être spectatrices de l’événement. »

Michel Cymes : « Oui, c’est cette dissociation qui permet de rester en vie. Mais ce système de sauvegarde fait aussi des dégâts. Isolée, anesthésiée par des décharges permanentes de morphine et de kétamine, cette amygdale n’évacue pas le traumatisme du viol vers une autre structure que vous voyez clignoter, l’hippocampe. Cette structure, c’est notre système de mémorisation et d’analyse des souvenirs. Ce qui fait que le moment du viol va resté piégé, en l’état, dans l’amygdale. Et à chaque flashback, c’est le souvenir du viol qui n’a pas été traité par le cerveau que va revivre la victime. C’est un moment extrêmement violent. Et c’est ce qu’on appelle le stress post-traumatique. »

L’amygdale isolée et l’hippocampe

La sidération, par la Dre Muriel Salmona (2013)

Dans un article du 23 août 2013 intitulé «Une victime de viol qui ne se débat pas, ça ne veut pas dire qu’elle consent », Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, s’indigne de la façon dont la sidération traumatique est utilisée contre les victimes pour mettre en doute leur crédibilité. En plus de la description du processus de la sidération, elle décrit aussi la parfaite connaissance que les violeurs ont de ce mécanisme psychique paralysant et la manière dont ils l’utilisent à 2 niveaux : pour piéger leurs victimes, puis pour inverser la situation en justice (la victime devient la coupable). Cet article synthétise si bien l’ensemble de cette problématique que je le retransmets intégralement :

« À toutes celles et ceux qui sont encore tenté-e-s de dire, ou de se dire en leur for intérieur, quand on leur rapporte un viol : « pourquoi n’a-t-elle pas crié, ne s’est-elle pas débattue, n’a-t-elle pas fui ? », « moi, à sa place, jamais je ne me serais laissé faire ! » ; et si la victime est un homme : « comment est-ce possible ? », Beverly Donofrio leur répond dans son excellent article « J’ai été violée à 55 ans et je n’ai pas crié« , sur Slate.fr.

Pourquoi ces personnes ont-elles de fausses croyances aussi tenaces ? Au mieux, elles n’ont pas beaucoup d’imagination et sont très mal informées sur la sidération traumatique, et, au pire, elles adhèrent au déni de la réalité des viols et aux stéréotypes sexistes, en sont complices et projettent la culpabilité sur la victime.

Le minimum serait déjà qu’elles se représentent le risque encouru par la victime face à un violeur armé ou non qui menace sa vie, à un violeur dont la détermination criminelle et la haine en font un individu extrêmement dangereux (les victimes décrivent presque toutes un regard de tueur qui les a tétanisées), à un violeur qui les nie, les chosifie, les humilie et veut jouir de leur détresse.

Beverly Donofrio nous le rappelle, lors d’un braquage, d’un cambriolage, la première recommandation que l’on fait est de ne surtout rien tenter, de se soumettre et d’obéir en raison des risques graves encourus.

Faudrait-il, pour laver une victime de viol de tout soupçon de consentement et de complicité, qu’elle soit grièvement blessée ou morte ? Les stéréotypes catastrophiques ont la vie bien dure…

Ensuite, ces personnes pourraient réfléchir à ce qui se passe dans la tête du violeur plutôt que de se focaliser sur la victime et sur ce qu’elle a fait ou n’a pas fait. Elles pourraient se rendre compte qu’il s’agit d’un prédateur qui, très rarement, agit de façon impulsive, mais qui, tel un chasseur, prémédite, organise sa traque, affûte ses stratégies et attend son heure.

Un état de sidération qui paralyse la victime

Les scénarios qu’il imagine font déjà partie de sa jouissance perverse. Et dans ses stratégies, il va élaborer des plans pour pouvoir commettre son crime dans les meilleures conditions, et faire en sorte que la victime ne puisse pas crier, ni se débattre ou fuir, et que personne ne puisse venir la secourir.

S’il connaît la victime (ce qui est le cas dans près de 80% des viols), il va organiser son impunité en lui imposant le silence, en la manipulant, en l’embrouillant, en faisant en sorte de créer chez elle des doutes et un sentiment de culpabilité et de honte.

Et contrairement au commun des mortels, et malheureusement de bien des professionnels censés prendre en charge les victimes, il [le violeur] sait très bien ce qu’est un état de sidération, qui paralyse la victime, car c’est ce qu’il cherche avant tout à mettre en place avec des stratégies très efficaces.

Ce serait donc la moindre des choses que tout le monde s’informe sur les conséquences et les mécanismes psychotraumatiques des violences, qui sont parfaitement connues et décrites depuis plus de 30 ans, et que tous les professionnels au contact des victimes soient formés à ces connaissances !

À commencer par le mécanisme de sidération qui paralyse l’activité corticale de la victime de viol et l’empêche de réagir. Cela éviterait pour les victimes beaucoup de questions injustifiées, empreintes des pires soupçons.

Une effraction qui balaie les représentations mentales

Le viol crée une effraction psychique et balaie toutes les représentations mentales, toutes les certitudes, le cortex se retrouve alors en panne (nous verrons que cette panne est visible sur les IRM). Il est dans l’incapacité d’analyser la situation et d’y réagir de façon adaptée. La victime est comme pétrifiée, elle ne peut pas crier, ni parler, ni organiser de façon rationnelle sa défense.

Pour sidérer une victime, il faut :

– soit la terroriser par la soudaineté et la brutalité de l’agression, la réduire à l’impuissance par des menaces de mort, par des violences physiques et par une volonté de destruction inexorable ;

– soit la paralyser par le non-sens, le caractère incongru, incompréhensible, impensable de l’agression et de sa mise en scène, qui est alors impossible à intégrer, comme dans les situations de viols incestueux et de viols commis par des personnes dans le cadre de leurs fonctions de responsabilité et d’autorité (comme des professeurs, des entraîneurs, des éducateurs, des responsables religieux, des soignants, etc.) pour les enfants et les adolescents (qui représentent, ne l’oublions pas, plus de la moitié des 150.000 des victimes de viol par an en France), ou pour les adultes dans le cadre de relations de confiance, de responsabilité, où la sécurité devrait normalement être assurée (amis, conjoint, médecins, kinés, collègues de travail, employeurs, policiers, etc.).

Les violences les plus sidérantes sont celles qui sont les plus « insensées », celles qui n’ont aucun sens par rapport au contexte, aucun sens par rapport à la victime, par rapport à son histoire, à ce qu’elle a fait ou pas, à ce qu’elle a dit ou pas. Le viol en fait partie. Cette violence impensable ne concerne pas la victime, c’est une violence qui vient d’une autre scène, celle de l’agresseur !

Ce dernier impose à la victime de jouer de force un rôle qui n’est pas le sien, dans un scénario inconnu d’elle, imprévisible, qui n’appartient qu’à l’agresseur et qu’il met en scène pour son propre compte.

Des troubles de la mémoire importants

Une patiente, violée par un inconnu entré par effraction avec une hache dans sa chambre d’hôtel, me rapportait qu’au bout de quelques minutes, alors qu’elle commençait à sortir de son état de sidération et cherchait autour d’elle un objet pour tenter d’assommer l’agresseur, celui-ci s’en était rendu compte, et il lui avait suffi de lui murmurer « je t’aime » et « tu aimes ça, hein ? » pour qu’elle retombe dans son état de sidération.

De plus, tant que le cortex est en panne, il ne peut pas contrôler la réponse émotionnelle, celle-ci continue alors de monter en puissance, l’organisme se retrouve rapidement en état de stress extrême avec des sécrétions de plus en plus importantes d’hormones de stress, adrénaline et cortisol qui deviennent rapidement toxiques pour le système cardio-vasculaire et le cerveau et représentent un risque vital pour l’organisme.

Pour y échapper, le cerveau (comme lors d’un survoltage dans un circuit électrique) va faire disjoncter le circuit responsable du stress, ce qui va avoir pour effet d’éteindre la réponse émotionnelle, mais aussi de déconnecter les fibres qui informent le cortex des émotions, entraînant une anesthésie émotionnelle et une dissociation (c’est-à-dire état de conscience altérée, un sentiment d’irréalité et d’être spectateur de la scène), et de déconnecter les fibres qui permettent la transformation de la mémoire émotionnelle non consciente en mémoire consciente autobiographique.

Cela va entraîner des troubles de la mémoire : amnésie partielle ou complète du traumatisme et mémoire traumatique, mémoire émotionnelle qui reste piégée, hypersensible, immuable, l’intensité des affects restant intacte, et qui peut « s’allumer » lors de situations, d’affects, de sensations sensorielles rappelant l’événement traumatique, envahissant alors la conscience et faisant de façon incontrôlable revivre à l’identique le viol avec la même détresse, les mêmes angoisses et entraînant la même sidération, le même survoltage et le même risque vital.

Un état de stress post-traumatique

Des expériences effectuées par des scientifiques américains [1] ont permis de mettre en évidence cette paralysie corticale sur des IRM encéphaliques fonctionnelles qu’ils ont faites à chaque fois à deux personnes, une qui a subi de graves violences et qui présente un état de stress post-traumatique, et une autre qui n’a pas subi de violence, ces IRM fonctionnelles permettent de visualiser les zones du cerveau qui s’activent.

Lors de l’examen, les chercheurs font écouter simultanément aux deux personnes un enregistrement avec d’abord un récit neutre, puis soudain un récit de violences extrêmes. Ce récit violent entraîne chez les deux personnes une réponse émotionnelle.

Chez la personne qui n’a pas de troubles psychotraumatiques, on voit sur l’IRM de nombreuses zones corticales s’activer pour répondre au stress déclenché par le récit ce qui permet d’analyser la situation (il ne s’agit que d’un récit) et de moduler et d’éteindre la réponse émotionnelle, la personne développe un discours intérieur qui lui permet de se calmer, et elle peut décider de se plaindre à la fin de l’examen.

En revanche, sur l’IRM de la personne traumatisée, lors du récit des violences on constate une absence d’activité des zones corticales concernant les prises de décision (le cortex frontal ne se colore pas) et une hyperactivation de la zone émotionnelle (amygdale cérébrale), la personne est sidérée, elle ne va pas pouvoir calmer la réponse émotionnelle que le récit a enclenchée.

Une sidération recherchée par l’agresseur

Cette sidération recherchée par l’agresseur est donc à l’origine de tous les troubles psychotraumatiques, en particulier une dissociation et une mémoire traumatique qu’il sera essentiel de traiter.

La dissociation qui anesthésie et déconnecte la victime, l’empêche d’avoir accès à ses émotions et permet à l’agresseur d’assurer encore plus son contrôle et son emprise et de lui imposer facilement son scénario culpabilisant (c’est de ta faute, tu m’as cherché, tu mérites ce que j’ai fait, tu aimes ça…) ou mystificateur (c’est parce que je t’aime, c’est normal, ce n’est pas grave…).

Il peut même parvenir à lui faire jouer un rôle, lui imposer des comportements qui seront ensuite autant de sources de culpabilisation et de honte pour elle, et d’éléments qui pourront lui être ensuite reprochés.

Le fait de n’avoir pas pu réagir, le sentiment d’irréalité, les troubles de la mémoire aggravent les doutes qui submergent la victime et l’empêchent de dénoncer le crime, de revendiquer ses droits (c’est grave, il n’avait pas le droit de me faire ça) et de se reconnaître comme victime. » (Salmona, 2013b)

Bibliographie

Allodocteurs [vidéo]. (2012). Pourquoi parle-t-on de sidération lors d’un viol ? France 5, Le Magazine de la Santé [article, sujet no 2]. 2 novembre 2009, mis à jour le 11 mai 2015 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.allodocteurs.fr/se-soigner/violences/viol-agression-sexuelle/viol-quelle-prise-en-charge-pour-les-victimes_1362.html

Allodocteurs, Rédaction. (2017). Viol : qu’appelle-t-on l’état de sidération ?, FranceInfo [en ligne]. 15 décembre 2017 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: https://www.francetvinfo.fr/sante/affaires/viol-qu-appelle-t-on-letat-de-sideration_2516765.html

American Psychiatric Association. (1996). DSM-IV : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Paris, France : Masson.

Donofrio, Beverly. (2013). J‘ai été violée, à 55 ans, et je n’ai pas crié, Slate.fr [en ligne]. 13 août 2013 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: http://www.slate.fr/story/76104/viol-silence-honte-temoignage

Hopper, Jim. (2017). The Brain Under (Sexual) Attack, Psychology Today [en ligne]. 14 décembre 2017 [consulté le 16 décembre 2017]. Disponible à l’adresse:  https://www.psychologytoday.com/blog/sexual-assault-and-the-brain/201712/the-brain-under-sexual-attack

Graham, Dee. L.R., Rawlings, E. I., Rigsby, R. K. (1994). Loving to Survive: Sexual Terror, Men’s Violence, and Women’s Lives. New York/London, USA/UK : NYU Press.

IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte (2015) – Mémoire Traumatique et Victimologie/Laure Salmona [Diaporama]. (2015). 11 septembre 2015 [consulté le 23 novembre 2015]. Disponible à l’adresse : https://fr.slideshare.net/LaureSalmona/impact-des-violences-sexuelles-de-lenfance-lge-adulte-2015-mmoire-traumatique-et-victimologielaure-salmona

IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte. (2015). SALMONA, Laure, auteure, SALMONA Muriel, coordinatrice. Enquête de l’association Mémoire Traumatique et victimologie avec le soutien de l’UNICEF France dans le cadre de sa campagne #ENDViolence. Téléchargeable à l’adresse: http://stopaudeni.com/ et http://www.memoiretraumatique.org

Kuhni, Marianne. (2017a). L’amnésie traumatique, une mémoire déconnectée pour survivre à l’effroi [en ligne]. 13 décembre 2017. Disponible à l’adresse : https://mariannekuhni.com/2017/12/13/lamnesie-traumatique-une-memoire-deconnectee-pour-survivre-a-leffroi/

Kuhni, Marianne. (2017b). Transcription de l’interview de Muriel Salmona par Marine Périn [en ligne]. 20 décembre 2017. Disponible à l’adresse : https://mariannekuhni.com/2017/12/20/transcription-de-linterview-de-muriel-salmona-par-marine-perin/

Marinette – femmes et féminisme [chaîne Youtube]. (2016a). FOCUS — Violences sexuelles : la sidération psychique [vidéo]. 16 août 2016 [consulté le 14 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=gQc5tmSP_rg

Marinette – femmes et féminisme [chaîne Youtube]. (2016b). FOCUS – La sidération: pour aller plus loin [vidéo]. 19 août 2016 [consulté le 14 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=LVgHxho5i8I&feature=youtu.be

Mc Lellan, Betty. (1995). Beyond Psychoppression : A feminist Alternativ Therapy. North Melbourne, Australie : Spinifex Press.

Nouvel Obs [vidéo à télécharger]. (2012). VIDEO. Ce qui se passe dans le cerveau pendant un viol [article]. 26 novembre 2012 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://tempsreel.nouvelobs.com/societe/viol-le-manifeste/20121123.OBS0352/video-ce-qui-se-passe-dans-le-cerveau-pendant-un-viol.html

Organisation Mondiale de la santé. (2000). CIM-10 : Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement. Paris, France : Masson.

Romito, Patrizia. (2006). Un silence de mortes : La violence masculine occultée. Paris, France : Syllepse.

Salmona, Muriel. (2013a). Le livre noir des violences sexuelles. Paris, France : Dunod.

Salmona, Muriel. (2013b). Une victime de viol qui ne se débat pas, ça ne veut pas dire qu’elle consent, Nouvel Obs, Le Plus [en ligne]. 23 août 2013 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse:  http://leplus.nouvelobs.com/contribution/925105-une-victime-de-viol-qui-ne-se-debat-pas-ca-ne-veut-pas-dire-qu-elle-consent.html

Salmona Muriel. (2015). Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses incontournables. Paris, France : Dunod.

Santé Médecine – Journal des Femmes. (2017). L‘adrénaline Définition [en ligne]. Décembre 2017 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: http://sante-medecine.journaldesfemmes.com/faq/8033-adrenaline-definition

Santé Médecine – Journal des Femmes. (2017). Le cortex cérébral [en ligne]. Décembre 2017 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: http://sante-medecine.journaldesfemmes.com/faq/8329-cortex-cerebral-definition

Santé Médecine – Journal des Femmes. (2017). Le cortisol, l‘hormone du stress [en ligne]. Décembre 2017 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: https://www.femmeactuelle.fr/sante/sante-pratique/cortisol-23596

Santé Médecine – Journal des Femmes. (2017). Le cortisol – Analyse de sang [en ligne]. Décembre 2017 [consulté le 15 décembre 2017]. Disponible à l’adresse: http://sante-medecine.journaldesfemmes.com/faq/6578-cortisol-analyse-de-sang

L’amnésie traumatique, une mémoire déconnectée pour survivre à l’effroi

Les avancées en neurosciences et psychotraumatologie ouvrent aujourd’hui des perspectives intéressantes pour la reconnaissances des violences par la justice. Par exemple, il est probable que les traces des violences que l’on retrouve dans le cerveau et l’ADN des victimes (Kuhni, 2017), ainsi que les souvenirs d’une extraordinaire précision qui ressurgissent après une amnésie traumatique pourront dans un avenir proche servir à faire condamner en justice des agresseurs (violeurs, pédocriminels, etc.).

Sachant que ces agresseurs font rarement une seule victime, ces souvenirs parfaitement conservés et encapsulés momentanément par un processus de survie dans les amygdales cérébrales (mémoire traumatique) pourront sauver d’autres victimes potentielles. C’est pourquoi, même des années après l’agression, cette puissante mémoire qui ressurgit d’une amnésie traumatique peut être un précieux outil de survie et de changement pour la société toute entière.

Toutefois, pour que ces données soient reconnues par la justice comme preuves des agressions subies, il faut dans un premier temps que la loi change, que les délais de prescription soient allongés et surtout que les tribunaux cessent d’utiliser des théories sans aucun fondement scientifique telle la théorie des faux souvenirs pour décrédibiliser la parole des victimes. Pour cela, il faut que les juges et les expert-e-s soient solidement formé-e-s à la psychotraumatologie et aux processus de violence (phénomènes d’emprise, grooming, cycle de la violence, etc.).

Andrea Dworkin « Souvenez-vous, résistez, ne pliez pas »

La puissance de la résurgence des souvenirs après une amnésie traumatique pour changer la société me fait penser à la légendaire féministe Andrea Dworkin et à sa célèbre phrase :

« Souvenez-vous, résistez, ne pliez pas » (Dworkin, 2007)

Ces mots d’Andrea Dworkin nous disent à quel point le souvenir des agressions est un outil majeur pour mettre fin aux violences . Donc intéressons-nous à la parole courageuse des personnes qui sortent d’une amnésie traumatique, soyons solidaires avec elles pour faire reconnaître ces violences. Ces souvenirs très précis des agressions sont une clef vitale pour un réel changement de société.

Voici, résumé en quelques mots, le message d’où est tiré cette célèbre phrase « Souvenez-vous, résistez, ne pliez pas ». En 1995, à Toronto, Andrea Dworkin a livré devant une assemblée de femmes un message à l’occasion d’un colloque intitulé « The Future of Feminism ». Dans ce message d’une grande puissance, elle demande aux femmes de se souvenir, de résister et de ne pas plier face aux violences sexistes et à la domination masculine. Plus précisément, elle demande aux femmes de se souvenir des violences sexistes, des agresseurs et des victimes qui sont la plupart du temps oubliées ; de résister aux hommes et aux agresseurs ; de ne pas plier (ou céder) face à la domination masculine. Elle demande aux femmes de « briser le silence », de commencer à parler de tout ce qui a toujours été caché, occulté, parce que les femmes n’ont jamais eu la parole. Dans toute l’histoire de l’humanité, les femmes ont toujours été silenciées et tout a été décidé et fait sans elles. Elle demande aux femmes de ne pas oublier toutes ces femmes violées et tuées par les hommes et que cette mémoire serve de base à la résistance des femmes. (Tradfem, 2017)

Ce message d’Andrea Dworkin est d’une grande actualité, puisque le hashtag #metoo a précisément lancé une vague de résistance basée sur la parole des victimes et le souvenir des violences sexuelles.

Dans un autre texte célèbre intitulé « Je veux une trêve de 24 heures durant laquelle il n’y aura pas de viol », Andrea Dworkin exprime ces mêmes notions :

« Nous n’avons pas l’éternité devant nous. Certaines d’entre nous n’ont pas une semaine de plus ou un jour de plus à perdre pendant que vous discutez de ce qui pourra bien vous permettre de sortir dans la rue et de faire quelque chose. Nous sommes tout près de la mort. Toutes les femmes le sont. Et nous sommes tout près du viol et nous sommes tout près des coups. (…) Toutes les trois minutes une femme est violée. Toutes les dix-huit secondes une femme est battue par son conjoint. Il n’y a rien d’abstrait dans tout cela. Ça se passe maintenant, au moment même où je vous parle. (…) C’est fait ici et c’est fait maintenant et c’est fait par les gens dans cette salle aussi bien que par d’autres contemporains : nos amis, nos voisins, des gens que l’on connaît. (…) ce jour où pas une femme ne sera violée, nous commencerons la pratique réelle de l’égalité, parce que nous ne pouvons pas la commencer avant ce jour-là. Avant ce jour-là, elle ne veut rien dire parce qu’elle n’est rien ; elle n’est pas réelle ; elle n’est pas vraie. Mais ce jour-là, elle deviendra réelle. Et alors, plutôt que le viol, pour la première fois dans nos vies – tant les hommes que les femmes –, nous commencerons à faire l’expérience de la liberté. » (Tradfem, 2014b)

Dans autre texte intitulé « Terreur, torture et résistance », Andrea Dworkin invite à sortir de l’amnésie individuelle et sociétale qui permet aux agresseurs de poursuivre leur violences :

« Nous vivons sous un règne de terreur. Et ce que je vous dis aujourd’hui, c’est que je veux que nous cessions de trouver ça normal. Et la seule façon de cesser de trouver ça normal est de refuser d’être amnésiques chaque jour de nos vies. De nous rappeler ce que nous savons du monde dans lequel nous vivons. Et de nous lever chaque matin, décidées à faire quelque chose à ce sujet. » (Tradfem, 2014a)

Ces mots d’Andrea Dworkin sont des soutiens pour appréhender pleinement l’importance de la prise en compte des souvenirs d’une grande précision qui ressurgissent après une amnésie traumatique, car ces souvenirs sont un bienfait pour la société entière.

Mié Kohiyama

La journaliste franco-japonaise Mié Kohiyama milite pour que l’amnésie traumatique soit reconnue dans les procédures et que le délai de prescription soit allongé pour tenir compte de cette amnésie à laquelle sont confrontées un très grand nombre de victimes de violences (env. 40% des victimes).

Mié Kohiyama a été elle-même victime de viols à l’âge de 5 ans, avec une amnésie traumatique qui a duré 32 ans. Suite à la résurgence de ses souvenirs traumatiques, elle a écrit un livre sur ce thème : « Le petit vélo blanc » (B., 2015) avec le pseudo Cécile B. Cette journaliste utilise le terme de « mémoire «gelée dans le temps » » qui représente parfaitement ces souvenirs laissés tels quels, avec une précision absolue, comme s’ils avaient été enregistrés avec « une caméra à la main » (Kohiyama, 2017) et que, pour survivre à l’effroi glaçant causé par le viol, cet enregistrement a été figé, conservé par la glaciation du traumatisme depuis des années.

Pour faire connaître l’amnésie traumatique au plus grand nombre, Mié Kohiyama a créé une page Facebook sur laquelle on trouve de nombreux témoignages de victimes ayant été confrontées à une amnésie traumatique. Le nom de cette page est « moiaussiamnésie » (Moiaussiamnésie, 2017), sans doute en référence au hashtag #meetoo qui a permis la libération de la parole des victimes.

Dans une tribune publiée le 14 novembre 2017 dans Le Monde, Mié Kohiyama demande précisément à ce que la loi tienne compte du fait que le souvenir d’un traumatisme ressurgit souvent longtemps après le délai de prescription en raison de l’amnésie traumatique.

Voici le début de ce texte : « La récente actualité autour de l’animatrice Flavie Flament a remis sur le devant de la scène la question de l’amnésie traumatique, qui touche 40% des mineurs victimes de viols et peut durer plus de quarante ans, selon les travaux des psychologues Linda Meyer Wil­liams et Cathy Widom et l’enquête sur l’impact des violences sexuelles dans l’enfance de l’association Mémoire traumatique et victimologie.

Le mécanisme est désormais bien connu médicalement et scientifiquement, comme l’explique la psy­chiatre Muriel Salmona. « Il s’agit d’un mécanisme neurobiologique de sauvegarde bien documenté que le cerveau déclenche pour se protéger de la terreur et du stress extrême générés par les violences qui présentent un risque vital (cardio-vasculaire et neurologique). (…) Ce mécanisme fait disjoncter les circuits émotionnels et ceux de la mémoire, et entraîne des troubles dissociatifs et de la mémoire, responsables des amnésies et d’une mémoire traumatique. »

Il y a quatre ans, j’ai été l’une des pionnières à médiatiser ce sujet en France en menant la première procédure devant la Cour de cassation, aux côtés du bâtonnier Gilles-Jean Portejoie, pour demander une révision des délais de prescription, à la suite des viols dont j’ai été victime en 1977, soit il y a quarante ans. J’avais alors 5 ans.

C’est un cousin éloigné, âgé de 39 ans à l’époque, qui s’en est pris à l’enfant que j’étais, de façon particulièrement brutale. Mon cerveau a occulté les faits, qui ont ressurgi avec une violence inouïe en 2009 à la suite d’un choc émotionnel et d’une séance d’hypnose. Ces souvenirs ont explosé à ma conscience avec une précision « chirurgicale », comme si j’avais une caméra à la main et que je revivais les scènes dans ma chair.

Mémoire « gelée dans le temps »

Un mécanisme expliqué par le fait que la mémoire traumatique est comme « gelée dans le temps », contrairement à la mémoire autobiographique qui, elle, est plus [aléatoire, explique la docteure Salmona. « La mémoire traumatique est une mémoire émotionnelle (…)] » (Kohiyama, 2017)

Flavie Flament

L’animatrice de radio/TV et autrice Flavie Flament dont parle Mié Kohiyama dans sa tribune (Kohiyama, 2017) milite également pour l’allongement du délai de prescription des crimes sexuels commis sur des mineur.e-s.

Flavie Flament a elle-même été violée par un célèbre photographe à l’âge de 13 ans, avec une amnésie traumatique qui a duré 22 ans. En 2009, au cours d’une séance de psychothérapie, le souvenir du viol lui est brutalement revenu. En 2016, elle a publié un livre intitulé « La consolation » dans lequel elle parle de son histoire et du viol en alternant des passage à la 1ère personne et des passages à la 3ème personne, mais sans jamais citer de noms réels et en utilisant pour elle-même le surnom de « Poupette ».

