L’hypocrisie patriarcale : s’étonner de l’apparente gentillesse des prédateurs de femmes et d’enfants

« « C’était un homme comme tout le monde, très gentil, qu’on voyait souvent le midi. Souriant et aimable, la dernière fois que je l’ai vu il m’a dit : alors, ça va ? Bientôt les vacances !« , explique dans La Voix du Nord une habitante de Wambrechies.

« Tout le monde tombe des nues » a confié le premier adjoint de Wambrechies Michel Sas. « Il paraissait totalement normal, il était serviable, à la fête d’école il aidait… C’était un homme à qui on fait confiance, il était insoupçonnable ». » (France Info, 2018)

Voici le genre de textes qu’écrivent les journalistes à propos du pédocriminel qui a violé et tué Angélique, une fillette de 13 ans, à Wambrechies, l’après-midi du 25 avril 2018.

Comment peuvent-ils écrire de tels propos, alors que l’on sait parfaitement que c’est l’une des caractéristiques majeures des prédateurs de femmes et d’enfants que de paraître gentils, normaux, serviables, bien intégrés dans leur communauté, etc.

Par conséquent, s’étonner de la gentillesse et de la bonne intégration de l’homme qui a violé et tué une fillette de 13 ans est d’une mauvaise foi prodigieuse, voire très douteuse. Écrire de telles absurdités ne fait que renforcer le très préjudiciable stéréotype patriarcal que ces prédateurs d’une grande perversion sont de gentils hommes qui ont juste « dérapé ». Ces journalistes devraient plutôt informer la population de cette dangereuse spécificité en écrivant : l’homme qui a violé et tué la petite Angélique entre dans la catégorie la plus courante, celle des prédateurs de femmes et d’enfants à l’apparence gentille.

Pour protéger les femmes et les enfants de ces prédateurs, il faut de toute urgence cesser cette hypocrisie de l’étonnement devant la gentillesse apparente de ces prédateurs. S’ils ont l’air si gentils, si parfaits, c’est simplement parce qu’ils sont de grands manipulateurs (ou pervers) qui savent parfaitement donner le change. Donc le fait d’être un « tueur gentil » ou un « violeur gentil » devrait plutôt être un facteur aggravant, puisque c’est le signe d’une grande perversion. Cette gentillesse est très volontaire, totalement fabriquée (ils jouent un rôle) et à dessein, avec 2 buts principaux : mettre en confiance les victimes et leurs proches (grooming, etc.) ; assurer leur impunité dans la société pour que personne ne puisse imaginer qu’ils sont de dangereux prédateurs (« on leur donnerait le Bon Dieu sans confession »).

Autrement dit, cette gentillesse n’est pas surprenante du tout. Elle est une caractéristique qui devrait sérieusement nous alerter sur la dangerosité de ces prédateurs, encore plus lorsqu’ils ont déjà été condamnés pour violences (violence conjugales, viols, etc.). La gentillesse de ces prédateurs devrait également alerter sur le risque très élevé de récidive. En effet, lorsqu’ils sont découverts et condamnés, les pervers ne changent pas. Ils aggravent au contraire leur dangerosité en se cachant toujours davantage (en peaufinant leur comédie d’homme parfait) et en mettant en place une stratégie qui évitera de se faire attraper à nouveau. C’est pourquoi, dans leur parcours criminel, ces prédateurs commencent souvent par laisser leurs victimes en vie. Mais s’ils se font attraper une première fois parce qu’une victime les a dénoncés, ils tueront désormais leurs victimes, afin qu’elles ne parlent pas. Donc en ressortant de prison, leur dangerosité a de fortes probabilités de s’être considérablement aggravée, bien qu’ils aient l’air de plus en plus gentils (leur stratégie s’est perfectionnée de façon très efficace). La prochaine fois qu’ils violeront, ils tueront souvent leur victime et tenteront d’effacer soigneusement toute trace de leur crime. Le cas de David Ramault, meurtrier et violeur d’Angélique en est peut-être un parfait exemple (voir plus loin dans l’article, le profil de ce prédateur). Quand ce tueur se dit « lorsqu’elle a commencé à se débattre, il a compris qu’il fallait qu’il la tue » (L’Internaute, 2018), il est possible que nous soyons face à cette stratégie : le fait qu’elle se débatte lui montre que la fillette n’est pas consentante et qu’elle risque de le dénoncer, donc il considère qu’il doit la tuer. Ensuite, il tente d’effacer toute trace de son crime.

De « très gentils » hommes violents

Wonder Woman and Superman (Jha, 2014)

La perversion du « très gentil » (France Info, 2018) David Ramault, tueur et violeur d’Angélique, est d’ailleurs très impressionnante puisqu’il a attiré la fillette chez lui en lui disant avoir « un cadeau pour ses parents » (CNEWS, 2018). Donc la fillette est allée chez ce violeur/assassin pour faire plaisir à ses parents ! Ce procédé est d’une perversion machiavélique, avec tout ce que cela peut engendrer comme culpabilité chez les parents, en plus du traumatisme effroyable de l’assassinat et du viol de leur fille.

« Il aurait ainsi vécu dans le même immeuble que la famille d’Angélique, selon France 3 Hauts-de-France. Un passé commun dont il aurait tiré profit pour attirer la jeune fille chez lui, en lui expliquant avoir à son domicile un cadeau pour ses parents. » (CNEWS, 2018)

Un conditionnement patriarcal (et non des pulsions)

Lorsque les hommes se mettent à frapper, violer, tuer des femmes et/ou des enfants, ils ne sont absolument pas aux prises avec des « pulsions », comme l’on tente de nous faire croire depuis des millénaires pour justifier la violence masculine. Leurs actes sont la plupart du temps réfléchis, planifiés, avec une attention particulière pour assurer leur impunité, effacer toute trace de leur crime.

Ce que dit David Ramault lorsqu’il a tué Angélique montre qu’il s’agit d’un acte conscient, réfléchi : « (…) lorsqu’elle a commencé à se débattre, il a compris qu’il fallait qu’il la tue et il indique également que l’ensemble de toutes ces violences n’a pas duré plus d’un quart d’heure. Par la suite, il nettoie le logement, notamment des traces de sang. Il se débarrasse du téléphone de la victime, de ses vêtements. […] Il met le corps de la jeune fille dans une valise, qu’il met dans le coffre de sa voiture et il part avec cette voiture. Il s’arrête en chemin pour acheter un pelle. […] Il s’arrête à l’entrée du bois, selon lui par hasard. Il dit ne pas connaître les lieux. D’abord, il tente de creuser un trou, mais comme il n’y parvient pas, il finit par la dissimuler dans un fourré et l’abandonne là« . » (L’Internaute, 2018)

Le fait qu’il ait absorbé peu avant plusieurs pilules contre les troubles de l’érection (comme le Viagra, par exemple) laisse à penser que David Ramault aurait prémédité ce viol, sachant que cet après-midi là il était seul, car « sa famille séjournait dans le sud de la France » (La Dépêche, 2018).

« Après avoir ingurgité des pilules contre les troubles de l’érection et plusieurs bières, le quadragénaire dit s’être dirigé dans un square où se trouvait Angélique Six et lui avoir proposé de le suivre jusqu’à son domicile, pour lui remettre « un cadeau » destiné à ses parents. » (L’Internaute, 2018)

Ces violences n’ont donc rien à voir avec des pulsions. Il s’agit au contraire d’un conditionnement que les hommes ont appris dès leur plus jeune âge. En effet, nous vivons dans une société patriarcale où les hommes dominent au moyen de la violence envers les femmes et les enfants. Dans ce contexte de domination masculine, les hommes apprennent très tôt, dès leur plus tendre enfance, qu’ils ont un droit de vie et de mort sur les femmes et les enfants et qu’ils sont fortement encouragés à les violenter pour asseoir leur position dominante. Cet encouragement prend la forme d’une panoplie de justifications très élaborées dont le but est d’assurer l’impunité des hommes violents (soi-disant pulsions, troubles mentaux, problèmes d’alcool, etc.). Simultanément, une panoplie tout aussi importante permet d’inverser la culpabilité en rendant la victime responsable d’avoir été violée/tuée. Cette « violence machiste systémique » (Kuhni, 2018a) est une reproduction exacte du cycle de la violence que l’on retrouve au niveau individuel (couple, famille, etc.). Elle est également appelée « culture du viol », car les violences sexuelles sont l’instrument majeur avec lequel les hommes dominent (Kuhni, 2018b).

Sachant que ces violences masculines sont le résultat d’un conditionnement patriarcal (et non de pulsions), c’est par l’éducation et la fin de l’impunité de ces prédateurs que l’on peut y mettre un terme.

Informer sur la présence des prédateurs sexuels

L’assassinat d’Angélique pose une fois de plus la question de l’information au public de la présence de ces prédateurs. Donc pourquoi ne procède-t-on pas comme aux USA où les prédateurs sexuels sont signalés à leur entourage, afin que les femmes et les enfants puissent se protéger d’eux. En effet, si Angélique avait su que son voisin de longue date était un prédateur sexuel, elle ne l’aurait jamais suivi.

« On prévient les enfants ? Non, ce serait contraire aux droits de l’homme »
(Plantu, 2018)

David Ramault, violeur et assassin d’Angélique (13 ans)

Comme dans la plupart de ces affaires, le tueur est un récidiviste déjà condamné pour des faits de violence, notamment un viol avec arme sur une fillette de 12 ans. Ce tueur est même enregistré dans le fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS).

« (…) David R., 45 ans, marié, père de deux enfants, chauffeur de bus chez Transpole, les transports en commun de la métropole lilloise. Condamné en 1996 pour « viol avec arme sur mineur de moins de 15 ans » (sa victime avait alors 12 ans), « attentats à la pudeur aggravés » (il avait agressé sexuellement deux femmes d’une quarantaine d’années) et « vol avec violence », l’homme interpellé à son travail samedi soir à 21 h 30 était inscrit au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS).

(…) le procureur a retracé cette dramatique journée du 25 avril. Mercredi, c’était son jour de repos, le suspect était seul chez lui. (…). Il est allé dans un sex-shop à Lille acheter des pilules contre les troubles de l’érection. Il en a absorbé deux ou trois en buvant trois canettes de bière avant de s’endormir devant la télévision. Vers 16 heures, ne se sentant pas bien, il est allé prendre l’air, a-t-il raconté aux services de police. « Il est passé devant le jardin où jouait Angélique, a détaillé le procureur. Il a eu envie d’elle. Il a dit “c’était plus fort que moi, j’étais comme dans un état second” ». David R. a prétexté devoir remettre un objet aux parents d’Angélique pour l’emmener chez lui, à quelques centaines de mètres de là. » (Moniez, 2018)

Dans le passage ci-dessus, le procureur utilise de façon particulièrement choquante et sans aucun recul les mots-mêmes de l’assassin (« Il a eu envie d’elle »), associant ainsi la fillette à une femme, alors qu’il s’agit de pédocriminalité. Ce procureur a également donné des détails très crus sur le viol de la fillette par ce pédocriminel. Comment cela est-il possible ? Lorsqu’il s’agit de victimes mineures, ces informations sont en principe confidentielles et non communiquées aux médias.

Ce procureur a transmis de la même façon, sans aucun recul, l’expression du tueur « il a compris qu’il fallait qu’il la tue » parce que la fillette à commencé à se débattre (L’Internaute, 2018), comme s’il s’agissait d’une évidence que lorsqu’une fillette se débat, il faut la tuer. Pourquoi n’a-t-il pas reformulé en disant par exemple « il a décidé de la tuer ». Jamais un procureur ne s’exprimerait ainsi pour des actes terroristes. Imaginez si le procureur disait « Lorsque cette fillette a commencé à se débattre, le terroriste a compris qu’il fallait qu’il la tue ». Cette formulation soulèverait un tollé.

D’ailleurs, l’ensemble de l’intervention de ce procureur a probablement déclenché de nombreux effets trigger (réveil brutal des traumas) chez les victimes qui l’ont écouté. Peut-être faudrait-il songer à l’avenir à informer au moyen d’un TRIGGER WARNING (TW) lorsque les procureurs transmettent ces récits détaillés fortement traumatisants pour les victimes.

David Ramault

« L’assassin de la petite angélique est un père de famille de deux garçons, il travaillait chez Transpole et était le voisin d’Angelique. Il avait été condamné à 10 ans de prison en 1996 pour viol sur une fille de 13 ans [en réalité 12 ans], avant d’en sortir en 2000. Il a attiré la petite fille en lui proposant de le suivre… Celle-ci, le connaissait et lui a donc fait confiance. » (Roubaix News, 2018)

Une justice qui sous-estime la dangerosité de ces prédateurs

En 1996, David Ramault avait violé une fillette de 12 ans avec un couteau sur la gorge, en menaçant de la tuer si elle ne se laissait pas faire. Donc cette fillette a subi à la fois un viol et une tentative de meurtre.

Alors comment la justice a-t-elle pu à ce point sous-estimer la dangerosité de cet homme ? Suite à ce viol avec couteau sur la gorge et menaces de mort, David Ramault a été condamné en 1996 à 10 ans de prison, mais a déjà été libéré en 2000. Cet homme d’une dangerosité extrême n’a donc fait que 4 ans de prison.

Aujourd’hui, en prenant connaissance du meurtre d’Angélique dans les médias, le trauma causé par l’effroi face à la mort et au viol se rallume brutalement pour cette précédente victime. Elle sait parfaitement que cela aurait pu être elle, que David Ramault aurait pu la tuer ce jour-là.

« C’était le 7 janvier 1996. A cette date, Noémie* n’a pas encore 13 ans lorsqu’elle croise le chemin de David Ramault. La petite fille sort du théâtre et marche en direction du domicile d’un de ses voisins pour rejoindre sa mère, quand un homme dissimulé sous un casque de moto arrive derrière elle et la menace avec un couteau. Il l’emmène dans un endroit à l’écart, près d’un chemin de fer à l’abandon.

« Il y avait des murets en moins, et il y avait un trou. Il m’a emmenée dans ce trou là, et il m’a mise dans l’herbe. Il m’a dit de le laisser faire sinon il allait me tuer. Et il a appuyé sur le couteau au niveau de la gorge« , se souvient la jeune femme au micro de La Voix du Nord.

(…) Fin avril 2018, David Ramault, aujourd’hui âgé de 45 ans, chauffeur de bus et marié, avoue le viol et le meurtre d’Angélique Six, 13 ans. L’homme est mis en examen pour séquestration, viol et meurtre, et est écroué. Une nouvelle affaire qui résonne comme un coup de tonnerre dans l’esprit de Noémie, et ravive son traumatisme.

« Au fur et à mesure des reportages et des magazines, je trouvais David Ramault. Je me suis mise à hurler parce que je me suis dit que ça aurait pu être moi« , explique-t-elle.

