La journaliste féministe Marine Périn est l’autrice de la chaîne Youtube Marinette – femmes et féminisme. Je vous encourage à aller explorer cette chaîne, car elle contient des vidéos très intéressantes sur des thématiques féministes.
Marine Périn a notamment réalisé 2 vidéos remarquables sur la sidération. La 1ère vidéo s’intitule « Violences sexuelles : la sidération psychique » (Marinette, 2016a). La seconde vidéo s’intitule « La sidération : pour aller plus loin » (Marinette, 2016b).
Sur la première vidéo, on trouve le témoignage de Marine Périn qui a elle-même été confrontée à la sidération lors d’une agression, ainsi qu’une interview de Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie. La seconde vidéo contient la suite de l’interview de Muriel Salmona. Sous chaque vidéo, figurent encore des liens concernant le travail de Muriel Salmona et celui de Marine Périn.
L’interview de Muriel Salmona constitue une mine d’informations qui peut s’adresser autant à des professionnel-le-s prenant en charge des victimes (but formateur) qu’à des victimes (but thérapeutique) et à toute personne intéressée (changement social).
Il est important de savoir que la majorité des professionnel-le-s de la santé ne sont pas encore formé-e-s à la psychotraumatologie, avec pour conséquence de graves erreurs dans la prises en charge des victimes de violences (faux diagnostics, expertises erronées, traitements contre-indiqués, etc.). Cette interview est une bonne entrée en matière qui peut leur donner envie d’en savoir davantage sur le sujet, afin de pouvoir correctement prendre en charge les victimes et ne pas les mettre en danger notamment en ne détectant pas la gravité de l’état des victimes et/ou en créant des pathologies iatrogènes (pathologies créées par le traitement lui-même), ce qui a pour effet d’aggraver et/ou chroniciser les victimes au lieu de les soigner. Pour les victimes, le simple fait d’être mieux informées est en lui-même thérapeutique et apporte souvent un immense soulagement, une libération, ainsi que la possibilité, en cas de besoin, de choisir en toute connaissance de cause un-e thérapeute compétent-e dans ce domaine. Plus largement, il est fondamental que ces notions soient connues du plus grand nombre pour créer un véritable changement de société au niveau de la prise en charge des victimes, de la condamnation des agresseurs et de mettre ainsi fin à la culture du viol.
Pour toutes ces raisons, afin d’en permettre la diffusion la plus large possible en utilisant également le support de l’écrit, j’ai retranscrit l’intégralité de cette interview de Muriel Salmona répartie sur les 2 vidéos. Le témoignage de Marine Périn se trouve déjà retranscrit ici (Kuhni, 2017b).
Sur ses vidéos, Marine Périn a organisé l’interview en chapitres. Les titres qui ponctuent cette retranscription correspondent aux titres des chapitres.
Interview de Muriel Salmona (vidéo 1)
Début de l’interview
Capture d’écran vidéo 1
Muriel Salmona, psychiatre-psychotraumatologue
« La définition de la sidération, c’est un état psychologique de paralysie face à une situation qui est une situation qui dépasse l’entendement en quelque sorte, qui est totalement soit horrible, soit complètement incongrue, soit impensable, et qui va vraiment paralyser tout l’espace psychique. La personne qui est sidérée se retrouve dans l’impossibilité de réagir, de parler, de bouger. »
Le mécanisme psychique
« Le mécanisme complet, c’est que la sidération est à l’origine d’un blocage de la fonction supérieure. Et normalement, ce sont les fonctions supérieures qui modulent la réaction au stress de l’organisme. Et quand il n’y a pas de contrôle et de régulation par les fonctions supérieures, il va y avoir un survoltage avec une production d’hormones de stress très importante qui ne va pas être contrôlée, ce qui représente un risque vital pour l’organisme. La surproduction d’adrénaline va entraîner des atteintes possibles au niveau du système cardio-vasculaire. Et au niveau du cortisol, c’est le système neurologique, ce sont les neurones qui vont être très impactés par le cortisol. Et c’est là qu’il va y avoir un mécanisme exceptionnel de sauvegarde qui va faire disjoncter le système puisqu’il faut absolument interrompre cette surproduction d’hormones de stress pour éviter un risque vital. Et donc, comme dans un circuit électrique qui serait en survoltage, ça va disjoncter et protéger le cœur et le cerveau. »
La dissociation
« Il faut bien différencier sidération et dissociation. La sidération, c’est la paralysie, le fait de ne pas pouvoir réagir. Et puis ensuite, au moment de la disjonction, il y a cette dissociation qui fait qu’il y a une déconnexion émotionnelle et ça donne un sentiment d’irréalité, d’être déconnecté de la réalité, d’être spectatrice de l’événement, de ne plus ressentir ce qui se passe, ni la douleur, ni les émotions, comme si c’était irréel, comme si on était à l’extérieur de l’événement, comme si l’événement ne nous concernait pas.