Le 22 novembre 2016, Flavie Flament a été nommée par Laurence Rossignol (ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes) à la tête d’une mission gouvernementale de réflexion sur le prolongement du délai de prescription pour les viols. En avril 2017, cette mission a proposé de passer le délai de 20 à 30 ans dans les cas de crimes sexuels commis sur des mineurs.

Le 7 novembre 2017, Flavie Flament était avec Elise Lucet sur le plateau de C à vous (talk-show de France 5) pour présenter le reportage de France 5 intitulé « Viols sur mineurs : mon combat contre l’oubli » qui a été diffusé le 15 novembre 2017 (France 5, 2017). Au cours de cette émission, la journaliste qui présente le sujet se réjouit qu’il y ait enfin une étude scientifique du traumatisme. Elle précise qu’il y a 40 % des victimes qui ont une amnésie totale qui peut durer des années et que cette amnésie peut s’expliquer neurologiquement. S’en suivent des extraits du reportage de France 5. On y entend la neurologue et une voix off pour Flavie Flament : « Quand on a un stress continu avec finalement une production anormale de stress, d’hormone du stress, de cortisol, l’hippocampe va être la cible de ce cortisol. » (la neurologue), « Les vagues de stress émotionnel ont donc affecté mes hippocampes, bloqué mes souvenirs traumatiques, et provoqué mon amnésie. » (voix off), « Donc là, chez un sujet du même âge, on voit que la hauteur de l’hippocampe, ici, est normale, c’est-à-dire que la structure grise qui est l’hippocampe occupe toute la place. Alors que sur l’IRM de Flavie, on voit que cette même structure qui est ici n’occupe pas toute la place, toute la hauteur. Et à la place, on voit ce liseré noir qui est un liseré de liquide céphalo-rachidien. Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est la preuve d’une souffrance chronique matérialisée sur ces hippocampes. » (la neurologue). La journaliste termine le sujet en disant : « Donc grâce à cet IRM, on découvre les marqueurs de la souffrance, ce qui ouvre quand même des perspectives incroyables : déjà on sait que la violence a un impact sur le cerveau et sur le développement cérébral. »

Dans un article à propos de l’ADN et du cerveau (Kuhni, 2017), vous trouverez une transcription complète de cette partie du reportage « Viols sur mineurs : mon combat contre l’oubli » de France 5 dans laquelle Flavie Flament discute avec deux neurologues de ses IRM.

L’amnésie traumatique, un mécanisme neurologique de survie

« Ses souvenirs étaient « enfermés » en elle comme « à double tour ». Ces confidences, extraites du documentaire Viols sur mineurs : un combat contre l’oubli, diffusé mercredi 15 novembre sur France 5 – et écrit par l’animatrice Flavie Flament –, ont remis en lumière l’amnésie traumatique.

(…) L’amnésie traumatique décrit une période pendant laquelle une personne n’a pas conscience des violences qu’elle a subies. Le souvenir, enfoui dans le cerveau, est inaccessible à cause d’une dissociation qui s’opère au moment du traumatisme. A ce moment-là, « pour se protéger de la terreur et du stress extrême générés par les violences, le cerveau disjoncte et déconnecte avec les circuits émotionnels et ceux de la mémoire », explique Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie.

Le phénomène peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années. « C’est comme regarder un paysage montagneux dans un épais brouillard, on devine que quelque chose se cache derrière mais on ne sait pas quoi exactement », décrypte la psychiatre. C’est pourquoi, bien souvent, on constate chez les personnes atteintes d’amnésie traumatique une « sensation de vide », une « souffrance » :

« Elles ont l’impression d’avoir subi quelque chose sans savoir quoi. Elles n’ont pas véritablement oublié leur traumatisme mais émotionnellement, elles n’y ont pas accès à cause de la dissociation. »

La remontée brutale des souvenirs a généralement lieu quand la victime n’est plus exposée à son agresseur ou quand elle vit un changement radical, comme la perte d’un proche, une rencontre, une émigration ou un bouleversement émotionnel du type grossesse ou maladie. 

(…) Découverte au début du XXe siècle, l’amnésie traumatique a d’abord été décrite chez des soldats traumatisés qui ne se souvenaient plus des combats. Mais c’est chez les victimes de violences sexuelles dans l’enfance que l’on retrouve le plus d’amnésies traumatiques, « leur cerveau étant beaucoup plus vulnérable aux violences et au stress extrême ainsi qu’aux traumatismes qu’elles entraînent », précise Muriel Salmona.

Le phénomène peut également toucher des personnes ayant subi dans l’enfance un traumatisme comme la mort d’un proche, ou encore des victimes d’attentat, comme le décrit Mme Salmona (…)

Dans une enquête réalisée en 2015 par le collectif Stop au déni auprès de 1 214 victimes de violences sexuelles, 37 % des victimes mineures ont rapporté des périodes d’amnésies traumatiques qui ont duré jusqu’à quarante ans, et même plus longtemps dans 1 % des cas. Elles ont duré entre vingt et un et quarante ans pour 11 % d’entre elles, entre six et vingt ans pour 29 % et moins de un an à cinq ans pour 42 %.

C’est au regard de ces résultats que plusieurs associations de victimes, telles que Mémoire traumatique et victimologie, ont fait campagne pour que les délais de prescription en cas de viol ou d’agression sexuelle, jugés « inadaptés », soient allongés.

Ainsi, en 2016, Laurence Rossignol, alors ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, confie une mission sur le viol et les délais de prescription au magistrat Jacques Calmettes et à l’animatrice Flavie Flament, violée à l’âge de 13 ans par le photographe David Hamilton et victime d’une amnésie traumatique qu’elle a racontée dans un livre, La Consolation. » (Alouti, 2017b)

Dans le texte qui suit, Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie donne une explication très claire et synthétique de l’ensemble du processus neurologique enclenché pour survivre à une situation de violence extrême, processus qui peut précisément produire une amnésie traumatique dans environ 40 % des cas, selon l’étude précitée : «  « La violence génère un état de sidération des fonctions supérieures du cerveau (cortex frontal et hippocampe) qui, en empêchant le contrôle et la modulation de la réponse émotionnelle, entraîne un stress dépassé avec des sécrétions non contrôlées d’hormones de stress (adrénaline et cortisol) qui représente un risque vital cardiologique et neurologique. Pour échapper à ce risque, le cerveau met en place un mécanisme de sauvegarde neurobiologique avec une production d’un cocktail de drogues assimilables à de la morphine et de la kétamine, qui fait disjoncter le circuit émotionnel. Cette disjonction isole la petite structure sous-corticale responsable de la réponse émotionnelle (l’amygdale cérébrale) et stoppe la sécrétion d’adrénaline et de cortisol par les surrénales, ce qui évite le risque vital mais crée un état de dissociation traumatique avec anesthésie émotionnelle du fait de l’interruption du circuit émotionnel, et une mémoire traumatique du fait de l’interruption du circuit d’intégration de la mémoire. Cette mémoire traumatique est une mémoire émotionnelle qui n’a pas été intégrée par l’hippocampe pour la transformer en mémoire autobiographique. Elle n’est pas consciente et elle contient, de façon indifférenciée, les violences, leurs contextes, les ressentis, les cris, les paroles de la victime et de l’agresseur. Au moindre lien rappelant les violences, elle est susceptible d’envahir le psychisme de la victime, et de lui faire revivre tout ou partie de ce qu’elle a subi, comme une machine infernale à remonter le temps. C’est une torture, elle transforme l’espace psychique de la victime en un terrain miné. » » (Apprendre à éduquer, 2017)

Mémoire, survie et pathologie, guérison

L’une des fonctions vitales de la mémoire est de nous protéger des dangers en conservant le souvenir des situations dans lesquelles un danger est apparu. Cette mémoire de survie permet d’éviter de se confronter à nouveau à des situations similaires (prévention), ou du moins, de se préparer à réagir si elles réapparaissent (action).

Toutefois, grâce à la psychotraumatologie et aux neurosciences, on sait aujourd’hui que pour préserver la vie d’une personne confrontée à une situation d’effroi (viols, tentatives de meurtre, attentats, par exemple) et par conséquent à un risque vital au niveau cardiologique et neurologique, des mécanismes neurologiques de survie vont bloquer l’événement traumatique dans l’amygdale cérébrale sous la forme d’une mémoire traumatique qui ne sera pas accessible consciemment. Autrement dit, pour permettre à la personne d’échapper à une mort cardiaque ou neurologique, une porte se ferme dans l’amygdale cérébrale (mémoire émotive, inconsciente, non encore traitée) pour empêcher l’information d’aller normalement vers l’hippocampe qui est chargé de la transformer en mémoire autobiographique (mémoire consciente).

Amygdale cérébrale

Hippocampe

Mais cette mémoire déconnectée est toujours accessible aux processus inconscients, afin de permettre à la victime d’assurer sa survie en développant des stratégies de protection, même sans avoir le souvenir conscient de la situation d’effroi. L’amnésie traumatique constitue donc un mécanisme extrêmement élaboré de l’organisme pour lui permettre de survivre à un trauma très violent. Il est probable, comme nous le verrons ci-après, que plus l’émotion est forte (effraction psychique) et plus l’atteinte au corps est violente (effraction corporelle), plus l’événement s’inscrira de façon extrêmement précise dans la mémoire, avec le moindre détail de ce que la victime a perçu au moment de l’agression. C’est sans doute la raison pour laquelle, lorsque la mémoire de l’événement traumatique ressurgi, par flash-backs, par exemple, cette mémoire est d’une précision impressionnante, avec des détails très précis (par exemple, les motifs de la tapisserie que la victime voyait pendant le viol, etc.).

C’est en général la mise en sécurité et la fin définitive de la situation d’agression (mort de l’agresseur, etc.) ou le contact avec un événement similaire qui vont la plupart du temps permettre de réveiller cette mémoire brutalement et recréer l’espace d’un instant la connexion avec cette mémoire. Par exemple, j’accompagnais en thérapie depuis quelques mois une jeune femme qui m’avait consultée pour des crises de tétanie foudroyantes. Lorsque cette jeune femme s’est trouvée pour la première fois à faire une fellation à un homme avec lequel elle se sentait en confiance, en sécurité, les souvenir d’un viol qu’elle a subi à l’âge de 5 ans ont ressurgi brutalement. Il s’agissait précisément d’une fellation et l’agresseur était son oncle. Elle a revu la scène de façon très précise, le sexe de son oncle, la chambre à coucher de son oncle, etc. Comme cette jeune femme était en thérapie, nous avons immédiatement travaillé sur ce viol et peu après, les crises de tétanie ont cessé.

Hippocampe et amygdale

Toutefois, malgré l’efficacité de ce mécanisme de survie, avec le temps, cette mémoire traumatique, ce contenu inconscient encapsulé dans l’amygdale cérébrale va la plupart du temps créer une forte anxiété, une forte tension, avec le risque de créer des troubles psychiques et physiques souvent sévères, et ceci pendant des années, voire toute une vie si aucun traitement n’est fait. C’est la raison pour laquelle, il faut absolument et le plus rapidement possible traiter cette mémoire traumatique. La psychothérapie va permettre à la personne de réaccéder ces matériaux psychiques dans un environnement sécurisant et de les remettre en circulation. Ce travail autour de la mémoire traumatique doit se faire dans des conditions ultra-sécures, avec beaucoup de bienveillance, une grande prudence, et, surtout, un grand professionnalisme, c’est-à-dire avec des professionnel-le-s formé-e-s et expérimentée-s. Ainsi, peu à peu, cette mémoire déconnectée va pouvoir émerger en toute sécurité à la conscience parce que la personne aura pris pleinement conscience qu’elle n’est plus en danger, qu’elle n’est plus une enfant ou une personne vulnérable (face à un viol, un attentat, etc,) et qu’elle a les ressources pour contacter corporellement et émotionnellement ce contenu traumatique, cet événement effroyable qu’elle avait du mettre de côté pour survivre. La mémoire traumatique (enfermée dans l’amygdale cérébrale) va ainsi être libérée et pouvoir enfin prendre le circuit cérébral normal vers la transformation en mémoire autobiographique (travail de l’hippocampe).

Fosse postérieure du cerveau

Mémoire, émotions et mouvement

Les neurosciences ont évolué rapidement depuis quelques décennies, mais n’en sont sans doute qu’au début de leurs découvertes dans le domaine fascinant et complexe de la mémoire. « (…) les scientifiques commencent à peine à comprendre comment fonctionne la mécanique des souvenirs. » (Molga, 2017). « « Plus la recherche en neurosciences avance, plus on comprend que de nombreux centres cérébraux sont impliqués dans la mémoire, (…) On suppose que les multiples aspects d’un souvenir sont stockés à différents endroits. À un endroit, il va y avoir la composante émotionnelle, à un autre la composante sensorielle, à un troisième l’aspect factuel… » » (Dufour, 2017)

Une corrélation entre puissance d’impression de la mémoire et puissance des émotions a été observée depuis fort longtemps, ce qui expliquerait la précision chirurgicale des souvenirs ressurgissant de la mémoire traumatique suite à une amnésie traumatique, ou, plus largement, des souvenirs très nets des personnes ayant vécu un trauma sans pour autant déclencher une amnésie traumatique.

«  (…) plus la charge émotionnelle associée au souvenir est forte, mieux on s’en souvient. « À Toulouse, la plupart des gens savent ce qu’ils faisaient lors de l’explosion de l’usine AZF, même s’ils n’étaient pas en train de faire attention à leurs activités » (…). » (Dufour, 2017)

Mieux encore, en 2016, une étude a constaté qu’une personne exposée à des émotions fortes imprime mieux dans sa mémoire les événements qui suivent, même s’ils n’ont pas créé d’émotion particulière pour elle (Actu Santé, 2016). Autrement dit, les émotions fortes semblent augmenter la capacité à mémoriser, et ceci même au-delà de l’instant fortement émotionnel.

Une hypothèse couramment admise au début des années 90 a été que la mémoire ne s’imprime que s’il y a suffisamment d’émotion. « Une expérience ne peut être mémorisée que lorsqu’une émotion suffisante est suscitée » (Ginger, 1995, p. 97). Cette hypothèse s’est appuyée sur les connaissances de l’époque des neurosciences, notamment par le fait que la mémoire et les émotions sont traitées par la même zone du cerveau : le système limbique (zone logée en profondeur au centre du cerveau).

« Terme introduit par Paul MacLean en 1952, le système limbique fut longtemps considéré comme le siège des émotions (agressivité, peur, plaisir, colère). Mc Lean proposa que le cerveau était composé de trois parties : le cerveau reptilien, le système limbique et le néocortex. » (Neuromedia, 2017).

Le système limbique fut d’ailleurs surnommé le « cerveau émotionnel », dénomination utilisée par exemple par le neuropsychiatre et chercheur David Servan-Schreiber (Psychologies, 2003), fondateur de l’Institut français d’EMDR et de l’association EMDR-France. Notons au passage que le système limbique contient précisément l’hippocampe (rôle central dans les processus de mémorisation / mémoire épisodique ou autobiographique) et l’amygdale cérébrale (rôle central dans la gestion des émotions / mémoire émotive) dont nous découvrons depuis quelques années le rôle essentiel en psychotraumatologie.

Une autre hypothèse a été que la mémoire s’imprime plus fortement lorsqu’il y a du mouvement. Cette hypothèse s’est également appuyée sur les neurosciences de l’époque, notamment par le fait que l’hémisphère cérébral droit est majoritairement émotionnel, corporel, intuitif, visio-spatial (images et espace), alors que l’hémisphère cérébral gauche est majoritairement verbal, rationnel, analytique. Autrement dit, l’hémisphère cérébral droit prend en charge à la fois les émotions et l’espace (Ginger, 1992, p. 321), en tant que navigation spatiale (sens spatial, orientation, etc.). Partant de là, il n’est pas incohérent d’imaginer que le mouvement puisse avoir un impact identique à celui des émotions sur les processus de mémorisation. Et c’est effectivement ce qui a été observé dans les processus d’apprentissage, sachant que l’hémisphère gauche gère également les apprentissages.

« C’est en effet l’hémisphère droit qui gère – avec son approche globale – la nouveauté et tous les apprentissages, comme l’explique Elkhonon Goldberg (In Prodiges du cerveau – Robert Laffont, 2007), professeur de neurologie à l’école de médecine de l’université de New York, aux États-Unis. Toutes les informations nouvelles passent donc par l’hémisphère droit, le gauche servant au stockage et à l’organisation plus précise et systématique de nos savoirs. » (Psychologies, 2008)

En partant des hypothèses d’une mémorisation favorisée par émotion et mouvement, il n’y aurait donc rien de plus inefficace pour la mémorisation qu’un-e élève passif-ve (assis à un pupitre, par exemple) face à un-e professeur-e incapable de mobiliser de l’émotion chez ses élèves. Depuis, les données en neurosciences ont servi à étayer progressivement les hypothèses des sciences cognitives, ainsi que les méthodes de pédagogie active dans laquelle les élèves/étudiant-e-s participent activement (Pelvillain, 2015). Les thérapies dites « psycho-corporelles » et « psycho-émotionnelles » se sont pour la plupart développées avant que les neurosciences n’apportent ce premier éclairage. En revanche, les thérapeutes intéressé-e-s par les neurosciences y ont sans doute vu une confirmation de l’intérêt d’un travail thérapeutique corporel et émotionnel (Ginger, 1992, pp. 297-324).

Instrumentalisation sexiste des neurosciences

La découverte des neurosciences concernant les hémisphères cérébraux a malheureusement été aussitôt genrée de façon bien patriarcale en attribuant des valeurs féminines et masculines aux cerveaux gauche et droit. Par exemple, certain-e-s ont prétendu que les femmes fonctionneraient majoritairement avec le cerveau gauche (de façon logique, rationnelle, verbale, non émotive, etc.) et les hommes fonctionneraient majoritairement avec le cerveau droit (de façon émotive, non verbale, créative, imaginative, spatiale, etc.) (Ginger, 1992, pp. 322-324).

Cette manière de genrer le cerveau ne sert qu’à aggraver les inégalités et des discriminations pour les femmes et les filles, alors que l’on trouve autant de représentant-e-s de chaque sexe dans les différentes spécificités. Ces stéréotypes de genre ont même souvent inversé la situation puisque les hommes parlent plus que les femmes. Or, ces pseudo-scientifiques ont attribué le fait de parler beaucoup aux femmes, ce qui est un comble alors qu’elles ne peuvent souvent pas s’exprimer et que leur parole est sans cesse coupée par celle des hommes.

Système limbique, hippocampe, amygdale et cortex préfrontal

Pour celles et ceux que cela intéresse, voici quelques très brèves explications concernant les parties et structures du cerveau dont parle cet article.

Système limbique

Source : Mémoire Traumatique et Victimologie

Situé dans le système limbique qui est un groupe de structures de l’encéphale, l’hippocampe (structure du cerveau) joue un rôle essentiel dans l’acquisition des connaissances et la gestion de la mémoire autobiographique « Hippocampe : contrôle de l’humeur, mémorisation, concentration, acquisition de connaissance (…) L’hippocampe participe à des fonctions aussi essentielles à la vie relationnelle que la régulation de l’humeur, l’acquisition des connaissances et de façon plus générale, à l’adaptation d’un individu à son environnement. »  (Neuroplasticité, 2016)

Également logée dans le système limbique, l’amygdale cérébrale (structure du cerveau) joue un rôle essentiel dans toutes les situations de stress et la gestion des émotions. « Amygdale : gestion des émotions, réactions de peur, anxiété, agressivité (…) Structure en forme d’amande située près de l’hippocampe, l’amygdale joue un rôle essentiel dans la gestion de nos émotions et en particuliers nos réactions de peur et d’anxiété. Siège de nos émotions les plus primitives, l’amygdale reçoit des afférences directes de différentes modalités sensorielles et se projette sur de nombreuses régions cérébrales, comme l’hippocampe ou l’hypothalamus. L’action amygdalienne a donc un rôle de survie car c’est elle qui nous fait réagir en une fraction de seconde à la suite d’un stimulus menaçant. L’amygdale a également un rôle important dans la reconnaissance des émotions. » (Neuroplasticité, 2016)

Quant au cortex préfrontal qui est la partie antérieure du cortex du lobe frontal du cerveau, il prend en charge le mental, le rationnel et la mémoire à court terme : « Cortex préfrontal : mémoire à court terme, prise de décision, prise d’initiative (…) A l’inverse des structures du système limbique qui dominent notre comportement lié aux émotions, le cortex préfrontal est en charge de notre capacité d’adaptation. C’est le cerveau de l’intelligence, de l’esprit d’initiative, de la prise de décision, du sang-froid. » (Neuroplasticité, 2016)

Cortex préfrontal

Bibliographie

Actu Santé. (2016). Les émotions fortes améliorent la mémoire à long terme selon une étude, La Dépêche [en ligne]. 27 décembre 2016 [consulté le 8 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.ladepeche.fr/article/2016/12/27/2486428-emotions-fortes-ameliorent-memoire-long-terme-selon-etude.html

Alouti, Feriel. (2017a). Amnésie traumatique : « Deux minutes après m’être allongée sur la table de soin, j’ai revécu la scène », Le Monde Société [en ligne]. 9 novembre 2017 [consulté le 8 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/11/09/amnesie-traumatique-deux-minutes-apres-m-etre-allongee-sur-le-divan-j-ai-revecu-la-scene_5212823_3224.html

Alouti, Feriel. (2017b). Qu’est-ce que l’amnésie traumatique ?, Le Monde Société [en ligne]. 9 novembre 2017 [consulté le 8 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/11/09/trois-choses-a-savoir-sur-l-amnesie-traumatique_5212819_3224.html

Apprendre à éduquer (2017). Pourquoi la violence s’auto alimente de générations en générations (les effets de la mémoire traumatique et des violences éducatives ordinaires). 18 septembre 2017 [consulté le 8 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://apprendreaeduquer.fr/violence-memoire-traumatique-veo-salmona/

B, Cécile. (2015). Le petit vélo blanc. Après 32 ans d’amnésie, le viol d’un enfant peut-il rester impuni ? Paris, France : Calmann-Lévy

Dortier, Jean-François. (2017). Où se situe la mémoire ?, Magazine Sciences Humaines [en ligne]. 9 janvier 2017 [consulté le 12 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.scienceshumaines.com/ou-se-situe-la-memoire_fr_33368.html

Dworkin, Andrea. (2007). Pouvoir et violence sexiste. Montréal, Québec : Éditions Sisyphe

Dufour, Audrey. (2017). Dans le cerveau, les zones encore floues de la mémoire, La Croix [en ligne]. 16 Mai 2017 [consulté le 12 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Sciences-et-ethique/cerveau-zones-encore-floues-memoire-2017-05-16-1200847456

France Info. (2017). Flavie Flament : « Votre cerveau oublie de qui est insoutenable » [article]. 20 novembre 2017 [consulté le 8 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.francetvinfo.fr/sante/enfant-ado/flavie-flament-votre-cerveau-oublie-ce-qui-est-insoutenable_2477600.html

Ginger, Serge. (1992). La Gestalt. Une thérapie du Contact. Paris, France : Hommes et Groupes Editeurs

Ginger, Serge. (1995). La Gestalt. L’art du Contact. Alleu, Belgique : Marabout

Girault, Jean-Antoine. (2017). Cerveau : où se trouve le siège de la mémoire ?, Le Figaro Santé [en ligne]. 13 mars 2017 [consulté le 8 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://sante.lefigaro.fr/article/cerveau-ou-se-trouve-le-siege-de-la-memoire-/

Kohiyama, Mié. (2017). « Contre le viol d’enfants, faisons entrer l’amnésie traumatique dans la loi », Le Monde Idées [en ligne]. 14 novembre 2017 [consulté le 8 décembre 2017]. Disponible à l’adresse  : [accès par abonnement ou payant] http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/11/14/contre-le-viol-d-enfants-faisons-entrer-l-amnesie-traumatique-dans-la-loi_5214399_3232.html

Kuhni, Marianne. (2017). Les violences sexuelles subies dans l’enfance s’inscrivent dans l’ADN et le cerveau [en ligne]. 1er décembre 2017. Disponible à l’adresse : https://mariannekuhni.com/2017/12/01/les-violences-sexuelles-subies-dans-lenfance-sinscrivent-dans-ladn-et-le-cerveau/

Moiaussiamnésie. (2017). Moiaussiamnésie. Facebook [en ligne]. [consulté le 10 décembre 2017]. Disponible à l’adresse  : https://www.facebook.com/Moiaussiamnesie/

Molga, Paul. (2017). Mémoire, le cerveau livre ses secrets, Les Echos [en ligne]. 10 avril 2017 [consulté le 12 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : . https://www.lesechos.fr/10/04/2017/LesEchos/22422-041-ECH_memoire—le-cerveau-livre-ses-secrets.htm

Neuromedia. (2017). Le système limbique [en ligne]. 14 septembre 2017 [consulté le 9 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://www.neuromedia.ca/le-systeme-limbique/

Neuroplasticité. (2016). Le Stress [en ligne]. 2016 [consulté le 8 décembre 2017] Disponible à l’adresse : https://www.neuroplasticite.com/mecanismes-neuroplasticite/stress/

Pelvillain, Nadine. (2015). Que nous disent les neurosciences cognitives pour le champ de la pédagogie ? [en ligne]. 1er septembre 2015 [consulté le 9 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://tisserlesliens.wordpress.com/2015/09/01/que-nous-disent-les-neurosciences-cognitives-pour-le-champ-de-la-pedagogie/

Psychologies. (2003). Guérir autrement [en ligne]. Avril 2003 [consulté le 9 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://www.psychologies.com/Bien-etre/Medecines-douces/Se-soigner-autrement/Articles-et-Dossiers/Guerir-autrement

Psychologies. (2008). Êtes-vous plutôt cerveau gauche ou cerveau droit ? [en ligne]. Mai 2008 [consulté le 9 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://www.psychologies.com/Moi/Se-connaitre/Personnalite/Articles-et-Dossiers/Etes-vous-plutot-cerveau-gauche-ou-cerveau-droit

Quillet, Lucile. (2016). Amnésie traumatique : comment peut-on « oublier » un viol ?, Le Figaro Madame [en ligne]. 26 octobre 2016 [consulté le 8 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://madame.lefigaro.fr/bien-etre/amnesie-traumatique-comment-peut-on-oublier-un-viol-251016-117468

Salmona, Muriel. (2013a). Le cerveau des victimes de violences sexuelles serait modifié: ce n’est pas irréversible, Nouvel Obs Le Plus [en ligne]. 18 juin 2014 [consulté le 30 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/889153-le-cerveau-des-victimes-de-violences-sexuelles-serait-modifie-ce-n-est-pas-irreversible.html

Salmona, Muriel. (2013b). L’impact psychotraumatique des violences sur les enfants : la mémoire traumatique à l’œuvre in La revue de santé scolaire & universitaire, La protection de l’enfant. Janvier-Février 2013, no 19, pp. 21-25 [en ligne]. [consulté le 8 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2013-impact-psycho_violences_Salmona.pdf

Salmona, Muriel. (2013c). Impact des violences sexuelles sur la santé des victimes : la mémoire traumatique à l’oeuvre in Pratique de la psychothérapie EMDR, sous la direction de Cyril Tarquinio et Al., Dunod, 2017, & 19, pp 207-218 [en ligne]. [consulté le 8 décembre 2017] Disponible à l’adresse : https://post-traumatique/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2017-Aide-memoire-Dunod-Impact-des-violences-sexuelles-la-memoire-traumatique-a-l-œuvre.pdf

Salmona, Muriel. (2016). Châtiments corporels et violences éducatives : Pourquoi il faut les interdire en 20 questions réponses. Paris, France : Dunod.