La jeune femme dit « ne pas arrêter de penser » à Angélique, et au calvaire que doivent vivre ses parents. » (BFM TV, 2018)

Bibliographie

BFM TV, Police Justice. (2018). Meurtre d’Angélique: « Il a bousillé ma vie », la première victime de David Ramault témoigne [en ligne]. 4 mai 2018 [consulté le 4 mai 2018]. Disponible à l’adresse : http://www.bfmtv.com/police-justice/meurtre-d-angelique-il-a-bousille-ma-vie-la-premiere-victime-de-david-ramault-temoigne-1437063.html

CNEWS. (2018). Ce que l’on sait sur David Ramault, le meurtrier présumé de la petite Angélique [en ligne]. 30 avril 2018 [consulté le 30 avril 2018]. Disponible à l’adresse : http://www.cnews.fr/france/2018-04-30/ce-que-lon-sait-sur-david-ramault-le-meurtrier-presume-de-la-petite-angelique

France Info. (2018). Mort d’Angélique à Wambrechies : qui est David R., le principal suspect de l’affaire ? [en ligne]. 29 avril 2018 [consulté le 30 avril 2018]. Disponible à l’adresse : https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/nord-0/lille-metropole/mort-angelique-wambrechies-qui-est-david-principal-suspect-affaire-1467357.html

Jha, Rega. (2014). 11 Chilling Depictions Of Iconic Cartoon Characters In Scenes Of Domestic Violence, Buzzfeed [en ligne]. 5 mars 2014 [consulté le 30 avril 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.buzzfeed.com/regajha/chilling-depictions-of-iconic-cartoon-characters-as-victi?utm_term=.gdg7aaXnpL#.qtjQww8kK3

La Dépêche. (2018). Le meurtrier présumé d’Angélique, 13 ans, mis en examen pour « séquestration, viol et meurtre » [en ligne]. 30 avril 2018 [consulté le 1er mai 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.ladepeche.fr/article/2018/04/30/2789587-angelique-13-ans-sequestree-violee-etranglee-recit-glacant-procureur-republique.html

L’Internaute, La Rédaction. (2018). Mort d’Angélique Six : le récit glaçant de David Ramault [en ligne]. 30 avril 2018 [consulté le 30 avril 2018]. Disponible à l’adresse : http://www.linternaute.com/actualite/societe/1451028-mort-d-angelique-six-le-recit-glacant-de-david-ramault/

Kuhni, Marianne. (2018a). La violence machiste systémique et la non-reconnaissance des femmes victimes [en ligne]. 10 février 2018. Disponible à l’adresse : https://mariannekuhni.com/2018/02/10/la-violence-machiste-systemique-et-la-non-reconnaissance-des-femmes-victimes/

Kuhni, Marianne. (2018b). Domination masculine et appropriation du ventre des femmes [en ligne]. 5 avril 2018. Disponible à l’adresse : https://mariannekuhni.com/2018/04/05/domination-masculine-et-appropriation-du-ventre-des-femmes/

Moniez, Laurie. (2018). Après le meurtre d’Angélique, le choc dans la petite ville de Wambrechies, Le Monde Police et Justice [en ligne]. 30 avril 2018 [consulté le 30 avril 2018]. Disponible à l’adresse : http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/04/30/apres-le-meurtre-d-angelique-le-choc-dans-la-petite-ville-de-wambrechies_5292852_1653578.html

Plantu. (2018). RÉCIDIVE, Twitter [en ligne]. 30 avril 2018, 11h04 [consulté le 30 avril 2018]. Disponible à l‘adresse :https://twitter.com/plantu/status/990879438941376512?s=20

Roubaix News [interview]. (2018). L’assassin de la petite angélique est un père de famille de deux garçons, il travaillait chez Transpole et était le voisin d’Angelique…, Facebook [photo]. 29 avril 2018, 09h37 [consulté le 30 avril 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.facebook.com/RoubaixNews/photos/a.123376541598344.1073741829.123123421623656/206084903327507/?type=3&theater

La violence machiste systémique et la non-reconnaissance des femmes victimes

« Reconnaissant que la violence à l’égard des femmes est une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes ayant conduit à la domination et à la discrimination des femmes par les hommes, privant ainsi les femmes de leur pleine émancipation;

Reconnaissant que la nature structurelle de la violence à l’égard des femmes est fondée sur le genre, et que la violence à l’égard des femmes est un des mécanismes sociaux cruciaux par lesquels les femmes sont maintenues dans une position de subordination par rapport aux hommes»

(Conseil de l’Europe, 2011, pp- 5-6, préambule de la Convention d’Istanbul)

Depuis quelques années, un mouvement mondial de femmes se lève pour lutter contre les violences machistes systémiques envers les femmes et les filles. Ce mouvement planétaire a créé des prises de consciences sociétales successives qui ont permis la révélation de l’affaire Weinstein (Le Monde, 2017a), elle-même source de l’émergence des hashtags #metoo et #balancetonporc (Le Monde, 2017b) avec lesquels des milliers de femmes victimes ont pu enfin parler et être entendues à propos des violences sexuelles qu’elles subissent. Le phénomène est si important que le magazine Time a fait de ces « Silence Breakers » (« Briseuses-eurs de Silence ») les personnes de l’année 2017.

The Silence Breakers

Person of the Years (Time, 2017b)

L’événement One Billion Rising qui se déroule chaque 14 février (jour de la Saint-Valentin, pour rappeler la réalité des innombrables femmes qui vivent des violences en couple) est une autre manifestation de ce mouvement d’une grande ampleur dont les mots de rassemblement sont Rise!Resist!Unite! et le hashtag #RiseInSolidarity. L’action internationale One Billion Rising a été créée par la féministe et dramaturge américaine Eve Ensler pour lutter contre les violences faites aux femmes. Eve Ensler est aussi l’autrice de la pièce mondialement connue « Les monologues du vagin » (1996) qui a contribué largement à faire tomber les tabous autour du sexe féminin.

Ce mouvement mondial des femmes a bien sûr donné lieu à un blacklash tel que décrit par la féministe américaine Susan Faludi dans son best-seller mondial « Backlash: The Undeclared War Against American Women » (traduit par Backlash, la guerre froide contre les femmes) publié aux USA en 1991 (Kuhni, 2014b), soit une réaction patriarcale violente pour stopper toute avancée vers l’égalité femmes-hommes voire renforcer la société patriarcale de façon encore plus drastique qu’auparavant.

Ce fut le cas de la tribune anti-victimaire publiée dans Le Monde le 9 janvier 2018 et signée par 100 femmes influentes qui est un exemple typique de backlash.

Une tribune anti-victimaire signée par 100 femmes influentes

Le surlendemain des Golden Globes 2018 où Oprah Winfrey faisait un discours mémorable à propos des violences sexuelles et des droits des femmes (Abolissimo, 2018 ; Courrier International, 2018), nous découvrions médusé-e-s une tribune publiée par Le Monde dans laquelle 100 femmes influentes défendaient le droit des hommes de violenter sexuellement les femmes. Catherine Deneuve est la signataire la plus célèbre de cette tribune qui s’intitule : « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle » (Collectif, 2018).  L’article, réservé aux abonnés du journal, est disponible en accès libre sur le blog d’un supporter de la tribune : Une autre parole, 2018.

Un passage de cette tribune : « « [Une femme] peut veiller à ce que son salaire soit égal à celui d’un homme, mais ne pas se sentir traumatisée à jamais par un frotteur dans le métro, même si cela est considéré comme un délit. Elle peut même l’envisager comme l’expression d’une grande misère sexuelle, voire comme un non-événement. » » (Konbini, 2018)

La première page du journal papier annonçait la tribune au moyen du titre « Les femmes ne sont pas de pauvres petites choses » : « (…) la première page du journal était ainsi composée (…). À côté, sur une colonne, un titre entre guillemets (…) : « Les femmes ne sont pas de pauvres petites choses ». » (Nouchi, 2018). Ce titre laisse entrevoir la misogynie et le sexisme du texte qu’il annonce et qui se révèlent effectivement d’une virulence inouïe envers les femmes victimes de violences sexuelles, leur intimant l’ordre de se taire et allant jusqu’à faire l’apologie de ces violences au nom de la liberté sexuelle et d’une soi-disant misère sexuelle des hommes.

Cette tribune publiée dans Le Monde est une parfaite illustration de la phase 3 du « cycle de la violence machiste » (décrit en fin du présent article), phase qui consiste à inverser la culpabilité en plaçant les agresseurs en position de victimes.

Définition d’« importuner »
par l’autrice de bande dessinée Julie Maroh

(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Source : Maroh, 2018

Un backlash pour re-silencier les victimes

Le discours propagé par cette tribune antiféministe n’a rien de révolutionnaire, contrairement à ce qu’il prétend. Ce discours est distillé aux femmes depuis des millénaires, afin qu’elles acceptent sagement la domination masculine fondée sur les violences machistes envers elles, dont les violences conjugales, sexuelles, reproductives, et économiques. Il n’y a donc rien de révolutionnaire à propager ce discours réactionnaire dont le but est d’attaquer le discours révolutionnaire des femmes et des féministes qui luttent pour l’égalité et la fin des violences sexuelles qui sont la clé de voûte de la domination masculine.

Très certainement écrit en réaction aux hashtags #metoo et #balancetonporc de Twitter, le discours réactionnaire de cette tribune antiféministe est en réalité un backlash qui arrive immédiatement après que la parole des victimes de violences sexuelles se soit libérée parce qu’elle était enfin entendue après la révélation de l’affaire Weinstein (Le Monde, 2017a).

Cette tribune fait aussi l’amalgame entre ces hashtags et le féminisme, afin de s’en prendre aux féministes. Or, ces hashtags ont été lancés par des femmes victimes qui ont décidé de parler des violences sexuelles qu’elles ont subies. Prétendre que ce sont les féministes qui ont lancé ce hashtag est faux et revient à nier la parole de ces innombrables femmes qui ont osé parler.

« Christine Bard, spécialiste de l’histoire du féminisme, explique en quoi la tribune parue dans « Le Monde », signée par cent femmes, relève d’un contre-mouvement classique. (…) Elle explique en quoi la tribune signée par l’actrice relève de l’antiféminisme (..) Il était prévisible que la grande prise de parole à laquelle on assiste depuis plusieurs mois pour dénoncer les violences sexuelles donne lieu à ce type de réaction. Cette tribune est l’expression d’un antiféminisme et d’un contre-mouvement. Elle reprend les arguments classiques, déjà présents au XIXe siècle, de la rhétorique antiféministe : l’accusation de censure, d’atteinte à la liberté sexuelle, de haine des hommes et de la sexualité, de victimisation des femmes, sans oublier l’accusation de totalitarisme. (…) sans [les féministes], de quelle liberté sexuelle parlerait-on aujourd’hui ? C’est à elles que nous devons la contraception, la liberté d’avorter, l’éducation sexuelle, la critique de la norme hétérosexuelle, et cette révolution sexuelle d’inspiration féministe est d’ailleurs loin d’être achevée. » (Vincent, 2018)

De vrais discours révolutionnaires

L’appel de 1’000 jeunes filles contre les 100

Quelques jours plus tard, 1’000 jeunes filles signaient une magnifique tribune dans Le Monde pour répondre à celle des 100 femmes influentes qui leur ordonnait de se laisser importuner et de se taire :

« Nous sommes deux jeunes filles de 17 ans. Nous ne sommes ni expertes en féminisme ni particulièrement engagées dans la lutte pour les droits des femmes, certainement parce que nous pensions la question révolue depuis le temps qu’on en parle et aussi parce que les dernières révélations en matière de harcèlement nous ont laissé croire que, la parole étant libérée, aucun homme n’oserait plus faire à personne ce qu’on pourrait lui reprocher… Et puis nous avons lu la tribune pour la « liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle »… La lecture en fut douloureuse. Nous nous sommes premièrement demandé pour qui ce fameux droit à être importunée était réclamé. Nous doutons en effet que mesdames de Menthon, Lévy et Deneuve promeuvent ce droit pour elles-mêmes

Nous comprenons donc assez vite que cette tribune serait une sorte de legs pour nous, les futures usagères des transports en commun. Ainsi donc mesdemoiselles, semblent ainsi nous dire nos 100 mères, vous attend un modèle de société où il faudrait que vous ayez de la compassion pour ces messieurs, jeunes et vieux, qui auraient la délicate attention de se frotter à vous ! Une société dans laquelle nous devrions apprendre à taire, voire à apprécier les agressions que nous subissons (pardon, que nous réclamons) ! Anachronique ? Non, c’est moderne…

Mais on ne veut plus se taire. Nous voulons faire entendre notre voix. Nous voulons que vous, mesdames, preniez conscience de l’ampleur de ce phénomène d’agressions quotidiennes que vous qualifiez de nécessaires. Le traumatisme d’un attouchement ou d’un viol est réel et certaines d’entre nous (qui prenons certainement plus souvent les transports en commun que vous) sont là pour en témoigner. Certaines jeunes filles nous ont envoyé des témoignages de harcèlement moral qu’elles ont vécu dès le plus jeune âge, d’autres d’attouchements dans le métro dès 8 heures du matin, sous le sac à dos, d’autre encore de l’oppression qu’elles… » (Boirie, Versaevel, 2018)

La réponse d’un homme, Marcus Dupont-Besnard

Quant au reporter et chroniqueur Marcus Dupont-Besnard, voici ce qu’il répond à la tribune anti-victimaire publiée dans Le Monde :

« Les hommes doivent refuser la “liberté d’importuner” – Si l’on en croit la tribune signée le 9 janvier dernier dans Le Monde par un collectif de 100 femmes, dont Catherine Deneuve, il existerait entre les mains des hommes une liberté d’importuner méritant d’être défendue. Non seulement je ne me reconnais aucunement en tant qu’homme dans ce prétendu droit à importuner, mais surtout il est fondamental de refuser catégoriquement la possibilité d’un tel droit. (…) que les hommes prennent leurs responsabilités (…) Il s’agit pour tous les hommes de comprendre l’impact violent que peuvent avoir certains de nos comportements. (…) Ce n’est pas une contre-oppression envers nous, ni du puritanisme. C’est une transition de rééquilibrage. (…) je refuse tout modèle de société dans lequel le fait que je sois un homme rendrait de tels actes moins graves. (…) La liberté des femmes à exister dans les espaces public et privé de façon égale est une liberté supérieure, inaliénable et ne pouvant plus tolérer aucun déséquilibre.

Le féminisme n’est pas misandre, il est humaniste. Il ne menace pas les hommes, il donne aux femmes la place qui devrait être la leur dans la société. Le féminisme concerne le bien-être commun, et c’est pour cela que les hommes ont un rôle à jouer. » (Dupont-Besnard, 2018)

Le discours puissant de Natalie Portman

La comédienne et productrice Natalie Portman a joué à l’âge de 12 ans le rôle de Mathilda dans le film « Léon » de Luc Besson (1994). Elle incarnait une fillette de 12 ans qui devenait amie avec Léon, un tueur à gages incarné lui-même par Jean Reno.

A l’occasion de la Women’s March du 20 janvier 2018, Natalie Portman a fait un puissant discours dans lequel elle parle de cette époque où elle avait 12 ans. Elle qualifie très justement les violences sexuelles de « terrorisme sexuel » et termine en appelant à une vraie liberté sexuelle pour les femmes, en précisant que cette liberté sexuelle est exactement le contraire du puritanisme. Voici la transcription de la vidéo de ce discours :

« J’ai eu 12 ans sur le plateau de mon premier film « Léon », dans lequel je joue une jeune fille qui devient amie avec un tueur à gages et qui espère se venger de celui qui a tué sa famille. Le personnage découvre et développe sa féminité, sa voix et ses désirs. A ce moment-là de ma vie, je découvrais moi aussi ma propre féminité, mes propres désirs et ma propre voix. J’étais tellement enthousiaste à 13 ans quand le film est sorti que mon travail et ma performance artistique touchent le public. J’ai ouvert avec enthousiasme ma première lettre de fan : un homme m’écrivait qu’il rêvait de me violer. Une radio locale a organisé un décompte des jours jusqu’à mon 18ème anniversaire, date à laquelle ça deviendrait légal de coucher avec moi. Les critiques de cinéma faisaient référence à ma poitrine naissante dans leurs articles. J’ai rapidement compris, même à l’âge de 13 ans, que si je m’exprimais sexuellement, je ne me sentirais pas en sécurité et que les hommes se sentiraient autorisés à discuter et considérer mon corps comme un objet, quitte à me rendre mal à l’aise. J’ai vite adapté mon comportement, j’ai rejeté tous les rôles avec une scène de baiser et parlé de ce choix délibérément dans les interviews. J’ai mis en avant mon goût pour les livres, mon côté sérieux et je me présentais avec des habits élégants. Je me suis forgée une réputation de femme prude, conservatrice, intello, sérieuse, afin que mon corps soit protégé et que l’on écoute ce que j’avais à dire. A 13 ans, le message de notre culture était clair pour moi, j’ai senti le besoin de couvrir mon corps, et d’inhiber mon expression ainsi que mon travail dans le but de dévoiler au monde mon propre message, à savoir que je suis quelqu’un digne de confiance et respectable. La réponse à tout cela, des petits commentaires sur mon corps aux commentaires davantage menaçants, a suffi à contrôler mon comportement dans un environnement de terrorisme sexuel. Un monde dans lequel je pourrais m’habiller comme je le veux, dire ce que je veux et exprimer mes désirs de la façon dont je le souhaite sans craindre pour ma sécurité physique ou ma réputation, voilà ce que serait le monde dans lequel les désirs des femmes et leur sexualité pourraient s’exprimer pleinement. Ce monde que nous voulons bâtir est l’opposé du puritanisme. J’aimerais donc proposer une façon de permettre à cette révolution d’aller plus loin. Proclamons haut et fort : « C’est ce que JE veux, ce dont J’AI besoin, c’est ce que JE désire, voilà comment VOUS pouvez M’aider à avoir du plaisir. ». Faisons la révolution du désir. » (Brut FR, 2018 [vidéo]).