Et du coup, la personne peut devenir un petit peu comme une sorte de pantin qu’on va pouvoir utiliser, sans pouvoir réagir et sans qu’elle ressente quoi que ce soit de ce qui se passe. »
Le cerveau à l’IRM
« Les IRM, ce sont des examens d’imagerie en résonance magnétique nucléaire et ça permet de voir la sidération : on peut voir la paralysie du cerveau. Ce qu’on fait, c’est qu’on met dans une IRM quelqu’un qui a été traumatisé par exemple et on lui fait revivre le trauma – ça a été fait par exemple sur des vétérans du Vietnam – on le reconfronte à des images de guerre qui rallument sa mémoire traumatique. Et du coup, il va revivre la même situation, il va se retrouver de nouveau en état de sidération. On voit sur l’IRM que le cerveau ne fonctionne pas. Et pour la dissociation, on va voir l’hyper-activité de l’amygdale cérébrale qui va être très importante et très colorée et on va voir que tout le reste du cerveau est déconnecté par rapport à cette amygdale. »
Méconnaissance et culture du viol
« Il y a une méconnaissance de tous les mécanismes neurobiologiques, sidération, dissociation, mémoire traumatique qui font que le plus souvent on va reprocher aux victimes des symptômes qui sont directement liés au traumatisme et qui sont pour nous, médecins, des preuves du trauma. Et particulièrement, cette sidération où on va dire à la victime « Mais puisque vous n’avez pas crié, vous ne vous êtes pas débattue, vous n’avez pas fui, c’est bien la preuve qu’il n’y a pas eu viol » par exemple « et que vous étiez consentante puisque vous n’avez rien dit, rien fait ». On va aller rechercher dans leur histoire, dans leur personnalité, des éléments qui pourraient prouver qu’elles racontent n’importe quoi. Il y a une sorte d’enquête de crédibilité de la victime qui est quelque chose d’intolérable.
Et puis la dissociation, aussi, ça fait que la victime n’a pas de bons repérages au niveau temporo-spatial, donc elle ne va pas être précise sur la date, l’heure, la durée des violences. Ça va lui être reproché. Elle va être tellement déconnectée de ses émotions qu’elle va mettre beaucoup de temps avant de pouvoir parler des violences ou, d’autant plus, aller porter plainte. Quand on est traumatisé, on ne peut pas faire certaines démarches. Donc on va le lui reprocher : pourquoi elle porte plainte si longtemps après ? »
Un élément de la défense
« Ça va être un élément sur lequel la défense, dans le cadre de procédures juridiques, va insister sur « Il ne pouvait pas savoir que ce qu’il faisait était mal puisque la victime ne réagissait pas ». J’ai un exemple très récent d’un procès-verbal, c’est vraiment tout ce système très pervers de retournement des phénomènes de preuves. Et ça, dans les procès, on le voit très bien. Donc les agresseurs utilisent ce système-là, à la fois pour bloquer et piéger leur victime et à la fois ensuite pour leur défense. Ils vont le réutiliser une deuxième fois. Et la méconnaissance de tout le monde fait que ça passe. »
La mémoire traumatique
« Au moment de la disjonction, ce qui disjoncte aussi, c’est le circuit de la mémoire. Et du coup, la mémoire émotionnelle, à partir du moment où ça a disjoncté, toutes les violences qui se produisent ne vont pas pouvoir passer par le circuit habituel de la mémoire et être intégrées par l’hippocampe – qui est le système d’exploitation de la mémoire – pour être transformée en mémoire autobiographique. Tout va rester piégé dans l’amygdale cérébrale. Et cette mémoire non intégrée va être susceptible d’envahir la victime au moindre lien qui rappelle les violences. On peut revivre en même temps ce qu’on ressent, ce qu’on a vu, ce qu’on a entendu, ce qu’on a senti, même, aussi, des images, des flashs, des odeurs, qui reviennent à l’identique, avec les mêmes émotions, une sorte de crise de panique, qui envahissent la personne.