Salmona, Muriel. (2018). L’amnésie traumatique. Un mécanisme dissociatif pour survivre [en ligne]. 19 janvier 2018 [consulté le 20 janvier 2018]. Disponible à l’adresse : http://stopauxviolences.blogspot.ch/2018/01/lamnesie-traumatique-un-mecanisme.html

Tradfem. (2014a). Andrea Dworkin: Terreur, torture et résistance [en ligne]. 25 octobre 2014 [consulté le 11 décembre 2017]. Disponible à l’adresse :  https://tradfem.wordpress.com/2014/10/25/andrea-dworkin-terreur-torture-et-resistance/

Tradfem. (2014b). Andrea Dworkin: Je veux une trêve de 24 heures durant laquelle il n’y aura pas de viol [en ligne]. 15 novembre 2014 [consulté le 11 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://tradfem.wordpress.com/2014/11/15/je-veux-une-treve-de-vingt-quatre-heures-durant-laquelle-il-ny-aura-pas-de-viol-2/

Tradfem. (2017). Souvenez-vous, résistez, ne cédez pas! [en ligne]. 26 novembre 2017 [consulté le 11 décembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://tradfem.wordpress.com/2017/11/26/souvenez-vous-resistez-ne-cedez-pas/

Les femmes et les filles autistes sortent de l’ombre

Au cours de ma pratique, j’ai à maintes reprises eu l’occasion d’accompagner dans un travail thérapeutique des femmes et des filles qui présentaient les caractéristiques de l’autisme Asperger (quotient intellectuel élevé, vécu d’étrangeté, forte anxiété voire terreur face à autrui, fonctionnement stéréotypé, répétitif, ritualisé, etc.). Celles-ci me semblaient très nombreuses, mais comme il n’existait quasiment aucune étude sur les femmes et les filles autistes, elles étaient largement sous-diagnostiquées et par ce fait discriminées par rapport aux hommes et aux garçons.

Il est vrai que cette pathologie est la plupart du temps masquée chez les femmes et les filles Asperger, car leur intelligence leur permet de trouver des mécanismes compensatoires pour masquer leurs difficultés. Cette invisibilisation de l’autisme leur coûte toutefois des efforts surhumains et des conséquence désastreuses pour leur santé.

En raison de leur incompréhension des relations humaines, les femmes et les filles autistes sont aussi particulièrement vulnérables face aux manipulateurs et aux prédateurs sexuels qui se jouent d’elles avec une grande facilité. Les violences sexuelles ont pour effet d’ajouter un état de stress post-traumatique ou ESPT à l’autisme (handicap primaire), avec pour conséquence d’aggraver considérablement leur état. Sachant qu’une personne autiste vit ses émotions de façon décuplée par rapport à une personne non autiste, l’ESPT est en général d’une gravité décuplée, à tel point que les troubles psychotraumatiques deviennent un nouvel handicap (handicap secondaire, troubles secondaires) dépassant en importance l’autisme (handicap primaire, troubles primaires). Autrement dit, un ESPT qui s’ajoute à l’autisme, produit des conséquences absolument catastrophiques pour les femmes et les filles autistes qui sont généralement laissées seules à elles-mêmes, sans aucune aide, aucun soutien, en raison de leur sous-diagnostic.

Or, le diagnostic d’autisme est très important et par lui-même thérapeutique, car les femmes et filles autistes comprennent enfin ce qui leur arrive. Une fois un diagnostic en main, elles peuvent désormais construire leur vie en fonction de qui elles sont et non en tentant désespérément de faire comme autrui, avec une anxiété terrifiante à l’idée qu’elles seront démasquées, que leur étrangeté va apparaître au grand jour et que tout s’écroule. Tant qu’elles n’ont pas de diagnostic, leurs relations chaotiques avec autrui leur causent tant d’effort qu’elles les laissent à chaque fois plus épuisées, plus désespérées, traumatisées, avec l’impression qu’elles n’y arriveront jamais.

La prise en charge thérapeutique des femmes et filles autistes nécessite des techniques expérientielles, basées sur le présent (l’ici et maintenant), telles les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et la Gestalt-thérapie, par exemple. Il faut surtout éviter les techniques trop mentales qui ne feraient que renforcer l’hypermentalisation des autistes Asperger, mécanisme qui les empêche précisément d’accéder à qui elles-ils sont réellement.

Centrée comme les thérapies cognitivo-comportementales sur le présent et l’expérienciel, la spécificité de la Gestalt-thérapie réside dans le fait que cette psychothérapie est en plus centrée sur la relation, le but de cette approche étant notamment la restauration de la capacité de lien. Un travail tout en finesse se déroule dans cette relation thérapeutique de type gestaltiste : si elle le souhaite, la personne va pouvoir donner son ressenti sur ce qui se passe pour elle face à sa-son thérapeute (peur, terreur, honte, colère, culpabilité, etc.) et la-le thérapeute entreprendra un travail autour de ce qui émerge dans la relation. La personne va aussi pouvoir confronter sa-son thérapeute, lui dire lorsqu’une intervention (mot, geste, regard, etc.) la met en colère, la gêne, lui fait peur ou honte, ou la culpabilise, par exemple. Cette spécificité relationnelle de la Gestalt-thérapie en fait une psychothérapie particulièrement intéressante pour les autistes qui ont précisément un handicap au niveau de la capacité à être en relation.

Le développement de l’awareness est au coeur de ce travail gestaltiste autour de la relation, puisque c’est précisément cette conscience du corps, des émotions, des ressentis et des sensations qui va permettre à la personne autiste d’être enfin en contact avec elle-même, de se connaître réellement, entre autre au sein de la relation, d’acquérir de la confiance en elle et de la sécurité en devenant capable de poser des limites en cas de situations d’intrusion, d’abus. En effet, une fois développée (et non déconnectée), l’awareness lui donnera très clairement les signes de danger, avec une intuition et une finesse de perception même beaucoup plus grandes que celles des personnes non autistes.

Par ce moyen, les femmes et les filles autistes peuvent libérer peu à peu leur potentiel en construisant leur vie sur leurs véritables ressources, auparavant masquées voire même souvent pathologisées. Il est à noter qu’une fois reconnues et dégagées du carcan de la normalisation imposée par la société, les femmes et les filles Asperger sont souvent d’une très grande puissance.

Toutefois, il est important de préciser que pour accompagner des personnes autistes dans un travail thérapeutique, il faut impérativement des thérapeutes parfaitement formé-e-s et expérimenté-e-s en matière de troubles autistiques, notamment Asperger. Sans quoi, la thérapie va produire des effets iatrogènes (nouveaux symptômes créés par la thérapie elle-même) catastrophiques, car la personne autiste va très vite comprendre qu’elle n’est pas comprise. Il lui sera dès lors impossible de se dévoiler, de faire confiance à sa-son thérapeute, ce qui va renforcer son vécu d’étrangeté, son désespoir d’être en décalage, comme exclue du monde. Elle ressortira de la thérapie en se disant par exemple « même un-e thérapeute ne me comprend pas », « je ne m’en sortirai jamais ».

La fin du silenciement des femmes et des filles

Nos sociétés patriarcales où les hommes dominent ont toujours exigé des femmes et des filles qu’elles soient sages, belles, discrètes, lisses (si possibles dissociées, donc ne sentant pas la douleur) souriantes, polies, obéissantes, généreuses, altruistes, courageuses, etc., malgré les violences qu’elles subissent au quotidien. Alors que les hommes et les garçon ont l’entière liberté d’exprimer leur colère, leur agressivité, d’être turbulents, indisciplinés, irrespectueux, insolents, égoïstes, etc. et que ceci est même valorisé (« il a une forte personnalité, il réussira dans la vie », etc.) ou excusé (« il n’est pas méchant, juste un peu maladroit , un peu direct », etc.).

La contrainte au sourire pour les femmes et les filles a été illustrée avec humour dans deux vidéos remarquablement drôles et toniques  : Smile (Funny Or Die, 2014) et Smyle for Women (Nightpantz, 2016).

Depuis la nuit des temps, les femmes sont donc silenciées voire dissociées (ne sentant plus leur souffrance) par une société patriarcale qui les prie d’être entièrement dévouées au bien-être et à l’épanouissement des hommes, afin qu’ils puissent continuer d’asseoir en toute tranquillité leur domination.

Mais le travail sans relâche réalisé principalement par les féministes a permis que les femmes violentées (violences sexuelles, conjugales, économiques, médicales, reproductives, etc.) osent enfin s’exprimer, dans le monde entier. Simultanément, grâce à la militance pour les autistes, les femmes et les filles autiste peuvent enfin sortir de l’ombre dans laquelle la recherche médicale les avaient plongées. Et l’on peut supposer qu’elles sont légion.

Le désintérêt de la recherche médicale pour les femmes et les filles

« Why are so many women with autism often misdiagnosed? And how does this issue resonate with broader ideas of neurodiversity? »
(The Gardian’s Science Weekly, 2017))

La citation est tirée d’un article en lien avec le téléfilm The Party qui permet aux téléspectateur-trice-s de se mettre dans la peau d’une jeune fille de 16 ans atteinte d’un trouble du spectre autistique (TSA) et de parler du problème de sous-diagnostic des femmes et des filles, notamment en raison de critères de diagnostic toujours biaisés en faveur d’une présentation masculine typique des TSA.

Jusqu’il y a peu, la médecine considérait en effet que l’autisme ne touchait quasiment que les garçons et les hommes. Cette croyance n’était due qu’à une recherche médicale concentrée exclusivement sur les hommes, à l’observation de leurs symptômes, de cobayes masculins pour les tests médicamenteux, etc. On ignorait donc comment les différentes formes d’autisme se manifestaient chez les femmes et les filles. Ce n’est que très récemment que la recherche médicale s’est intéressée à elles.

Par conséquent, les femmes et les filles autistes ont été et sont encore largement sous-diagnostiquées en raison d’un désintérêt de la recherche médicale à leur égard. C’est pourquoi « La National Autistic Society appelle à des changements et des améliorations dans le diagnostic des filles et femmes autistes » (Radio-Canada, 2017).

Le désintérêt de la recherche pour les femmes ne concernait de loin pas que l’autisme. Pour ne prendre qu’un exemple : la médecine pensait également que les maladies cardio-vasculaires touchaient principalement les hommes, croyance basée sur le simple fait que les femmes n’avaient fait l’objet d’aucune étude à ce sujet (Kuhni, 2013).

Aujourd’hui, les femmes n’acceptent plus d’être les laissées pour compte de la recherche médicale. Elles exigent qu’on leur consacre également des études, afin d’être correctement diagnostiquées et de pouvoir ainsi recevoir les soins adéquats, tout comme les hommes.

L’autisme

L’autisme est un trouble du développement d’origine neurobiologique débutant généralement avant l’âge de 3 ans (sauf pour le Syndrome Asperger qui débute généralement plus tard) et touchant les interactions sociales, la communication (verbale et non verbale) et le comportement (stéréotypé, avec intérêts restreints, répétitions, rituels, etc.).

« Selon la classification internationale des maladies de l’OMS (CIM 10), l’autisme est un trouble envahissant du développement qui affecte les fonctions cérébrales. Il n’est plus considéré comme une affection psychologique ni comme une maladie psychiatrique.

Différentes terminologies sont utilisées : Autisme, Trouble autistique, spectre autistique, TED (Troubles envahissants du développement), TSA (Troubles du Spectre Autistique) et ASD (Autism Spectre Disorders).

L’autisme est un trouble sévère et précoce du développement de l’enfant apparaissant avant l’âge de 3 ans. Il est caractérisé par un isolement, une perturbation des interactions sociales, des troubles du langage, de la communication non verbale et des activités stéréotypées avec restriction des intérêts.

Trois éléments cumulatifs caractérisent ainsi l’autisme : un trouble de la communication, une perturbation des relations sociales et des troubles du comportement. » (Vaincre l’autisme, 2017

Le spectre de l’autisme s’échelonne des formes les plus sévères où la personne est lourdement handicapée aux formes les moins sévères (par ex. syndrome Asperger, à l’extrémité du spectre de l’autisme) qui peuvent être quasiment invisibilisées.

Dans les formes d’autisme dites « de bas niveau », on trouve une déficience intellectuelle, alors que dans celles « de haut niveau » il y a au contraire une intelligence supérieure à la moyenne.

Le point commun de ces différentes formes d’autisme consiste en une compréhension confuse de la vie (surtout de la vie sociale) et de l’environnement en raison d’une difficulté à décoder les situations. Cette confusion affecte la communication, la capacité à être en relation, le comportement (sentiment de maladresse, de décalage, etc.). Il en résulte un fonctionnement sur un mode répétitif, ritualisé, avec des comportements stéréotypés, véritables copie-coller de ce que l’autiste perçoit chez autrui. Malgré ces mécanismes compensatoires, la personne autiste vit une si forte anxiété, parfois même de la terreur, face aux relations humaines qu’elle peut être amenée progressivement à s’isoler et à fuir tout contact humain, d’autant plus si un état de stress post-traumatique (ESPT) causé par des violences s’est surajouté aux troubles autistiques de base.

La classification internationale des maladies de l’OMS répertorie l’autisme à la rubrique F84 Trouble envahissant du développement (CIM-10, 2000, p. 224) qui contient les sous-rubriques suivantes : autisme infantile, autisme atypique, Syndrome de Rett, autre trouble désintégratif de l’enfance, hyperactivité associée à un retard mental et à des mouvements stéréotypés, Syndrome Asperger, autres troubles envahissants du développement, trouble envahissant du développement sans précision.

Étrangement, c’est précisément dans la catégorie des autistes de « haut niveau » (avec intelligence supérieure) que la recherche médicale trouvait le moins de femmes et de filles (1 femme pour 9 hommes), alors qu’elle en détectait nettement plus (1 femme pour 4 hommes) chez les autistes de « bas niveau » (avec déficience intellectuelle). On peut donc se demander si cet « oubli » par la recherche médicale n’a pas une cause sexiste et misogyne, avec l’idée qu’il faut absolument que l’intelligence supérieure à la moyenne soit une caractéristique exclusivement masculine. Car c’est un peu facile de prétendre que la recherche médicale n’avait pas vu les femmes et les filles Asperger parce qu’elles se camouflent, alors que la recherche était exclusivement centrée sur les hommes.

« Depuis 70 ans, les études font état d’un ratio de 4 hommes pour 1 femme en ce qui concerne le diagnostic d’autisme dit « de bas niveau ». Chez les autistes « de haut niveau », dotés d’une intelligence supérieure à la moyenne, ce ratio est établi à 9 hommes pour 1 femme. » (Radio-Canada, 2017)

Les femmes et les filles Asperger

«  (…) il existe un groupe impressionnant de femmes de très haut quotient intellectuel qui ont toutes le même vécu d’étrangeté, qui s’identifient à l’autisme, et ce qu’elles disent est crédible. » (Radio-Canada, 2017)

Dotées d’une intelligence supérieure à la moyenne, les femmes et les filles Asperger ont une capacité de camouflage qui leur permet de masquer leurs troubles autistiques au prix d’efforts surhumains qui les laissent épuisées, souvent désespérées, après chaque contact avec autrui.

De même que toutes les femmes et les filles de nos sociétés patriarcales
silenciées et invisibilisées,
les femmes et les filles Asperger avancent masquées

« (…) plus les femmes sont intelligentes, plus elles présentent une forme d’autisme qui va être éventuellement moins visible (…) » (Radio-Canada, 2017)

Pourtant, si des recherches médicales avaient été faites, les professionnel-le-s diagnostiqueraient sans aucun problème les femmes et les filles Asperger qui, malgré leur camouflage, présentent très clairement des signes identifiables lorsqu’on prend le temps de s’intéresser à elles et qu’on les croit. Par exemple : intelligence supérieure à la moyenne, va en apparence parfaitement bien, vécu d’étrangeté et de décalage permanent, sensation d’une frontière invisible entre soi et les autres, sensation d’être différente, faux-self, attitudes stéréotypées, répétitions, rituels, mémoire exceptionnelle, préoccupation intense sur nombre restreint de centre d’intérêts (parfois un seul), capacité de concentration hors-norme (hyperfocalisation, comme happée) avec forte agressivité quand elle est dérangée, froideur affective, hyper-sensibilité émotionnelle et sensorielle, difficulté à regarder dans les yeux, phobie sociale, forte anxiété voire terreur face à autrui, épuisée après une conversation, difficulté à tenir une conversation réciproque (tendance au monologue), tendance à fuir les relations sociales et les relations intimes, etc.

« Le trouble du spectre de l’autisme chez les femmes est souvent non diagnostiqué, car les critères de diagnostic ont toujours été établis à partir d’observations faites chez les hommes. Or, les chercheurs commencent à réaliser que chez les femmes, l’autisme se présenterait différemment. (Radio-Canada, 2017)

Par conséquent, c’est bien la méconnaissance des symptôme féminins de l’autisme qui empêche les femmes et les filles de recevoir les soins dont elles ont désespérément besoin, et non leur capacité à masquer les symptômes d’autisme.

« (…) les éléments indiquant que les filles et les femmes sont plus nombreuses sur le spectre autistique qu’on le pensait initialement s’accumulent, tout comme ceux montrant qu’elles sont considérablement sous-diagnostiquées. » (AFFA, 2017a)

Les causes de ce camouflage, ce sont les injonctions sociétales de silenciement envers toutes les femmes et toutes les filles de nos sociétés patriarcales (et non uniquement envers celles ayant des troubles Asperger) auquel s’ajoute parfois un phénomène de dissociation (mécanisme de survie déclenché par l’organisme) en raison des violences qu’elles subissent (violences sexuelles, conjugales, économiques, médicales, reproductives, etc.).

Le fonctionnement en mode « as if » (« comme si »), hyper-adapté ou faux-self montre d’ailleurs clairement une dissociation, soit l’un des mécanismes de base des psychotraumatismes qui permet aux victimes de violences de survivre malgré les traumas en les empêchant d’accéder à leur ressenti qui sont trop dangereux pour elles à ce moment-là.

Dans un extrait très intéressant du documentaire Journal d’Aspergirl (France Culture, 2017), Julie Dachez raconte comment, en écoutant le témoignage d’une femme Asperger, sur internet, elle a découvert qu’elle était une femme Asperger. Cette prise de conscience lui a enfin permis de comprendre qui elle était, de relire sa vie avec une grille de lecture toute différente et de donner à sa vie un sens connecté à elle-même. Suite à cela, elle a entamé une démarche diagnostique. Une fois le diagnostic officiel posé, à 27 ans, elle a ressenti un énorme soulagement parce qu’à travers ce diagnostic, elle recevait l’autorisation d’être elle-même. Elle a compris qu’elle n’était pas folle, ni déficiente, mais juste différente (« de la même manière qu’un chat n’est pas la version déficiente d’un chien, il est un chat ! C’est juste qu’il n’est pas un chien », dit-elle très pertinemment). Elle a aussitôt modifié ses schémas de pensée, changé complètement de vie, repris des études – un doctorat en psychologie sociale, voici sa thèse soutenue en décembre 2016, intitulée « Envisager l’autisme autrement : une approche psychosociale » (Dachez, 2016) – et s’est sentie pour la première fois bien dans sa vie. Depuis ce changement de paradigme, elle a constaté qu’un cercle vertueux s’était mis en place, avec beaucoup d’opportunités (professionnelles, etc.) comme jamais auparavant et, pour la première fois, des personnes hyper-bienveillantes autour d’elle qui l’accueillent « avec ses particularités » (et non « malgré ses particularités »). Il est intéressant de voir qu’aujourd’hui, cette nouvelle lecture de la vie l’a amenée à s’intéresser aux luttes féministes puisqu’elle a co-réalisé et publié sur son blog des vidéos pédagogiques sur le sexisme et le féminisme (Blog emoiemoiemoi, 2017) avec l’alias Super Pépette.

Pour terminer, je dirai que les femmes et les filles Asperger sont des personnalités à potentiel élevé, particulièrement en raison de leur intelligence doublée d’un regard différent sur le monde, ainsi que de leur énergie hors du commun qu’elles ont développée pour tenir contre vents et marées dans le cataclysme émotionnel et sensoriel qu’elles vivent au quotidien depuis l’enfance, sans que personne ne s’en aperçoive.

The Aspiengirl™, Aspienwoman and Aspienpowers Book Series
(Marshall, 2014)

« Tania [Marshall] is working on her Doctorate/PhD in Autism Studies, specializing in females with Autism. She holds a Masters of Science in Applied Psychology and a Bachelor of Arts in Psychology. She regularly provides diagnostic assessments, support and intervention » (Marshall, 2013)

Les femmes et les filles Asperger sont donc une grande richesse pour notre société, et ceci d’autant plus lorsqu’elles n’auront plus besoin de se masquer (ou se silencier), de faire semblant pour être intégrées, acceptées et avoir une vie normale.

Un dernier point concernant la reconnaissance toute récente des femmes et des filles Asperger par la recherche médicale : il est regrettable que le Syndrome Asperger ait disparu dans le DSM-5 (2013), alors qu’il venait d’être reconnu en « 1992 dans la CIM et 1994 dans le DSM[-IV] » (Psymas.fr, 2017). Fort heureusement, il reste présent, mais sous une forme très succincte, dans la CIM-10, la classification internationale des maladies de l’OMS qui répertorie l’autisme Asperger à la rubrique F84.5 Syndrome Asperger (CIM-10, 2000, p. 229). Dans le DSM-IV, le Syndrome Asperger se trouve à la rubrique F84.5 – Syndrome Asperger (DSM-IV, 1996, p. 90), avec une description beaucoup plus complète que la CIM-10.

Et voici l’extrait d’un document pour le 4e plan autiste. Ce texte synthétise bien la situation préoccupante des autistes Asperger et de « haut niveau » en France. La situation est exactement la même en Suisse :

« L’autisme Asperger et de « haut niveau », toucherait des centaines de milliers de personnes en France. (…) Si la France ne possède pas de statistiques fiables en la matière, c’est d’abord parce que ces formes d’autisme (…) [sont] très mal diagnostiquées et encore trop souvent assimilées à « une maladie psychotique ». Les avancées internationales en psychiatrie et neurosciences confirment pourtant que l’autisme de haut niveau est un handicap neurologique et cognitif. L’origine est « multi factorielle avec une forte implication des facteurs génétiques » selon l’INSERM. (…) Il nécessite d’être pris en charge à travers des techniques spécifiques d’ordre cognitif et comportemental.

Or, en France, sa prise en charge n’est pas adaptée : hospitalisation, médication, exclusion des milieux scolaires et professionnels ordinaires font le malheur des autistes et de leur famille. Les diagnostics erronés proposés par certains professionnels de santé peuvent entraîner les personnes concernées, ainsi que leur famille, dans des parcours médicaux inadaptés, source de souffrances évitables. La France, comparée à de nombreux pays et en particulier le Canada, les États-Unis, le Danemark, la Suède, le Royaume Uni, l’Italie et l’Australie, présente un réel retard dans l’application des méthodes de diagnostic éprouvées par ailleurs. Elle est aussi très déficiente en termes d’accompagnement des personnes autistes Asperger et de haut niveau pour favoriser leur intégration sur le marché du travail et dans la société. » (AFFA, 2017e)

Le camouflage des femmes et des filles n’a rien d’essentialiste

« Par exemple, si les garçons ont tendance à être turbulents, les filles, quant à elles, vont souvent demeurer sages. Elles camoufleraient même leurs symptômes (…), et cela se poursuivrait à l’âge adulte. « Les femmes auraient une plus grande facilité que les hommes, ou un plus grand désir que les hommes, à correspondre aux attentes du groupe. » » (Radio-Canada, 2017)

Prétendre que les femmes et les filles auraient une tendance essentialiste, spécifiquement féminine, à vouloir camoufler leurs symptômes, et que ce serait la cause du désintérêt de la recherche médicale à leur égard, est particulièrement choquant, un réel déni de l’expérience de socialisation des femmes et des filles dans nos sociétés patriarcales et du désintérêt sociétal total à leur égard (les garçons et les hommes sont les seuls dignes d’intérêt).

« Les autistes développent une multitude de stratégies d’adaptation et les filles Asperger plus particulièrement sont très douées pour ce type de camouflage social. Celui de mettre à profit leur mémoire phénoménale en utilisant une panoplie de phrases déjà entendues et de les intégrer subtilement dans les conversations. Rapidement et surtout aux yeux des adultes, ma fille semble communiquer aisément. » (Blog Maman pour la vie, 2017)

Autrement dit, le camouflage social des femmes et des filles autistes n’a rien à voir avec une question essentialiste, de soi-disant personnalité féminine. Il s’agit ni plus ni moins que d’une volonté sociétale, d’un ordre implicite et même explicite qu’elles se taisent, comme toutes les femmes et les filles de notre société patriarcale. Car lorsqu’elles osent parler pour exprimer leurs différences, les souffrances et violences qu’elles subissent, la plupart du temps personne ne les écoute, ne les croit et les représailles pleuvent.

« Depuis quelques années, des voix s’élèvent pour dénoncer le fait que de nombreuses femmes reçoivent un diagnostic sur le tard ou tout simplement erroné.

Souvent, une femme qui croit souffrir d’un trouble du spectre de l’autisme n’est pas prise au sérieux (…) » (Radio-Canada, 2017)

Ce n’est donc pas parce qu’elles ont la volonté de « correspondre aux attentes du groupe » qu’elles étaient invisibilisées. C’est uniquement parce qu’elles n’avaient d’autre choix que de faire semblant, abandonnées à elles-mêmes, sans aide, sans que personne ne s’intéresse à elles, malgré leurs tentatives d’exprimer leur détresse, leur sentiment d’être perdue, de ne rien comprendre au monde qui les entoure. Et à chaque tentative, elles comprenaient un peu mieux, comme toutes les femmes, qu’elles n’avaient qu’à se taire et faire comme si tout allait bien.