Natalie Portman

Brut FR, 2018
(capture d’écran de la vidéo)

L’idéologie anti-victimaire des autrices et signataires de la tribune des 100 femmes influentes

Les signataires de cette tribune sont probablement, dans leur grande majorité, des femmes qui n’ont jamais été confrontées aux situations dont elles font l’apologie (frotteurs du métro, etc.). Quand aux hommes qui soutiennent ce discours (par exemple, Silvio Berlusconi qui a « salué » cette tribune), ils n’ont jamais été confrontés ni aux frotteurs dans le métro, ni à la terreur quotidienne des femmes face aux violences masculines. Ils sont au contraire largement bénéficiaires des avantages que leur apporte leur domination sociétale sur les femmes. Donc ces femmes et ces hommes n’ont aucune légitimité à s’exprimer par rapport au vécu des femmes victimes.

Comment ces 100 femmes osent-elles prétendre que les frotteurs du métro sont de pauvres hommes confrontés à de la misère sexuelle et que les femmes devraient se dévouer et se laisser « importuner » (en réalité violenter sexuellement) pour les sortir de cette misère sexuelle ? Pourtant, les violences sexuelles (viols, agressions sexuelles, harcèlement sexuel, etc.) n’ont strictement rien à voir avec la sexualité, de la même façon que frapper quelqu’un avec une pelle, n’a rien à voir avec du jardinage.

Le viol concerne la violence, pas le sexe
Quand tu te prends un coup de pelle, t’appelle pas ça : du jardinage

(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Source : Sans Compromis, 2016

Cette tribune publiée par Le Monde a été rédigée par 5 femmes, dont Catherine Millet (critique d’art, écrivaine) et Peggy Sastre (autrice, journaliste et traductrice).

Catherine Deneuve (actrice) et Brigitte Lahaie (ex-star du cinéma pornographique, actrice et présentatrice radio sur le thème de la sexualité) sont parmi les signataires de la tribune où l’on trouve également, avec beaucoup de déception, Odile Buisson (gynécologue et obstétricienne) qui est connue des féministes pour sa présentation « Le clitoris, cet inconnu » (Kuhni, 2017f).

Peggy Sastre s’est déjà distinguée en 2013 lorsqu’elle a défendu la pédocriminalité au nom de la liberté de penser dans un article intitulé « Pédophilie partout, liberté de penser nulle part » traitant d’une affaire de pédocriminalité avec une professeure de 30 ans et son élève de 12 ans. Voici une phrase éloquente de cet article : « (…) pourquoi faudrait-il que la sexualité soit une activité jugée comme immédiatement et absolument nocive quand elle se déroule entre un adulte et un enfant ? » (Sastre, 2013). Cet article avait fait un tollé, tant et si bien que la rédactrice et chroniqueuse Nathalie Blu-Perrou avait fermement recadré sa consœur le lendemain (Blu-Perrou, 2013).

Catherine Millet, quant à elle, a dit en décembre 2017 : « Je regrette beaucoup de ne pas avoir été violée parce que je pourrais témoigner que du viol on s’en sort » (France Soir, 2018 ; Flament, 2018).

Anne Bouillon, une avocate et militante féministe qui défend quotidiennement des femmes victimes de violences a écrit un texte puissant pour répondre à Catherine Millet : « (…) la domination masculine au foyer, au travail, dans les transports, dans la rue, n’a rien d’un fantasme érotique. C’est au contraire un système tellement bien huilé que des femmes comme vous intiment l’ordre à d’autres de parler moins fort lorsqu’elles ont l’audace de le dénoncer. » (Bouillon, 2018)

Puis le 10 janvier 2018, lors d’un débat télévisé à propos de la tribune publiée dans Le Monde Brigitte Lahaie a rétorqué d’un ton docte à Caroline De Haas elle-même victime d’un viol : « On peut jouir lors d’un viol, je vous signale » (BFM TV, 2018), sous-entendu qu’un viol est jouissif. Plusieurs personnalités du monde scientifique et médical ont fort heureusement réagi à ces propos préoccupants de Brigitte Lahaie.

« (…) Le corps d’une victime de violence peut réagir de plein de manières différentes. Cela ne change rien au fait que le viol est un crime. Placer cette phrase (…) donne un sentiment de banalisation de la violence » (…) Le docteur Emmanuelle Piet, gynécologue et présidente du Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV) est du même avis : « Evoquer la jouissance quand on parle de viol est une insulte aux victimes » (…). Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie ajoute que lors d’un viol, la victime peut être colonisée par l’excitation de son agresseur, ce qui provoque cette fameuse déconnexion entre le physique et le psychique. Quoi qu’il en soit, cela n’a rien à voir avec de la jouissance. Parler d’orgasme dans ce contexte est donc hors de propos : « L’orgasme est indissociable de la relation à l’autre, de ce que l’on vit, de ce que l’on pense et de ce que l’on ressent. Dans le cas d’un viol, il s’agit donc d’une disjonction liée à une tension extrême. Il ne faut pas confondre stress intense et excitation ». » (Chabalier, 2018).

Voici la réponse de Muriel Salmona dans article, intitulé « Brigitte Lahaie et Catherine Millet sur le viol : ce que la science leur répond » : « « Le viol est, avec la torture, ce qu’il y a de plus traumatisant pour une victime« , explique la psychiatre Muriel Salmona. « Quasi la totalité des victimes enfants souffrent d’un traumatisme et une très grande majorité des adultes« . Pendant et après l’agression, la victime est paralysée par un état de sidération. Le cortex cérébral est alors incapable de contrôler l’intensité de la réaction de stress. L’organisme perçoit qu’il y a un risque vital. Il déclenche des mécanismes de sauvegarde qui ont pour effet de faire « disjoncter le circuit émotionnel », selon les termes de la psychiatre Muriel Salmona et cela entraîne une anesthésie émotionnelle et physique. Cette anesthésie produit une dissociation. Cet état s’affirme par « un sentiment d’étrangeté, de déconnexion et de dépersonnalisation, comme si la victime devenait spectatrice de la situation puisqu’elle la perçoit sans émotion ». C’est aussi ce phénomène qui empêche de nombreuses victimes d’avoir une mémoire précise et complète des événements vécus, certains mettront plusieurs années à se rappeler du viol à cause d’une amnésie traumatique. « Catherine Millet fait un éloge de la dissociation », analyse encore Muriel Salmona. «  (Lorenzo, 2018)

Surprenant « oubli » des hommes victimes de violences sexuelles

Comment se fait-il que cette tribune signée par ces 100 femmes influentes ne parle que des femmes et fasse totalement abstraction des hommes ayant subi des violences sexuelles ? En effet, parmi les participant-e-s à #balancetonporc et #metoo, les deux hashtags qui ont permis aux victimes de dénoncer les violences sexuelles sur Twitter, il y avait aussi des hommes et même des hommes célèbres.

Parmi ces hommes célèbres qui se sont exprimés avec #metoo, il y eu l’acteur Terry Crews (Margueritte, 2017) qui figure dans les « TIME’s 2017 Person of the Year: The Silence Breakers » (Time, 2017a) où l’on trouve même sa photographie (Time, 2017b) comme celles des femmes ayant brisé le silence. Il y a aussi l’acteur américain Anthony Rapp qui a accusé Kevin Spacey de harcèlement (Sibony, 2017). Les victimes de Kevin Spacey sont d’ailleurs toutes des hommes.

Ces hommes ont aussi été agressés sexuellement par des hommes. Alors que diraient les femmes signataires de cette tribune lorsqu’un garçon ou un homme subit des violences sexuelles ? Pour elles, est-ce aussi anodin que pour les femmes ? Doivent-ils aussi se laisser importuner sexuellement par les hommes ? Et les enfants qui sont les victimes principales des violences sexuelles, ainsi que les femmes et les filles handicapées ? Pourquoi les 100 femmes n’en parlent-elles pas ?

Le fait que cette tribune fasse soigneusement abstraction des autres victimes des prédateurs sexuels et soit centrée exclusivement sur les femmes montre en réalité très clairement que l’on veut s’en prendre aux femmes.

Dans une tribune publiée dans Le Nouveau Magazine Littéraire, la politologue Françoise Vergès dénonce l’ignorance volontaire de cette tribune : « Leur ignorance est intentionnelle — en effet, vouloir apprendre, vouloir comprendre c’est toujours d’abord, ne plus se mettre au centre — leur intérêt profond est d’ignorer des faits, de nier l’existence d’abus de pouvoir, de la manière dont sexisme et racisme agissent quotidiennement dans la vie de millions de femmes. » (Vergès, 2018)

Chosification des femmes

Le titre de première page (« Les femmes ne sont pas de pauvres petites choses ») de cette tribune constitue en lui-même une inversion caractéristique des systèmes de violence. En effet, alors qu’elle prétend que les femmes ne sont pas de pauvres petites choses, cette tribune ne fait en réalité que chosifier les femmes, les réduire à l’état d’objets sexuels à disposition des hommes et de leurs violences sexuelles. Donc cette tribune fait exactement le contraire de ce que son titre annonce.

L’ensemble de cette tribune chosifie les femmes en leur intimant avec autorité de se réduire à l’état d’objets consommables, de poupées dont les hommes pourraient se saisir sans avoir leur consentement, de la même façon que l’on se saisit d’un produit sur le rayon d’un supermarché et ceci pour satisfaire leurs prétendus besoins sexuels (un besoin purement hygiénique, en somme). Cette réduction des femmes à l’état de choses est justifiée au nom de la liberté sexuelle et d’une soi-disant misère sexuelle des hommes. Autrement dit, selon cette tribune, les femmes devraient se mettre à disposition des hommes, telles des poupées, pour qu’ils puissent enfin satisfaire leurs besoins sexuels insatisfaits. Et cette chosification des femmes au profit des hommes, ce serait de la liberté sexuelle.

L’argument de liberté sexuelle est une fois de plus une inversion typique des systèmes de violence, car être chosifiée est exactement le contraire de la liberté sexuelle. De plus, ce sont en réalité les femmes qui vivent une misère sexuelle abyssale en raison des violences sexuelles qu’elles subissent de la part des hommes depuis des millénaires.

Un discours visant à abolir les droits des femmes victimes

Le problème majeur de cette tribune, c’est qu’il s’agit d’un discours anti-victimaire visant à abolir les droits des femmes victimes (uniquement ceux des femmes, puisque les hommes sont exclus de la tribune), en niant les violences sexuelles machistes, en victimisant les agresseurs et en attaquant violemment le statut de victime des femmes (elles doivent se taire et ont interdiction de se dire victime). Publier un tel texte est grave. Nous avons mis des décennies à obtenir des lois qui protègent les victimes. Or cette tribune donne la parole à un mouvement qui veut abolir ces lois et ceci pour les femmes uniquement.

Rappelons que les violences sexuelles dont cette tribune fait l’apologie sont sanctionnées par la loi. C’est ce qu’a fait dès le lendemain Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes à propos de cette tribune pour laquelle elle a rappelé que « (…) frotter un sexe d’homme contre une femme dans le métro sans son opinion, est une agression sexuelle qui vaut jusqu’à trois ans de prison et 75.000 euros d’amende » (Europe1, 2018)

L’association Osez le féminisme! a également rappelé qu’un journal qui publie de tels propos enfreint la loi : « Rappelons que l’article 24 de la loi sur la liberté de la presse punit de ‘cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui […] auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, à commettre l’une des infractions’ telles que ‘les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne et les agressions sexuelles définies par le livre II du Code pénal’ – y compris le viol, donc. » (Osez le féminisme !, 2018)

Le statut de victime et ses droits

La tribune publiée dans Le Monde a créé beaucoup de confusion autour de la notion de victime. Alors remettons les choses à l’endroit : quand on est victime d’une infraction violente, on est une victime. Et le reconnaître, c’est avoir un statut et des droits.

Ce n’est qu’en 1983 que les victimes ont enfin obtenu des droits pour la première fois grâce à la « Convention européenne relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes », conclue à Strasbourg le 24 novembre 1983 (Conseil de l’Europe, 1983) et créée suite aux attentats terroristes en Europe dans les années 70.

Deux ans plus tard, en 1985, les Nations Unies adoptaient la résolution « Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir » n°40-34 du 29 novembre 1985 (ONU, 1985). Cette résolution de l’ONU qui définit la notion de victime au niveau international stipule clairement que le statut de victime est accordé « que l’auteur soit ou non identifié, arrêté, poursuivi ou déclaré coupable » :

« On entend par « victimes » des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un Etat Membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir. (…) Une personne peut être considérée comme une « victime », dans le cadre de la présente Déclaration, que l’auteur soit ou non identifié, arrêté, poursuivi ou déclaré coupable, et quels que soient ses liens de parenté avec la victime. » (ONU, 1985

Suite à ces textes, l’un européen et l’autre international, des lois nationales pour l’aide aux victimes ont été créées dans les différents pays du monde. En Suisse, par exemple, il s’agit de la LAVI (Loi sur l’Aide aux Victimes) du 23 mars 2007. Comme la résolution de l’ONU, cette loi reconnaît la victime, que l’auteur soit identifié ou non, coupable ou non :

« 1 Toute personne qui a subi, du fait d’une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle (victime) a droit au soutien prévu par la présente loi (aide aux victimes).

2 Ont également droit à l’aide aux victimes, le conjoint, les enfants et les père et mère de la victime ainsi que les autres personnes unies à elle par des liens analogues (proches).

3 Le droit à l’aide aux victimes existe, que l’auteur de l’infraction:

a. ait été découvert ou non;

b. ait eu un comportement fautif ou non;

c. ait agi intentionnellement ou par négligence. »

L’AFP et sa qualification des femmes victimes

Selon ces textes internationaux, européens et nationaux relatifs aux victimes, la victime n’est donc jamais « présumée ». Elle est une victime, reconnue comme telle, quel que soit le statut de l’agresseur. Par conséquent, la notion de présomption ne s’applique qu’aux agresseurs (présomption d’innocence) et non aux victimes.

Donc lorsque l’AFP décide de qualifier les victimes autrement que par le terme de « victime », elle ne respecte pas la résolution des Nations Unies (ONU, 1985) ni les différentes lois nationales pour l’aide aux victimes. Autrement dit, l’AFP ne respecte pas la hiérarchie des normes, soit la hiérarchie entre les normes internationales, régionales et nationales, sachant que toutes les normes au-dessous doivent respecter les normes au-dessus, afin de donner une cohérence à l’ordre juridique et d’éviter les contradictions entre les différentes sources de droit.

De plus, quelques jours après la publication de la tribune publiée dans Le Monde, l’AFP déclarait qu’elle utiliserait désormais le terme « accusatrice » (au lieu de « victime présumée ») pour qualifier les victimes lors de procès pour violences conjugales : « « Désormais, on écrira accusatrice plutôt que victime présumée » lors de procès pour violences conjugales, annonce @mleridon, directrice de l’information (…) #AFP » (AFP, 2018)

Le terme de « victime présumée » utilisé précédemment par l’AFP était déjà problématique, car il contient en germe l’idée que la victime pourrait être une menteuse, autrement dit que la « victime présumée » serait une « présumée menteuse ».

La journaliste Aude Lorriaux a écrit un excellent article à ce propos :  « Les termes «victime présumée» semblent insinuer que les femmes ne sont pas vraiment victimes, s’inscrivant ainsi dans une longue histoire des violences faites aux femmes où elles étaient systématiquement considérées comme des menteuses. (…) il faut replacer l’emploi de ce terme dans la longue histoire des violences faites aux femmes, qui ont eu, pendant des siècles, à affronter les accusations de «mensonges» dès qu’elles souhaitaient dénoncer les viols ou les agressions dont elles étaient victimes. Les fausses allégations de viols sont rares. Pourtant, dans les commissariats, les femmes sont régulièrement mal reçues. «Je me suis sentie jugée. On m’a demandé si j’avais bu et comment j’étais habillée au moment du viol. Comme si ça pouvait expliquer quoi que ce soit…» raconte par exemple Anna à Metronews.(…) Dans «présumée victime», on entend donc surtout «présumées menteuses» lorsqu’il s’agit des femmes (…) « Il y a une présomption plus forte de mensonge que de bonne foi des victimes.» » (Lorriaux, 2016)

Quant au nouveau terme d’« accusatrice », il ne traduit pas la situation des femmes victimes de violences conjugales puisqu’une grande partie d’entre elles n’accuse personne, tant elles sont terrifiées à l’idée d’accuser leur(s) agresseur(s) en raison des représailles qui vont s’abattre sur elles. D’autre part, le terme « accusatrice » place la victime dans une posture agressive (elle agresse quelqu’un avec ses accusations) et fait spontanément référence (de façon implicite, inconsciente) à l’idée de « fausses accusations » ou d’ « accuser à tort », voire de « délation ».