Les personnes qui sont traumatisées vont devoir mettre en place des stratégies de survie pour ne pas exploser continuellement. Il y a deux sortes de stratégies de survie : il y a des conduites d’évitement, c’est-à-dire que ma vie est un terrain miné, le seul moyen, c’est de ne plus mettre les pieds dessus. Donc on ne bouge plus, on ne pense plus, on s’isole, on contrôle tout, plus rien ne bouge, rien ne change. Et petit à petit, la victime arrive à développer des petits espaces où elle se sent en sécurité, avec des personnes sécures. Et il ne faut rien leur bouger. L’autre solution quand il faut quand même avancer sur le terrain miné, alors qu’on sait qu’il y a des mines, que ça risque de sauter, c’est d’avancer. Les premières choses qu’on rencontre, pour se dissocier, c’est l’alcool, la drogue. Donc des produits dissociants, qui reproduisent la dissociation. Ou les médicaments. Et puis, ce qui est moins bien compris, c’est les conduites à risque, les mises en danger. Ça peut être se taper dessus, se mordre, se brûler, se couper. Mais ça peut être aussi avoir des conduites à risque au niveau de pratiques sportives très dangereuses, de pratiques automobiles sur la route très dangereuses. Ça peut être aussi des conduites à risque sexuelles. »
Les conséquences à long terme
« Et puis ces conduites dissociantes, c’est du stress continuel, c’est des mises en danger continuelles, c’est une alcoolisation, c’est une drogue, et c’est ça qui va avoir des conséquences catastrophiques sur la santé. A la fois au niveau cardio-vasculaire, au niveau du diabète, c’est toutes les maladies liées au stress. Ça va entraîner des troubles de l’immunité, des troubles respiratoires à cause du tabagisme – le tabac aussi à hautes doses, c’est dissociant. Donc toutes ces conduites dissociantes vont faire que, par exemple, quand on a subi des violences sexuelles, des violences dans l’enfance, on peut avoir jusqu’à 20 ans d’espérance de vie en moins. Et c’est le déterminant principal de la santé 50 ans après. »
Interview de Muriel Salmona (vidéo 2)
La stratégie de l’agresseur
« Les agresseurs, ils connaissent bien le phénomène puisqu’ils l’utilisent et d’ailleurs, ils excellent dans leur capacité à sidérer les victimes. Mais on le voit, on le voit d’ailleurs avec les terroristes : ils cherchent à sidérer, ils cherchent à traumatiser, donc ils cherchent à sidérer. Donc il faut toujours faire quelque chose que la victime n’attend pas, sur lequel elle n’est pas préparée. Il faut dire des choses qui vont perturber la victime. Il faut avoir un regard, des gestes, une façon d’être qui va être très sidérante. Donc tout comme les bourreaux, ils savent très bien manier les mécanismes psychotraumatiques pour traumatiser très durablement des victimes de torture.
Une jeune femme qui était stagiaire sur une île du Pacifique s’est trouvée, comme elle était stagiaire, à ne pas pouvoir aller dans l’hôtel où il y avait toutes les personnes de l’ambassade. Donc elle s’est retrouvée seule dans un petit hôtel où elle s’est sentie très en insécurité. Et elle avait parfaitement raison puisqu’elle avait beau s’enfermer la nuit, en plein milieu de nuit, un agresseur est arrivé, a défoncé la porte à coups de hache et sous la menace d’un couteau l’a violée. A un moment donné, elle raconte – donc elle était complètement sidérée, bien entendu, dans l’incapacité de bouger, elle était menacée en plus avec un couteau et persuadée qu’elle allait être tuée, vu le contexte – et à un moment donné, elle a commencé à reprendre un petit peu pied par rapport à la sidération, donc à pouvoir penser un petit peu à ce qui était en train de se passer. L’agresseur, lui, a senti qu’elle reprenait pied. Soit il fallait que de nouveau il lui fasse très peur : de nouveau qu’il mette en scène toute une destruction, qu’il se remette à hurler, qu’il se remette à reprendre son couteau, etc. Mais ça, ça l’empêchait de pouvoir continuer ce qu’il était en train de faire. Ou alors, c’est lui dire quelque chose qui allait complètement la sidérer, quelque chose de totalement incongru, fou. Il a opté pour la deuxième solution et il lui a dit : « Tu aimes ça, ce que je te fais ». Et ça l’a fait repartir, ça l’a de nouveau sidérée. Elle décrit bien à ce moment-là que de nouveau, elle était paralysée et elle a de nouveau été dissociée. Et ensuite, c’est quelque chose qu’elle n’a jamais osé dire pendant toute la procédure parce qu’elle avait honte, elle se sentait coupable : « Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour qu’il me dise que j’aime ça ? Est-ce qu’il a senti une réaction de mon corps ? Est-ce qu’il a perçu quelque chose ? ». Et pour elle, c’était une sorte de torture mentale. Et quand je lui expliquais que c’était tout simplement une stratégie, du coup, ça l’a beaucoup soulagée. »