Fort heureusement, ces dernières années, les luttes féministes ont mis l’accent sur les violences masculines et sociétales massives que les femmes et les filles subissent au quotidien dans l’indifférence générale. C’est pourquoi celles-ci sont aujourd’hui enfin un peu écoutées, la société s’intéresse enfin un peu à elles, contrainte contre son gré au changement par un mouvement planétaire des femmes (tel le hashtag #metoo, par exemple.)

Les violences sexuelles envers les autistes

Les autistes ne comprennent pas les enjeux sociaux (communication, relation, etc.) et sont par conséquent des victimes idéales pour les prédateurs (violences sexuelles, vols, escroqueries, etc.) dont on sait qu’il s’agit la plupart du temps de proches.

« Nearly 90% of teens with autism subjected to ‘mate crime’ says new study (…) Many had been so hurt by the experience it had left them too scared to go out for fear of further bullying. » (8)  Selon une nouvelle étude, près de 90% des adolescent-e-s autistes sont soumis-e-s à un «crime de camarade (…) Beaucoup avaient été si blessé-e-s par l’expérience que cela les avait laissé trop effrayé-e-s pour sortir de peur d’être encore harcelé-e-s.

Ces violences créent des traumatismes additionnels qui aggravent considérablement l’état des autistes. Ces nouveaux troubles (psychotraumatiques) deviennent souvent plus importants que les troubles autistiques initiaux.

Sur un terrain aussi vulnérable, les traumas peuvent causer un véritable cataclysme avec le risque de se chroniciser en se surajoutant aux troubles autistiques. Autrement dit l’ESPT (1) peut aisément se chroniciser en un état de stress post-traumatique à long terme (2). Dans la classification internationale des maladies de l’OMS, il s’agit des deux rubriques suivantes :

(1) F43.1 – Etat de stress post-traumatique (CIM-10, p.132)

(2) F62.0 – Modification durable de la personnalité après une expérience de catastrophe (CIM-10, p. 187)

Pour celles et ceux que ce thème intéresse, je recommande la lecture d’un texte intitulé « Violence sexuelles faites aux personnes présentant des troubles de spectre de l’autisme et psychotraumatismes » dont l’autrice est la Dre Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire Traumatique et victimologie (Salmona, 2017).

En voici quelques extraits : « (…) des troubles neuro-développementaux tels que les troubles du spectre de l’autisme : jusqu’à 90% des femmes présentant des TSA [troubles du spectre de l’autisme] ont subi des violences sexuelles, 78% de l’ensemble tout sexe confondu (Brown-Lavoie, 2014).

Les personnes présentant des troubles du spectre de l’autisme (TSA) subissent une triple peine par rapport aux violences sexuelles :

1. elles sont à très grand risque de subir des violences sexuelles tout au long de leur vie en raison de leur vulnérabilité (…)

2. les violences sexuelles vont avoir un impact psychotraumatique bien plus sévère sur elles que sur les personnes n’ayant pas de TSA (…)

3. et les violences sexuelles du fait de leurs conséquences psychotraumatiques et des atteintes neurologiques et des circuits émotionnels qu’elles provoquent, vont aggraver leurs troubles neuro-développementaux et les troubles du spectre de l’autisme (…)

Les filles et les femmes présentant des troubles du spectre de l’autisme vont donc cumuler le plus souvent plusieurs facteurs de risques de subir des violences sexuelles : le jeune âge, le sexe, la discrimination, les troubles neurodéveloppementaux émotionnels et de la communication qu’elles présentent, les risques institutionnels, et le fait d’avoir déjà subi des violences.

L’impact traumatique majeur à long terme qu’elles vont présenter va aggraver les symptômes du spectre de l’autisme (…)

Et les troubles du spectre de l’autisme associé à l’impact psychotraumatique du fait de la méconnaissance qu’en ont la plupart des professionnels et les proches vont être des facteurs d’abandon et d’isolement encore plus importants avec une absence de reconnaissance du traumatisme et de la souffrance, associée fréquemment à une absence de protection et de prise en charge adaptée. » (Salmona, 2017).

Violences sexuelles envers les femmes et les filles autistes

Les victimes de violences sexuelles sont en très grande majorité des femmes et des filles. Et les prédateurs sexuels sont en très grande majorité des hommes (de 96 à 98 % selon statistiques de la justice et études en victimologie) et, principalement, des hommes proches des victimes.

Concernant ces chiffres, se reporter par exemple au diaporama intitulé « Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte (2015) – Mémoire Traumatique et Victimologie/Laure Salmona » qui contient les résultats très complets d’une enquête sur les violences sexuelles réalisée par Mémoire Traumatique et Victimologie (enquête soutenue par l’UNICEF) (IVSEA, 2015)

Extrait d’un autre texte : « Dans notre société, les abus sexuels touchent plus particulièrement la femme et 97 % des agresseurs sont des hommes. En ce qui nous concerne, des études canadiennes montrent que 70 % à 90 % des femmes autistes sont victimes d’abus, allant de l’agression sexuelle au crime sexuel. De nombreux facteurs rendent davantage vulnérables les personnes autistes. Qu’elles soient de haut niveau de fonctionnement ou pas, le risque d’en être victime est important.

Il est temps d’arrêter ce silence dont les conséquences sont dramatiques tant dans la construction de l’enfant autiste que la vie de femme devenue adulte.

(…) Les conséquences pour une personne autiste sont similaires aux victimes non autistes (dégoût de soi, dépression, autodestruction, problème gynécologique, troubles alimentaires, conduite à risque, sentiment de culpabilité, suicide, etc.).

Néanmoins, celles-ci sont amplifiées par les spécificités lié à la sensorialité. Aussi, le fait de percevoir les détails sans en comprendre la globalité met la personne autiste à ressentir son viol de manière multipliée, ce qui accentue les séquelles et le travail possible de résilience. » (AFFA, 2017c)

Les femmes et les filles autistes sont particulièrement vulnérables face aux agresseurs, plus particulièrement aux prédateurs sexuels, parce qu’elles décodent mal les situations et ne perçoivent pas les manipulations, ni les seconds degrés, les sous-entendus, les propos inappropriés, etc.

Ce mauvais décodage les fait souvent réagir en décalage dans les situations, parfois carrément à l’envers, souvent avec une naïveté extrême (sans aucune protection) à l’identique d’enfants très jeunes et avec un obéissance machinale (sans s’interroger sur la pertinence des ordres ou des questions). Elles répondront par exemple instantanément, du tac au tac, avec une grande obéissance, aux questions qui leur sont posées telles « où habites-tu », « est-ce que tu vis seule », etc., sans même se demander si ces questions sont déplacées ou non.

Tant et si bien que les femmes et les filles autistes sont totalement perdues, démunies, face à des notions aussi complexes que celle du consentement. Même de remarquables vidéos pédagogiques comme « La tasse de thé » (Le Monde Europe, 2016) – produite par la police anglaise – ne leur suffit pas. Voici deux exemples très parlants rédigés par l’AFFA (Association Francophones de Femmes Autistes ) :

« #moia15ansAutist Une sucette dans la bouche et un camarade me demanda si je voulais la sienne. J’ai répondu : « Oui, j’aime bien les sucettes, quelle saveur à la tienne ? ». Il m’attendait derrière un mur et m’a obligé la fellation. J’ai vomi son sperme. » (AFFA, 2017g)

« #moia15ansAutist Un adulte me demande s’il peut toucher ce qui est joli et doux (en regardant en direction de mon torse). Contente que les dessins sur mon tee-shirt lui plaisent, je lui donne « mon consentement ». Ses mains sont passées SOUS mon tee-shirt ! » (AFFA, 2017h)

Dans les deux cas, la jeune fille autiste donne sans le savoir son consentement pour un acte sexuel ou sexualisé parce qu’elle a mal décodé les mots de l’agresseur avec double sens (la sucette) ou peu clairs (« ce qui est joli et doux »), ainsi que les signes corporels de l’agresseur (regard sur le tee-shirt) pour le second exemple.

Les violences sexuelles attaquent fortement le lien

L’immense majorité des violences sexuelles sont commises par des hommes proches des victimes. Or les violences commises dans le cadre de relations proches produisent ce que l’on nomme des traumas complexes, soit des traumas dans lesquels le lien en apparence le plus sécure a été attaqué et détruit par l’agresseur. C’est la raison pour laquelle les traumas complexes sont les plus longs et difficiles à soigner. Une victime ayant vécu un trauma complexe ne pourra plus faire confiance à aucun lien, encore moins à un lien proche qui est pour elle devenu le lien le plus dangereux, celui auquel elle ne doit à aucun prix faire confiance, ce qui explique la difficulté à faire une psychothérapie (lien de proximité) et le temps considérable nécessaire jusqu’à ce que la victime puisse déjà faire confiance à sa-son thérapeute.

Autrement dit, les violences sexuelles sont une cause majeure de destruction de la capacité de lien, car il y a effraction par autrui de l’intimité de la victime. Sachant que les femmes et les filles autistes ont déjà un handicap qui se situe précisément sur la capacité de lien (caractéristique principale de l’autisme), on comprend à quel point les violences sexuelles sont cataclysmiques pour elles. Et ce qui attaque le plus violemment la capacité de lien, ce sont les violences sexuelles commises par des proches (majorité des cas), parce qu’elles produisent la destruction d’un lien proche, d’un lien de confiance (en apparence sécure), au moyen de violences qui atteignent l’intimité de la personne (psychique, corporelle, affective, émotionnelle, etc.).

D’autre part, lorsque l’agresseur sexuel est un proche, ces violences se produisent la plupart du temps dans un cadre où la victime n’a aucune possibilité de fuite. Le fait d’être ainsi piégée avec son agresseur sexuel conduit immanquablement à des psychotraumatismes très importants, et, souvent, à un Syndrome de Stockholm (amour et soutien inconditionnels pour l’agresseur). Autrement dit, le seul moyen de survie d’une victime de violences sexuelles commises par un proche, ce sont des troubles psychotraumatiques massifs, d’une complexité extrême (traumas complexes), ainsi qu’un possible attachement/soutien sans condition pour son tortionnaire.

Avec une capacité de lien brisée, les victimes d’agresseurs sexuels proches ne pourront souvent plus faire confiance à aucune personne proche, risqueront de s’isoler toujours davantage, voir de refuser les soins puisqu’elles ne pourront plus faire confiance aux thérapeutes (lien de proximité) et autres professionnel-le-s de la santé. Comme les femmes et les filles autistes ont déjà un handicap majeur de la capacité de lien, l’ajout de traumas complexes (attaque des liens les plus proches) aura des conséquences encore plus dramatiques que pour les personnes non autistes, car il y aura alors une sur-destruction, un sur-anéantissement de la capacité de lien.

Mères d’enfants autistes et mères autistes

Les causes de l’autisme sont encore mal connue. La recherche médicale en conclut cependant peu à peu qu’il n’y a sans doute pas une cause unique, mais que 3 pistes se démarquent nettement en tant que causes majeures de l’autisme : la piste génétique, la piste neurobiologique et la piste environnementale tels la pollution, les agents infectieux et les métaux lourds (Labbé, 2017).

Alors comment se fait-il qu’aujourd’hui encore l’on continue de rendre les mères responsables de l’autisme de leurs enfants en utilisant des théories sans aucune preuve scientifique (par exemple, les théories psychanalytiques) ?

Les mères n’y sont strictement pour rien dans l’autisme de leurs enfants. Elles veillent au contraire à ce qu’ils-elles soient pris-e-s en charge le mieux possible. Pourtant, lorsque les mères signalent l’autisme de leurs enfants, au lieu de les aider dans cette tâche, certain-e-s professionnel-le-s du social et du médico-social utilisent les symptômes des enfants autistes pour accuser les mères de maltraitance et pour remettre même en question le diagnostic d’autisme. Ainsi les mères qui tentent de faire prendre en charge leurs enfants autistes perdent-elles parfois la garde de leurs enfants qui sont alors placés. 

« (…) du fait de la prégnance de la psychanalyse parmi les professionnels du social et médico-social, ceux-ci interprètent les troubles de l’enfant comme la conséquence de mauvais traitements de la part de la mère, qui est souvent perçue comme trop fusionnelle, ou soupçonnée d’avoir le syndrome de Münchhausen par procuration (trouble psychiatrique théorique qui conduirait les parents à maltraiter leur enfant afin de susciter l’attention du corps médical). Ils n’hésitent pas à remettre en question le diagnostic d’autisme si celui-ci est posé, voire à faire pression sur le centre de dépistage pour ne pas diagnostiquer tel ou tel enfant. » (AFFA, 2017d)

La situation est la même, lorsque les mères sont elles-même autistes. Il suffira d’un signalement de la part de professionnel-le-s (enseignant-e-s, pédopsychiatres, médecins, assistant-e-s social-e-s, etc.) et leurs enfants risqueront fort d’être placé-e-s parce que pour des professionnel-le-s non formé-e-s à l’autisme le comportement des mères autistes suscite la méfiance (ne pas regarder dans les yeux, attitudes stéréotypées, visage inexpressif, etc.) et leur fait conclure que les enfants seraient en danger.

« L’association Francophone de Femmes Autistes œuvre contre les différentes formes d’abus que peuvent subir une femme autiste. Le signalement abusif en est un. » (AFFA, 2017d)

« (…) parce qu’une mère autiste ne paraîtra pas « normale » à leurs yeux, ils commenceront à suspecter un mauvais traitement sur l’enfant dès lors que celui-ci manifestera le moindre trouble ; ces professionnels seront tentés d’alerter les services de la protection de l’enfance (Aide Sociale à l’Enfance, ASE), qui lanceront une (…) Information Préoccupante (IP) pour “enfant en danger” (…) » (AFFA, 2017d)

Très engagée pour la défense des autistes, la cinéaste Sophie Robert a réalisé deux films sur la psychanalyse : Le mur ou la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme / septembre 2011 ; La théorie sexuelle / septembre 2012) (Kuhni, 2014). Dans ces films on entend des psychanalystes célèbres, qui, à la lumière des avancées scientifiques et sociétales (éthique, égalité, etc.) d’aujourd’hui, tiennent des propos plus que surréalistes sur l’autisme, les mères et l’inceste, par exemple.

Bibliographie

AFFA / Association Francophones de Femmes Autistes. (2017a). L’autisme « considérablement sous-diagnostiqué » chez les femmes [en ligne]. 8 octobre 2017 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://femmesautistesfrancophones.com/2017/10/08/lautisme-considerablement-sous-diagnostique-chez-les-femmes/

AFFA / Association Francophones de Femmes Autistes. (2017b). Caractéristiques des adolescentes autistes de haut-niveau ou Asperger [en ligne]. 8 octobre 2017 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://femmesautistesfrancophones.com/2017/10/11/caracteristiques-des-adolescentes-autistes-de-haut-niveau-ou-asperger/

AFFA / Association Francophones de Femmes Autistes. (2017c). Autisme et abus sexuels – L’arbre qui cache la forêt [en ligne]. 8 octobre 2017 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://femmesautistesfrancophones.com/2017/06/27/abus-sexuels-le-temoignage-du-silence-de-r-teeblara-femme-autiste/

AFFA / Association Francophones de Femmes Autistes. (2017d). Mères autistes et signalement : état des lieux [en ligne]. 12 octobre 2017 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://femmesautistesfrancophones.com/2017/10/12/meres-autistes-et-signalement-abusif-etat-des-lieux/

AFFA / Association Francophones de Femmes Autistes. (2017e). Groupes de travail du plan autisme 4 – Le point sur le sous-diagnostic des femmes [en ligne]. 17 octobre 2017 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://femmesautistesfrancophones.com/2017/10/19/groupe-de-travail-plan-autisme-4-le-point-sur-le-sous-diagnostic-des-femmes/

AFFA / Association Francophones de Femmes Autistes. (2017f). Angelina, autiste et greffière dans un tribunal de grande instance [en ligne]. 29 octobre 2017 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://femmesautistesfrancophones.com/2017/10/29/angelina-autiste-greffiere-tribunal-de-grande-instance/

AFFA / Association Francophones de Femmes Autistes. (2017g). #moia15ansAutist Une sucette dans la bouche et… Twitter [en ligne]. 17 octobre 2017, 0h00 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l‘adresse: https://twitter.com/FemmesAutistes/status/931295892077920256

AFFA / Association Francophones de Femmes Autistes. (2017h). #moia15ansAutist Un adulte me demande s’il peut toucher ce qui est joli et doux… Twitter [en ligne]. 18 octobre 2017, 13h12 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l‘adresse: https://twitter.com/FemmesAutistes/status/931857729966231552

American Psychiatric Association. (1996). DSM-IV : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Paris, France : Masson.

Blog emoiemoiemoi. (2017). Vidéos pédagogiques sur le sexisme et le féminisme, alias Super Pépette [en ligne]. 2 septembre 2017 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://emoiemoietmoi.over-blog.com/2017/09/videos-pedagogiques-sur-le-sexisme-et-le-feminisme.html

Blog Maman pour la vie. (2017). L’autisme invisible [en ligne]. 3 octobre 2017 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://www.mamanpourlavie.com/blogues/le-blogue-dune-maman-autiste/15431-lautisme-invisible.thtml

Dachez, Julie. (2017). Envisager l’autisme autrement : une approche psychosociale [en ligne]. Université de Nantes. Thèse en psychologie sociale. 1er décembre 2016 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : file:///C:/Users/Paul/Downloads/Dachez%20(1).pdf

France Culture, Sur Les Docks [émission radio]. (2016). Journal d’Aspergirl [article]. 6 juin 2016 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.franceculture.fr/emissions/sur-les-docks/journal-d-aspergirl

Funny Or Die [chaîne Youtube]. (2014). The Get Go: Smile [vidéo]. 7 septembre 2014 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=AX4sf1JVY24

Graham, Dee. L.R., Rawlings, E. I., Rigsby, R. K. (1994). Loving to Survive: Sexual Terror, Men’s Violence, and Women’s Lives. New York/London, USA/UK : NYU Press.

IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte (2015) – Mémoire Traumatique et Victimologie/Laure Salmona [Diaporama]. (2015). 11 septembre 2015 [consulté le 23 novembre 2015]. Disponible à l’adresse : https://fr.slideshare.net/LaureSalmona/impact-des-violences-sexuelles-de-lenfance-lge-adulte-2015-mmoire-traumatique-et-victimologielaure-salmona

IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte. (2015). SALMONA, Laure, auteure, SALMONA Muriel, coordinatrice. Enquête de l’association Mémoire Traumatique et victimologie avec le soutien de l’UNICEF France dans le cadre de sa campagne #ENDViolence. Téléchargeable à l’adresse: http://stopaudeni.com/ et http://www.memoiretraumatique.org

Kuhni, Marianne. (2013). Les femmes, grandes oubliées de la médecine [en ligne]. 9 décembre 2013. Disponible à l’adresse : https://mariannekuhni.com/2013/12/09/les-femmes-grandes-oubliees-de-la-medecine/

Kuhni, Marianne. (2014). La psychanalyste dévoilée, autisme et théorie sexuelle [en ligne]. 3 avril 2014. Disponible à l’adresse : https://mariannekuhni.com/2014/04/03/la-psychanalyse-devoilee-autisme-et-theorie-sexuelle/

Labbé, Aube. (2017). Quelles sont les causes de l’autisme ?, Spectredelautisme.com [en ligne]. Dernière mise à jour 23 janvier 2017 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://spectredelautisme.com/trouble-du-spectre-de-l-autisme-tsa/causes-autisme-tsa/

Le Monde Europe [vidéo]. (2016). Sexe: une vidéo pour comprendre l’impératif du consentement [article]. 6 novembre 2015 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://www.lemonde.fr/europe/video/2015/11/06/angleterre-une-campagne-contre-le-viol-compare-le-sexe-a-une-tasse-de-the_4804906_3214.html

Marshall, Tania A. (2013). Asperger Syndrome in girls and women : keeping up appearances and missed diagnosis [en ligne]. 15 mars 2013 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://taniaannmarshall.wordpress.com/2013/03/15/asperger-syndrome-in-girls-and-women-keeping-up-appearances-and-missed-diagnosis/

Marshall, Tania A. (2014). The Aspiengirl™, Aspienwoman and Aspienpowers Book Series [en ligne]. 17 février 2014 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://taniaannmarshall.wordpress.com/2014/02/17/the-aspiengirl-aspienwoman-and-aspienpowers-book-series/

Mc Lellan, Betty. (1995). Beyond Psychoppression : A feminist Alternativ Therapy. North Melbourne, Australie : Spinifex Press.

Nightpantz [chaîne Youtube]. (2016). Smyle for Women [vidéo]. 8 septembre 2016 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=K_lPdQWJfJU

Organisation Mondiale de la santé. (2000). CIM-10 : Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement. Paris, France : Masson.

Parry, Hannah. (2015). Shocking rise of « mate crime » : How children with autism or Asperger’s are being bullied, abused and robbed by so-called friends, MailOnline [en ligne]. 13 juillet 2015 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://www.dailymail.co.uk/news/article-3158777/Shocking-rise-mate-crime-children-autism-Asperger-s-bullied-abused-robbed-called-friends.html

Psymas.fr., site de ressources psychologiques sur le handicap. (2017). La classification de l’autisme dans la CIM et le DSM [en ligne]. [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://cms.psymas.fr/?q=node/47

Radio-Canada, Les éclaireurs [émission radio]. (2017). Les femmes autistes seraient plus nombreuses que ce qu’on croyait [article]. 11 septembre 2017 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/les-eclaireurs/segments/entrevue/37982/autisme-femme-etude-differences-hommes

Romito, Patrizia. (2006). Un silence de mortes : La violence masculine occultée. Paris, France : Syllepse.

Salmona, Muriel. (2013). Le livre noir des violences sexuelles. Paris, France : Dunod.

Salmona Muriel. (2015). Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses incontournables. Paris, France : Dunod.

Salmona, Muriel. (2017). Violence sexuelles faites aux personnes présentant des troubles de spectre de l’autisme et psychotraumatismes [en ligne]. 24 octobre 2017 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://femmesautistesfrancophones.com/wp-content/uploads/2017/11/Dr-Salmona-violences-sexuelles-envers-personnes-TSA.pdf

Satchell, Graham. (2016). Autism in women ‘significantly under-diagnosed’, BBC News [en ligne]. 31 août 2016 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://www.bbc.com/news/health-37221030

The Gardian’ Science Weekly [podcast]. (2017). The Party : how can gender  affect autism spectrum disorders ? [en ligne]. 12 octobre 2017 [consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : https://www.theguardian.com/science/audio/2017/oct/12/the-party-how-can-gender-affect-autism-spectrum-disorders-science-weekly-podcast

Vaincre l’autisme. Définition de l’autisme [en ligne].[consulté le 23 novembre 2017]. Disponible à l’adresse : http://www.vaincrelautisme.org/content/definition

STOP AU DÉNI : les séquelles à l’âge adulte des violences sexuelles faites aux enfants

Le 2 mars 2015, la Dresse Muriel Salmona était invitée dans l’émission Les Maternelles sur France 5 pour parler de l’enquête STOP AU DÉNI.

Cette excellente interview donne une synthèse facilement abordable des principaux points de l’étude STOP AU DÉNI.

L’interview est retranscrite dans son intégralité plus loin dans cet article.

La Dresse Muriel Salmona parle notamment de la fameuse mémoire traumatique qui est une « véritable torture » pour les victimes de violences sexuelles, car elle leur fait « revivre à l’identique » les violences, la douleur, la terreur, etc.

Ces traumatismes laissent des traces dans le cerveau (comme des fractures, des blessures) visibles sur les IRM.

C’est la psychothérapie qui permet de soigner ces traumatismes. Les médicaments ne sont que des béquilles qui soulagent, anesthésient la douleur (donc fondamental pour aider les victimes), mais ne guérissent pas.

L’enquête STOP AU DÉNI

STOP AU DÉNI est une grande enquête sur les violences sexuelles publiée le 1er mars 2015 par l’association Mémoire traumatique et victimologie (dont la Dresse Muriel Salmona est la présidente) et soutenue par Unicef France dans le cadre de la campagne internationale ‪#‎ENDViolence.

La publication de l’enquête STOP AU DÉNI a créé un choc et fait grand bruit, puisqu’elle a révélé que l’immense majorité des victimes de violences sexuelles sont des enfants (1 victime sur 5 avant 6 ans et 1 victime sur 2 avant 11 ans) et que les agresseurs sont en grand majorité des hommes proches des enfants.

L’enquête a révélé les conséquences désastreuses sur la santé mentale et physique des victimes, ainsi que les possibilités de soins tout à fait efficaces qui existent mais sont rarement accessibles aux victimes en raison de la loi du silence qui règne dans ce domaine et du manque de formation des professionnels (psychiatres, médecins, psychologue, etc.) qui ne font pas de lien entre les pathologies des personnes et de possibles violences, notamment dans l’enfance.

Voici un article avec plus d’informations sur cette enquête et de nombreux liens : Les violences sexuelles faites aux enfants : STOP AU DÉNI

Transcription interview du 2 mars 2015 de Muriel Salmona (Les Maternelles)

Voici la vidéo de l’interview (environ 12 minutes) : Dr Muriel Salmona – Violences sexuelles : quelles séquelles à l’âge adulte ?

Dresse Muriel Salmona, psychiatre, psychothérapeute, victimologue et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie

Muriel Salmona - France 5 (Stop au déni)

(capture d’écran de l’interview)

Transcription complète de la vidéo :

« Intro de l’émission (0.00 à 0.24)

La journaliste : nous accueillons aujourd’hui le Dr. Muriel Salmona. Bienvenue à vous sur notre plateau.

Muriel Salmona : merci beaucoup.

La journaliste : alors je vais vous présenter. Vous êtes psychothérapeute et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie et vous avez mené en partenariat avec l’Unicef une étude sur les victimes de violences sexuelles qui paraît ce matin-même.

Merci beaucoup de nous donner la primeur de cette enquête.

Alors cette enquête a été menée auprès de plus de 1’200 victimes de violences sexuelles, dont 95 % de femmes, pour évaluer l’impact et la prise en charge de ces violences sexuelles.

C’est une grande première en France, parce que jusqu’à présent il existait des études, mais qui avaient été menées auprès de professionnels et finalement, on n’avait jamais donné la parole aux victimes.

Pour vous, il était nécessaire, justement, de faire parler ces victimes ?

Muriel Salmona : oui, c’est essentiel, parce que la loi du silence, le déni, s’imposent à elles. C’était une façon de leur donner la parole et de leur permettre à la fois de témoigner sur les violences qu’elles avaient subies et de témoigner de leur parcours, de ce qui s’était passé, de toutes les maltraitances qu’elles avaient aussi pu vivre, la non-reconnaissance.