« La délation désigne une dénonciation jugée méprisable et honteuse. » (source)

Il y a donc une fois de plus inversion de la culpabilité au profit des agresseurs.

Emmanuel Macron, président de la République Française, a d’ailleurs lui-même utilisé le terme de « délation » (Boudet, 2017) à propos du mouvement créé par les hashtag #balancetonporc et #metoo qui ont permis aux victimes de violences sexuelles de s’exprimer. Ce fut d’autant plus choquant qu’Emmanuel Macron a utilisé le terme « délation » (inversion de la culpabilité), alors qu’il présentait son plan d’action pour éliminer les violences faites aux femmes à l’occasion de la journée du 25 novembre !

L’AFP « oublie » elle aussi les hommes victimes

De même que la tribune publiée dans Le Monde, avec ce nouveau terme « accusatrice », l’AFP a totalement « oublié » les hommes victimes ? En a-t-elle conclu qu’il n’y aurait que des femmes victimes ?

Et si, à sa grande surprise, l’AFP découvrait tout de même des hommes victimes, les appellera-t-elle des « accusateurs» ? Les hommes victimes apprécieront-ils d’être qualifiés ainsi ?

Les femmes se victimiseraient face aux violences sexuelles qu’elles subissent

La tribune publiée dans Le Monde contient deux passages concernant un « statut d’éternelles victimes » ou de « victime perpétuelle » que les femmes vivraient soi-disant face aux violences sexuelles qu’elles subissent. Dans l’un de ces passages, les violences sexuelles envers les femmes sont nommées de façon particulièrement choquante « Les accidents qui peuvent toucher le corps d’une femme ». Voici ces passages :

« (…) c’est là le propre du puritanisme que d’emprunter, au nom d’un prétendu bien général, les arguments de la protection des femmes et de leur émancipation pour mieux les enchaîner à un statut d’éternelles victimes, de pauvres petites choses sous l’emprise de phallocrates démons, comme au bon vieux temps de la sorcellerie. »

« Les accidents qui peuvent toucher le corps d’une femme [sic] n’atteignent pas nécessairement sa dignité et ne doivent pas, si durs soient-ils parfois, nécessairement faire d’elle une victime perpétuelle. » (Une autre parole, 2018)

A la lecture de cette tribune, si la plupart ont spontanément rejeté l’apologie des violences sexuelles envers les femmes qu’elle contient, beaucoup ont été séduit-e-s par le concept anti-victimaire de « victimisation ». Mais comment peut-on à la fois dénoncer l’apologie des violences sexuelles à l’encontre des femmes et simultanément adhérer au fait que les femmes victimes ne devraient pas se sentir victimes ? Dénoncer l’un et adhérer à l’autre est totalement incohérent.

Ces personnes ont sans doute été influencées par la popularité du concept anti-victimaire de « victimisation » qui est présenté faussement (comme tous les concepts anti-victimaires) comme une aide aux femmes victimes, une bienveillance à leur égard.

Le langage flou des violences machistes ouvre à l’anti-victimaire

En ce qui concerne les violences faites aux femmes, on trouve très souvent un langage flou, imprécis, à double sens qui permet d’inverser les situations, donc d’ouvrir avec une grande facilité à de l’anti-victimaire pour assurer l’impunité des agresseurs.

Un exemple : le mot « victimisation » est un mot à double sens qui crée déjà par lui-même une confusion autour de la notion de victime puisqu’il signifie une chose et son contraire, selon la manière dont il est utilisé.

En victimologie, le terme « victimisation » est utilisé pour parler clairement des victimes. La victimologie distingue deux types de victimisation : la « victimisation primaire » (conséquences traumatiques directes de l’acte violent) et la « victimisation secondaire » ou « re-victimisation » (conséquences traumatiques liées à la mauvaise prise en charge des victimes par les autorités, par la maltraitance des soignant-e-s et/ou du système judiciaire, par la non reconnaissance des victimes, etc.).

En revanche, lorsque le mot « victimisation » est utilisé dans sa version anti-victimaire, il nie les victimes :

« La victimisation est le sentiment excessif et exagéré d’être une victime. » (source)

« Victimisation : fait de transformer en victime » (source)

« se victimiser (…) Se présenter comme une victime ; se plaindre. » (source)

Cette façon anti-victimaire d’utiliser le mot « victimisation » est devenue très populaire, avec une large adhésion du public, des médias, des thérapies, etc. depuis que les femmes victimes ont commencé à obtenir des droits. Cette utilisation anti-victimaire du mot « victimisation » est donc un classique phénomène de blacklash (Kuhni, 2014b). Ce concept est aujourd’hui solidement installé dans l’arsenal anti-victimaire des agresseurs pour silencier les femmes victimes et leur enlever leur statut et leurs droits.

Ce sont les agresseurs qui « se victimisent » (victimisation de l’agresseur)

En réalité, ce sont les agresseurs eux-mêmes qui se victimisent en se prétendant victimes de leur(s) victime(s). Nous sommes donc là, une fois de plus, face à un mécanisme d’inversion typique des processus de violence. Et lorsque les agresseurs se disent faussement victimes, ils sont religieusement écoutés, crus et soutenus.

A ce sujet, voir l’excellent thread Twitter (fil à dérouler) : « Sur la position victimaire adoptée par les dominant•e•s pour conserver leur statut de dominant•e et silencier les dominé•e•s qui osent se rebeller. » (FéministesVsCyberH, 2018a).

Dans ce cas précis, il est cohérent de parler de « victimisation de l’agresseur », puisqu’en associant le mot « agresseur » au mot « victimisation », il n’y a aucune ambiguïté sur le fait qu’il s’agit d’une fausse victime.

L’anti-victimaire, c’est uniquement pour les violences machistes

L’anti-victimaire n’existe que pour les violences machistes, soit les violences qui fondent la domination masculine. Pour toutes les autres infractions pénales (vols, cambriolages, accidents de la route, terrorisme, guerre, Shoah, etc.), la société, les médias, la justice, etc. ne pensent pas de cette façon. Les victimes sont tout à fait crues, prises au sérieux, reconnues : vols, cambriolages, accidents de la route, terrorisme, guerre, Shoah, etc.

Autrement dit, on ne parle jamais de « victimisation » au sens anti-victimaire pour les victimes de violences non-machistes. Par exemple, imaginez si Le Monde avait publié une telle tribune qui dirait aux victimes de la Shoah ou du terrorisme qu’elles se victimisent.

« Dénoncer un acte de violence revient à endosser un statut de victime, en effet. En quoi ce statut est-il honteux ? Dirait-on d’une personne qui a subi un vol de portable, un piratage de carte bleue ou un cambriolage qu’elle se place en « éternelle victime » ? Oserait-on l’ironie de la formule « petite chose à protéger » à propos d’une victime d’attentat terroriste ?

Seules les femmes victimes de violences sexuelles devraient se taire, voire dans l’idéal, approuver l’acte qui les blesse. Or le mouvement « me too » l’a montré : les femmes victimes refusent de souffrir en silence. Celles qui le peuvent, et le souhaitent, ont décidé de protester et d’arrêter de subir.

C’est cela, se dire « victime ». C’est refuser la violence en rappelant un interdit. C’est choisir les bons termes. » (Arrighi, 2018)

Pourtant, les violences sexuelles sont l’équivalent d’actes de torture et de barbarie (viols de guerre, etc.) que l’on retrouve en temps de guerre. Donc ces violences sont d’une extrême gravité. Mais nos sociétés patriarcales ont réussi l’exploit incroyable de les amalgamer avec la sexualité, comme si torturer une femme (la violer, la contraindre à des actes d’ordre sexuel, etc.), c’était de la sexualité !

Parallèle entre guerre et viol, par la dessinatrice Nephyla
qui a notamment réalisé la BD érotique « La Déesse »

(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Source : Nephyla, 2018

Les femmes victimes seraient pathologiquement convaincues d’être des victimes

Tout l’arsenal anti-victimaire développé par nos sociétés patriarcales est d’une perversion redoutable, puisqu’il est quasiment toujours présenté comme visant le bien-être des femmes victimes, l’aide aux victimes, avec l’apparence d’être en empathie avec elles, au service de leur bien-être et de leur reconstruction. En réalité, ces concepts servent au contraire à silencier les femmes victimes et à venir au secours des agresseurs, afin de leur permettre de poursuivre leurs agressions en toute impunité.

Une victime ne « se victimise » pas, elle est une victime. Dire aux victimes de ne pas « se sentir victimes » ou « se victimiser » passe insidieusement le message que les femmes agressées ne seraient pas réellement des victimes, mais qu’elles seraient obsédées par l’idée d’être victime. En d’autres termes, elles seraient pathologiquement convaincues d’être des victimes.

Ainsi, pour soi-disant leur venir en aide, on va dire aux femmes victimes : « Ne te sens pas une victime, tu verras, tu te sentiras beaucoup mieux, tout ira beaucoup mieux ! » Le résultat est très efficace : la femme victime est silenciée par son soi-disant bienfaiteur, son sauveur (souvent son agresseur, en réalité).

Ce procédé anti-victimaire est malheureusement très utilisé dans les thérapies faites par des thérapeutes non formé-e-s en psychotraumatologie qui, sans s’en rendre compte, propagent le discours anti-victimaire typique des sociétés patriarcales. Certain-e-s de ces thérapeutes risqueront de dire aux femmes victimes, qu’il ne faut pas « se sentir victime » ou « se victimiser » : « C’est inutile et malsain de te maintenir en position de victime, n’y pense plus, passe à autre chose, etc. » Cette manière d’aborder les traumas est particulièrement problématique pour les femmes victimes puisqu’elle crée une dissociation et donc une impossibilité de travailler la mémoire traumatique.

La répétition est une « demande non entendue »

Or, lorsqu’une victime a besoin de se répéter et de répéter qu’elle est une victime, c’est simplement qu’elle n’a pas été entendue. Autrement dit, la répétition ne signifie pas qu’elle a un statut d’éternelle victime ou de victime perpétuelle. C’est juste qu’elle n’a pas été entendue.

Étymologiquement, répéter signifie « redemander » (re-petere). Il vient du latin repeto, composé lui-même du préfixe itératif re- et du verbe petere. (Thesaurus Altervista)

Donc répéter, c’est re-demander parce qu’on a pas été entendu-e. Par conséquent, au lieu de forcer les victimes à se taire, à ne plus se dire victime, il faut au contraire les écouter jusqu’à ce qu’elles aient été suffisamment entendues, ce qui est loin d’être le cas dans nos sociétés patriarcales qui nient les violences machistes.

« Se reconnaître victime » est le début du processus de guérison

Se reconnaître comme victime est le premier pas vers la guérison. Par conséquent, la non reconnaissance de la victime entrave sa prise en charge thérapeutique en créant une pathologie de la dissociation qui empêche toute thérapie des traumas.

« « Catherine Millet fait un éloge de la dissociation », analyse encore Muriel Salmona. »  (Lorenzo, 2018)

En effet, ne pas se reconnaître comme victime empêche tout travail thérapeutique et dénote d’un état de dissociation chronicisé qui empêche d’accéder à la mémoire traumatique encapsulée dans l’amygdale cérébrale. Cette mémoire traumatique non consciente va potentiellement engendrer toutes sortes de pathologies psychiques et physiques, et ceci peut-être toute la vie durant, si aucun travail psychothérapeutique n’est fait sur le trauma. La personne dissociée risque donc d’être confrontée à des pathologies physiques et psychiques pour lesquelles elle ne fera aucun lien avec le trauma, alors que ces pathologies sont créées directement par le trauma (Salmona, 2015).

Pour compléter ce sujet, voici quelques articles très détaillés, avec de nombreuses sources, sur les thèmes suivants : inscription dans l’ADN et le cerveau des violences subies dans l’enfance (Kuhni, 2017b), amnésie traumatique (Kuhni, 2017c), sidération traumatique (Kuhni, 2017d) et une interview de Muriel Salmona par Marine Perin (Kuhni, 2017e).

« Ne pas se reconnaître victime » est le meilleur moyen de devenir agresseur ou pro-agresseure

Le fait de ne pas être capable de se reconnaître victime et donc de rester dissocié-e, risque fortement de produire un agresseur (pour les hommes) ou une pro-agresseure (pour les femmes).

Ce refus d’être une victime va potentiellement se transformer en haine des victimes et de toute personne fragilisée, ainsi qu’en alliance avec les agresseurs et en volonté forcenée de domination, de contrôle d’autrui, afin de ne plus jamais être victime soi-même. Autrement dit, ne pas être capable de se reconnaître victime est le meilleur moyen de devenir agresseur soi-même et/ou d’apporter un soutien indéfectible aux agresseurs.

Les femmes sont dans leur immense majorité dissociées en raison des violences machistes systémiques et millénaires qu’elles subissent. Cette dissociation plus le Syndrome de Stockholm sociétal qui résulte des violences systémiques à leur égard va amener les femmes à défendre les agresseurs, sans s’apercevoir qu’elles sont en réalité en train de porter atteinte à elles-mêmes en participant à la perpétuation de ces violences envers les femmes. C’est le thème de l’excellent l’ouvrage co-écrit par Dee L.R. Graham et intitulé « Loving to Survive : Sexual Terror, Men’s Violence, and Women’s Lives » (Kuhni, 2014a)

Le victim-blaming (inversion de la culpabilité)

Si l’on voulait véritablement mettre fin à ces violences machistes, au lieu de s’en prendre aux victimes, il faudrait plutôt s’en prendre aux agresseurs et leur dire « reconnaissez que vous êtes un agresseur ». Mais les agresseurs ne reconnaissent rien, car la société a tant occulté et normalisé leurs violences, notamment en inversant la culpabilité, qu’ils peuvent sans problème passer pour des victimes.

Avec cette inversion de la culpabilité, lorsque la victime ose parler, elle est traitée de folle, hystérique, écervelée, manipulatrice, coincée, castratrice, cherchant le conflit, etc. Elle l’aurait « cherché », ce serait elle la coupable, etc. Cette inversion de la culpabilité porte un nom, c’est le « victim-blaming ».

Victim-blaming

« #VictimBlaming Puisque la culpabilisation des femmes victimes de violences
semble revenir à la mode cette saison, on repose ça là.
 »
(FéministesVsCyberH, 2018b)

Le victim-blaming est un fantastique outil anti-victimaire à l’encontre des femmes. En inversant la culpabilité, le victim-blaming permet aux agresseurs de passer pour des sauveurs, des bienfaiteurs, des êtres équilibrés, sages, stables, mesurés, travaillant au bien-être et à l’équilibre de toute la famille, dévoués, sincères, se pliant en quatre pour satisfaire des mégères castratrices (les femmes victimes) dont ils seraient les victimes (victimisation de l’agresseur). Le victim-blaming dégage les agresseurs de toute culpabilité. Ils n’ont donc aucun remords à être violents envers les femmes puisque c’est la société qui les autorise à le faire en les victimisant. Ils trouvent cela tout à fait normal. C’est leur droit. Ils en sont victimes. Même lorsqu’ils tuent leur compagne et/ou leurs enfants, les hommes sont considérés comme de pauvres victimes de méchantes femmes qui veulent les quitter (cause la plus fréquente des féminicides conjugaux et infanticides paternels). Par conséquent, en inversant la culpabilité, la société encourage ces meurtres en validant pour les hommes leur sentiment de propriété, de droit de vie et de mort sur femmes et enfants.

Dans un tel système, la parole des victimes crée immédiatement des représailles, au niveau individuel (couple, famille, etc.) et/ou au niveau sociétal, ces représailles sociétales étant nommées blacklash (Kuhni, 2014).

La stratégie de l’agresseur

La tribune parue dans Le Monde ne fait que propager la stratégie de l’agresseur qui se trouve être le socle de la domination masculine fondée sur les violences envers les femmes.

La militante féministe Caroline De Haas a écrit un excellent article (De Haas, 2018a) dans lequel elle décrit très clairement la stratégie de l’agresseur constituée de 5 phases : isoler, dévaloriser, inverser la culpabilité, menacer, assurer son impunité. Cet article est la reprise d’un thread (fil à dérouler) qu’elle avait rédigé sur Twitter (De Haas, 2018b) :

« Ce tweet décrit la stratégie de l’agresseur, mécanisme observé dans la quasi-totalité des histoires de violences.

Oui, les histoires de violences contre les femmes sont toutes différentes. Mais, dans presque toutes, on retrouve des points communs. Ces points communs, ce sont ceux du comportement de l’agresseur.