Un agresseur dissocié
« L’extrême violence est traumatisante, à la fois pour les victimes, pour les témoins, mais aussi pour l’agresseur. La différence entre un agresseur et une victime, c’est que l’agresseur, il veut absolument être dissocié pour justement bénéficier d’une anesthésie émotionnelle pour pouvoir aller beaucoup plus loin et ne plus avoir aucune entrave par rapport à une violence extrême et à des actes inhumains de barbarie, et surtout ne pas être touché par la détresse ou la souffrance de la victime. Parce qu’on a des neurones miroirs qui font qu’on ressent les émotions d’autrui. Et ça, c’est très gênant, parce que ressentir la détresse de quelqu’un, c’est vivre cette détresse et du coup, c’est bloquant pour agir contre cette personne-là. Par rapport au 7 janvier [attentat de Charlie Hebdo], par exemple, les terroristes, tout le monde avait remarqué à quel point ils étaient complètement froids, calmes. Ils pouvaient tuer quelqu’un comme ça, en passant, comme si c’était rien. Et du coup, tout le monde se demandait s’ils n’avaient pas pris des drogues. Mais en fait, dans l’extrême violence, il n’y a pas besoin de drogue. C’est-à-dire que quand on installe une violence extrême, à la fois, on va dissocier la victime, donc il ne va plus y avoir d’émotion chez la victime. Et on va aussi dissocier ses propres émotions. »
Quand la dissociation dure
« Il y a beaucoup de victimes de violences qui sont traumatisées, dont on peut penser qu’elles ne vont pas si mal parce qu’elles sont complètement dissociées. C’est-à-dire que si vous restez en contact, soit avec le lieu, le contexte ou avec l’agresseur, et ça, c’est fréquent, à ce moment-là, vous restez dissociée, vous êtes déconnectée de vos émotions. Donc vous pouvez paraître aller pas si mal. Ça, c’est un élément essentiel pour la non prise en charge des victimes et le fait que personne n’a peur pour elle. C’est que, plus elles sont en danger, plus elles sont dissociées, moins les gens vont s’inquiéter pour elles. Comme elles sont déconnectées, elles n’ont pas d’émotions. Et quand vous êtes face à quelqu’un qui n’a pas d’émotions, vous n’avez pas d’émotions non plus parce que les neurones miroir ne vous renvoient rien. Donc vous êtes indifférent à quelqu’un. Je me rappelle un magistrat lors d’une formation qui me dit « Ah, mais je comprends alors pourquoi cette femme qui me racontait des actes de torture et de barbarie par son mari, comme elle ne réagissait pas et qu’elle m’en parlait comme si elle était indifférente à ce qui s’est passé, eh bien moi, j’avais considéré que c’était pas grave. ». Alors que la description, c’était des faits extrêmement graves. Je travaille aussi avec la Cour Nationale des Droits d’Asile et c’est frappant de voir que plus les gens ont subi des violences extrêmes, moins ils sont considérés comme crédibles. Plus ils ont vécu des violences extrêmes, plus ils sont dissociés, totalement, et plus les gens sont indifférents à eux et ne les croient pas. Je dis souvent aux médecins : « si vous vous endormez face à quelqu’un que vous recevez : alarme totale, c’est que vous avez certainement quelqu’un de très traumatisé en face de vous ». »
La prise en charge de la mémoire traumatique