C’est à tel point que l’on a été étonné du nombre de personnes qui ont répondu à ce questionnaire, parce que c’est un questionnaire de plus de 180 questions, avec plus de 1’200 personnes. Et avec de longs témoignages, parce qu’il y avait beaucoup de questions ouvertes.

La journaliste : ça veut dire que ces victimes avaient besoin d’être entendues et besoin de parler.

Muriel Salmona : oui.

La journaliste : vous cherchez notamment avec cette étude à évaluer l’impact à l’âge adulte des violences sexuelles subies durant l’enfance. On va y revenir, on va voir que les conséquences peuvent être multiples, que ce soit psychologiquement, physiquement et même, évidemment, socialement.

En tout cas, vous poussez un cri d’alarme, car vous dites qu’on est face à un problème de santé publique qu’on ignore.

C’est-à-dire ? On ne les entend pas ces victimes ?

Muriel Salmona : oui, on ne les entend pas. L’immense majorité reste seule, abandonnée, sans prise en charge, sans reconnaissance, sans non plus …

Autre journaliste : d’accompagnement.

Muriel Salmona : oui, sans avoir accès à la justice. Et avec de très lourds symptômes. Avoir subi des violences dans l’enfance, ça peut être vraiment le déterminant principal de la santé, même cinquante ans après, si aucune prise en charge n’est faite.

La journaliste : comment vous expliquez ça, qu’on les laisse de côté ou qu’elles se laissent elles-mêmes de côté, ces victimes ?

Muriel Salmona : elles ne se laissent pas de côté. Elles tirent la sonnette d’alarme, le plus souvent, mais personne ne fait de liens entre leurs symptômes et les violences qu’elles ont subies. On ne leur pose pas la question de savoir qu’est-ce qu’elles ont subi. Il y a vraiment une loi du silence. On ne veut pas savoir, le plus souvent.

Et même si elles parlent, les symptômes qu’elles présentent, qui sont des symptômes typiques, qui sont vraiment les symptômes, les conséquences psychotraumatiques, ne sont pas du tout reliés aux violences.

La journaliste : on ne fait pas le lien.

Muriel Salmona : on ne fait pas le lien…

Autre journaliste : surtout quand elles apparaissent si loin derrière, à l’occasion d’une naissance, par exemple, qu’elles sont déjà engagé dans la vie professionnelle…

Muriel Salmona : oui. Et puis des symptômes très importants, avec un impact non seulement sur la santé mentale – c’est l’impact psychotraumatique – mais aussi sur la santé physique, avec de lourdes conséquences qui peuvent aller de conséquences cardiovasculaires, pulmonaires, gynécologiques, endocriniennes, immunitaires… Et si on ne fait rien, ces conséquences s’aggravent.

Alors que les soins sont efficaces. Et c’est ça qui est d’autant plus terrible.

La journaliste : rageant ?

Muriel Salmona : rageant, révoltant et scandaleux. Les soins sont efficaces.

Même les atteintes neurologiques qui sont produites par le stress extrême lors des violences, ces atteintes neurologiques vont régresser. Il y a une neuroplasticité du cerveau qui permet de récupérer par rapport à des atteintes que maintenant on connaît bien et qu’on peut voir sur des IRM.

La journaliste : par contre, il faut les prendre à temps. En tout cas, il faut les prendre en charge à un moment donné.

Muriel Salmona : il faut les prendre en charge à un moment donné. On peut les prendre même assez tard, mais c’est dommage, parce que … quel gâchis !

Les personnes ont été abandonnées, à souffrir, à avoir des risques suicidaires très importants, une souffrance mentale terrible…

La journaliste : ce qui est très impressionnant dans cette étude, un des résultats les plus marquants, ça concerne l’âge au moment des premiers sévices sexuels.

Il y a 81% des victimes qui ont été agressées avant 18 ans. Et parmi elles, 1 personne sur 5, avant l’âge de 6 ans. C’est extrêmement choquant. C’est terrible, ce chiffre.

Est-ce que vous, ça vous a choquée ? Ou pas plus que ça ?

Muriel Salmona : on savait que la majorité des violences sexuelles avaient lieu sur les enfants. C’est souvent très peu dit. On parle souvent des femmes adultes, par exemple, qui subissent des viols. Mais c’est rare qu’on entende que ce sont les enfants, les moins de 18 ans, qui subissent le plus de viols.

Mais on a été étonné par ces chiffres. Et c’est pour ça que l’Unicef nous a soutenus, par rapport à sa campagne mondiale #ENDViolence, pour nous permettre de pouvoir lancer ce cri d’alarme sur le fait… c’est effarant …c’est même pas parmi les 81% … c’est que dans 1 cas de violences sexuelles sur 2, c’est avant 11 ans que cela se produit.

La journaliste : c’est vraiment s’attaquer aux plus faibles.

Autre journaliste : dans l’étude, vous précisez des chiffres, effectivement, dont on avait déjà entendu parler. A savoir que ces viols, ces incestes, se passent essentiellement – à 94% – au sein même des familles. On sait malheureusement, par des membres de la famille, dans un peu plus de la moitié des cas – 52%.

Et puis il y a quelque chose qui est surprenant, qu’on découvre dans cette enquête, c’est que dans 1 cas sur 4, l’agresseur est mineur [donc 3 cas sur 4 – 75% – il s’agit d’adultes, donc de pédocriminalité].

Muriel Salmona : oui, ça aussi, c’était une surprise.

La journaliste : ça veut dire quoi ? Ça veut dire que c’est un frère ?

Muriel Salmona : ça peut être un frère, un cousin. Ça peut être un ami, enfin des mineurs qui sont dans la proximité de l’enfant. Ça peut être aussi dans le cadre du sport, dans le cadre d’activités scolaires. Mais en tout cas, ce sont des proches.

Et surtout, ce qui a été très marquant et très préoccupant, c’est que ces violences qui sont commises par ces mineurs sur des enfants, c’est souvent avant 6 ans. La grande majorité, ce sont des mineurs de moins de 6 ans.

Et la grande majorité, ce sont des viols. C’est des violences très graves.

La journaliste : c’est plus que des attouchements, vous voulez dire ?

Muriel Salmona : dans 70%, ce sont des viols.

Une chroniqueuse : alors les conséquences plus tard, elles sont désastreuses.

Muriel Salmona : elles sont d’autant plus graves, effectivement, qu’il s’agit d’un viol, que ça se produit sur des enfants plus jeunes et que c’est dans un cadre d’inceste.

Autre journaliste : et dans un cadre familial.

Muriel Salmona : oui, parce qu’il n’y a aucune possibilité pour l’enfant d’échapper à la situation, très peu de possibilité de pouvoir alerter, parler.

La journaliste : généralement, c’est répétitif, en plus.

Muriel Salmona : en plus. Et souvent, ce qu’on voit, c’est qu’il y a plusieurs membres de la famille qui peuvent exercer des violences et les enfants sont donc pris au piège. Ils ne peuvent que subir, sur des années, et les conséquences sont gravissimes.

Une chroniqueuse : et quand on est à l’âge adulte, ça a de l’impact sur la vie familiale, sur la vie affective, mais aussi sur la vie professionnelle ? Qu’est-ce qui ressort le plus, selon vous, dans votre enquête ?

Muriel Salmona : alors l’impact sur la vie, ce qui ressort le plus, c’est le nombre de tentatives de suicide. C’est impressionnant. Quand il s’agit d’enfants, c’est 1 enfant victime sur 2 qui va faire des tentatives de suicide, souvent à répétition. Il y a une solitude extrême…

Un chroniqueur : ça fait partie de la mémoire traumatique dont vous parlez dans le livre ?

Muriel Salmona : oui, ça en fait partie. Ça fait partie à la fois de la mémoire traumatique qui entraîne une souffrance extrême et ça fait partie aussi de l’image que la personne a de soi, puisqu’on lui a renvoyé qu’elle ne valait rien, qu’elle n’avait aucun droit, aucune valeur, qu’on l’a piétinée. Elle n’a pas le droit d’exister, en quelque sorte.

Une autre chroniqueuse : c’est un manque de protection énorme aussi, dans l’enquête, ça ressort. Il y a 83 % qui estiment ne pas avoir eu de protection, même, certains, ne pas avoir été entendus par la police aussi.

Muriel Salmona : oui et manque de reconnaissance. Et puis, on ne pose pas la question. On ne peut pas attendre que les victimes parlent – d’autant plus pour les enfants – elles restent exposées à leurs agresseurs ou aux complices des agresseurs. Donc elles ne peuvent pas parler.

Autre journaliste : en les écoutant, ils ont l’impression qu’ils vont attaquer la sphère privée ?

Muriel Salmona : donc il faut poser la question, il faut aller chercher… Les chiffres sont énormes. On sait que par année, au moins 124’000 filles subissent des viols et des tentatives de viol. Et 30’000 garçons subissent des viols et des tentatives de viol. Donc c’est vraiment énorme.

La journaliste : et surtout la loi, elle n’est pas adaptée, parce que plus d’un tiers des victimes mineures au moment des faits ont une période d’amnésie traumatique.

C’est-à-dire qu’on oublie ce qui s’est passé, surtout quand ça a été infligé dans le cadre de la famille. Il y a un délai de prescription ?

Muriel Salmona : oui, il y a un délai.

La journaliste : il est de combien de temps ?

Muriel Salmona : alors on l’a obtenu de hautes luttes. Maintenant, il est de 20 ans après la majorité quand il s’agit de viols et d’agressions sexuelles avec circonstances aggravantes, donc avec membres de la famille, enfin personnes ayant autorité.

La journaliste : vous trouvez que c’est suffisant ?

Muriel Salmona : non, c’est pas du tout suffisant, c’est pour cela, ce qu’on demande, c’est une imprescriptibilité. Les conséquences, elles ne s’arrêtent pas.

La journaliste : elles n’ont pas de prescription, elles, pour le coup.

Muriel Salmona : et surtout, ce qui est important, c’est à la fois qu’il y ait enfin cette justice, cet accès à la justice et cette reconnaissance, mais aussi, ce qu’on sait, c’est que les agresseurs, ils vont continuer. Les victimes portent plainte aussi pour ça. Il faut qu’elles puissent porter plainte pour ça.

La journaliste : pour protéger aussi les autres victimes.

Muriel Salmona : donc on demande l’imprescriptibilité… on avait soutenu un projet de loi qui rallongeait de 10 ans, c’était déjà mieux que rien. On espère qu’on va faire bouger les choses à ce niveau…

Une autre chroniqueuse : il faut que ça bouge.

Muriel Salmona : mais là, il y a vraiment une opinion publique à alerter.

Il faut poser des questions. La souffrance … la mémoire traumatique, justement, c’est le fait de revivre les violences, à l’identique. C’est une véritable machine à remonter le temps. C’est une torture qui va continuer. Et le seul moyen d’y échapper, c’est de s’anesthésier, c’est d’avoir une dissociation qui est un mécanisme que le cerveau met en place – mécanisme de défense – qui va entraîner une anesthésie émotionnelle

Mais ça peut être aussi de prendre de l’alcool, de la drogue…

La journaliste : les comportements à risques.

Muriel Salmona : les enfants ne prennent pas de l’alcool, de la drogue pour rien. Il faut se préoccuper de pourquoi. Qu’est-ce qui leur est arrivé ? Pourquoi une telle détresse pour qu’ils aient besoin à ce point-là de s’anesthésier ?

Donc c’est tout ça qu’il faut absolument interroger. Il faut poser la question. Il faut aller chercher les violences.

Il faut faire des campagnes d’information, c’est essentiel. Informer, former les professionnels. On est dans un pays où on ne forme pas encore les professionnels, les médecins. Je suis psychiatre : les psychiatres ne sont pas formés à la psychotraumatologie.

La journaliste : et on n’a pas forcément envie d’entendre les enfants. Les enfants ne sont pas des électeurs aussi. C’est pas forcément les victimes idéales pour l’opinion publique.

Muriel Salmona : ils ont des droits.

La journaliste : voilà, merci beaucoup Dr. Muriel Salmona.

Oui, les droits de l’enfant, on en parle souvent sur le plateau des Maternelles.

Vous pouvez retrouver l’intégralité de l’enquête Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte sur le site de l’Unicef. »

STOP AU DÉNI : la mémoire traumatique, « véritable torture » pour les victimes de violences sexuelles

Le 2 mars 2015, la Dresse Muriel Salmona était invitée dans l’émission Hondelatte Direct (talk-show de Christophe Hondelatte) sur BFMTV pour parler de l’enquête STOP AU DÉNI.

Cette excellente interview est retranscrite dans son intégralité plus loin dans cet article.

La Dresse Muriel Salmona parle notamment de la fameuse mémoire traumatique qui est une « véritable torture » pour les victimes de violences sexuelles, car elle leur fait « revivre à l’identique » les violences, la douleur, la terreur, etc.

Ces traumatismes laissent des traces dans le cerveau (comme des fractures, des blessures) visibles sur les IRM.

La Dresse Muriel Salmona précise que c’est la psychothérapie qui permet de soigner ces traumatismes. Les médicaments ne sont que des béquilles qui soulagent, anesthésient la douleur (donc fondamental pour aider les victimes), mais ne guérissent pas.

L’enquête STOP AU DÉNI

STOP AU DÉNI est une grande enquête sur les violences sexuelles publiée le 1er mars 2015 par l’association Mémoire traumatique et victimologie (dont la Dresse Muriel Salmona est la présidente) et soutenue par Unicef France dans le cadre de la campagne internationale ‪#‎ENDViolence.

La publication de l’enquête STOP AU DÉNI a créé un choc et fait grand bruit, puisqu’elle a révélé que l’immense majorité des victimes de violences sexuelles sont des enfants (1 victime sur 5 avant 6 ans et 1 victime sur 2 avant 11 ans) et que les agresseurs sont en grand majorité des hommes proches des enfants.

L’enquête a révélé les conséquences désastreuses sur la santé mentale et physique des victimes, ainsi que les possibilités de soins tout à fait efficaces qui existent (notamment, la psychothérapie) mais sont rarement accessibles aux victimes en raison de la loi du silence qui règne dans ce domaine et du manque de formation des professionnels (psychiatres, médecins, psychologue, etc.) qui ne font pas de lien entre les pathologies des personnes et de possibles violences, notamment dans l’enfance.

Voici un article avec plus d’informations sur cette enquête et de nombreux liens : Les violences sexuelles faites aux enfants : STOP AU DÉNI

Transcription interview du 2 mars 2015 de Muriel Salmona (Hondelatte Direct – BFMTV)

Voici la vidéo de l’interview (environ 6 minutes) : La mémoire traumatique, « véritable torture » des victimes de violences sexuelles

Dresse Muriel Salmona, psychiatre, psychothérapeute, victimologue et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie

Muriel Salmona - Bfmtv 5

(capture d’écran de la vidéo)

Descriptif de la vidéo : « L’association Mémoire traumatique et victimologie dévoile dans un rapport les lourdes conséquences à l’âge adulte des violences sexuelles subies dans l’enfance, faute de prise en charge appropriée. En France, une femme sur cinq et un homme sur quatorze déclarent avoir subi des violences sexuelles. Les enfants sont les principales victimes: 81% ont subi ces violences avant l’âge de 18 ans, dont 51% avant 11 ans et 21% avant 6 ans. Devenus adultes, leur « santé physique est impactée », explique Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, pour qui il faut former les médecins. »

Transcription complète de la vidéo :

« Christophe Hondelatte : les résultats font froid dans le dos. Les victimes de viols et d’agression dans l’enfance deviennent des adultes ultra-traumatisés. Pas toutes, mais majoritairement.

Muriel Salmona : oui, tout à fait, ultra-traumatisées, mais ça pourrait être évité. C’est pour ça aussi que je me bats et c’est pour ça que j’essaye d’alerter les pouvoirs publics.

Parce que si elles le sont, à ce point-là, des années, voire des dizaines d’années, voire cinquante ans après, c’est aussi parce qu’elles ont été abandonnées, depuis le départ, sans protection et sans soins.

Parce que les troubles psychotraumatiques qui suivent ces violences peuvent être traités.

Christophe Hondelatte : alors, on va expliquer quelque chose. Vous allez le faire, mais je vous laisse le soin de l’expliquer. Un viol, ça crée un traumatisme dans le cerveau qui est visible si on fait une IRM. C’est-à-dire, ça n’est pas que psychologique, c’est physiologique.

Muriel Salmona : oui, c’est physiologique, c’est neurologique, c’est neurobiologique et il y a des atteintes corticales, il y a des atteintes que l’on peut maintenant très bien voir sur des IRM. Des atteintes aussi…

Christophe Hondelatte : c’est des zones de douleur.

Muriel Salmona : oui, en fait, c’est un peu comme un impact, c’est comme des blessures, et voire comme des fractures puisqu’il y a des circuits émotionnels, des circuits de la mémoire… c’est un peu comme s’il était fracturé. Et du coup, il faut que ça se répare.

Mais si les personnes continuent à subir des violences, si rien n’est fait … c’est un peu comme quelqu’un qui aurait des fractures, ça peut se réparer tout seul, le tissu osseux se répare pareil. C’est pareil pour le tissu neurologique, il y a une neurogenèse, mais encore faut-il que ce soit dans de bonnes conditions.

Et il faut pouvoir réparer ces blessures et ça marche, mais …

Christophe Hondelatte : c’est pour ça que tous les adultes traumatisés par ces viols de l’enfance parlent de problèmes physiques, des dizaines d’années plus tard ? Par exemple, 43% disent vivre des conséquences sur leur santé physique

Muriel Salmona : oui, sur leur santé physique, effectivement. Et puis beaucoup plus, 95%, sur leur santé mentale. Mais la santé physique est impactée

Christophe Hondelatte : ça peut aller jusqu’à un cancer.

Muriel Salmona : oui, ça peut aller jusqu’à un cancer. Avoir subi de nombreuses violences dans l’enfance peut entraîner aussi une perte d’espérance de vie.

Mais c’est le stress, c’est les facteurs stress … quand on subit des violences, on développe ce qu’on appelle une mémoire traumatique. Ce sont les flashbacks, les cauchemars, tout ce qui revient… c’est le fait de revivre à l’identique les violences, les douleurs, le stress, la terreur … et c’est une véritable torture.

Et si rien n’est fait pour traiter cette mémoire traumatique, les personnes vont devoir survivre avec ça et ça va vraiment impacter leur santé. Au niveau cardiovasculaire aussi, au niveau de l’immunité…

Christophe Hondelatte : est-ce qu’elles boivent plus, elles prennent plus de drogues, elles fument plus de cigarettes ?

Muriel Salmona : oui, parce que les conduites addictives servent à anesthésier cette fameuse mémoire traumatique. Si on les laisse seules, à devoir se débrouiller, à devoir survivre avec cette mémoire traumatique … il faut bien y échapper.

Donc c’est soit des conduites d’évitement, des phobies, des troubles obsessionnels, soit des conduites addictives qui permettent de s’anesthésier.

Christophe Hondelatte : quand vous parlez de traitement, vous parlez de prise en charge psychothérapeutique ou de prise de médicaments ?

Muriel Salmona : alors, c’est exactement pareil qu’une fracture. Le médicament ne répare pas la fracture. Ce qu’il fait, le médicament, c’est qu’il diminue la douleur. Là c’est pareil, les médicaments peuvent diminuer les douleurs, mais ils ne vont pas réparer la fracture. C’est la psychothérapie qui répare.

Christophe Hondelatte : alors comme beaucoup de français, j’ai lu Boris Cyrulnik et je crois sincèrement à la puissance de la résilience. Ce que nous dit Cyrulnik, c’est que malgré tous les traumatismes qu’on a pu subir dans son enfance, on peut les poser à un moment donné, en sachant qu’ils sont là, puis tracer sa vie. Mais ce que vous nous dites, c’est qu’au final, c’est pas si simple.

Muriel Salmona : non, c’est pas si simple. Et on n’a pas le droit, en quelque sorte, de laisser des personnes se débrouiller toutes seules, sans soins, avec des impacts très importants, en attendant qu’elles puissent petit à petit se relever.

Oui, bien entendu, on peut guérir de ces traumatismes. On peut ne plus être continuellement colonisé par ces violences. On ne va pas les oublier, bien entendu, mais on peut…

Christophe Hondelatte : les poser, savoir qu’elles sont là.

Muriel Salmona : oui, les déposer. Mais ça, ça se fait très bien s’il y a des soins, s’il y a des prises en charge. Et puis, il s’agit de protéger les victimes, il s’agit de les accompagner, de reconnaître ce qu’elles ont subi. Et ça, c’est absolument essentiel.

Christophe Hondelatte : pourquoi il n’y a pas de soins ? Parce qu’on ne va pas chercher ces gens pour les amener vers les soins ? Parce qu’on a un système de santé formidable en France. Si ces gens saisissaient le système de santé, elles seraient prises en charge.

Muriel Salmona : c’est pas du tout le problème, parce qu’il y a très peu d’offres de soins.

Christophe Hondelatte : y a pas d’offres de soins ?

Muriel Salmona : non, très peu, très peu. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas, mais il y en a très peu… et ça, il faut le demander.

Christophe Hondelatte : centrées sur les violences sexuelles ?

Muriel Salmona : et en fait même la Convention d’Istanbul demande expressément qu’ils soient créés, ces centres de soins. Et les professionnels ne sont pas formés à la psychotraumatologie. Or, maintenant on a des connaissances…

Christophe Hondelatte : vous voulez dire, y compris les psychiatres ?

Muriel Salmona : oui, y compris les psychiatres.

J’ai participé à un groupe de travail avec la mission interministérielle de protection des femmes victimes de violences pour faire démarrer un peu cette formation, mais il y a urgence. Il faut former les médecins.

Alors que l’on connaît très bien l’impact psychotraumatique, on sait que c’est une partie très importante de tous les troubles psychiatriques, des problèmes de santé mentale, mais rien pour l’instant ne permet aux professionnels de santé de se former.

Donc il faut leur offrir des formations et il faut ouvrir des centres de soins.

Il faut que les victimes puissent aller quelque part. Parce que les victimes, souvent, elles vont galérer pendant des années, des dizaines d’années, avant de trouver enfin un professionnel. Elles les cherchent.

Christophe Hondelatte : et parfois, sans avoir dit qu’elles avaient été victimes de violences sexuelles, ce qui fait que personne dans leur entourage ne peut les aider.

Muriel Salmona : oui et les professionnels de santé, il faut qu’ils posent la question systématiquement, puisque c’est un des déterminant principal de la santé.

Il faut poser systématiquement la question « est-ce que vous avez subi des violences » et que la personne réponde.

On a fait des études qui montrent qu’il faut que ce soient les professionnels qui aillent vers personnes et pas l’inverse. »

 

Les violences sexuelles faites aux enfants : STOP AU DÉNI

Le 1er mars 2015, l’association Mémoire traumatique et victimologie publiait le rapport d’une grande enquête sur les violences sexuelles intitulée STOP AU DÉNI : Rapport d’enquête 2015

« Rapport d’enquête » et « synthèse du rapport d’enquête »

Stop au déni - rapport 2015 Stop au déni - synthèse rapport 2015

(à télécharger sur la page du rapport 2015)

Soutenue par Unicef France dans le cadre de la campagne internationale ‪#‎ENDViolence, l’enquête a été menée de mars 2014 à septembre 2014 sous la direction de la Dresse Muriel Salmona, psychiatre, psychothérapeute, victimologue et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie.

L’enquête STOP AU DÉNI est basée sur un questionnaire de plus de 180 questions auquel plus de 1’200 victimes de violences sexuelles (dont 95 % de femmes) ont répondu, souvent avec de longs témoignages.

L’enquête a révélé que les enfants sont les principales victimes des violences sexuelles puisque 81% des victimes de violences sexuelles sont des mineur-e-s (majoritairement des filles) : 1 victime sur 5 a été violée avant 6 ans, 1 victime sur 2 a été violée avant 11 ans.

L’enquête a également révélé que 96 % des agresseurs sont des hommes, 94 % des proches, 1 enfant sur 2 est agressé par un membre de sa famille et 1 agresseur sur 4 est mineur, donc 3 agresseurs sur 4 (75 %) sont des adultes (pédocriminalité).

L’enquête a démontré les lourdes conséquences sur la santé mentale et physique des victimes, ainsi que les risques de suicide (1 victime sur 2 a tenté de se suicider) et les risques de grossesse (1 grossesse sur 5 « consécutive à un viol » affecte une mineure).

L’enquête a aussi démontré la loi du silence et le déni de ces violences sexuelles, puisque 83% des victimes interrogées déclarent n’avoir jamais été protégées et 67% des répondant-e-s qui ont porté plainte (donc intervention de la police) n’ont bénéficié d’aucune mesure de protection.

L’enquête révèle que seules 4% des victimes agressées dans l’enfance indiquent avoir été prises en charge par l’Aide sociale. Parmi celles qui ont porté plainte : 66% de celles qui avaient moins de 6 ans au moment des faits déclarent « n’avoir jamais été protégées », de même que 70% de celles entre 6 et 10 ans et 71% de celles entre 11 et 14 ans.

« Les violences sexuelles faites aux enfants »

violences-sexuelles-enfants_01 violences-sexuelles-enfants_02 violences-sexuelles-enfants_03

Infographie STOP AU DÉNI

(à télécharger sur la page du rapport 2015)

Liens et publications

Voici un grand nombre de liens et publications concernant l’enquête STOP AU DÉNI.

Le site de l’enquête : STOP AU DÉNI

Sur le site de l’enquête STOP AU DÉNI, la page de la campagne 2015 (un excellent résumé, avec une synthèse et des liens) : Campagne 2015

La page de l’Unicef France : Violences sexuelles faites aux enfants : stop au déni !