Après la phase de séduction, où tout semble parfait, se met en place un mécanisme dans lequel on peut identifier 5 étapes (l’ordre n’est pas toujours le même d’une histoire à l’autre).

D’abord, l’isolement. La victime va peu à peu couper des liens (ami.e.s, famille…). « Franchement, on va trop souvent chez tes parents » ou « tu vois plus tes copines que moi, tu m’aimes moins ? ». La victime peu à peu se retrouve seule. Et donc moins capable de se défendre.

Ensuite, la dévalorisation. Des mots, des phrases qui rabaissent la personne. « Si on m’avait dit que je finirai avec une (métier de la femme) », « t’es même pas foutue de faire ça ». Une de vos copines se dévalorise systématiquement ? Demandez vous pourquoi.

Après, l’inversion de la culpabilité. L’agresseur va toujours trouver une « raison » qui explique sa violence verbale ou physique.

« Je sais, j’ai crié trop fort. Mais, t’as vu ce que tu as dit / fait / … ». C’est toujours la responsabilité de l’autre.

N’oubliez jamais : Une femme n’est jamais responsable des violences qu’elle subit. Jamais.

Ensuite, après l’isolement, la dévalorisation et l’inversion de la culpabilité, vient la peur. La menace. Le mec devient ce « démon » dont parle l’internaute plus haut. Il crie, tape, menace de briser la femme. La peur est un des signaux les plus importants pour détecter les violences. Avoir peur de la personne avec qui on vit n’est pas normal. Aussi parce qu’une femme victime a quasi systématiquement tendance à banaliser les violences, a les excuser ou à les amoindrir. Donc si une femme vous dit « j’ai peur » en parlant de son conjoint, c’est qu’elle est sans doute terrorisée.

Dernier élément de cette « stratégie de l’agresseur » qu’on observe dans la plupart des histoires : assurer son impunité. L’agresseur va tout faire pour que la parole de la victime ne soit pas entendue, quitte à la faire passer pour folle. « Ce n’est pas l’homme que nous connaissions », « c’était un si gentil voisin »

Illustration : [capture d’une photo Twitter de Denis Baupin où il porte du rouge à lèvre – texte du tweet «  #mettezdu rouge contre les violences faites aux femmes. Les députés s’engagent #8mars #mettezdurouge.com/…. »]

Donc, si on récapitule : isoler, dévaloriser, inverser la culpabilité, menacer, assurer son impunité.

C’est la stratégie de l’agresseur. #balancetonporc » (De Haas, 2018a)

La violence machiste systémique envers les femmes

La violence machiste est un système de domination que l’on retrouve à tous les niveaux de la société et dont le rôle est d’assurer la domination masculine dans les sociétés patriarcales. Cette violence systémique est bien sûr occultée, sinon elle enfreindrait en permanence et de façon visible nos lois. Pour asseoir leur position de dominants, les hommes sont autorisés et encouragés par la société à être violents envers les femmes. Par ce moyen, les hommes sont placés en position de dominants et les femmes, en position de dominées.

Les violences sexuelles dont la tribune publiée dans Le Monde fait l’apologie sont parties intégrantes de ces violences systémiques pour soumettre les femmes à la domination masculine.

En raison de cette violence systémique largement encouragée par nos sociétés patriarcales, la violence des hommes est sans commune mesure avec celle des femmes. La violence machiste comprend de graves violences physiques et sexuelles (viol, enlèvement, séquestration, torture, meurtre, etc.), donc des violences qui conduisent souvent à la mort des femmes victimes (féminicides), notamment au moment où elles cherchent à fuir, à se séparer de l’homme violent. Alors que les rares femmes qui tuent un homme le font la plupart du temps pour se défendre dans des situations de grave violence masculine où leur propre vie et/ou celles de leurs enfants sont en danger (dans ce cas, assimilable à de la légitime défense).

Par conséquent, il ne peut y avoir de symétrie entre la violence masculine et la violence féminine en raison d’un contexte sociétal de domination masculine qui encourage et ne sanctionne que rarement les violences systémiques envers les femmes. Les femmes vivent dès leur plus jeune âge des violences machistes massives : mutilations sexuelles (clitoridectomie, excision, infibulation, etc.), mariages forcés, exploitation sexuelle, violences sexuelles, conjugales, reproductives (dont avortements clandestins), sans compter les violences économiques et les inégalités (droits, salaires, perspectives, etc.) qui empêchent les femmes et les filles de sortir de la domination des hommes (Kuhni, 2016). En raison de ces graves violences machistes systémiques, à l’extérieur et à l’intérieur de leur foyer, les filles et les femmes ne sont jamais en sécurité et peuvent à tout instant être agressées, violées, enlevées, séquestrées, torturées, tuées, etc. par des hommes.

D’autre part, très souvent, lorsqu’elles sont violées ou agressées sexuellement par un homme, les filles et les femmes ont peur d’être tuées. Elles sont donc confrontées doublement à l’effroi, par les violences sexuelles et par la peur de mourir, soit une confrontation aux traumas les plus violents, tout à fait comparables à ceux des victimes du terrorisme.

L’actrice Natalie Portman a d’ailleurs utilisé le terme de « terrorisme » lors de son discours à la Women’s March du 2 janvier 2018 puisqu’elle a qualifié les violences sexuelles de « terrorisme sexuel ». (lien et transcription du discours en début de cet article).

Dans toutes les formes de terrorisme (islamiste, suprémaciste blanc, antisémite, etc.), les victimes sont plongées dans un climat de terreur et d’effroi, parce qu’elles savent qu’à tout instant elles risquent d’être tuées, enlevées, séquestrées, violées, torturées, etc. C’est exactement ce qui se passe pour les femmes dans nos sociétés patriarcales : elles savent qu’à tout instant elles peuvent être victimes de la violence masculine (conjugale, familiale, sexuelle, etc.), qu’un homme violent peut à tout moment les tuer, les enlever, les séquestrer, les violer, les torturer, etc. Les femmes vivent donc dans un régime de terreur ou « règne de la terreur » comme le disait la célèbre féministe américaine Andrea Dworkin dans son texte « Terreur, torture et résistance » (Tradfem, 2014), car la violence des hommes peut en permanence s’abattre sur elles.

« Nous vivons sous un règne de terreur. Et ce que je vous dis aujourd’hui, c’est que je veux que nous cessions de trouver ça normal. Et la seule façon de cesser de trouver ça normal est de refuser d’être amnésiques chaque jour de nos vies. De nous rappeler ce que nous savons du monde dans lequel nous vivons. Et de nous lever chaque matin, décidées à faire quelque chose à ce sujet. » (Tradfem, 2014)

Le terrorisme, c’est vouloir soumettre autrui à une idéologie en utilisant la terreur. Or, la violence machiste systémique consiste précisément à soumettre les femmes par la terreur à la domination masculine. C’est pourquoi la violence machiste systémique devrait être assimilée à du terrorisme – donc du terrorisme machiste – au même titre que le terrorisme islamique, le terrorisme suprémaciste blanc, le terrorisme antisémite, etc. D’autant que le terrorisme machiste fait beaucoup plus de victimes que les autres formes de terrorisme et ceci depuis des millénaires.

Malheureusement, cette forme de terrorisme est totalement ignorée par nos sociétés patriarcales puisque c’est par elle que la domination masculine se perpétue.

Le cycle de la violence machiste (individuel et sociétal)

Pour résumer, il ne peut y avoir de symétrie entre la violence des hommes et celle des femmes, sachant que la violence machiste est une violence systémique liée à un contexte social de domination masculine (Conseil de l’Europe, 2011, pp- 5-6, préambule de la Convention d’Istanbul).

En raison de cela, la violence des hommes est sans commune mesure avec celle des femmes, car la société patriarcale encourage la violence des hommes, l’occulte et lui permet ainsi d’arriver à des niveaux de gravité allant souvent jusqu’à la mort des femmes victimes.

Il est donc important de créer un cycle de la violence spécifique à la violence machiste. Ce processus est strictement le même au niveau sociétal et individuel, avec des phases du cycle strictement identiques. Pour en comprendre l’articulation à chaque niveau, deux schémas sont disponibles ci-dessous : l’un pour la violence machiste sociétale (cycle no 1), l’autre pour la violence machiste individuelle (cycle no 2). Cet ordre sert à faire ressortir que c’est bien la violence machiste systémique sociétale qui permet à celle d’une extrême gravité au niveau individuel d’exister. Dans les deux cas (sociétale ou individuelle), la violence s’aggrave chaque fois que la phase 4 réussit à passer et qu’un nouveau cycle peut alors commencer. Donc la violence s’aggrave à chaque tour de cycle.

La violence machiste est un système d’emprise très élaboré qui se déroule à la fois sur le plan individuel et sociétal. Pour les femmes, ce continuum des violences machistes est un rappel à l’ordre permanent de la domination masculine, afin qu’elles restent sagement à leur place. Toutefois, si les femmes étaient unies, solidaires, elles n’accepteraient jamais d’être dominées par les hommes. Donc pour imposer la domination masculine, la société patriarcale doit à tout prix diviser les femmes. C’est précisément l’un des rôles de la violence machiste systémique puisque ce système d’emprise machiste généralisé (emprise sociétale et millénaire) installe de façon transgénérationnelle un climat de terreur pour les femmes, avec pour conséquence de produire un Syndrome de Stockholm sociétal. Ce syndrome va diviser, désolidariser les femmes entre elles parce qu’elles vont coûte que coûte soutenir les hommes malgré les violences dont elles sont victimes ou plutôt, à cause de ces violences. Pour plus d’informations sur ce thème du Syndrome de Stockholm sociétal, se reporter à l’excellent ouvrage coécrit par Graham Dee : « Loving to Survive: Sexual Terror, Men’s Violence, and Women’s Lives » (Kuhni, 2014a).

 

Pour visualiser correctement ces deux cycles, cliquer sur les images 1 et 2. Ou cliquer sur les liens PDF 1 et 2 pour avoir une meilleure version (en A4) de chaque cycle :

PDF 1 : Cycle de la violence machiste – sociétal

PDF 2 : Cycle de la violence machiste – individuel

Voici quelques compléments concernant les phases du cycle de la violence machiste.

Phase 0 (séduction)

L’entrée dans le cycle de la violence machiste s’effectue avec la phase 0, celle de la séduction.

Au niveau individuel, dans cette phase, l’agresseur va tenter par tous les moyens de faire entrer la victime dans son cycle de la violence machiste. La phase 0 peut sembler équivalente à la phase 4. Toutefois, son but n’est pas le même : il n’est pas d’empêcher la victime de s’échapper, mais bien de la faire entrer dans le traquenard, dans le piège. En ce sens, la phase 0 est la plus dangereuse.

Cette phase dure de quelques secondes à plusieurs mois. Elle peut par exemple se prolonger jusqu’à ce que la femme tombe enceinte de l’agresseur, sachant que 40 % des violences conjugales commencent à ce moment-là.

Au niveau sociétal, la phase 0 peut sembler inutile, puisque les filles naissent dans la société patriarcale où le cycle de la violence machiste est déjà solidement installé pour assurer la domination masculine. Les filles n’ont donc aucune possibilité de s’en échapper puisque le monde entier est patriarcal.

Toutefois, même si elles sont déjà plongées dans le cycle de la violence machiste depuis la naissance, on peut considérer l’enfance des filles comme faisant partie de cette phase 0, car dès leur entrée dans la vie, leur venue au monde, la société patriarcale entreprend un conditionnement intensif pour séduire les petites filles dès leur plus jeune âge et les faire entrer avec enthousiasme dans le cycle de la violence machiste.

Parmi les outils de séduction de la phase 0 sur le plan sociétal, on trouve les contes de fées, avec des princesses, des princes charmants et des histoires d’amour idéalisées. On trouve également les stéréotypes qui donnent faussement l’impression d’être en admiration devant les petites filles (petites filles hypergenrées, hypersexualisées, etc.), les croyances que les petites filles sont égales aux garçons et même que c’est elles qui ont le pouvoir, que le monde sera à leurs pieds quand elles seront grandes, qu’elles seront des stars avec des paillettes, qu’elles seront respectées, admirées, choyées, etc. Les filles sont aussi conditionnées depuis toutes petites pour être en admiration devant des hommes vieux, laids et méchants (par les dessins animés, films, etc.), avec la croyance absolue que même lorsqu’un garçon ou un homme est méchant, en réalité, tout au fond de lui, « il a un bon fond ». Cette croyance installée, les filles et les femmes excuseront les garçons et les hommes violents en s’imaginant que malgré les violences, au fond, ils les aiment.

Avec cette phase 0 sociétale, les filles sont préparées, formatées à être des proies idéales pour les agresseurs sexuels et hommes violents. Elles vont croire ce que leur diront ces prédateurs (dans la phase 0 individuelle) parce que leur discours ressemblera aux contes de fées et à tous les stéréotypes qu’elles ont ingérés dès leur plus jeune âge. Par conséquent, cette phase de séduction sociétale rend les filles très vulnérables et ne les prépare pas à la réalité de ce que vivent les filles et les femmes dans nos sociétés patriarcales.

Phase 1 (tension-peur-terreur)

La phase 1 sert à maintenir les femmes dans un stress très élevé en leur rappelant sans cesse la domination masculine.

Les ordres contradictoires sont un élément important de cette phase 1. L’ordre contradictoire (ou double contrainte) est un ordre doublé d’un contre-ordre inverse, avec représailles dans tous les cas. La victime d’un ordre contradictoire subit des représailles quoi qu’elle fasse, ce qui a pour effet de la terroriser, de la sidérer, de la lier (ne peut plus bouger) en lui enlevant toute capacité à décider ou agir puisqu’elle sait qu’il y aura des représailles dans tous les cas, et souvent de graves représailles. La victime devient ainsi totalement soumise au système agresseur avec lequel elle n’a d’autre choix que l’obéissance absolue.

Au niveau individuel, un exemple d’ordre contradictoire : l’homme dit sans cesse à la femme « Tu es moche, grosse, coincée, pas sexy, comment peut-on s’intéresser à toi, comment se fait-il que tu te laisses aller à ce point, que tu ne fasses pas plus d’efforts, etc. ». Et lorsque la femme obéit à cet ordre de faire plus d’efforts pour être belle, mincir et être sexy, l’homme violent va lui dire « Tu ressembles à une traînée ! Pour qui fais-tu cela, tu veux me tromper, j’en suis sûr, etc. ». Donc cette femme apprend que quoi qu’elle fasse (qu’elle obéisse ou désobéisse à l’ordre ou à son contre-ordre qui sont contradictoires), il y aura des représailles et dans un tel cas, il y a souvent de la violence physique et sexuelle, en plus de la violence psychologique.

Au niveau sociétal, un exemple typique d’ordre contradictoire : la société ordonne aux femmes d’être hyper-sexualisées (sinon on leur dit qu’elles sont moches, pas féminines, coincées, etc.). Et elle leur ordonne simultanément de ne pas l’être (sinon on leur dit que c’est de leur faute si elles sont violentées sexuellement). Donc dans les 2 cas, qu’elles obéissent ou désobéissent à l’ordre ou à son contre-ordre qui sont contradictoires, il y a des représailles. Et dans ce cas précis, ces représailles peuvent être d’une grande violence, notamment pour les affaires de viols (violences médiatiques, judiciaires, etc.).

Le traitement médiatique des affaires de violences machistes produit souvent chez les femmes victimes un stress très élevé, avec parfois un réveil brutal de la mémoire traumatique (effet « trigger »). En effet, ces affaires terrifiantes sur lesquelles les médias pratiquent souvent un victim-blaming intensif peuvent à nouveau fortement traumatiser les femmes victimes (re-victimisation), tant par les agressions rapportées que par la violence de l’inversion de la culpabilité. Ce cocktail explosif reconfronte les femmes à l’effroi et à la confusion la plus extrême. Pour cette raison, toutes les affaires de violences machistes rapportées par les médias devraient être précédées de la mention « Trigger Warning » ou « TW » (avertissement destiné aux contenus choquants), afin de protéger les femmes victimes. Trigger signifie « détente » ou « gâchette ». « On appelle ces déclencheurs « triggers », d’où le « trigger warning », qui est censé prévenir le lectorat de la présence de potentiels déclencheurs. » (Genre !, 2015).

Un exemple : avec le traitement problématique de BFM-TV du meurtre l’Alexia Daval par son mari, beaucoup de femmes victimes ont pu être doublement traumatisées, à la fois par l’horreur de ce meurtre et par le victim-blaming effroyable pratiqué par cette chaîne. Donc sachant que BFMTV est adepte du victim-blaming intensif, chaque fois qu’ils traitent de violences masculines envers les femmes, il faudrait leur suggérer d’afficher un TW.