«La première chose à faire, c’est que les personnes soient protégées pour qu’elles ne soient plus dissociées. Parce que quand vous avez quelqu’un de dissocié, pour traiter la mémoire traumatique, c’est compliqué. Puis là, pour qu’elle s’engage dans une démarche thérapeutique, c’est compliqué parce qu’elle ne ressent pas. Enfin, nous, on travaille avec les émotions, justement. Donc il faut déjà que les personnes puissent sortir de leur dissociation pour être prises en charge. La mémoire traumatique, après, ça se travaille … en fait, le but de la prise en charge de la mémoire traumatique, c’est de l’intégrer en mémoire autobiographique. On va faire tout un travail d’intégration en faisant des liens, en allant sur place, en travaillant sur tout ce qui s’est passé au niveau sidération pour que l’on puisse revivre l’événement sans la sidération, avec une analyse corticale. D’ailleurs, sur les IRM, on voit le travail thérapeutique qui fonctionne parce que du coup, aussitôt que le cortex peut comprendre et analyser ce qui se passe, du coup, les choses s’intègrent. Ça fonctionne, les circuits se remettent à fonctionner. Donc d’où l’importance aussi de comprendre ce qui est arrivé. Et d’ailleurs, les victimes de violences sexuelles, elles passent souvent leur vie à essayer de comprendre, parce qu’elles sentent bien que c’est là, la solution, c’est de comprendre ce qui se passe. Sauf qu’on ne leur donne jamais d’outils. Nous on donne tous les outils pour comprendre, repasser, voir tout ce qui s’est passé, pour petit à petit intégrer chaque moment, chaque élément, en mémoire autobiographique. Le problème actuellement, c’est que les professionnels ne sont pas formés, ni au repérage des troubles psychotraumatiques, ni à la connaissance des mécanismes. Donc ils ne peuvent pas informer réellement les victimes. Et puis, ils ne sont pas formés non plus au traitement. Ils n’ont pas d’outils pour traiter les personnes. Ils vont d’abord faire de faux diagnostics. C’est-à-dire que la mémoire traumatique, quand vous entendez des voix, vous voyez qu’il y a quelqu’un dans une pièce, vous avez l’impression qu’on vous touche, c’est tout de suite pris pour des hallucinations. Vous avez l’impression qu’on veut vous tuer, etc. on va vous dire que vous êtes schizophrène, psychotique. Il y a beaucoup de gens qui sont étiquetés schizophrènes, alors qu’ils sont simplement traumatisés. On va dire aux personnes qu’elles ont des troubles thymiques, maniaco-dépressifs, etc. alors que c’est simplement des accès de mémoire traumatique qui les replongent. Et puis, on va traiter leurs symptômes en les dissociant. Sauf qu’on va donner des médicaments qui vont dissocier les personnes. Donc on va faire des cocktails avec anxiolytiques, anti-dépresseurs, neuroleptiques, somnifères, thymorégulateurs. Mais tout ça, c’est très efficace, ils sont complètement déconnectés. Tout ce qui est sismothérapie, vous savez, les électrochocs, comment ça fonctionne : ça fait disjoncter le cerveau. Donc c’est hyper-efficace pour faire dissocier quelqu’un. Donc c’est comme ça qu’on a utilisé et qu’on utilise toujours les électro-chocs pour traiter les gens psychotraumatisés. Qu’est-ce qui marche bien aussi pour dissocier les gens, c’est d’être violents avec eux. Vous avez quelqu’un qui fait une crise d’angoisse, une attaque de panique, vous lui donnez une grande claque, c’est très efficace. Vous le mettez sous une douche froide, c’est très efficace. Vous hurlez contre cette personne, c’est très efficace, vous la calmez. Sauf que vous la calmez en la dissociant et en la traumatisant. Donc dans l’ensemble, le traitement sauvage des troubles psychotraumatiques, c’est de dissocier les gens et de dire, tout va bien. Après, il y a des dissociations un peu plus douces qui vont être l’hypnose, l’EMDR, etc. où ce sont des dissociations plus légères, mais s’il n’y a pas de travail psychothérapique derrière pour traiter la mémoire traumatique, c’est aussi une façon de « circulez, y a plus rien à voir ». Donc on essaye de ne pas donner de médicaments dissociants. On essaye, c’est vraiment le traitement de fond, c’est la psychothérapie, c’est la prise en charge sur la mémoire traumatique, de faire refonctionner les circuits. On peut traiter la douleur mentale quand elle est trop importante, exactement comme on donne de la morphine. Mais dans l’ensemble, on essaye d’utiliser le moins possible de médicaments psychotropes parce qu’ils sont plutôt dissociants. En revanche, on utilise un traitement qui est très efficace qui est les béta-bloquants. C’est un médicament qui diminue la production d’adrénaline. Donc, il diminue les facteurs stress, adrénaline, cortisol, et du coup il évite les allumages intempestifs de mémoire traumatique. Donc il sécurise un peu la personne. Et puis, ça permet de traiter la personne en donnant plus de sécurité et d’aller plus sur le terrain sans que ça parte en vrille. Et puis, ça protège le coeur, ça protège le cerveau, donc c’est tout bénéfice aussi. »