La chaîne officielle (sur Dailymotion) de la campagne de sensibilisation STOP AU DENI, pour la prise en charge médicale et judiciaire des victimes de violences sexuelles : STOP AU DENI – LES SANS VOIX

Vidéo « Rendez-vous le lundi 02 mars 2015 de 9h à 18h, salle Clemenceau au Palais du Luxembourg (16 rue de Vaugirard, Paris 75006) pour assister au Colloque de l’association Mémoire traumatique & victimologie, en partenariat avec l’UNICEF » : MEMOIRE TRAUMATIQUE COLLOQUE : 2 MARS 2015 AU SÉNAT

Message de Muriel Salmona (1er mars 2015) à propos de cette vidéo : « Afin d’inciter les pouvoirs publics à mettre en place en urgence un plan d’action visant à améliorer la prévention, ainsi que l’accompagnement et le soin des victimes de violences, l’association organise, avec le soutien de l’UNICEF, le colloque « Enquête de reconnaissance » qui se tiendra demain (le 2 mars 2015) au Palais du Luxembourg. De nombreux intervenants prestigieux seront présents, dont Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la Famille, des Personnes âgées et de l’Autonomie, Michèle Barzach, présidente de l’Unicef France, Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty France, et Christopher Mikton, rapporteur de l’Organisation mondiale de la santé. »

Le premier article sur l’enquête publié par 20Minutes.fr le 1er mars 2015 : «Plus les violences sexuelles ont lieu tôt dans l’enfance, plus leurs conséquences peuvent être lourdes à l’âge adulte»

Article publié par RTL le 1er mars 2015 : Le déni des violences sexuelles de l’enfance, un « scandale » de santé publique

Article publié par Huffington Post le 1er mars 2015 : Violences sexuelles: 81% des victimes sont des mineurs, 94% des agresseurs sont des proches, selon une enquête soutenue par l’UNICEF

Article publié par FranceInter.fr le 1er mars 2015 : Comment se reconstruire après des violences sexuelles

Article publié par Libération le 1er mars 2015 : Déni des violences sexuelles de l’enfance: un «scandale» de santé publique

Article publié par Le JDD le 1er mars 2015 : Enfants violés, marqués à vie

Article publié par Ouest-France le 1er mars 2015 : Société. L’accablante enquête sur les violences sexuelles

Article publié par Metronews le 1er mars 2015 : Les conséquences dramatiques du déni de violences sexuelles sur les enfants

Article publié par My TF1 News le 1er mars 2015 : Violences sexuelles pendant l’enfance : une étude donne l’alerte

Article publié par Le Parisien le 1er mars 2015 : Ce que deviennent les victimes de violences sexuelles

Article publié par France Soir le 1er mars 2015 : Violences sexuelles: en France, 81% des victimes sont mineures (VIDEO)

Article publié par Europe 1 le 1er mars 2015 : Les lourdes conséquences des viols subis dans l’enfance

Article publié par L’Express le 1er mars 2015 : En France, 81% des victimes d’abus sexuels sont mineures

A recommander particulièrement. Article publié par Libération le 2 mars 2015 : Violences sexuelles faites aux enfants : une urgence humanitaire par Michèle Barzach, présidente de l’Unicef France, et Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie. Vu son intérêt, cet article est retranscrit intégralement ci-après.

Vidéo du 2 mars 2015 de BFMTV (dans Hondelatte Direct) : La mémoire traumatique, « véritable torture » des victimes de violences sexuelles (transcription complète de la vidéo ici)

Vidéo du 2 mars 2015 de France 5 (dans Les Maternelles) : Dr Muriel Salmona – Violences sexuelles : quelles séquelles à l’âge adulte ? (transcription complète de la vidéo ici)

Article publié par Paris Match le 2 mars 2015 : Le fléau de l’ombre – Violences sexuelles faites aux enfants

Article publié par Santé Magazine le 2 mars 2015 : Violences sexuelles pendant l’enfance : comment aider votre conjoint[e]

Article publié par Le Journal des femmes le 2 mars 2015 : Violences sexuelles : et après ?

Article publié par AlloDocteur.fr (France 5) le 2 mars 2015, avec vidéo de l’émission dont l’invitée est Michèle Barzach, présidente de l’Unicef France : Enfance : seules 4% des victimes de violences sexuelles prises en charge

Extrait : « Seules 4% des victimes agressées dans l’enfance indiquent avoir été prises en charge par l’Aide sociale. Parmi celles qui ont porté plainte, 66% de celles qui avaient moins de 6 ans au moment des faits déclarent « n’avoir jamais été protégées », tout comme 70% de celles entre 6 et 10 ans et 71% de celles entre 11 et 14 ans. « Il est urgent que les pouvoirs publics mettent en œuvre les moyens nécessaires pour protéger, accompagner et soigner efficacement les victimes afin d’enrayer le cycle infernal des violences », souligne le Dr Muriel Salmona. »

Article publié par Madmoizelle.com le 3 mars 2015 : « Stop au déni » interpelle sur les violences sexuelles qui touchent les mineurs

Article publié par RFI le 6 mars 2015 : Les violences sexuelles

Retranscription article « Les violences sexuelles faites aux enfants : une urgence humanitaire »

Voici l’article publié par Libération le 2 mars 2015 : Violences sexuelles faites aux enfants : une urgence humanitaire

Cet article de Michèle Barzach (présidente de l’Unicef France) et Muriel Salmona (présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie) donne un excellent résumé de l’enquête STOP AU DÉNI.

Retranscription complète de l’article :

« 81 % des victimes de violences sexuelles ont subi les premières violences avant l’âge de 18 ans. La quasi-totalité des enfants victimes développeront des troubles psychotraumatiques.

Les récentes études internationales de l’UNICEF et de l’OMS et notre enquête menée en France convergent dans le terrible constat d’une insuffisante reconnaissance et prise en charge des violences sexuelles subies par les enfants.

De toutes les violences sexuelles, celles qui touchent les enfants font partie des plus cachées. Chaque année, nous dit-on, 102 000 adultes sont victimes de viols et de tentatives de viol (86 000 femmes et 16 000 hommes) en France, mais on ne nous parle pas des victimes mineures pourtant bien plus nombreuses, estimées à 154 000 (124 000 filles et 30 000 garçons) (1). Dans le monde, 120 millions de filles (une sur dix) ont subi des viols, et la prévalence des violences sexuelles est de 18 % pour les filles et de 7,5 % pour les garçons (2).

Selon les résultats de notre enquête Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, conduite auprès de plus de 1 200 victimes par l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, et présentée le 2 mars 2015 avec le soutien de l’UNICEF France (dans le cadre de son action internationale #ENDviolence) : 81 % des victimes de violences sexuelles ont subi les premières violences avant l’âge de 18 ans, 51 % avant 11 ans, et 23 % avant 6 ans (3).

Des enfants condamnés au silence

Alors qu’ils sont les principales victimes de ces délits graves et de ces crimes (68 % de viols dans notre enquête), moins de 20 % déclarent avoir été reconnus comme victimes et protégés, et 30 % en cas de plainte, à peine plus. Les enfants sont d’autant plus pris au piège, condamnés au silence et abandonnés que 94 % de ces violences sont commises par des proches, et 52 % par des membres de la famille. Les agresseurs – essentiellement des hommes dont le quart sont des mineurs – bénéficient presque toujours d’une totale impunité.

Or, les violences sexuelles font partie des pires traumas, et la quasi-totalité des enfants victimes développeront des troubles psychotraumatiques. Ces traumas ne sont pas seulement psychologiques mais aussi neuro-biologiques avec des atteintes corticales et des altérations des circuits émotionnels et de la mémoire à l’origine d’une dissociation et d’une mémoire traumatique.

Faute d’être reconnus et soignés, ces enfants gravement traumatisés développent des stratégies hors normes pour survivre aux violences et à leur mémoire traumatique qui — telle une machine infernale à remonter le temps — leur fait revivre à l’identique ce qu’ils ont subi, comme une torture sans fin. Ces stratégies de survie (conduites d’évitement et conduites à risque dissociantes) sont invalidantes et à l’origine de fréquentes amnésies traumatiques (34 %). Traumas et stratégies de survie s’installent dans la durée si la mémoire traumatique n’est pas traitée de façon spécifique, ils vont gravement impacter la santé et la qualité de vie des victimes, et les exposer à des revictimisations (7 victimes sur 10 ont subi des violences sexuelles à répétition).

Un risque de mort précoce

Les conséquences sur la santé à long terme seront d’autant plus graves que les victimes ont subi un viol, alors qu’elles avaient moins de 11 ans, et qu’il s’agissait d’un inceste : risque de mort précoce par accidents, maladies et suicides (selon l’enquête, elles sont 45 % à avoir tenté de se suicider), de maladies cardio-vasculaires et respiratoires, de diabète, d’obésité, d’épilepsie, de troubles psychiatriques, d’addictions (pour 48 % des victimes), de troubles de l’immunité, de troubles gynécologiques, digestifs et alimentaires, de douleurs chroniques, etc.

Avoir subi des violences dans l’enfance est le déterminant principal de la santé 50 ans après et peut faire perdre jusqu’à 20 années d’espérance de vie si plusieurs violences sont associées (4).

Le manque de formation fait que, face à un enfant en souffrance, suicidaire, se mettant en danger, peu de professionnel-le-s s’interrogent sur ce que cache cette détresse, ou pensent à lui poser des questions pour savoir s’il a subi des violences (ce qui devrait être systématique lors de tout entretien). Les symptômes des enfants sont fréquemment banalisés, mis sur le compte de la crise d’adolescence, où sont, à l’inverse, parfois étiquetés comme des déficiences ou des psychoses, et font l’objet de traitements dissociants qui ne font qu’anesthésier la souffrance (5).

Un plan global de lutte contre les violences faites aux enfants

Pour les victimes, la non-reconnaissance de leurs psychotraumatismes est une perte de chance car une prise en charge adaptée leur permet, en traitant leur mémoire traumatique, de ne plus être colonisés par les violences et les agresseurs, d’activer une réparation neurologique et d’en stopper les conséquences.

Il est essentiel de protéger les enfants de toutes les violences et d’assurer le respect de leurs droits fondamentaux. Il faut garantir aux enfants victimes l’accès à la justice et à des réparations en améliorant les lois et les procédures, et un accès rapide à des soins spécialisés gratuits.

Nous réclamons la mise en place d’un plan global de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants, avec des campagnes d’information, une formation de tous les professionnels concernés et la création de centres de soins spécifiques. Sortir du déni, protéger et soigner les enfants victimes de violences sexuelles est une urgence humanitaire et de santé publique.

(1) INSEE-ONDRP, enquêtes Cadre de vie et sécurité de 2010 à 2013.

(2) rapports 2014 de l’UNICEF et de l’OMS

(3) rapport consultable sur les sites stopaudeni.com et memoiretraumatique.org

(4) FELITTI Vincent J., ANDA Robert F., 2010, et BROWN David W., 2009.

(5) SALMONA M., Le livre noir des violences sexuelles, Dunod, 2013.

Liste des cosignataires :

Anne Hidalgo Maire de Paris, Geneviève Avenard Défenseure des enfants, Adjointe du Défenseur des droits, Dominique Versini Adjointe à la Maire de Paris, chargée de toutes les questions relatives à la solidarité, aux familles, à la petite enfance, à la protection de l’enfance, à la lutte contre l’exclusion, aux personnes âgées, Frédéric Worms Professeur de philosophie à l’Ens, Dominique Attias Avocate, membre de la Commission Enfance en France de l’UNICEF France, Isabelle Thieuleux Avocate, Dre Monique Martinet Neuro-Psychiatre Pédiatre, Présidente – Conseiller Scientifique AIR – AIRMES, Dre Noémie Roland, médecin généraliste, Dr Gilles Lazimi Médecin du CMS de Romainville, maître de conférence en médecine générale à l’Université Pierre et Marie Curie, Sokhna Fall Thérapeute familiale, Victimologue, ethnologue, vice-présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, Hélène Romano Docteur en psychopathologie clinique, psychologue clinicienne et psychothérapeute spécialisée dans le psychotraumatisme, Jean-Fabrice Pietri Chef de mission, Médecins sans frontières France, Jean-Pierre Salmona Cardiologue, trésorier de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, Laure Salmona Rédactrice du rapport d’enquête «Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte», Geneviève Garrigos Présidente d’Amnesty France.

Michèle BARZACH présidente de l’UNICEF France et Muriel SALMONA psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie »

Se séparer d’un conjoint violent : danger permanent pour les enfants et leur mère

En 2011, La revue internationale de l’éducation familiale publiait un article de Patrizia Romito (professeure de psychologie sociale à l’université de Trieste, Italie) : Les violences conjugales post-séparation et le devenir des femmes et des enfants

La lecture de cet article (retranscrit dans son intégralité ci-dessous) est fondamentale, car il faut impérativement que le gouvernement français intègre des garde-fous contre la violence conjugale dans sa nouvelle loi famille (proposition de loi APIE – autorité parentale et intérêt de l’enfant). Cette proposition de loi doit être examinée à l’Assemblée Nationale dès le 19 mai 2014.

Depuis 2002, l’association SOS Papa a réussi à faire exclure les violences conjugales de la loi famille, sous prétexte qu’« un mari violent peut être un bon père ». Or, selon Patrizia Romito (voir article ci-dessous) « entre 40 et 60% des maris violents sont aussi des pères violents (Edleson, 1999 ; Unicef, 2003) ». Donc cette affirmation de SOS Papa est d’une dangerosité extrême pour les enfants et leur mère. Mais n’ayant consulté quasiment que les associations de pères et non les spécialistes, les députés de l’époque n’ont pas été choqués de cela. La loi de 2002 a d’ailleurs été surnommée « loi SOS Papa », parce qu’elle reprenait quasiment toutes les demandes de SOS Papa, ignorant les avis des spécialistes de la violence conjugale et des médecins (psychiatres, pédopsychiatres, etc.) qui demandaient pourtant à être entendus.

A cause de la « loi SOS Papa », depuis 2002, les mères et les enfants confrontés à des hommes violents vivent des situations dramatiques. Après la séparation, ces hommes violents continuent d’exercer en permanence leur violence, allant parfois jusqu’au meurtre ou l’assassinat des enfants et/ou de leur mère pour se venger de la mère qui a osé les quitter.

Donc la loi famille de 2014 doit absolument prendre en compte les violences conjugales qui s’amplifient fréquemment après la séparation. En 2014, comme en 2002, c’est encore majoritairement les associations de pères qui sont entendues par le gouvernement. Malgré leur demande, les médecins (psychiatres, pédopsychiatres, etc.) n’ont pas été entendus (comme en 2002). Comment est-ce possible pour une loi qui prétend s’occuper de l’intérêt de l’enfant, donc de sa santé ? Pour les députés, l’intérêt de l’enfant est-il véritablement sa santé ? Ou est-ce l’intérêt des pères dont il est question dans cette loi, comme dans celle de 2002.

Patrizia Romito est l’auteure de
Un silence de mortes : La violence masculine occultée

(lien ci-dessus: article de Sisyphe, avec extrait de l’introduction d’Un silence de mortes – La violence masculine occultée, de Patrizia Romito, Ed. Syllepse, Paris, 2006, pp. 15-25)

A propos du danger de la séparation dans un contexte de violence conjugale, 6 mères survivantes du meurtre de leurs enfants par leur ex-conjoint ont adressé un manifeste au gouvernement du Québec, afin de développer des mesures pour prévenir et accompagner les mères confrontées à ce type de situation : Manifeste des mères survivantes au meurtre de leur(s) enfant(s) par leur ex-conjoint et père biologique

L’article de Patrizia Romito

Les violences conjugales post-séparation et le devenir des femmes et des enfants (La revue internationale de l’éducation familiale, n°29, 2011, p. 87-106)

« L’article présente une analyse des connaissances sur le thème des violences conjugales après une séparation ou un divorce et de l’impact de ces violences sur la vie des femmes et des enfants. L’argumentation s’appuie sur une base de données internationale très riche qui montre la fréquence et la gravité de ces violences. Des recherches menées dans différents pays montrent aussi que ces violences restent peu visibles et que cette invisibilité est un obstacle majeur dans la protection des femmes et des enfants. Le texte analyse différents mécanismes d’occultation, comme le mythe des « fausses dénonciations » et discute de leur impact sur la perception sociale des violences conjugales post-séparation et sur la vie des victimes.

Mots-clés : violences conjugales, séparation, garde des enfants, inceste, fausses dénonciations

Introduction

La première étude que j’ai conduite en 1995 sur les violences envers les femmes consistait en une série d’interviews de femmes victimes de violences conjugales ainsi que de médecins, psychologues et assistant-e-s sociales qui, par leur profession, avaient l’occasion de rencontrer des femmes maltraitées. Ce qui m’avait le plus frappée était la question qu’un certain nombre des professionnels posaient d’un air souvent excédé :

« Mais pourquoi ne le quitte-t-elle pas ?». Cette question non seulement renversait la responsabilité de la situation sur la victime mais révélait aussi une grande méconnaissance des mécanismes des violences conjugales. En fait, les femmes interviewées dans la même étude et qui avaient quitté avec beaucoup de difficultés un partenaire violent relataient toutes des violences, souvent très graves, dont elles avaient été victimes après la séparation (Romito, 1996, 2001). De plus, au cours des mêmes années, une analyse des cas de meurtres parmi des partenaires intimes en Italie montrait que dans la plupart des cas il s’agissait de femmes tuées par des ex-conjoints, maris, concubins ou « fiancés » durant ou après une séparation (Quaglia, 2005). Donc les violences conjugales post-séparation existaient vraiment et représentaient, alors comme maintenant, une des raisons pour lesquelles une femme maltraitée hésite à se séparer du conjoint violent, mais elles semblaient à l’époque être peu visibles, du moins chez les professionnel-le-s censés intervenir auprès des femmes.

Ces violences sont-elles aujourd’hui plus visibles, plus reconnues en tant que telles ? On en entend beaucoup parler autour des conflits pour la garde des enfants ou des droits de visite après la séparation du couple parental mais souvent, comme nous le verrons par la suite, pour accuser les femmes de les inventer. Donc on évoque ces violences, mais plutôt pour les nier. On les mentionne, surtout au niveau médiatique, quand un homme tue son ex-femme et parfois ses enfants. Dans ces cas, la violence est évidente, indiscutable. Mais le meurtre n’est que très rarement présenté comme la suite des violences qui avaient eu lieu pendant la vie commune. Au contraire, il est présenté comme un phénomène totalement différent, séparé de la violence conjugale et dû à un surcroît de  « passion » ou de douleur, au point que l’homme violent est parfois dépeint comme la véritable victime (Houel, Mercader, & Sobota, 2003 ; Romito, 2006).

Dans cet article, je montrerai que les violences conjugales post-séparation restent peu visibles et mal comprises aujourd’hui encore et que cela peut avoir des conséquences très graves pour les personnes impliquées. Je le ferai à l’aide d’un ensemble, désormais riche, de recherches conduites dans différents pays. En fait, malgré les différences d’histoire, de culture, de lois et de pratiques sociales de ces pays, les tendances relevées sont très semblables, ce qui rend possible l’utilisation de ces données variées pour une meilleure compréhension du phénomène. 

Fréquence des violences conjugales post-séparation

De nombreuses recherches montrent qu’après une séparation ou durant la période qui l’entoure, les femmes courent un risque de violences conjugales très élevé. D’après l’enquête nationale Enveff, en France (Jaspard et al., 2003), parmi les femmes ayant eu par le passé au moins une relation de couple et qui ont été en contact avec leur ex-conjoint au cours des douze derniers mois, 16,7% ont subi des violences physiques ou sexuelles de sa part et ceci malgré le fait que dans la plupart des cas ces relations aient été épisodiques. De plus, dans le sous-groupe de femmes qui avaient eu des enfants avec cet ex-conjoint, neuf sur dix avaient subi des agressions verbales – insultes et menaces – ou physiques (Jaspard et al., 2003). Selon les données nationales canadiennes (Hotton, 2001), parmi les femmes qui, dans les cinq ans précédant la recherche, avaient été en contact avec un ex-conjoint, 39% avaient été agressées par lui. Il s’agissait souvent de violences graves : un tiers des femmes agressées avait risqué d’être étranglé ; plus d’un tiers avait subi des viols ou des tentatives de viol. En outre, dans la moitié des cas, ces violences avaient eu lieu très fréquemment (plus de 10 fois) ; dans plus de la moitié des cas, les femmes avaient subi des blessures et avaient eu peur d’être tuées. Les abus psychologiques – insultes, comportements de contrôle, destruction d’objets et agressions ou menaces à des proches – touchaient presque toutes ces femmes. Quand les femmes avaient des enfants, ces derniers avaient assisté aux violences dans presque deux tiers des cas (72,4%), souvent à l’occasion de violences si graves que leur mère avait craint d’être tuée (Hotton, 2001).

Il n’est pas aisé, à partir des données disponibles, de savoir dans quelle mesure les violences après la séparation sont la continuation des violences précédentes ou bien si elles sont déclenchées par le stress lié à la séparation. Considérons les femmes qui, au Canada, subissent des violences conjugales après la séparation : pour 61% d’entre elles il s’agit de la continuation (37%) ou de l’aggravation (24%) des violences précédentes ; dans 39% des cas, ces violences ont commencé après la séparation (Hotton, 2001). L’enquête nationale menée en Grande-Bretagne prend en considération les femmes qui avaient subi des violences conjugales pendant la vie commune : pour 37% d’entre elles, la violence continue après la séparation et, pour quelques-unes, les violences les plus graves sont arrivées précisément après la séparation (Walby & Allen, 2004)1. Après une analyse de ces recherches, Brownridge (2006) conclut que, comparée à une femme mariée, une femme séparée a une probabilité de subir des violences conjugales 30 fois plus élevée et une femme divorcée 9 fois plus élevée.  

Les enfants dans les violences post-séparation

D’après les résultats de nombreuses études, entre 40 et 60% des maris violents sont aussi des pères violents (Edleson, 1999 ; Unicef, 2003)2 ; l’un des principaux facteurs de risque d’agressions sexuelles de la part du père est la violence conjugale contre la mère (Fleming, Mullen, & Bammer, 1997 ; Humphreys, Houghton, & Ellis, 2008). Dans une étude faite en Italie, sur un échantillon de 773 adolescentes et adolescents, quand le père inflige des violences physiques à la mère, dans 44% des cas il est aussi physiquement violent envers les enfants et, dans 62% des cas, il est psychologiquement violent : il insulte, dénigre et menace (Paci, Beltramini, & Romito, 2010). Les violences post-séparation visent donc aussi les enfants, non seulement comme « témoins » des agressions envers leur mère, mais aussi directement. En Grande-Bretagne, Radford, Hester, Humphries et Woodfield (1997) ont observé pendant plusieurs années 53 femmes séparées d’un mari violent : 50 d’entre elles ont été agressées à répétition au cours des rencontres avec leur ex-partenaire pour « échanger » les enfants et la moitié de ces enfants ont subi des violences physiques ou des abus sexuels du père pendant les visites. Dans une étude en Australie, 40 femmes qui négociaient les arrangements de « child contact » avec un ex-partenaire violent ont été interrogées : dans 25 cas, les enfants avaient assisté aux violences du père envers la mère et, dans 13 cas, ils avaient été   maltraités physiquement par lui (Kaye, Stubbs, & Tolmie 2003 ; voir Flood, 2010). Ces résultats sont confirmés par de nombreuses études réalisées dans différents pays (Eriksson, Hester, Keskinen, & Pringle, 2005 ; Radford & Hester, 2006 ; Radford, Sayer, & Amica, 1999).

Dans plusieurs pays, des centres de contact ou de visites ont été créés pour essayer de résoudre ces problèmes, du moins en partie. Dans les cas d’un conjoint violent qui n’aurait pas la garde des enfants – presque toujours le père – les visites entre père et enfant sont organisées dans un endroit neutre – une école, un centre de quartier – parfois sous la supervision d’un éducateur ou d’un travailleur social qui doit vérifier que le père ne profite pas des rencontres pour agresser physiquement ou verbalement son ex-conjointe ou les enfants. Toutefois, l’instauration d’un tel système pose de nombreuses difficultés. D’abord, ces services coûtent cher et dans la plupart des pays ils ne sont pas suffisamment nombreux pour répondre aux besoins ; et puis, souvent les travailleurs préposés n’ont pas les moyens pour surveiller ces hommes et les empêcher de nuire (Eriksson, Hester, Keskinen, & Pringle, 2005 ; Furniss, 1998 ; Harrison, 2008).

1 Les contradictions entre les données provenant de différentes recherches sont dues en partie aux différences dans la méthode et, en partie, aux différences réelles parmi les échantillons de femmes concernées.

2 Certains auteurs incluent aussi dans les violences du père celles envers la conjointe enceinte qui peuvent entraîner des pathologies de la grossesse, des avortements et une moins bonne santé du bébé à la naissance (Sarkar, 2008).

La violence létale : les meurtres des femmes et des enfants

Partout dans le monde, la très grande majorité de victimes d’homicide parmi des « partenaires intimes » sont des femmes ; une autre différence de genre est que, dans la plupart des cas, les hommes tuent après avoir infligé pendant des années des violences conjugales alors que les femmes tuent après les avoir subies (Campbell et al., 2003). Une analyse des données statistiques relatives à ces homicides en Amérique du Nord montre que les femmes séparées courent un risque cinq fois plus élevé d’être tuées que les autres femmes : en termes épidémiologiques, la séparation est donc un puissant facteur de risque de fémicide (Brownridge, 2006). En Italie, nous ne disposons pas de données nationales fiables à ce propos ; mais, d’après une étude de la presse, 18 femmes ont été tuées par un homme pendant le mois de juillet 2010, un mois particulièrement sanglant : dans 16 cas sur 18, le meurtre a eu lieu après une séparation voulue par la femme et refusée par l’homme. Les victimes étaient dans la majorité des cas les ex-conjointes, mais aussi leurs enfants, leur mère ou leur sœur.

Comme pour les autres formes de violence post-séparation, les enfants peuvent également être visés par les meurtres. En Grande-Bretagne, une étude a analysé les cas de 29 enfants tués par leur père après la séparation du couple parental (Saunders, 2004). Ces homicides avaient eu lieu dans le contexte de négociations très conflictuelles entre les parents pour la garde des enfants ou le droit de visite. Dans presque tous les cas, les mères avaient subi des violences conjugales, parfois gravissimes. Malgré cela, le Tribunal les avait obligées à accepter les contacts entre le père et les enfants.

La nature des violences conjugales après la séparation

Hormis pour les cas d’agressions, relativement rares, qui surgissent exclusivement à la suite d’une séparation et après une vie commune dépourvue de violence, il semble bien que les violences conjugales post-séparation soient de la même nature que les violences conjugales, telles qu’elles ont été décrites et conceptualisées par Pence et Paymar (1993). Il s’agit d’un ensemble de comportements, caractérisé par la volonté de domination et de contrôle d’un partenaire sur l’autre, qui peuvent inclure brutalités physiques et sexuelles, abus psychologiques, menaces, contrôles, grande jalousie, isolement de la femme ainsi que l’utilisation des enfants à ces fins, par exemple, en les contraignant à espionner leur mère ou en menaçant la conjointe de lui enlever les enfants – et même de les tuer – en cas de séparation.

Les motivations à ces violences peuvent être regroupées en trois catégories susceptibles de coexister et se superposer : représailles et vengeances, rétablissement de la situation de pouvoir et de contrôle et tentative de forcer une réconciliation. Les hommes qui pensent que la femme et les enfants leur appartiennent – une conviction que souvent sous-entendent les violences conjugales – voient la séparation comme une trahison et un attentat à leurs droits qui justifient la vengeance et la punition de la femme allant jusqu’au meurtre de celle-ci ou des enfants (Brownridge, 2006). C’est d’ailleurs ce qu’un certain nombre d’entre eux affirment explicitement. Voici des exemples tirés de journaux italiens :

A.M. égorge sa fille de 8 ans et dit le faire comme « punition contre son ex-femme » (janvier 2000). M.G. étrangle ses deux fils (septembre 2002) après avoir écrit à son ex-épouse : « J’espère que toute ta vie sera un cauchemar et que tu vivras assez longtemps pour souffrir de tes remords ». Et R.G. tue ses deux fils à coups de couteau (avril 2004) en hurlant à sa femme : « Je te les ai tués, comme ça tu sauras ce que c’est que de souffrir » (Romito, 2006).