Phase 2 (représailles)

La phase 2 sert à punir et terroriser les femmes qui ne se soumettraient pas suffisamment à la domination masculine.

Au niveau individuel, cette phase commence toujours par des représailles psychologiques (violences psychologiques), avant d’enchaîner sur des représailles physiques et sexuelles (violences physiques et sexuelles) souvent d’une extrême violence, l’agresseur pouvant aller jusqu’à tuer femme et enfants (par exemple, s’il y a séparation ou simplement risque de séparation) parce qu’il les considère comme ses propriétés sur lesquelles il a le droit de vie et de mort.

Ce droit de vie et de mort sur femme et enfants est donné par la société patriarcale qui a réussi l’exploit de dédouaner les hommes auteurs de féminicides conjugaux et d’infanticides en les présentant comme des victimes (dans la phase 3 du cycle de la violence machiste).

Au niveau sociétal, c’est dans cette phase que s’exerce le « backlash de type représailles », par exemple lorsque l’on retire le droit à l’avortement au moment où les droits de femmes bénéficiaient d’une toute petite avancée.

Phase 3 (inversion)

Très efficace, la phase 3 sert à assurer l’impunité des agresseurs.

Au niveau individuel, l’agresseur procède à l’inversion la culpabilité (victim-blaming) en prétendant que sa victime serait responsable des violences qu’il lui a fait subir (« elle l’a cherché »), qu’elle serait folle, hystérique, agressive, etc. En utilisant cette inversion, l’agresseur va même souvent aller jusqu’à tenter de faire croire que c’est lui qui subissait de la violence de la part de la femme qu’il a violentée voire tuée.

Au niveau sociétal, ce procédé séduit tant l’ensemble de la société patriarcale (notamment les médias) que les agresseurs arrivent avec une facilité déconcertante à faire croire qu’ils sont violentés par la femme victime, bien sûr sans aucune preuve (puisque c’est faux), même lorsqu’ils ont assassiné leur femme.

Au niveau sociétal, c’est dans cette phase que s’exerce le « backlash de type inversion », avec resilenciement des femmes victimes alors qu’elles venaient à peine d’oser parler avec une large audience des violences sexuelles qu’elles subissent de façon systémique de la part des hommes.

Tous les concepts anti-victimaires figurent dans cette phase 3 sociétale pour inverser la culpabilité et assurer l’impunité des agresseurs en s’en prenant aux femmes victimes.

Projection et paralogique

La phase 3 du cycle de la violence machiste est sous-tendue par un redoutable système projectif et paralogique qui permet l’inversion de la culpabilité. Ce procédé d’inversion de la culpabilité comporte des similitudes avec le mécanisme de « projection » et le discours « paralogique » de la paranoïa (CIM-10, 2000, pp. 87-89).

Le mécanisme de projection de la paranoïa consiste à projeter sur autrui les parties négatives de soi. Cette inversion permet aux paranoïaques de se débarrasser de sentiments intolérables et de se placer en victime persécutée par autrui. La projection paranoïaque est justifiée au moyen d’un discours paralogique (un discours qui semble logique alors qu’il ne l’est pas). Sauf que la paranoïa est une psychose (délire) : les paranoïaques croient réellement à leur projection et à leur discours paralogique. Ils se croient réellement attaqués par des personnes inoffensives qui ne les connaissent parfois même pas et ils croient réellement à leur narrative paralogique qui donne un semblant de véracité à leur projection. Ces deux procédés inconscients leur servent simplement à occulter des parties intolérables d’eux-mêmes auxquelles ils ne peuvent accéder consciemment.

Pour les violences machistes, nous sommes dans un tout autre processus. Les hommes violents ne sont pas dans un délire  (ils ne sont pas « fous »): ils sont conditionnés par la société patriarcale pour dominer les femmes. Depuis leur plus jeune âge, les hommes apprennent à puiser dans la panoplie des outils machistes que la société patriarcale met à leur disposition pour inverser la culpabilité en la projetant sur les femmes victimes (projection) au moyen d’une logique biaisée (discours paralogique). Donc les agresseurs sont conscients de ce qu’ils font (ils ne sont pas dans un délire). Mais grâce à cette autorisation sociétale, ils ne ressentent aucune culpabilité et peuvent ainsi aisément se faire passer pour la victime de la femme victime qu’ils violentent pour assurer leur impunité.

Phase 4 (referrage-réhameçonnage)

Le climat de la phase 4 rappelle celui de la phase 0 dans le but de re-séduire les femmes victimes qui voudraient partir ou se révolter.

Au niveau individuel, si l’agresseur arrive à passer la phase 4 sans que la victime n’envisage de partir, il aggrave sa violence au tour suivant du cycle. Ensuite, plus la femme victime sera dépendante de son agresseur, plus cette phase va se raccourcir et finir par disparaître lorsque la femme victime ne peut plus s’échapper (par exemple, lorsqu’il y a des enfants). Dès cet instant, la victime est totalement piégée et la violence s’aggrave de façon magistrale.

En revanche, lorsque la phase 4 ne passe pas et qu’il y a risque que la femme victime s’échappe (séparation, fuite, révolte, etc.), des représailles d’une extrême violence s’abattent sur elle et ses enfants, s’il y en a. Ces violences peuvent aller jusqu’au meurtre ou à l’assassinat (meurtre avec préméditation) de la femme (féminicide) et des enfants (infanticide). C’est la principale raison pour laquelle la victime va accepter de poursuivre le cycle de violence machiste et ne pas aller vers la séparation qu’elle sait très dangereuse voire mortelle pour elle, ainsi que pour ses enfants (Kuhni, 2014b).

Au niveau sociétal, de même que pour la phase 0, la phase 4 pourrait sembler inutile, puisque les femmes ne peuvent s’échapper du cycle de violence machiste mis en place par la société patriarcale du fait que le monde entier est patriarcal. Les femmes sont piégées dans la violence de la société patriarcale de la même façon que les victimes d’enlèvement et de séquestration. Le Syndrome de Stockholm sociétal en est une conséquence. Néanmoins, même si elles n’ont aucune possibilité de fuite, les femmes peuvent se révolter. C’est pourquoi, la phase 4 est également présente au niveau sociétal.

Pour éviter que les femmes se révoltent et faire en sorte qu’elles continuent sagement d’accepter la domination masculine, la société patriarcale va leur donner quelques petites gratifications et fausses promesses. Et si le patriarcat arrive à passer la phase 4 sans que les femmes envisagent des actions collectives, des grèves, etc., le patriarcat va aggraver sa violence envers les femmes au tour suivant du cycle. Lorsque les femmes sont totalement soumises à la domination masculine, sans aucune possibilité de révolte (dans les systèmes dictatoriaux, par exemple), cette phase disparaît, car elle n’est plus utile.

Les gratifications de la phase 4 ne sont bien sûr qu’un leurre pour empêcher que les femmes se révoltent. Derrière ces beaux discours, en réalité, la situation régresse souvent pour les femmes, avec une panoplie d’excuses et de justifications que les femmes sont censées croire. Voici un excellent article de la canadienne Donna F. Johnson à propos de ce procédé qui consiste à faire de fausses promesses aux femmes violentées pour éviter qu’elles se révoltent.

« Notre société trahit les femmes violentées – Les femmes sont laissées à elles-mêmes pour composer du mieux qu’elles peuvent avec la violence masculine. Elles subissent le paternalisme de solutions bancales qu’on leur propose alors qu’elles se retrouvent en zone de guerre (…) Trois décennies se sont écoulées depuis que j’ai entamé mon travail. Je ne crois plus que notre société ait la moindre intention de stopper cette violence. (…) Les femmes sont laissées à elles-mêmes pour composer du mieux qu’elles peuvent avec la violence masculine. La grande philosophe féministe Simone de Beauvoir a écrit : « Tout n’est pas bon à prendre dans la mesure où justement, quelquefois les choses qu’on ‘donne’ aux femmes sont simplement un os à ronger : une mystification, une manière de les démobiliser en leur faisant croire qu’on fait quelque chose pour elles alors qu’en vérité on ne fait RIEN. C’est une manière non seulement de récupérer la révolte des femmes, mais c’est même une manière de la contrer, de la supprimer, de feindre qu’elle n’a plus de raison d’être. » » (Abolissimo, 2017)

D’ailleurs, pourquoi n’arrive-t-on pas par exemple à supprimer les inégalités femmes-hommes ? Tout simplement parce que les hommes ne le veulent pas : ils veulent poursuivre leur domination masculine. Et les violences économiques envers les femmes sont un facteur essentiel à cette domination parce qu’elles empêchent les femmes d’être autonomes, de se défendre en justice contre les violences machistes (pas d’argent pour payer les avocats et les frais de justice), etc.

En revanche, lorsque les hommes réclament des droits ou des avantages supplémentaires,  ils les obtiennent à la vitesse de l’éclair. Par exemple, l’ISF (Impôt sur la Fortune). Ce dernier a été supprimé par Emmanuel Macron très rapidement (le 20 octobre 2017, soit 5 mois après son début de mandat présidentiel du 14 mai 2017), alors que cette suppression va coûter 3,2 milliards d’euros à l’État.

Par contre, l’égalité salariale pour les femmes serait soi-disant impossible à réaliser avant des décennies et ne pourra être atteinte qu’en … 2186 (soit dans 170 ans) selon une étude du Forum Économique Mondial !

Conclusion

L’un des objectifs du cycle de violence machiste est de briser toute solidarité entre les femmes, afin de les diviser, de les isoler et pouvoir ainsi établir la domination masculine. Autrement dit, les femmes sont divisées à cause des violences machistes qui les placent sous emprise des hommes (Syndrome de Stockholm sociétal). En raison des violences machistes subies par elles depuis des millénaires, pour les femmes, tout tourne autour de l’intérêt pour les hommes, de les soigner, de les défendre, d’être aimées par un homme, etc. Pour plus de détails, se référer à l’excellent ouvrage co-écrit par Graham Dee « Loving to Survive: Sexual Terror, Men’s Violence, and Women’s Lives » (Kuhni, 2014a).

Pour stopper ce cycle sans fin, il faudrait que nous soyons solidaires entre femmes afin de casser cette division créée par le Syndrome de Stockholm sociétal : en prendre conscience nous permet de nous en abstraire. Les femmes ne peuvent compter que sur elles-mêmes, car les hommes trouvent trop de bénéfices à leur domination, donc rares sont ceux qui les aideront à y mettre fin.

Individuellement, nous ne pouvons rien, nous sommes trop vulnérables face à la violence machiste sociétale. En nous unissant, en parlant collectivement, comme ce fut le cas pour l’affaire Weinstein, #metoo et #balancetonporc, nous avons une chance de nous faire entendre sans subir de représailles individuelles, puisque nous serons trop nombreuses à le faire.

Pour nous extraire de l’emprise machiste sociétale, il est essentiel de savoir en démonter les mécanismes en devenant des expertes du cycle de la violence machiste, afin de pouvoir prendre chaque événement et le restituer dans le cycle, expliquer où l’action se situe dans le cycle de la violence machiste, de quel type d’action il s’agit (séduction, tension-peur-terreur, représailles, inversion, referrage-réhameçonnage), etc. Un aspect important de cette prise de conscience est le repérage de la logique faussée (paralogique) du cycle de la violence machiste afin de mettre à jour les artifices utilisés pour occulter les violences machistes. Une fois que les femmes connaissent bien ces processus, elles détectent instantanément la violence et celle-ci ne fonctionne plus. Autrement dit, pour les femmes, la parfaite connaissance du cycle de violence machiste désamorce l’emprise.

Pour désamorcer la redoutable inversion de la culpabilité,
la première chose à ne jamais oublier est :
« Une femme n’est jamais responsable des violences qu’elle subit. Jamais. »

(Le Groupe F, 2018)

Pour terminer, je dirais qu’il ne faut pas oublier que les femmes sont piégées dans cette violence systémique. Le parcours judiciaire lui-même piège les femmes en les maltraitant et en inversant souvent la culpabilité au profit des agresseurs. Donc que l’on cesse de dire aux femmes victimes qu’elles doivent absolument déposer plainte et parler. D’autant que les femmes victimes sont déjà fragilisées. La procédure actuelle ne fait que les anéantir encore plus. Il faut un changement de société pour que les femmes puissent parler en toute sécurité, sans représailles. Donc au lieu de s’en prendre aux femmes victimes, que l’on s’en prenne aux véritables coupables : les agresseurs et la violence machiste systémique.

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Transcription de l’interview de Muriel Salmona par Marine Périn

La journaliste féministe Marine Périn est l’autrice de la chaîne Youtube Marinette – femmes et féminisme. Je vous encourage à aller explorer cette chaîne, car elle contient des vidéos très intéressantes sur des thématiques féministes.

Marine Périn a notamment réalisé 2 vidéos remarquables sur la sidération. La 1ère vidéo s’intitule « Violences sexuelles : la sidération psychique » (Marinette, 2016a). La seconde vidéo s’intitule « La sidération : pour aller plus loin » (Marinette, 2016b).

Sur la première vidéo, on trouve le témoignage de Marine Périn qui a elle-même été confrontée à la sidération lors d’une agression, ainsi qu’une interview de Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie. La seconde vidéo contient la suite de l’interview de Muriel Salmona. Sous chaque vidéo, figurent encore des liens concernant le travail de Muriel Salmona et celui de Marine Périn.

L’interview de Muriel Salmona constitue une mine d’informations qui peut s’adresser autant à des professionnel-le-s prenant en charge des victimes (but formateur) qu’à des victimes (but thérapeutique) et à toute personne intéressée (changement social).

Il est important de savoir que la majorité des professionnel-le-s de la santé ne sont pas encore formé-e-s à la psychotraumatologie, avec pour conséquence de graves erreurs dans la prises en charge des victimes de violences (faux diagnostics, expertises erronées, traitements contre-indiqués, etc.). Cette interview est une bonne entrée en matière qui peut leur donner envie d’en savoir davantage sur le sujet, afin de pouvoir correctement prendre en charge les victimes et ne pas les mettre en danger notamment en ne détectant pas la gravité de l’état des victimes et/ou en créant des pathologies iatrogènes (pathologies créées par le traitement lui-même), ce qui a pour effet d’aggraver et/ou chroniciser les victimes au lieu de les soigner. Pour les victimes, le simple fait d’être mieux informées est en lui-même thérapeutique et apporte souvent un immense soulagement, une libération, ainsi que la possibilité, en cas de besoin, de choisir en toute connaissance de cause un-e thérapeute compétent-e dans ce domaine. Plus largement, il est fondamental que ces notions soient connues du plus grand nombre pour créer un véritable changement de société au niveau de la prise en charge des victimes, de la condamnation des agresseurs et de mettre ainsi fin à la culture du viol.

Pour toutes ces raisons, afin d’en permettre la diffusion la plus large possible en utilisant également le support de l’écrit, j’ai retranscrit l’intégralité de cette interview de Muriel Salmona répartie sur les 2 vidéos. Le témoignage de Marine Périn se trouve déjà retranscrit ici (Kuhni, 2017b).

Sur ses vidéos, Marine Périn a organisé l’interview en chapitres. Les titres qui ponctuent cette retranscription correspondent aux titres des chapitres.

Interview de Muriel Salmona (vidéo 1)

Début de l’interview

Capture d’écran vidéo 1

Muriel Salmona, psychiatre-psychotraumatologue

« La définition de la sidération, c’est un état psychologique de paralysie face à une situation qui est une situation qui dépasse l’entendement en quelque sorte, qui est totalement soit horrible, soit complètement incongrue, soit impensable, et qui va vraiment paralyser tout l’espace psychique. La personne qui est sidérée se retrouve dans l’impossibilité de réagir, de parler, de bouger. »

Le mécanisme psychique

« Le mécanisme complet, c’est que la sidération est à l’origine d’un blocage de la fonction supérieure. Et normalement, ce sont les fonctions supérieures qui modulent la réaction au stress de l’organisme. Et quand il n’y a pas de contrôle et de régulation par les fonctions supérieures, il va y avoir un survoltage avec une production d’hormones de stress très importante qui ne va pas être contrôlée, ce qui représente un risque vital pour l’organisme. La surproduction d’adrénaline va entraîner des atteintes possibles au niveau du système cardio-vasculaire. Et au niveau du cortisol, c’est le système neurologique, ce sont les neurones qui vont être très impactés par le cortisol. Et c’est là qu’il va y avoir un mécanisme exceptionnel de sauvegarde qui va faire disjoncter le système puisqu’il faut absolument interrompre cette surproduction d’hormones de stress pour éviter un risque vital. Et donc, comme dans un circuit électrique qui serait en survoltage, ça va disjoncter et protéger le cœur et le cerveau. »

La dissociation

« Il faut bien différencier sidération et dissociation. La sidération, c’est la paralysie, le fait de ne pas pouvoir réagir. Et puis ensuite, au moment de la disjonction, il y a cette dissociation qui fait qu’il y a une déconnexion émotionnelle et ça donne un sentiment d’irréalité, d’être déconnecté de la réalité, d’être spectatrice de l’événement, de ne plus ressentir ce qui se passe, ni la douleur, ni les émotions, comme si c’était irréel, comme si on était à l’extérieur de l’événement, comme si l’événement ne nous concernait pas.