Les solutions
« C’est cette nécessité de développer des formations pour les professionnels pour qu’ils puissent prendre en charge, poser la question, avoir une culture de la protection des victimes, c’est-à-dire chercher à les protéger, et une culture de la prise en charge des troubles psychotraumatiques. Il faut une formation dès les études initiales et ensuite, dans les études de spécialité. C’est fou que pour la psychiatrie il n’y a pas une [formation], c’est plus de 60 % de la psychiatrie qui est liée aux psychotraumatismes. Donc c’est absolument essentiel. Les violences, c’est un problème de santé publique majeur, donc il faut s’en emparer et il faut que tous les professionnels soient formés. Et il faut absolument créer des centres de soin spécifiques. Actuellement, c’est une galère absolument épouvantable pour les victimes pour trouver des professionnels et des prises en charge sécurisées par des professionnels formés, sérieux, compétents. Et il est très important aussi de faire toute une information sur la sexualité pour les plus jeunes, de lutter contre tout ce qui est stéréotypes autour de la sexualité violente, lutter contre la pornographie, donc améliorer encore la lutte contre tout le système prostitutionnel, ce qui a déjà été le cas avec la loi qui maintenant pénalise les clients, mais il faut aller encore, il faut vraiment aller loin là-dessus. Et puis aussi, lutter contre tout ce qui est culture du viol, stéréotypes, informer sur les droits de chacun, sur la notion de consentement, le respect du consentement de l’autre, avec des notions de consentement qui ne doit pas être uniquement sur « elle a pas dit non ». Il faut absolument avoir un « oui » et un « oui éclairé». Ce qu’on peut espérer, c’est que, là, il y a beaucoup de victimes de terrorisme qui vont avoir des troubles psychotraumatiques très lourds – il faut savoir que les victimes de viol ont les mêmes conséquences psychotraumatiques que les victimes de torture ou d’actes de terrorisme – et qu’il faudra prendre en charge toutes ces personnes. Et on les met moins en cause que les victimes de viol, donc il n’y a pas cette culture du viol. On va peut-être plus les entendre. Parce que les associations – je travaille avec elles – sont quand même assez revendiquantes par rapport à la prise en charge et c’est peut-être par leur intermédiaire qu’on va obtenir ce qu’on arrive pas à obtenir malgré tout notre travail de plaidoyer, nos luttes incessantes, etc. sur une amélioration de la prise en charge. »
Courte explication sur la pornographie et la prostitution (texte figurant sous vidéo 2)
« Explications de Muriel Salmona sur la pornographie et la prostitution : »
« Près de 90% des personnes prostituées ont subi des violences, particulièrement des violences sexuelles, dans l’enfance. Elles se retrouvent prostituées parce qu’elles sont dissociées avec, de ce fait, une grande tolérance aux violences. C’est même la raison pour laquelle elles sont choisies par les proxénètes et cela arrange les client. Je ne suis pas pour la prohibition, je ne veux pas empêcher quiconque d’être prostituée, mais contre le système d’exploitation prostitutionnel (proxénètes et clients) et l’absence de protection et de soins qui livrent et piègent ces personnes traumatisées dans ce système.
De même par rapport à la pornographie, ce que je dénonce c’est le fait de filmer des actes très violents avec des personnes qui les subissent vraiment et de participer à la diffusion d’une sexualité présentée par nature comme violente.
Être dissociée représente un risque majeur de subir des violences à répétition (70% des personnes ayant subi des violences sexuelles en subissent à nouveau) et explique les phénomènes d’emprise.
Parmi les solutions à ne pas oublier, il y a la lutte conte les inégalités, le sexisme et toutes les discriminations. Les violences sexuelles se font dans un contexte de rapport de force et de domination masculine. Les personnes qui subissent le plus de violences sont les enfants (les filles surtout), les personnes handicapées et les femmes. Les violences sexuelles ne relèvent jamais d’un désir ou d’un besoin sexuel : ce sont de la destruction et de l’excitation à la haine. » »
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