La souffrance de ces hommes est évidente, ainsi que leurs sentiments d’impuissance et l’incapacité de faire face à la séparation. Mais alors que ces sentiments, cette douleur sont mis en exergue par les journalistes, les éléments de possession, contrôle et vengeance ne sont jamais discutés et, à terme, c’est plutôt l’homme qui apparaît comme la véritable victime surtout s’il finit par se suicider (Houel et al., 2003). Dans tous ces articles sont évoqués globalement des « conflits conjugaux », sans la moindre référence explicite à la violence exercée précédemment par ces hommes, violence qui avait provoqué chez leur femme son « abandon » et sa fuite

Les conflits pour la garde des enfants

Comme nous l’avons vu, la violence post-séparation est très fréquente quand le couple a des enfants. Parfois ces derniers sont directement concernés, d’ailleurs les conflits liés à la garde et les rencontres entre ex-conjoints, rendues nécessaires pour s’« échanger » les enfants, deviennent souvent l’occasion d’autres violences envers les femmes (Radford & Hester, 2006). À la lumière de ces données, il est légitime de se demander comment il se fait que les institutions – surtout les services sociaux et les tribunaux – ne protègent pas mieux les victimes de ces violences.

Pour répondre à cette question, il faut placer ces situations dans leur contexte social et historique. Jusqu’à la fin du 19ème siècle, dans les pays occidentaux, les enfants étaient la propriété du père et restaient avec lui en cas de divorce. Cette praxis représentait d’ailleurs un solide instrument de dissuasion à l’encontre des femmes qui auraient songé à quitter leur mari, même si celui-ci était violent (Smart & Sevenhuijsen, 1989). À partir de la moitié du 20ème siècle, on voit apparaître la thèse de la « préférence maternelle » (tender years doctrine) selon laquelle les enfants en bas-âge ont besoin de leur mère. Les pratiques concernant la garde parentale après divorce ont donc commencé à se modifier et on confia de plus en plus souvent la garde des enfants aux mères. Jusqu’à très récemment, dans les pays industrialisés où l’on a enregistré une augmentation des divorces, dans la majorité des cas demandés par les femmes, la tendance générale a été de confier les enfants à leur mère après commun accord des deux parents, fréquemment avec un éloignement matériel et psychologique des pères. Cet éloignement soulève de nombreux problèmes, entre autres économiques : lorsque des pères n’ayant pas la garde ne paient pas la pension alimentaire pour leurs enfants, nombre de mères sont obligées de recevoir une aide économique de l’État, avec des coûts importants pour la collectivité. S’ajoutent à cela des préoccupations relatives d’une part aux potentielles conséquences psychologiques pour l’enfant de grandir en l’absence de père, de l’autre sur l’idée que cette absence et la relative autonomie des mères puissent saper les fondements de la famille traditionnelle basée sur l’autorité masculine (Kurki-Suonio, 2000 ; Smart & Sevenhuijsen, 1989). Par ailleurs, dans les années 70, principalement dans les pays de langue anglaise et du nord de l’Europe, apparaît un nouveau discours fondé sur l’égalité entre les sexes et sur l’idée ou le vœu que les parents sont l’un autant que l’autre capables d’élever leurs enfants après le divorce (Eriksson et al., 2005).

Dans ce contexte, la garde conjointe ou alternée des enfants attribuée aux deux parents et le partage des responsabilités après le divorce, selon des formules qui varient d’un pays à l’autre, sont présentés comme le remède permettant que les pères soient plus concernés, tant sur le plan psychologique qu’économique, et assurant le respect du principe de l’égalité entre les genres. Entre 1979 et 1989, l’État de Californie, la Suède, la Finlande et la Grande-Bretagne ont privilégié l’option de la garde conjointe, indépendamment de l’implication réelle du père avant le divorce (Kurki-Suonio, 2000). Depuis, d’autres pays européens, dont la France et l’Italie, ont fait passer des lois semblables. Il faut noter que lorsque l’on parle de garde conjointe, on entend par là une garde légale et non pas une garde matérielle; ceci peut signifier que la mère continue à s’occuper quotidiennement des enfants mais que le père aura le droit d’intervenir et d’interférer dans la vie de tous les jours des enfants et de son ex-femme. Cette ingérence, toujours source potentielle de conflits, peut devenir tragique lorsque la mère se trouve face à un homme dominateur et violent (Brownridge, 2006 ; Radford & Hester, 2006).

Des recherches menées dans différents pays montrent que les cas de conflits pour la garde des enfants sont malgré tout assez rares : il n’y a conflit pour la garde parentale que dans à peine plus de 10 % des divorces, les enfants étant alors confiés au père dans la moitié des cas (Flood, 2010 ; Rhoades, 2002). Dans ces situations, il y a souvent des violences conjugales avant et après la séparation et parfois aussi des violences du père envers les enfants. Mais ces violences sont rarement perpétrées devant témoins : leur existence peut être difficile à démontrer puisque les violences reposent surtout sur les déclarations des femmes et des enfants ou sur les séquelles de santé sur les victimes. Cependant, même lorsqu’il y a des preuves objectives de violences de la part de l’homme (témoignages indépendants, blessures, condamnations), les services sociaux peuvent donner un avis favorable aux contacts entre le père et les enfants et le tribunal peut trancher dans ce sens (Kaspiew, 2005 ; Kaye et al., 2003 ; Radford & Hester, 2006). Comment cela est-il possible ? Les raisons qui fondent ces décisions relèvent d’un mélange d’éléments divers : d’une part, l’on soutient que les enfants souffriraient d’être privés d’une relation avec leur père même s’il est violent ; de l’autre, l’on affirme qu’un père a des droits sur ses enfants et que ces droits doivent être respectés même s’il est violent. Voici, à titre d’exemple, un de ces cas : 

À San Francisco, Kevin S. a tué son fils de 8 ans qui avait passé l’après-midi avec lui. Les conjoints étaient séparés depuis peu après un parcours conjugal jalonné de violences de l’homme sur sa femme. Quelques semaines avant le meurtre, la femme avait déposé une demande de protection d’urgence car son ex-mari l’avait agressée et elle craignait autant pour elle que pour l’enfant. Le tribunal avait cependant rejeté sa demande : la violence « domestique » n’apparaissait pas comme assez grave et, plus que tout, la procédure aurait eu pour effet d’empêcher Kevin de voir son fils. Or, c’était exactement ce que la mère demandait mais le magistrat trouvait cela inacceptable. Le fait qu’il y ait eu conflit pour l’attribution de la garde de l’enfant constitua un argument supplémentaire pour que la mesure de protection ne lui soit pas accordée. D’après le juge responsable de cette décision, une telle procédure pouvait « briser une famille » (extrait d’un article de presse de Van Derbeken, 2003).

Ici, deux observations : ce qui briserait une famille, c’est une mesure de protection de la mère et de l’enfant, ce n’est pas la violence du père ; le risque de briser une famille est considéré comme plus grave que le meurtre éventuel d’une femme ou d’un enfant. Dans d’autres cas, le tribunal a forcé des femmes qui avaient changé de ville et s’étaient réfugiées dans un lieu tenu secret à quitter le nouveau domicile ou à faire connaître cette nouvelle adresse afin de faciliter les contacts père-enfants ; d’autres juges ont considéré les inquiétudes maternelles comme une forme d’abus psychologique envers les enfants (Radford & Hester, 2006 ; Rhoades, 2002).

Les femmes en arrivent ainsi à se trouver contraintes à une situation impossible. Pas crues quand elles dénoncent les violences post-séparation1, leurs peurs raisonnables sont considérées comme exagérées ; leur opposition aux contacts entre le père et les enfants est vue comme une manifestation d’hostilité envers lui ou comme une vengeance. Par conséquent, il arrive que des mères soient punies – par des amendes, la prison ou la perte de la garde – pour avoir essayé de se protéger et de protéger les enfants. C’est ce que Radford et Hester (2006) décrivent, à partir de la Grande-Bretagne, comme « La vie sur les trois planètes » : des planètes avec des histoires et des logiques différentes et qui ne communiquent pas entre elles. Sur la Planète A, la violence conjugale est considérée comme un crime « sexué » (gendered) de l’homme sur la femme et la police et le tribunal peuvent intervenir pour protéger cette dernière (arrestation de l’homme ou ordre de protection). La Planète B correspond aux Services de protection de l’enfant, dont l’approche est « gender neutral ». Sur cette planète, on parle de familles abusives plus que de violences conjugales. C’est à la mère qu’il revient de protéger les enfants en s’éloignant de l’homme violent : si elle ne le fait pas, elle manque à son devoir de protection (failure to protect) et par conséquent elle peut perdre la garde des enfants. Mais si elle se sépare, elle finit dans l’orbite de la Planète C, à savoir les services chargés d’assurer les contacts entre père et enfants après la séparation qui sont motivés par le principe de la « responsabilité parentale » et par le souci de ne pas priver les pères de leurs droits. Sur cette Planète, la femme peut être contrainte à consentir aux visites entre les enfants et ce même père violent, sous peine d’être punie par une perte de la garde des enfants. Sur la Planète C, la violence de l’homme est ignorée tant que c’est possible à la faveur d’un discours selon lequel il n’y a pas de contradiction entre le fait d’être un ex-conjoint violent et un bon père ou, du moins, un père « suffisamment bon » (Radford & Hester, 2006, p. 791). De surcroît, il semble pris pour acquis que, pour le bien de l’enfant – son développement, sa sérénité, son bonheur – il soit préférable d’avoir des contacts avec un père violent que de ne pas en avoir du tout. Cependant, il n’y a aucune preuve scientifique de ce théorème (Eriksson et al., 2005 ; Jaffee, Moffitt, Caspi, & Taylor, 2003). Au contraire, toutes les études soulignent les effets négatifs, voire désastreux, d’être en contact avec un homme violent : les enfants présentent des problèmes de comportement et de santé mentale et apprennent des modèles d’interaction violente ce qui, surtout pour les petits garçons, augmente la probabilité que, devenus adolescents et adultes, ils soient violents avec leur compagne (Kitzmann, Gaylord, Holt, & Kenny, 2003 ; Jaffee et al., 2003).

Il est clair que, dans ce contexte complexe, quand il y a conflit pour la garde des enfants, il ne s’agit pas seulement d’un homme et d’une femme qui s’affrontent, chacun et chacune avec son histoire et ses motivations. Des idéologies et des valeurs s’affrontent aussi. L’idéologie qui ressort le plus clairement est une idéologie d’origine patriarcale, qui reconnaît aux pères, comme cela était accepté et même inscrit dans les lois il y a deux siècles, des droits sur les enfants, indépendamment de leurs comportements. La violence déjà manifestée par certains de ces pères à l’égard de leur femme et parfois même de leurs enfants ne semble pas constituer un obstacle insurmontable à ce que ces derniers leur soient confiés, avec souvent, comme nous l’avons vu, des conséquences tragiques.

1 46% des personnes interrogées dans une enquête nationale en Australie croient que les femmes séparées inventent les violences conjugales pour se venger de  l’ex-conjoint (Flood, 2010). 

La négation des violences post-séparation  

La psychiatre Judith Hermann (1992) a puissamment décrit le « système négationniste » mis en œuvre pour éviter de voir les violences sexuelles et devoir prendre une position en faveur des victimes. Albert Bandura (1999) a développé le concept de désengagement moral, rendu possible par différentes stratégies – telles que la culpabilisation des victimes, l’utilisation des euphémismes, la division et la dilution des responsabilités, la négligence ou la falsification des conséquences – qui sont activées dans le but de justifier l’inaction, jusqu’à la complicité, face à des injustices. Les situations décrites dans les paragraphes précédents montrent qu’il y a bien négation des violences conjugales et paternelles post-séparation. Ce déni se fait à l’aide de ces stratégies mais s’appuie aussi sur des « théories » ou plutôt sur des mythes puissants et très répandus.

Un de ces mythes concerne les « fausses plaintes d’abus sur les enfants en phase de séparation » où l’on affirme que, autour de la séparation du couple, il existerait un nombre élevé de plaintes pour violence du père envers les enfants, formulées par les mères, et que ces plaintes seraient presque toujours fausses, motivées par un désir de vengeance. Toutefois, les données disponibles contredisent cette thèse.

Aux États-Unis, Thoennes et Tjaden (1990) ont analysé 9000 cas de divorce dans lesquels il existait un conflit ayant trait à la garde des enfants. Dans moins de 2% des cas, un des parents avait porté plainte pour violence sexuelle. Parmi ces plaintes, la moitié était fondée; un tiers était peu probable, dans les autres cas, il n’y avait pas assez d’informations pour trancher. Certains critères retenus pour décider du « peu de probabilité d’un cas » sont cependant discutables : l’enfant était très jeune, il n’y avait eu qu’un seul épisode de violence ou il y avait un conflit grave entre les parents. Au Canada, Trocmé et Bala (2005) ont analysé 7672 cas de maltraitance sur enfants signalés aux services sociaux : dans 4% de ces cas seulement, les dénonciations étaient fausses. En cas de conflits pour la garde des enfants après une séparation, cette proportion apparaissait plus élevée (12%) ; les fausses dénonciations concernaient plutôt la négligence que la violence sexuelle. De plus, les fausses dénonciations étaient formulées le plus souvent par le parent n’ayant pas la garde, en général le père (15%), que par l’autre parent, en général la mère (2%). Sur 7672 cas de maltraitance, il y avait seulement 2 fausses dénonciations contre un père n’ayant pas la garde. D’après des recherches en Australie, dans les causes relatives au « child contact », des plaintes pour violences sur les enfants étaient présentes entre 1% et 7% des cas ; seulement une minorité s’avérait fausse ; les plaintes déposées par les mères apparaissaient fondées quatre fois plus souvent que celles déposées par les pères.

Cependant, même quand les plaintes des mères étaient fondées et que les enfants manifestaient clairement leur refus de voir le père, les juges, dans la plupart des cas, accordaient aux pères des droits de visite, parfois sans aucune supervision (Flood, 2010).

En bref, les dénonciations de violences sur les enfants faites lors de la séparation ne sont pas fréquentes et elles sont très rarement fausses, surtout quand elles sont faites par les mères. Cependant, le préjugé selon lequel ces plaintes seraient des inventions de mères hostiles et vindicatives semble être à la base de nombreuses décisions des services sociaux et judiciaires. Quelques-unes de ces situations ont été documentées en France par une étude du Collectif Féministe Contre le Viol (1999), réalisée en collaboration avec la Délégation Régionale aux droits des femmes d’Ile de France. En deux ans et demi, 67 cas d’inceste dans un contexte de séparation des parents ont été constatés avec au total 94 mineurs impliqués, surtout des petites filles, qui accusaient dans la majeure partie des cas leur père. Dans 77% des cas, les enfants avaient clairement décrit les agressions subies, souvent très graves, et donné le nom de leur agresseur. En 1999, quand le rapport a été rédigé, 51 plaintes avaient été déposées. Néanmoins, dans plus de la moitié des cas, les plaintes avaient été classées sans même une enquête préliminaire ; dans 22% des cas, la mère, ne pouvant obtenir aucune information, ignorait ce qui se passait ; 9% des cas s’étaient conclus par un non-lieu ; un seul agresseur avait été condamné ; dans d’autres cas, l’enquête ou le procès était encore en cours. Souvent les mères étaient accusées de manipuler les enfants et étaient qualifiées par les experts de « névrosées, hystériques, vindicatives ». En outre, dans 20% des cas, les mères, parent protecteur, avaient été dénoncées à leur tour pour ne pas avoir voulu confier l’enfant au père lors de la visite décidée par le juge et un tiers d’entre elles avait été condamné. Ces cas dramatiques ont attiré l’attention de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, qui a envoyé en France un « spécial rapporteur », Juan Miguel Petit. Dans son rapport, Petit (2004) admet qu’en France, les personnes qui soupçonnent ou dénoncent des violences sur mineurs, surtout s’il s’agit des mères, se retrouvent face à d’énormes difficultés et risquent à leur tour d’être accusées de mentir ou de manipuler les enfants. Il évoque en outre le cas des mères divorcées préférant fuir et quitter leur pays plutôt que de confier leurs enfants aux maris suspectés de violence. À propos des accusations d’agression sexuelle de la part du père, qui apparaissent moins crédibles si elles naissent dans un contexte de procédure de divorce, il affirme qu’« un examen attentif des raisons pour lesquelles les parents étaient en train de divorcer a révélé un pattern de violence domestique en famille, y compris la violence domestique exercée contre la mère » (p. 14). Il conclut que « de nombreux individus occupant des positions de responsabilité dans le domaine de la protection des enfants, plus particulièrement dans la magistrature, refusent encore de reconnaître l’existence et l’ampleur de ce phénomène, incapables d’accepter le fait que beaucoup de ces accusations de violence sexuelle puissent être vraies » (p. 20).

Un autre outil puissant dans le déni des violences du père envers les enfants après la séparation est constitué par le Syndrome d’Aliénation Parentale (SAP) (Romito & Crisma, 2009). Lorsqu’un enfant refuse de rencontrer le parent auquel il n’a pas été confié – généralement le père – en disant qu’il en a peur et qu’il est soutenu par sa mère, on évoque alors le SAP : l’enfant refuserait de voir son père non pas parce qu’il le craint, mais parce que sa mère l’aurait manipulé dans ce sens. Le SAP est ainsi présenté comme s’il s’agissait d’une catégorie psychiatrique objective, d’un diagnostic scientifique. La conséquence de ce « diagnostic » est que les peurs de l’enfant et la possibilité de violences envers lui sont sous-évaluées ; qui plus est, les mères deviennent les coupables puisqu’elles ont fait subir aux enfants « un lavage de cerveau » en induisant un syndrome psychiatrique et en les détournant de leur père.

Le SAP a été formulé en 1985 par R. Gardner, un psychiatre états-unien, à partir de l’observation d’un nombre non précisé de cas suivis par lui-même dans sa pratique d’expert devant les tribunaux, généralement du côté de la défense de pères accusés d’inceste. Le SAP a suscité de multiples controverses entre les experts des domaines judiciaire, social et de la santé mentale1. La confusion conceptuelle qui entoure le concept de l’aliénation parentale, la quasi absence de soutien empirique à un tel syndrome, de même que les problèmes de fidélité et de validité liées à son diagnostic, amènent plusieurs auteurs à douter de sa validité clinique, voire de son existence (Gagné, Drapeau, & Hénault, 2005). Les psychiatres experts pour le DSM (Manuel Statistique et Diagnostic des maladies mentales utilisé à échelle mondiale) ont refusé de l’y inclure.

L’American Psychological Association (APA) a exhorté les psychologues à être très attentifs face aux cas de violence et à ne pas sous-évaluer les déclarations des enfants (APA, 1996). L’Association Espagnole de Neuropsychiatrie considère le SAP comme une invention et s’est déclarée contre son utilisation dans des contextes cliniques ou judiciaires (2010)2.

Malgré les critiques et les prises de position très claires, le SAP reste toutefois utilisé dans les services sociaux et dans les tribunaux de nombreux pays3.

Dans un paragraphe sur l’occultation des violences conjugales post-séparation, ne peut manquer une mention à la médiation familiale. Non que la médiation soit un outil controversé comme le SAP : il s’agit d’une pratique et d’une profession qui ont leur place dans la gestion des conflits sociaux. Cependant, la médiation peut participer à l’occultation des violences, déjà par ses principes théoriques : en s’inspirant d’un modèle systémique, elle se base sur des notions de circularité des processus, de responsabilité partagée et de neutralité thérapeutique et donc se prête mal à « gérer » des situations de violence (Cresson, 2002). En outre, la pratique de la médiation requiert de la part des deux conjoints qu’ils se concentrent sur le présent et le futur sans vouloir revenir sur le passé et les conflits qui lui sont liés ; le dépôt de plaintes éventuelles ou toute autre démarche judiciaire doit être suspendu. Dans ce contexte, si la femme soulève la question des violences, en faisant valoir par exemple que rencontrer l’ex-mari pour lui confier les enfants la placera dans une situation dangereuse ou bien en exprimant sa crainte qu’il les néglige ou les maltraite, elle enfreint les règles du jeu et risque d’être jugée comme vindicative et rancunière (Radford & Hester, 2006), la même accusation que dans le « SAP » et dans les « fausses dénonciations d’agressions sexuelles incestueuses » dans un contexte de séparation.

Selon de nombreux auteurs, la médiation familiale ne devrait pas être préconisée en cas de violence conjugale (Biletta & Mariller, 1997 ; Kurki-Suonio, 2000 ; Smart & Sevenhuijsen, 1989), un avis réitéré par la députée Marianne Eriksson (1997) dans un rapport au parlement européen. Selon les principes déontologiques établis en France par le Conseil National Consultatif de la Médiation Familiale, la médiation se définit par son caractère volontaire. La garantie de consentement signifie pour les médiateurs-trices « être particulièrement attentifs aux situations d’emprise et violences conjugales ou familiales susceptibles d’altérer le consentement de l’une ou l’autre partie ». Mais, en même temps, l’un des objectifs généraux de la médiation familiale est de favoriser l’exercice commun de l’autorité parentale et « l’affirmation durable des parents quelle que soit l’histoire de leur couple ». Or, il y a une contradiction potentielle entre les deux objectifs énoncés, la médiation pouvant être utilisée même en situation de violence (CNCMF, 2004, cité par Casas Vila, 2009). En fait, il semble bien que, malgré les avis contraires, la médiation soit précisément proposée ou imposée quand il y a eu des conflits majeurs assortis de violences. En dépit des risques connus, les femmes sont souvent soumises à de fortes pressions pour accepter la médiation plutôt que d’entreprendre une procédure judiciaire (Eriksson et al., 2005 ; Kurki-Suonio, 2000 ; Rhodes, 2002). Une étude en Californie a montré que dans plus des deux tiers des cas de médiation familiale imposée par les tribunaux, il y avait des précédents de violence conjugale.

Dans 60% de ces cas, il avait même été difficile de garantir la sécurité des femmes, au point que certaines ont été tuées par leur ex-partenaire alors qu’elles se rendaient à ces rendez-vous de médiation (Beck & Sales, 2001). Au Japon, où cette pratique est obligatoire si un des conjoints ne consent pas au divorce, plus d’un tiers des cas de médiation familiale concerne des situations avérées de maris violents (Yoshihama, 2002). Il est donc probable que, là encore, la médiation familiale soit pratiquée dans les cas où il faudrait qu’elle soit évitée.

Alors que les risques entraînés par cette pratique en cas de violences conjugales sont évidents, les avantages de la médiation par rapport au recours juridique (avocats, procès, etc.) n’ont jamais été démontrés (Beck & Sales, 2001). Les résultats d’une analyse effectuée par l’American Psychological Association, montrent que, à moyen ou long terme, les rapports entre ex-conjoints ayant entrepris une médiation ne sont pas moins conflictuels que les autres, les accords concernant les enfants ne sont pas mieux respectés et c’est dans les mêmes proportions que les divorcés recomparaissent au tribunal pour que soient modifiés les accords précédents (Beck & Sales, 2001).

Bref, il paraît que le principal avantage de la médiation familiale, qui fait que l’on prend le risque de l’utiliser même dans des cas de violences conjugales avérées, soit sa cohérence avec le modèle du « bon divorce » dans lequel les conjoints placent au second plan leurs différends « pour le bien de l’enfant » ; le bien en question, on l’entend a priori comme devant être associé à la conservation d’un rapport entre les deux parents, le plus souvent sous la forme de la garde conjointe ou de coparentalité. Ce principe idéologique prévaut sur une analyse objective des risques et des bénéfices (Cresson, 2002). À cet effet, Donald Saposnek, pionnier de la médiation familiale et directeur du Family Mediation Service de Santa Cruz en Californie où, depuis 1981, la médiation est imposée par le tribunal en cas de conflits au sujet des enfants, a reconnu que souvent ce procédé peut pénaliser les femmes et mettre en péril le bien-être des enfants (Saposnek, 1998).

1 Pour une discussion, voir Gagné, Drapeau et Hénault (2005) ; Myers, 1997 ; Romito, 2006 ; Romito & Crisma, 2009.

2 http://www.aen.es/docs/Pronunciamiento_SAP.pdf, consulté en septembre 2010. La revue internationale de l’éducation familiale, n°29, 2011

En Italie, une proposition de loi est en discussion, dans laquelle l’on affirme que « la littérature scientifique a désormais montré l’existence de ce syndrome ainsi que son remède principal, le fait de priver le parent « aliénant » de sa puissance parentale » (traduction de l’auteure). Il s’agit d’une loi soutenue par des Associations de pères séparés http://www.senato.it/service/PDF/PDFServer/BGT/00326101.pdf, consulté en  septembre 2010. 

Conclusion

La violence conjugale post-séparation est fréquente, souvent très grave, et représente un obstacle majeur à ce que les femmes et les enfants qui ont subi des violences puissent retrouver leur sérénité et s’engager activement vers une nouvelle vie. Malheureusement, cette violence reste en grande partie occultée, notamment par le refus de la part d’institutions comme les services sociaux et de santé, les magistrats et les media d’accepter de la voir. Par conséquent, femmes et enfants se trouvent parfois démunis sans aide et sans soutien. Selon le théologien Michael Downd : « Imaginer la vie quotidienne d’une femme battue par son partenaire dépasse l’entendement de l’individu moyen et […] l’attitude qui consiste à nier l’histoire de cette femme peut être plus commode que celle de la regarder en face» (Dowd, in Romito, 2006, p. 199). Tant que cette attitude ne sera pas reconnue, mise en discussion et rejetée, le bien-être et même la survie des victimes de ces violences ne pourront pas être assurés. »

 

En psychanalyse, l’enfant porte la responsabilité de l’inceste paternel

Lorsqu’un père a des comportements incestueux envers son enfant, la psychanalyse considère que l’enfant en est responsable, soit parce qu’il séduirait son père, soit parce qu’il ne le repousserait pas.

Comment peut-on faire porter une telle responsabilité à un enfant ? D’abord, un enfant n’a ni la force physique ni la maturité psychique pour repousser son père. Ensuite, la séduction d’un enfant n’a rien à voir avec la sexualité d’un adulte. Et même si l’enfant avait un comportement hyper-sexualisé, ce qui reste à prouver, un père avec une bonne capacité parentale devrait protéger son enfant, lui dire « non », au lieu de profiter pour en abuser.