Et du coup, la personne peut devenir un petit peu comme une sorte de pantin qu’on va pouvoir utiliser, sans pouvoir réagir et sans qu’elle ressente quoi que ce soit de ce qui se passe. »

Le cerveau à l’IRM

« Les IRM, ce sont des examens d’imagerie en résonance magnétique nucléaire et ça permet de voir la sidération : on peut voir la paralysie du cerveau. Ce qu’on fait, c’est qu’on met dans une IRM quelqu’un qui a été traumatisé par exemple et on lui fait revivre le trauma – ça a été fait par exemple sur des vétérans du Vietnam – on le reconfronte à des images de guerre qui rallument sa mémoire traumatique. Et du coup, il va revivre la même situation, il va se retrouver de nouveau en état de sidération. On voit sur l’IRM que le cerveau ne fonctionne pas. Et pour la dissociation, on va voir l’hyper-activité de l’amygdale cérébrale qui va être très importante et très colorée et on va voir que tout le reste du cerveau est déconnecté par rapport à cette amygdale. »

Méconnaissance et culture du viol

« Il y a une méconnaissance de tous les mécanismes neurobiologiques, sidération, dissociation, mémoire traumatique qui font que le plus souvent on va reprocher aux victimes des symptômes qui sont directement liés au traumatisme et qui sont pour nous, médecins, des preuves du trauma. Et particulièrement, cette sidération où on va dire à la victime « Mais puisque vous n’avez pas crié, vous ne vous êtes pas débattue, vous n’avez pas fui, c’est bien la preuve qu’il n’y a pas eu viol » par exemple « et que vous étiez consentante puisque vous n’avez rien dit, rien fait ». On va aller rechercher dans leur histoire, dans leur personnalité, des éléments qui pourraient prouver qu’elles racontent n’importe quoi. Il y a une sorte d’enquête de crédibilité de la victime qui est quelque chose d’intolérable.

Et puis la dissociation, aussi, ça fait que la victime n’a pas de bons repérages au niveau temporo-spatial, donc elle ne va pas être précise sur la date, l’heure, la durée des violences. Ça va lui être reproché. Elle va être tellement déconnectée de ses émotions qu’elle va mettre beaucoup de temps avant de pouvoir parler des violences ou, d’autant plus, aller porter plainte. Quand on est traumatisé, on ne peut pas faire certaines démarches. Donc on va le lui reprocher : pourquoi elle porte plainte si longtemps après ? »

Un élément de la défense

« Ça va être un élément sur lequel la défense, dans le cadre de procédures juridiques, va insister sur « Il ne pouvait pas savoir que ce qu’il faisait était mal puisque la victime ne réagissait pas ». J’ai un exemple très récent d’un procès-verbal, c’est vraiment tout ce système très pervers de retournement des phénomènes de preuves. Et ça, dans les procès, on le voit très bien. Donc les agresseurs utilisent ce système-là, à la fois pour bloquer et piéger leur victime et à la fois ensuite pour leur défense. Ils vont le réutiliser une deuxième fois. Et la méconnaissance de tout le monde fait que ça passe. »

La mémoire traumatique

« Au moment de la disjonction, ce qui disjoncte aussi, c’est le circuit de la mémoire. Et du coup, la mémoire émotionnelle, à partir du moment où ça a disjoncté, toutes les violences qui se produisent ne vont pas pouvoir passer par le circuit habituel de la mémoire et être intégrées par l’hippocampe qui est le système d’exploitation de la mémoire pour être transformée en mémoire autobiographique. Tout va rester piégé dans l’amygdale cérébrale. Et cette mémoire non intégrée va être susceptible d’envahir la victime au moindre lien qui rappelle les violences. On peut revivre en même temps ce qu’on ressent, ce qu’on a vu, ce qu’on a entendu, ce qu’on a senti, même, aussi, des images, des flashs, des odeurs, qui reviennent à l’identique, avec les mêmes émotions, une sorte de crise de panique, qui envahissent la personne.

Les personnes qui sont traumatisées vont devoir mettre en place des stratégies de survie pour ne pas exploser continuellement. Il y a deux sortes de stratégies de survie : il y a des conduites d’évitement, c’est-à-dire que ma vie est un terrain miné, le seul moyen, c’est de ne plus mettre les pieds dessus. Donc on ne bouge plus, on ne pense plus, on s’isole, on contrôle tout, plus rien ne bouge, rien ne change. Et petit à petit, la victime arrive à développer des petits espaces où elle se sent en sécurité, avec des personnes sécures. Et il ne faut rien leur bouger. L’autre solution quand il faut quand même avancer sur le terrain miné, alors qu’on sait qu’il y a des mines, que ça risque de sauter, c’est d’avancer. Les premières choses qu’on rencontre, pour se dissocier, c’est l’alcool, la drogue. Donc des produits dissociants, qui reproduisent la dissociation. Ou les médicaments. Et puis, ce qui est moins bien compris, c’est les conduites à risque, les mises en danger. Ça peut être se taper dessus, se mordre, se brûler, se couper. Mais ça peut être aussi avoir des conduites à risque au niveau de pratiques sportives très dangereuses, de pratiques automobiles sur la route très dangereuses. Ça peut être aussi des conduites à risque sexuelles. »

Les conséquences à long terme

« Et puis ces conduites dissociantes, c’est du stress continuel, c’est des mises en danger continuelles, c’est une alcoolisation, c’est une drogue, et c’est ça qui va avoir des conséquences catastrophiques sur la santé. A la fois au niveau cardio-vasculaire, au niveau du diabète, c’est toutes les maladies liées au stress. Ça va entraîner des troubles de l’immunité, des troubles respiratoires à cause du tabagisme – le tabac aussi à hautes doses, c’est dissociant. Donc toutes ces conduites dissociantes vont faire que, par exemple, quand on a subi des violences sexuelles, des violences dans l’enfance, on peut avoir jusqu’à 20 ans d’espérance de vie en moins. Et c’est le déterminant principal de la santé 50 ans après. »

Interview de Muriel Salmona (vidéo 2)

La stratégie de l’agresseur

« Les agresseurs, ils connaissent bien le phénomène puisqu’ils l’utilisent et d’ailleurs, ils excellent dans leur capacité à sidérer les victimes. Mais on le voit, on le voit d’ailleurs avec les terroristes : ils cherchent à sidérer, ils cherchent à traumatiser, donc ils cherchent à sidérer. Donc il faut toujours faire quelque chose que la victime n’attend pas, sur lequel elle n’est pas préparée. Il faut dire des choses qui vont perturber la victime. Il faut avoir un regard, des gestes, une façon d’être qui va être très sidérante. Donc tout comme les bourreaux, ils savent très bien manier les mécanismes psychotraumatiques pour traumatiser très durablement des victimes de torture.

Une jeune femme qui était stagiaire sur une île du Pacifique s’est trouvée, comme elle était stagiaire, à ne pas pouvoir aller dans l’hôtel où il y avait toutes les personnes de l’ambassade. Donc elle s’est retrouvée seule dans un petit hôtel où elle s’est sentie très en insécurité. Et elle avait parfaitement raison puisqu’elle avait beau s’enfermer la nuit, en plein milieu de nuit, un agresseur est arrivé, a défoncé la porte à coups de hache et sous la menace d’un couteau l’a violée. A un moment donné, elle raconte – donc elle était complètement sidérée, bien entendu, dans l’incapacité de bouger, elle était menacée en plus avec un couteau et persuadée qu’elle allait être tuée, vu le contexte – et à un moment donné, elle a commencé à reprendre un petit peu pied par rapport à la sidération, donc à pouvoir penser un petit peu à ce qui était en train de se passer. L’agresseur, lui, a senti qu’elle reprenait pied. Soit il fallait que de nouveau il lui fasse très peur : de nouveau qu’il mette en scène toute une destruction, qu’il se remette à hurler, qu’il se remette à reprendre son couteau, etc. Mais ça, ça l’empêchait de pouvoir continuer ce qu’il était en train de faire. Ou alors, c’est lui dire quelque chose qui allait complètement la sidérer, quelque chose de totalement incongru, fou. Il a opté pour la deuxième solution et il lui a dit : « Tu aimes ça, ce que je te fais ». Et ça l’a fait repartir, ça l’a de nouveau sidérée. Elle décrit bien à ce moment-là que de nouveau, elle était paralysée et elle a de nouveau été dissociée. Et ensuite, c’est quelque chose qu’elle n’a jamais osé dire pendant toute la procédure parce qu’elle avait honte, elle se sentait coupable : « Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour qu’il me dise que j’aime ça ? Est-ce qu’il a senti une réaction de mon corps ? Est-ce qu’il a perçu quelque chose ? ». Et pour elle, c’était une sorte de torture mentale. Et quand je lui expliquais que c’était tout simplement une stratégie, du coup, ça l’a beaucoup soulagée. »

Un agresseur dissocié

« L’extrême violence est traumatisante, à la fois pour les victimes, pour les témoins, mais aussi pour l’agresseur. La différence entre un agresseur et une victime, c’est que l’agresseur, il veut absolument être dissocié pour justement bénéficier d’une anesthésie émotionnelle pour pouvoir aller beaucoup plus loin et ne plus avoir aucune entrave par rapport à une violence extrême et à des actes inhumains de barbarie, et surtout ne pas être touché par la détresse ou la souffrance de la victime. Parce qu’on a des neurones miroirs qui font qu’on ressent les émotions d’autrui. Et ça, c’est très gênant, parce que ressentir la détresse de quelqu’un, c’est vivre cette détresse et du coup, c’est bloquant pour agir contre cette personne-là. Par rapport au 7 janvier [attentat de Charlie Hebdo], par exemple, les terroristes, tout le monde avait remarqué à quel point ils étaient complètement froids, calmes. Ils pouvaient tuer quelqu’un comme ça, en passant, comme si c’était rien. Et du coup, tout le monde se demandait s’ils n’avaient pas pris des drogues. Mais en fait, dans l’extrême violence, il n’y a pas besoin de drogue. C’est-à-dire que quand on installe une violence extrême, à la fois, on va dissocier la victime, donc il ne va plus y avoir d’émotion chez la victime. Et on va aussi dissocier ses propres émotions. »

Quand la dissociation dure

« Il y a beaucoup de victimes de violences qui sont traumatisées, dont on peut penser qu’elles ne vont pas si mal parce qu’elles sont complètement dissociées. C’est-à-dire que si vous restez en contact, soit avec le lieu, le contexte ou avec l’agresseur, et ça, c’est fréquent, à ce moment-là, vous restez dissociée, vous êtes déconnectée de vos émotions. Donc vous pouvez paraître aller pas si mal. Ça, c’est un élément essentiel pour la non prise en charge des victimes et le fait que personne n’a peur pour elle. C’est que, plus elles sont en danger, plus elles sont dissociées, moins les gens vont s’inquiéter pour elles. Comme elles sont déconnectées, elles n’ont pas d’émotions. Et quand vous êtes face à quelqu’un qui n’a pas d’émotions, vous n’avez pas d’émotions non plus parce que les neurones miroir ne vous renvoient rien. Donc vous êtes indifférent à quelqu’un. Je me rappelle un magistrat lors d’une formation qui me dit « Ah, mais je comprends alors pourquoi cette femme qui me racontait des actes de torture et de barbarie par son mari, comme elle ne réagissait pas et qu’elle m’en parlait comme si elle était indifférente à ce qui s’est passé, eh bien moi, j’avais considéré que c’était pas grave. ». Alors que la description, c’était des faits extrêmement graves. Je travaille aussi avec la Cour Nationale des Droits d’Asile et c’est frappant de voir que plus les gens ont subi des violences extrêmes, moins ils sont considérés comme crédibles. Plus ils ont vécu des violences extrêmes, plus ils sont dissociés, totalement, et plus les gens sont indifférents à eux et ne les croient pas. Je dis souvent aux médecins : « si vous vous endormez face à quelqu’un que vous recevez : alarme totale, c’est que vous avez certainement quelqu’un de très traumatisé en face de vous ». »

La prise en charge de la mémoire traumatique

«La première chose à faire, c’est que les personnes soient protégées pour qu’elles ne soient plus dissociées. Parce que quand vous avez quelqu’un de dissocié, pour traiter la mémoire traumatique, c’est compliqué. Puis là, pour qu’elle s’engage dans une démarche thérapeutique, c’est compliqué parce qu’elle ne ressent pas. Enfin, nous, on travaille avec les émotions, justement. Donc il faut déjà que les personnes puissent sortir de leur dissociation pour être prises en charge. La mémoire traumatique, après, ça se travaille … en fait, le but de la prise en charge de la mémoire traumatique, c’est de l’intégrer en mémoire autobiographique. On va faire tout un travail d’intégration en faisant des liens, en allant sur place, en travaillant sur tout ce qui s’est passé au niveau sidération pour que l’on puisse revivre l’événement sans la sidération, avec une analyse corticale. D’ailleurs, sur les IRM, on voit le travail thérapeutique qui fonctionne parce que du coup, aussitôt que le cortex peut comprendre et analyser ce qui se passe, du coup, les choses s’intègrent. Ça fonctionne, les circuits se remettent à fonctionner. Donc d’où l’importance aussi de comprendre ce qui est arrivé. Et d’ailleurs, les victimes de violences sexuelles, elles passent souvent leur vie à essayer de comprendre, parce qu’elles sentent bien que c’est là, la solution, c’est de comprendre ce qui se passe. Sauf qu’on ne leur donne jamais d’outils. Nous on donne tous les outils pour comprendre, repasser, voir tout ce qui s’est passé, pour petit à petit intégrer chaque moment, chaque élément, en mémoire autobiographique. Le problème actuellement, c’est que les professionnels ne sont pas formés, ni au repérage des troubles psychotraumatiques, ni à la connaissance des mécanismes. Donc ils ne peuvent pas informer réellement les victimes. Et puis, ils ne sont pas formés non plus au traitement. Ils n’ont pas d’outils pour traiter les personnes. Ils vont d’abord faire de faux diagnostics. C’est-à-dire que la mémoire traumatique, quand vous entendez des voix, vous voyez qu’il y a quelqu’un dans une pièce, vous avez l’impression qu’on vous touche, c’est tout de suite pris pour des hallucinations. Vous avez l’impression qu’on veut vous tuer, etc. on va vous dire que vous êtes schizophrène, psychotique. Il y a beaucoup de gens qui sont étiquetés schizophrènes, alors qu’ils sont simplement traumatisés. On va dire aux personnes qu’elles ont des troubles thymiques, maniaco-dépressifs, etc. alors que c’est simplement des accès de mémoire traumatique qui les replongent. Et puis, on va traiter leurs symptômes en les dissociant. Sauf qu’on va donner des médicaments qui vont dissocier les personnes. Donc on va faire des cocktails avec anxiolytiques, anti-dépresseurs, neuroleptiques, somnifères, thymorégulateurs. Mais tout ça, c’est très efficace, ils sont complètement déconnectés. Tout ce qui est sismothérapie, vous savez, les électrochocs, comment ça fonctionne : ça fait disjoncter le cerveau. Donc c’est hyper-efficace pour faire dissocier quelqu’un. Donc c’est comme ça qu’on a utilisé et qu’on utilise toujours les électro-chocs pour traiter les gens psychotraumatisés. Qu’est-ce qui marche bien aussi pour dissocier les gens, c’est d’être violents avec eux. Vous avez quelqu’un qui fait une crise d’angoisse, une attaque de panique, vous lui donnez une grande claque, c’est très efficace. Vous le mettez sous une douche froide, c’est très efficace. Vous hurlez contre cette personne, c’est très efficace, vous la calmez. Sauf que vous la calmez en la dissociant et en la traumatisant. Donc dans l’ensemble, le traitement sauvage des troubles psychotraumatiques, c’est de dissocier les gens et de dire, tout va bien. Après, il y a des dissociations un peu plus douces qui vont être l’hypnose, l’EMDR, etc. où ce sont des dissociations plus légères, mais s’il n’y a pas de travail psychothérapique derrière pour traiter la mémoire traumatique, c’est aussi une façon de « circulez, y a plus rien à voir ». Donc on essaye de ne pas donner de médicaments dissociants. On essaye, c’est vraiment le traitement de fond, c’est la psychothérapie, c’est la prise en charge sur la mémoire traumatique, de faire refonctionner les circuits. On peut traiter la douleur mentale quand elle est trop importante, exactement comme on donne de la morphine. Mais dans l’ensemble, on essaye d’utiliser le moins possible de médicaments psychotropes parce qu’ils sont plutôt dissociants. En revanche, on utilise un traitement qui est très efficace qui est les béta-bloquants. C’est un médicament qui diminue la production d’adrénaline. Donc, il diminue les facteurs stress, adrénaline, cortisol, et du coup il évite les allumages intempestifs de mémoire traumatique. Donc il sécurise un peu la personne. Et puis, ça permet de traiter la personne en donnant plus de sécurité et d’aller plus sur le terrain sans que ça parte en vrille. Et puis, ça protège le coeur, ça protège le cerveau, donc c’est tout bénéfice aussi. »