L’interprétation psychanalytique de l’inceste a pour conséquence de minimiser les incestes paternels et de protéger les pères incestueux. Face à une telle conception, on peut se demander si la psychanalyse n’est pas en elle-même une production d’un Syndrome de Stockholm sociétal. Pour plus d’informations :

La psychothérapie féministe (voir le Syndrome de Stockholm sociétal, dans le paragraphe  « pathologies sociétales ») 

Alice Miller : le complexe psychanalytique de l’Œdipe projette sur l’enfant les désirs de l’adulte (la psychothérapeute Alice Miller fut une pionnière de la psychotraumatologie)

La psychanalyse dévoilée : autisme et théorie sexuelle (à propos de documentaires de Sophie Robert, réalisatrice et productrice qui a donné la parole à plusieurs psychanalystes renommé)

Françoise Dolto et l’inceste

La célèbre pédiatre et psychanalyste Françoise Dolto (spécialisée dans la psychanalyse des enfants) a peut-être elle-même vécu dans un contexte de Syndrome de Stockholm familial en raison d’une histoire d’inceste dans sa famille : « parce que ma sœur est morte et que c’est moi qui aurais dû mourir selon elleMa sœur était blonde aux yeux bleus,  comme le père de ma mère, et elle aurait dû vivre parce que, pour ma mère, elle était la fille de l’inceste ». (Autoportrait d’une psychanalyste – 1934-1988, éd. du Seuil, 1989, p.18). »  Françoise Dolto : portrait

La phrase « Ma sœur était blonde aux yeux bleus,  comme le père de ma mère (…)  elle était la fille de l’inceste » fait penser que la sœur aînée de Françoise Dolto serait née d’un inceste entre sa mère et son grand-père maternel.

Et la phrase « parce que ma sœur est morte et que c’est moi qui aurais dû mourir selon elle » fait penser que sa mère aurait aimé beaucoup plus sa fille née de l’inceste que Françoise Dolto née hors-inceste, allant même jusqu’à dire qu’elle aurait dû mourir à la place de sa sœur. Cet amour fixé sur l’enfant de l’inceste (l’enfant de l’agresseur) fait penser à un Syndrome de Stockholm.

La conception de l’inceste de Françoise Dolto fait elle aussi penser à un Syndrome de Stockholm. Nous avons à disposition plusieurs entretiens dans lesquels Françoise Dolto s’exprime sur ce thème de l’inceste. A la lumière de son histoire personnelle et familiale, ces entretiens sur l’inceste s’éclairent. Il est possible de percevoir dans ses mots le contexte dans lequel elle a vécu, la souffrance qu’elle a peut-être ressentie face à l’amour exclusif de sa mère pour le fruit de l’inceste et le rejet dont elle-même a été victime.

Un entretien avec Françoise Dolto a été publié dans « Le viol du silence » d’Eva Thomas, ainsi que dans « Le livre noir de la psychanalyse », avec une référence à la revue « Choisir » de 1979. Il s’agit d’un entretien dans lequel Françoise Dolto est interrogée par la revue « Choisir » (en novembre 1979) sur le thème de l’inceste. Les descendants de Françoise Dolto n’ont pas exprimé de désaccords au sujet de ce texte.

Voici quelques extraits de cet entretien :

« Choisir – Mais enfin, il y a bien des cas de viol ?

F.Dolto – Il n’y a pas de viol du tout. Elles sont consentantes.

Choisir – Quand une fille vient vous voir et qu’elle vous raconte que, dans son enfance, son père a coïté avec elle et qu’elle a ressenti cela comme un viol, que lui répondez-vous ?

F.Dolto – Elle ne l’a pas ressenti comme un viol. Elle a simplement compris que son père l’aimait et qu’il se consolait avec elle, parce que sa femme ne voulait pas faire l’amour avec lui. 

(…)

Choisir – D’après vous, il n’y a pas de père vicieux et pervers ?

F.Dolto – Il suffit que la fille refuse de coucher avec lui, en disant que cela ne se fait pas, pour qu’il la laisse tranquille.

Choisir – Il peut insister ?

F.Dolto – Pas du tout, parce qu’il sait que l’enfant sait que c’est défendu. Et puis le père incestueux a tout de même peur que sa fille en parle. En général la fille ne dit rien, enfin pas tout de suite. »

D’autres entretiens avec Françoise Dolto ont été publiés dans l’ouvrage : L’enfant, le juge et la psychanalyste ; entretien entre F. Dolto et A. Ruffo, Gallimard, 1999.

Voici quelques extraits de ce livre :

page 11 (préface) :

La juge : « Ce jour là, Françoise Dolto nous a parlé avec l’assurance que lui donnait sa longue expérience clinique de psychanalyste, son respect des enfants. »

page 33

La juge : […] ce que je veux dire c’est qu’il arrive souvent avec des enfants de douze, treize ans, qu’on nous dise: « Cet enfant a des troubles de comportement », parce qu’il a vécu un inceste, parce qu’il a été rejeté, parce qu’il a été méprisé. Mais moi je refuse de lui accorder la protection pour ses troubles.

F. Dolto : mais vous avez tout à fait raison parce que l’important c’est : puisqu’il a survécu, qu’est-ce qu’il y a eu de suffisant pour y prendre son pied ? Si un être est vraiment traumatisé, il tombe malade; si un être n’a pas de quoi vivre, il ne continue pas.

page34

F. Dolto : Si les enfants savaient que la loi interdit les privautés sensuelles entre adultes et enfants, et bien, à partir du moment où un adulte le lui demande, s’il accepte, c’est qu’il est complice, il n’a pas à se plaindre. Mais il peut avoir, sans se plaindre, à dire : « mais ça m’a fait très mal. – Oui. Pourquoi t’es-tu laissé faire puisque tu savais que ce n’était pas permis… »

À partir du moment où l’enfant est au courant, très jeune de la loi, il est complice et on peut l’aider beaucoup mieux.

La juge : Je comprends très bien. À ce moment-là, on ne lui donne pas un rôle de victime.

page 53

La juge : Oui. Les enfants se sentent tellement coupables! C’est leur donner la permission de grandir de leur dire qu’ils ne sont pas responsables de leurs parents.

F. Dolto : Ils sont responsables de laisser les parents commettre un acte qui les avilit dans leur relation à leurs enfants.

page 81

La Juge : Mais quand le père nie et que la mère est complice, que la mère refuse ou est incapable de protéger son enfant, qu’il faut le retirer du milieu familial, qu’arrive t-il de cette relation avec le père ?

F. Dolto : Ça dépend de chaque enfant, et je crois que ça dépendra de la relation maturante qu’il va rencontrer avec la famille dans laquelle il sera placé, ou avec l’éducateur avec qui il pourra parler et qui pourra justement lui faire comprendre que l’excitation dans laquelle était son père, peut-être sans l’avoir cherché, l’enfant en était complice. Parce que je crois que ces enfants sont plus ou moins complices de ce qui se passe…Il faudra leur dire très tôt…qu’ils ont un devoir de se dérober à ça pour que leurs parents restent des parents pour eux…

page 83

F. Dolto : Les enfants fabulent beaucoup, oui, c’est vrai. vous voulez dire: est-ce qu’ils fabulent sur les agressions dont ils sont l’objet ?

La Juge : Oui, par exemple, un enfant dit : « Papa a fait ceci ou cela avec moi. »

F. Dolto : Oui, justement, et les enfants ne pourraient plus le faire s’ils avaient été informés avant. « Et là pourquoi as-tu laissé faire puisque tu savais que tu ne devais pas, pourquoi l’as-tu laissé faire ? Ton rôle d’enfant, c’était de l’empêcher. »

divan psychanalyse

Source : « Françoise Dolto et la responsabilité des enfants envers leurs parents », un document publié sur Facebook le 14 septembre 2011 par Aude Fiévet, membre fondatrice et Vice Présidente de l’association Le Monde à travers un Regard (association de lutte contre l’inceste et la pédocriminalité).

Et voici les PDFs des textes cités ci-dessus :

entretien complet de Françoise Dolto dans le dossier « Les enfants en morceaux » publié dans le numéro 44 (septembre-octobre-novembre 1979) de la revue « Choisir  la cause des femmes »: http://www.philap.fr/HTML/inconscient-sexuel/Annexes/dolto_interview_choisir_1979.pdf L’entretien de Françoise Dolto débute à la 8ème page de ce dossier (pp. 20-22 de la revue). Cet entretien est suivi d’un commentaire critique de Béatrice Jade, l’une des 3 responsables de ce dossier, qui s’étonne que l’on puisse tenir de tels propos sur les enfants en 1979. Il est vrai qu’à la même époque l’on découvrait peu à peu les travaux d’Alice Miller qui fut une pionnière de la psychotraumatologie, de la prise en compte de la parole des victimes et de la lutte contre la maltraitance des enfants.

extraits de l’ouvrage « L’enfant, le juge et la psychanalyste » (Paris, Gallimard, 1999, 128 pages)  : http://esteve.freixa.pagesperso-orange.fr/dolto_enfant_juge_psychanalyste.pdf

Ces PDFs ont été transmis sur Twitter par la juriste Azur Schmitt également autrice du blog « La correctionnalisation du viol, la négation d’un crime – En finir avec la correctionnalisation du viol ».

La psychanalyse dévoilée : autisme et théorie sexuelle

Sophie Robert est productrice, réalisatrice et auteure d’une série de documentaires critiques sur la psychanalyse. Voici les deux premiers volets de cette série :

– « Le mur ou la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme », un film consacré à la conception psychanalytique de l’autisme (sorti en septembre 2011) ;

– « La théorie sexuelle », un film consacré aux théories sexuelles psychanalytiques (sorti en septembre 2012).

« Sophie Robert (…) critique la vision freudienne de la femme comme « sexuellement psychogène ». Depuis quatre ans, elle enquête en anthropologue sur les pratiques des psychanalystes « orthodoxes », finalement assez peu connues du grand public et qu’elle juge « dogmatiques » : « Je pensais faire un travail plus nuancé au début. Mon but était de dresser un état des lieux de la psychanalyse, de leur demander : que prenez-vous et que laissez-vous de Freud et Lacan ? J’ai découvert qu’il y avait des dogmes qui ne faisaient pas débat, comme l’idée que toutes les femmes sont psychotiques à la naissance de leur enfant, qui est un substitut du phallus… » » (Autisme : « Le Mur », docu qui dérange des psys français)

Dans les deux documentaires, Sophie Robert donne la parole à plusieurs psychanalystes renommés qui s’expriment librement sur leur conception de l’autisme et de la sexualité. Leurs propos dévoilent progressivement une idéologie fortement patriarcale, avec son cortège de dogmes anti-femmes, anti-mères, pro-pédophiles et son inversion de la violence (violence du père projetée sur la mère).

Un exemple de cette idéologie patriarcale avec une phrase de la psychanalyse Jacqueline Schaeffer (extrait du film « Le mur ») : « l’inceste paternel ça fait pas tellement de dégâts, ça rend juste les filles un peu débiles, mais l’inceste maternel, ça fait de la psychose. » (Psychanalyse : des théories sexuelles machistes et dangereuses)

Voici une vidéo contenant l’extrait en question: Jacqueline Schaeffer: l’inceste paternel, ça rend les filles un peu débiles

Le mur ou la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme

Dès la sortie du film « Le mur » en septembre 2011, Sophie Robert a été confrontée à une forte réaction de la part de 3 psychanalystes qu’elle avait interviewés dans le film.

Ces derniers ont saisi la justice pour faire interdire le film. La censure a eu pour effet de créer un important mouvement de solidarité autour du film et de la cause de l’autisme.

« Dans ce documentaire, 11 psychanalystes renommés dévoilent leurs vision de l’autisme, qui serait selon eux la conséquence d’une mauvaise relation maternelle. Le traitement : attendre que l’enfant ait le désir de sortir de lui-même du monde dans lequel il s’est réfugié. (…) Le buzz provoqué par ce film a joué beaucoup dans le fait que l’autisme est la Grande Cause Nationale cette année. Il a également ouvert les yeux à plusieurs journalistes, qui avaient une image faussée de la prise en charge de l’autisme en France. Pour la première fois les parents ont un réel espoir de changement. » (Septembre 2011 : le mur dressé par les psychanalystes, dévoilé au grand public.)

Le 16 janvier 2014, la censure a enfin été levée. « La liberté d’expression et d’accès à l’information sur l’efficacité des thérapies dans l’autisme a prévalu. Après deux ans de bataille judiciaire, la Cour d’Appel de Douai a donné raison à Sophie Robert et à Autistes Sans Frontières le 16 janvier 2014 contre les censeurs. La censure contre le documentaire « Le Mur : la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme » est levée. » (Victoire ! La censure contre le documentaire Le Mur est enfin levée )

Voici un lien qui donne un accès gratuit aux 10 premières minutes du film, avec la possibilité de l’acheter : LE MUR ou la psychanalyse a l’épreuve de l’autisme

Et voici un extrait du film avec le passage sur le fameux crocodile utilisé par les psychanalystes pour symboliser « le ventre de la mère » et « les dents de la mère » : Le Mur – passage du crocodile

En raison de son importance, cet extrait de la mère crocodile est intégralement retranscrit en fin d’article.

La théorie sexuelle

Dans le second film, « La théorie sexuelle », des psychanalystes renommés exposent les théories sexuelles de la psychanalyse.

Ce film sorti en septembre 2012 n’a pas créé la même levée de boucliers de la part des psychanalystes.

« On avait déjà eu un bel aperçu de ces théories dans son premier film dédié à l’autisme avec des phrases choc, comme celle de la psychanalyste Jacqueline Schaeffer : l’inceste paternel ça fait pas tellement de dégâts, ça rend juste les filles un peu débiles, mais l’inceste maternel, ça fait de la psychose. (…) Dire que les professionnels (psychologues, psychothérapeutes, sexologues, etc.) d’orientation psychanalytique sont censés nous aider à résoudre nos problèmes psychologiques… Et qu’ils sont la majorité ! Bon, c’est logique, puisque les formations universitaires et professionnelles sont majoritairement axées sur l’approche psychanalytique du traitement des troubles psychologiques et mentaux. Après avoir vu ce teaser, on peut se demander comment sont pris en charge les enfants victimes d’abus sexuels, les victimes d’inceste. »  (Psychanalyse : des théories sexuelles machistes et dangereuses)

Voici le teaser du documentaire : La théorie sexuelle (teaser)

Et le même teaser avec sous-titrages anglais : Teaser Théorie Sexuelle version sous titrée anglais

En raison de son importance, ce teaser est intégralement retranscrit ci-dessous.

Transcription intégrale du teaser « La théorie sexuelle »

Le teaser

Titre : La psychanalyse dévoilée

Théorie sexuelle - sophie robert

Chapitre 1 : La théorie sexuelle (extrait)

Gérard Pommier (psychanalyste) : Y a pas de norme du désir sexuel pour l’être humain. C’est même un mystère de savoir comment il se fait que l’espèce humaine a pu se perpétuer, tellement c’est pas naturel.

Interviewer : Y a pas d’instinct sexuel chez les humains ?

Esthela Solano-Suarez (psychanalyste) : Non, c’est ce qui nous différencie des animaux. Ce que Lacan a avancé, c’est que pour les êtres qui sont les êtres assujettis au langage, il n’y a pas de rapport sexuel.

Jacqueline Schaeffer (psychanalyste) : Le refoulement, c’est quelque chose qui est tout à fait important, parce que la sexualité humaine, elle est de l’ordre de l’excès. On pourrait pas se laisser envahir par les pulsions sexuelles et le Moi, si vous voulez, est obligé de se défendre de ces pulsions sexuelles.

Jean-Michel Hirt (psychanalyste) : Il y a une répression du sexuel qui est une répression de ce qu’on peut appeler la barbarie du sexuel, la sauvagerie du sexuel. Enfin tout ce qui fait que le sexuel, pour Freud, les pulsions sexuelles, sont quand même des pulsions qui sont de l’ordre du cannibalisme, de l’inceste, du meurtre.

Jean-Pierre Winter (psychanalyste) : Disons, à l’horizon de la jouissance humaine, de ce qui fait jouir un être humain depuis la naissance, il y a une part de cette jouissance qui est fondamentalement nocive et qui cherche à se satisfaire.

Jacqueline Schaeffer (psychanalyste) : Un bon refoulement, c’est nécessaire.

Marie-Christine Laznik (psychanalyste) : Je me suis aperçue que énormément de jeunes femmes qui n’arrivaient pas à se trouver un conjoint stable étaient phalliquement lourdes. Alors la première lourdeur d’une femme, c’est d’être complètement autonome financièrement, d’avoir besoin en rien d’un homme. Donc déjà sur le plan portefeuille et sa carrière d’homme, il n’a aucun poids phallique.

Interviewer : Ca veut dire que gagner de l’argent, avoir une carrière, c’est être phallique ?

Marie-Christine Laznik (psychanalyste) : Ah ça, c’est phallique, oui. C’est même la définition de la phallicité.

Jacqueline Schaeffer (psychanalyste) : Plus la femme sera soumise, plus l’homme sera fort, plus l’homme sera viril.

Interviewer : Une femme ne peut pas être femme et mener une carrière et gagner de l’argent ? Automatiquement, il y a un hiatus entre les deux ?

Marie-Christine Laznik (psychanalyste) : En tout cas, elle devient une femme à phallicité lourde, pesante. Si elle est belle, c’est pire.Parce que la beauté, c’est phallique aussi.

Esthela Solano-Suarez (psychanalyste) : Le féminin, on a pas d’inscription dans l’inconscient. L’inconscient, on a ses productions, est plutôt une machine qui tourne autour du phallus, une machine phallique.

Jean-Michel Hirt (psychanalyste) : D’une certaine façon, le phallus représente l’acte sexuel dans sa réalisation potentielle. A savoir, pour qu’il y ait acte sexuel, il faut une érection, donc un pénis dressé. On ne représente pas le sexe féminin, puisque de toute façon, il n’est pas visible.

Interviewer : Mais la vulve, c’est pas quelque chose d’invisible.

Jean-Michel Hirt (psychanalyste) : c’est pas quelque chose d’invisible, mais c’est pas quelque chose qui en même temps est proéminent, comme le sexe masculin. C’est d’abord ce que l’on voit, que l’on désire. Et ce que l’on ne voit pas n’est pas vécu comme quelque chose de désirable.

Guidino Gosselin (psychanalyste) : Quand l’enfant découvre le sexe de sa mère, il voit un trou. Parce que le sexe féminin est le seul sexe qui n’a pas de signifiant pour le désigner. Quand vous désignez les lèvres, le vagin, ce n’est pas le sexe. Le sexe, c’est un trou, c’est un vide. Donc c’est le seul organe, je vais dire, qui n’a pas de signifiant propre. Y a le tour, comme le pot,excusez-moi, la métaphore. Le pot entoure un vide.

Interviewer : Mais la vulve, c’est un signifiant !

Guidino Gosselin (psychanalyste) : C’est un signifiant, mais ça n’est pas le sexe. Le sexe, eh bien, c’est le vide, c’est le vide.

Jean-Pierre Winter (psychanalyste) : Y a rien de plus authentiquement femme qu’une femme qui s’approche au plus près du masculin. Parce que, effectivement, le corps de la femme est phallique.

Gérard Pommier (psychanalyste) : La jouissance fémininereste tout au long de la vie, à titre de déclencheur ou même à titre complet, clitoridienne., c’est-à-dire phallique.

Esthela Solano-Suarez (psychanalyste) : La mascarade féminine, c’est l’usage du semblant. C’est-à-dire, c’est tout ce qui fait … les talons …

Interviewer : Le semblant de féminité !

Esthela Solano-Suarez (psychanalyste) : Le semblant de la féminité, n’est-ce pas ?

Interviewer : ça suppose que la féminité, c’est du faux !

Esthela Solano-Suarez (psychanalyste) : La féminité, c’est que du semblant.

Interviewer : Attendez, c’est très important ce que vous dites-là, parce que dans le langage courant, on peut dire « elles savent mettre en valeur leurs atouts sexuels, leurs atouts féminins ». Vous vous dites, ces atouts-là, c’est justement un masque.

Esthela Solano-Suarez (psychanalyste) : oui, oui.

Interviewer : C’est pour masquer une absence, c’est pour masquer ce qui n’existe pas.

Esthela Solano-Suarez (psychanalyste) : Voilà. C’est pour masquer la femme qui n’existe pas.

Gérard Pommier (psychanalyste) : Les filles sont d’abord des garçons. Y a pas d’essence du féminin. Je veux dire par là que les femmes vont voir dans les magazines qu’est-ce que c’est qu’une femme. C’est ce qui fait le succès des magazines féminins. C’est qu’il faut voir quels sont les repères.

Interviewer : Mais du côté féminin, vous ne pensez pas qu’une femme peut désirer simplement sexuellement un homme, avec son sexe de femme ?

Esthela Solano-Suarez (psychanalyste) : Oui, quand elles font l’homme.

Interviewer : Alors s’il n’y a pas de féminin dans l’inconscient, est-ce que la femme existe ?

Claude Parchliniak (psychanalyste) : Ben non, justement, c’est pour ça qu’elle n’existe pas. Enfin : les femmes existent, mais pas la femme, sauf dans la psychose.

Interviewer : La femme existe dans la psychose ?

Claude Parchliniak (psychanalyste) : On peut trouver la femme dans la psychose, oui.

Interviewer : Est-ce que c’est pas paradoxal pour une femme d’essayer d’aller mieux, tout en ayant à admettre que la femme n’existe pas ?

Esthela Solano-Suarez (psychanalyste) : La femme n’existe pas au sens de l’universel.

Interviewer : Mais y a un universel de l’homme ?

Esthela Solano-Suarez (psychanalyste) : Oui. Oui, oui.

Interviewer : Est-ce qu’il n’y a pas des cas où la vraie femme existe ?

Claude Parchliniak (psychanalyste) : C’est surtout dans les excès, puisque la vraie femme, comme Lacan en parle, c’est Médée qui détruit, qui tue ses enfants.

Interviewer : En quoi ces comportements sont des témoignages d’une vraie femme, de quelque chose d’authentiquement féminin ?

Claude Parchliniak (psychanalyste) : C’est-à-dire que la trahison déclenche la rupture avec le lien phallique, précisément à l’ordre phallique, et produit un déchaînement. Et pour les femmes, c’est du côté du « sans limite ».Elles passent hors la loi.

Interviewer : Hors la loi phallique ?

Claude Parchliniak (psychanalyste) : Hors la loi phallique.

Interviewer : Donc en cela, elles sont authentiquement femmes ?

Claude Parchliniak (psychanalyste) : Elles sont hors la loi et ce déchaînement, évidemment, conduit au pire. Donc la vraie femme, c’est pas recommandable.

Guidino Gosselin (psychanalyste) : Le pédophile, lui, va essayer de montrer que la différence sexuelle, le manque, n’existent pas. C’est ainsi qu’il va rechercher, il va tomber amoureux… dire ça, c’est quelque chose d’épouvantable, mais la pédophilie, c’est aussi … faut essayer d’entendre… je sais que ça à quelque chose de choquant, d’entendre qu’un pédophile est quelqu’un qui puisse être amoureux d’un enfant.

Interviewer : Pourquoi est-ce que Lacan a dit que seule la perversion permet le rapport sexuel ?

Esthela Solano-Suarez (psychanalyste) : La perversion, c’est écrit en deux mots : père – version. C’est-à-dire que c’est une version fantasmatique de la jouissance du père.

Guidino Gosselin (psychanalyste) : Le pédophile, lui, il veut être un bon père. C’est-à-dire un père non seulement qui aime l’enfant, qui fait preuve d’amour avec l’enfant, mais qui veut aussi que l’enfant puisse jouir, il veut reconnaître le droit à la jouissance de l’enfant.

Esthela Solano-Suarez (psychanalyste) : La « père-version » est quelque chose qui vient se substituer au niveau de l’ab-sence du sens sexuel qui ne s’inscrit pas dans l’inconscient.

Guidino Gosselin (psychanalyste) : Justement, on refoule, je crois, la vindicte… c’est par rapport à notre pédophilie que nous avons tous. Tous nos sentiments, toutes nos pulsions, mais nous l’avons refoulées… On ne peut pas être bon éducateur, excusez-moi, sans être quelque part… avoir un amour pour les enfants. On a tous des fantasmes et des rêves quelque part pervers. »

Transcription intégrale de l’extrait de la « mère crocodile » (film « Le mur »)

L’extrait de la « mère crocodile »

Crocodile 2

Tiré du film :
« Le mur ou la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme »

Dr. Geneviève Loison (psychanalyste lacanienne, pédopsychiatre référente, Lille) : C’est le crocodile (elle montre un crocodile en plastique). Voilà le crocodile. Alors le crocodile, il nous indique tout de suite de quoi il s’agit. Ils jouent avec. Quand ils mettent la main dedans, je suis inquiète, ou un objet dedans. Quand ils se mettent dessus, quand ils tapent dessus, je suis rassurée.

Interviewer : Pourquoi, qu’est-ce qu’il lui fait le crocodile ? Qu’est-ce que ça veut dire le crocodile ?

Dr. Geneviève Loison : Le crocodile, c’est le ventre de la mère, les dents de la mère

Interviewer : C’est ce que Lacan appelle, la mère crocodile ?

Dr. Geneviève Loison : Oui, alors tout le but de notre travail, c’est de lui interdire de manger, voilà, j’ai mis une barre (elle a mis un crayon en travers de la gueule du crocodile).

Interviewer : De manger l’enfant ?

Dr. Geneviève Loison : Voilà (elle acquiesce), voilà, voilà et alors l’enfant, quand il commence à sortir de ça, il met la main. Parfois, il met une figurine dedans.

Interviewer : Et ce crayon, il représente quoi ?

Dr. Geneviève Loison : Ça c’est… voilà, tu ne peux plus (elle replace le crayon en travers de la gueule du crocodile), c’est la barre.

Interviewer : C’est le phallus paternel ?

Dr. Geneviève Loison : Voilà (elle acquiesce) ! Tu ne peux plus !

Interviewer : C’est la loi du père ?

Dr. Geneviève Loison : Oui.

Interviewer : Qui barre l’enfant à sa mère.

Dr. Geneviève Loison : Voilà (elle acquiesce).

Interviewer : Et qui interdit à la mère de détruire l’enfant.

Dr. Geneviève Loison : Voilà (elle acquiesce). Et de le dévorer.

Interviewer : Est-ce que ça concerne aussi les autistes ?

Dr. Geneviève Loison : Eh oui, eh oui. Les autistes, c’est une question de stade. Voyez, on prend les enfants à un stade parfois … les autistes, c’est eux souvent, ils nous mettent l’enfant là-dedans (elle montre une petite peluche tortue avec une ouverture à l’arrière), ils se mettent là-dedans. Là, on est assez inquiets.

La tortue

La tortue avec son ouverture à l’arrière