Les solutions

« C’est cette nécessité de développer des formations pour les professionnels pour qu’ils puissent prendre en charge, poser la question, avoir une culture de la protection des victimes, c’est-à-dire chercher à les protéger, et une culture de la prise en charge des troubles psychotraumatiques. Il faut une formation dès les études initiales et ensuite, dans les études de spécialité. C’est fou que pour la psychiatrie il n’y a pas une [formation], c’est plus de 60 % de la psychiatrie qui est liée aux psychotraumatismes. Donc c’est absolument essentiel. Les violences, c’est un problème de santé publique majeur, donc il faut s’en emparer et il faut que tous les professionnels soient formés. Et il faut absolument créer des centres de soin spécifiques. Actuellement, c’est une galère absolument épouvantable pour les victimes pour trouver des professionnels et des prises en charge sécurisées par des professionnels formés, sérieux, compétents. Et il est très important aussi de faire toute une information sur la sexualité pour les plus jeunes, de lutter contre tout ce qui est stéréotypes autour de la sexualité violente, lutter contre la pornographie, donc améliorer encore la lutte contre tout le système prostitutionnel, ce qui a déjà été le cas avec la loi qui maintenant pénalise les clients, mais il faut aller encore, il faut vraiment aller loin là-dessus. Et puis aussi, lutter contre tout ce qui est culture du viol, stéréotypes, informer sur les droits de chacun, sur la notion de consentement, le respect du consentement de l’autre, avec des notions de consentement qui ne doit pas être uniquement sur « elle a pas dit non ». Il faut absolument avoir un « oui » et un « oui  éclairé». Ce qu’on peut espérer, c’est que, là, il y a beaucoup de victimes de terrorisme qui vont avoir des troubles psychotraumatiques très lourds – il faut savoir que les victimes de viol ont les mêmes conséquences psychotraumatiques que les victimes de torture ou d’actes de terrorisme – et qu’il faudra prendre en charge toutes ces personnes. Et on les met moins en cause que les victimes de viol, donc il n’y a pas cette culture du viol. On va peut-être plus les entendre. Parce que les associations – je travaille avec elles – sont quand même assez revendiquantes par rapport à la prise en charge et c’est peut-être par leur intermédiaire qu’on va obtenir ce qu’on arrive pas à obtenir malgré tout notre travail de plaidoyer, nos luttes incessantes, etc. sur une amélioration de la prise en charge. »

Courte explication sur la pornographie et la prostitution (texte figurant sous vidéo 2)

« Explications de Muriel Salmona sur la pornographie et la prostitution : »

« Près de 90% des personnes prostituées ont subi des violences, particulièrement des violences sexuelles, dans l’enfance. Elles se retrouvent prostituées parce qu’elles sont dissociées avec, de ce fait, une grande tolérance aux violences. C’est même la raison pour laquelle elles sont choisies par les proxénètes et cela arrange les client. Je ne suis pas pour la prohibition, je ne veux pas empêcher quiconque d’être prostituée, mais contre le système d’exploitation prostitutionnel (proxénètes et clients) et l’absence de protection et de soins qui livrent et piègent ces personnes traumatisées dans ce système.

De même par rapport à la pornographie, ce que je dénonce c’est le fait de filmer des actes très violents avec des personnes qui les subissent vraiment et de participer à la diffusion d’une sexualité présentée par nature comme violente.

Être dissociée représente un risque majeur de subir des violences à répétition (70% des personnes ayant subi des violences sexuelles en subissent à nouveau) et explique les phénomènes d’emprise.

Parmi les solutions à ne pas oublier, il y a la lutte conte les inégalités, le sexisme et toutes les discriminations. Les violences sexuelles se font dans un contexte de rapport de force et de domination masculine. Les personnes qui subissent le plus de violences sont les enfants (les filles surtout), les personnes handicapées et les femmes. Les violences sexuelles ne relèvent jamais d’un désir ou d’un besoin sexuel : ce sont de la destruction et de l’excitation à la haine. » »

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La sidération traumatique : une victime paralysée et dissociée pour survivre à l’effroi

« Pour ne pas mourir, la victime se dissocie de son propre corps Ce que décrit la plaignante [procès de Georges Tron], c’est ce qu’on appelle, en psychiatrie, l’état de sidération. En réaction à l’angoisse extrême subie lors d’un viol ou d’une violence, certains mécanismes de défense entrent en jeu. La victime est tétanisée, ce qui lui permet de diminuer sa souffrance physique et psychique, selon la psychiatre Muriel Salmona. La personne, ainsi paralysée, ne peut réagir. Ce sont des « réactions neurobiologiques normales du cerveau face à une situation anormale, celle des violences », précise le Dr Salmona. » (Allodocteurs, 2017).

La sidération est un mécanisme psychique de survie qui s’enclenche dans les situations terrorisantes (effroi) et de non-sens absolu (confusion extrême), soit des situations qui dépassent l’entendement (Marinette, 2016a) en matière de violence et de sens. C’est le cas des violences sexuelles qui font effraction dans la partie la plus intime de la personne. Également lorsque la victime est piégée, enfermée avec son agresseur, sans aucune possibilité de fuite, forcée de rester avec lui, pour des raisons d’emprise (pédocriminalité, violence conjugale, etc.), d’environnement (lieu isolé, etc.) ou de contexte (inceste, travail, etc.). Les agresseurs savent parfaitement utiliser la sidération en terrorisant leurs victimes et en leur tenant des propos insensés/pervers pour les réduire à néant, à l’état de pantin, de marionnette, avec qui ils pourront faire ce qu’ils veulent. Autrement dit, les agresseurs recherchent cette sidération pour pouvoir agir à leur guise et même accuser ensuite la victime, en privé ou dans un procès, de n’avoir pas réagi. (Salmona, 2013b, Marinette, 2016b, Allodocteurs, 2017).

Témoignage de Marine Périn

Sur sa chaîne Youtube, la journaliste féministe Marine Périn a réalisé 2 vidéos remarquables sur la sidération, avec son témoignage et une longue interview de Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie. La 1ère vidéo s’intitule « Violences sexuelles : la sidération psychique » (Marinette, 2016a). La seconde vidéo s’intitule « La sidération : pour aller plus loin » (Marinette, 2016b)

Marine Périn a elle-même été confrontée à la sidération lors d’une agression. Voici la transcription de son puissant témoignage qui décrit de façon très précise comment se passent la sidération (paralysie) et la dissociation (déconnexion) déclenchées par des situations de violences, notamment des violences sexuelles. Nous pouvons ainsi appréhender la sidération au moyen de « la sidération vécue de l’intérieur » (Marinette, 2016a), ce qui, me semble-t-il, est la meilleure façon pour comprendre ce mécanisme qui empêche les victimes de se défendre ou de fuir leur(s) agresseur(s).

En ce qui concerne linterview de Muriel Salmona par Marine Périn, il est intégralement retranscrit ici (Kuhni, 2017b).

Témoignage de Marine Périn (Marinette 2016a, min. 0.45) : « Donc j’ai été agressée. C’était il y a environ 5 ans. J’étais en train de rentrer chez moi après une soirée quand je me suis rendue compte qu’il y avait deux mecs qui me suivaient. Enfin, je savais qu’il y avait deux mecs qui marchaient derrière moi. Pour être sûre, pour m’assurer qu’ils ne me suivaient pas, j’ai fait ce que beaucoup de personnes qui ne se sentent pas en sécurité dans la rue ont fait : j’ai sorti mon téléphone de ma poche, je me suis mise sur le côté, je me suis arrêtée pour qu’ils puissent me dépasser, en fait, et que ça me rassure. J’ai fait ça quelques mètres avant ma porte d’entrée, parce que je me disais quand même que s’ils me suivaient, il ne fallait pas qu’ils me suivent chez moi. Là, ça a été très vite : ils m’ont dépassés, ils m’ont dit « bonsoir », je leur ai répondu « bonsoir » et puis j’ai rangé peut-être trop rapidement mon téléphone dans ma poche et il y en a un des deux qui m’a attrapée par derrière. Ses gestes étaient extrêmement précis. Donc, c’est terrible à dire, mais je pense qu’il savait ce qu’il faisait. Parce qu’en une fraction de seconde, je me suis retrouvée agenouillée parterre, avec son genou dans le dos et sa main gauche sur la bouche qui me serrait aussi mon torse, ce qui fait que j’étais complètement immobilisée. Je me souviens très exactement de ce que je me suis dit. Je me suis dit, mais non, non, ce n’est pas en train d’arriver. Mon cerveau refusait juste d’y croire, parce que c’était trop improbable de se faire vraiment attraper de manière aussi cliché dans la rue. Voilà, on m’avait toujours dit que c’était impossible. Donc j’y croyais simplement pas. Très rapidement, mon agresseur a commencé à faire ce que, je pense, il voulait faire depuis le début, c’est-à-dire qu’il a glissé sa main dans le col de mon manteau, il l’a mis dans mon soutien-gorge et il a commencé à me presser le sein. Encore une fois, tout est très flou, donc je ne sais pas à quel moment ça a basculé. Mais à ce moment-là, ce que je peux vous dire, c’est que j’étais déjà plus dans mon corps. c’est-à-dire que je voyais la scène d’en haut, exactement comme si je planais au-dessus de la rue. Je la voyais. Je pense que mon cerveau générait ces images. Et donc, ce que je voyais, c’était moi, mais j’étais plus dans mon corps, à genoux, complètement inerte, comme un pantin, avec le mec qui faisait ce qu’il voulait.

« à ce moment-là, ce que je peux vous dire,
c’est que j’étais déjà plus dans mon corps
 »

(capture d’écran de la vidéo)

Donc voilà, ça se passe comme ça. J’ai pas de notion du temps. Je sais pas combien de temps ça dure. Mais à un moment donné, je sais que je commence à reprendre mes esprits, sûrement que mon cerveau s’est dit « bon ben c’est en train d’arriver, maintenant fais quelque chose ». Donc j’élabore une stratégie. Je me dis que je vais essayer avec mes mains d’enlever la main de l’agresseur de ma bouche pour le supplier, en espérant peut-être le convaincre que c’est pas très sympa, je sais pas. C’est un peu naïf, hein, mais dans ces moments-là, on fait ce qu’on peut et en plus, on est dans une rue déserte, donc on n’imagine pas une seconde qu’on puisse par exemple appeler à l’aide et que quelqu’un vienne. Et en fait, contre toute attente, exactement à ce moment-là, y a des voisins qui se sont mis à ouvrir leur fenêtre, qui ont crié sur les agresseurs qu’ils avaient appelé la police. Et y en a même qui sont sortis de chez eux, qui habitaient à l’entresol de mon immeuble, qui voyaient la scène par cette fenêtre, là, qui est au niveau du trottoir, qui sont sortis de chez eux et qui ont poursuivi les agresseurs. Et ça a pris fin à ce moment-là. Mais là, je sais que c’est pas le sujet, mais j’en place quand même une pour ma chance d’être tombée sur ces personnes-là, parce qu’on sait qu’il y a beaucoup d’agressions qui ont lieu en public et où personne n’intervient. Là, c’était dans une ruelle déserte et les gens se sont levés, ont ouvert leur fenêtre, sont sortis de chez eux pour intervenir. C’est incroyable. Et je sais pas où j’en serais et je sais pas ce qui me serait arrivé si ça ne c’était pas passé comme ça. D’autant plus que les personnes qui ont poursuivi l’agresseur m’ont ensuite un peu pris en charge pendant l’heure qui a suivi, le temps qu’un autre ami s’en occupe. Donc voilà, l’agression prend fin à ce moment-là. Je reprends mes esprits le plus vite possible, je me relève. Et là, quand je me relève et c’est un détail pas anodin, j’ai les mains dans les poches. C’est-à-dire que pendant tout le temps que ça a duré, j’ai gardé les mains dans les poches, je me suis pas débattue. La stratégie où je pensais commencer à enlever sa main, ça n’avait pas commencé, en fait. Et c’est vraiment pas anodin parce que c’est quelque chose qui va beaucoup me travailler ensuite. Je pensais pas être une ninja face à ce genre de situation, mais quand même, ne pas réagir à ce point-là, ça m’a beaucoup perturbée, ça m’a beaucoup culpabilisée. Et en fait, c’est le principe même de la sidération et c’est pour ça que beaucoup de victimes, aussi, culpabilisent, en plus du fait que certains les font culpabiliser. Mais elles culpabilisent elles-mêmes de pas avoir réagi. Les heures et les jours qui ont suivi, il a fallu que j’oublie quand même un peu l’expérience entre guillemets « paranormale » que je venais de vivre, parce que, à ce moment-là, on se concentre sur les faits et les gens veulent savoir ce qui est arrivé, particulièrement les policiers quand tu portes plainte où tu essayes d’être le plus précise possible. Moi, ça me tenait à cœur, en plus, de bien décrire ce qui s’était passé. Donc j’ai complètement omis le fait, qu’en fait j’étais même plus dans mon corps quand ça a eu lieu. Par ailleurs, à l’époque, je savais pas du tout ce qu’était la sidération. J’en avais jamais entendu parler. Donc ça me paraissait encore plus bizarre. C’est quelques mois plus tard, en lisant un roman, que j’ai découvert ce que c’était parce que l’un des personnages en avait été victime, en fait, lors d’un viol, et il racontait, donc là, j’ai su ce qui c’était passé. Et rien que le fait de le savoir, ça faisait beaucoup de bien. Ça efface pas tout, bien sûr, mais c’est quand même un soulagement, ça m’enlève un poids, une culpabilité. C’est aussi pour ça que je voulais en parler. (…). » (Marinette, 2016a)

La sidération : la victime est paralysée

La sidération traumatique est un processus psychique qui paralyse la personne confrontée à des violences, plus particulièrement aux violences sexuelles (effraction dans l’intime). Ces situations violentes déclenchent un sentiment d’effroi (peur de mourir) et un sentiment de non-sens absolu (confusion extrême), ce qui a pour conséquence d’affoler le cortex qui n’est alors plus en mesure d’assumer ses tâches habituelles d’analyse et de prise de décision. Dès cet instant, « L’activité corticale de la victime se paralyse, elle est en état de sidération. Le cortex sidéré est dans l’incapacité d’analyser la situation et d’y réagir de façon adaptée. » (Salmona, 2013, p. 75). Cette paralysie, cette panne du cortex (très visible sur des IRM) va paralyser la victime. Dès lors, elle ne sera plus capable de bouger, de parler, de crier, de réagir, de fuir le(s) agresseur(s). Elle est paralysée.

Cortex cérébral éteint (2ème IRM)

Source : Marinette – femmes et féminisme, 2016a

« Le cortex cérébral règne sur ce qu’on nomme les « fonctions nerveuses élaborées » et est regroupé en aires ayant des fonctions différentes notamment sensorielles, motrices et d’association. Le cortex cérébral participe à de nombreuses fonctions cognitives notamment entre autres, certains sens, le langage, les actions volontaires de la motricité et la mémoire. » (Santé Médecine – Journal des Femmes)

Cortex cérébral

Cortex préfrontal

L’inutile préparation à la fuite ou au combat

Dès le début d’une situation de violence, notre organisme va produire massivement des hormones de stress, afin de nous préparer à la fuite ou au combat. Il y aura par exemple une forte production d’adrénaline (sécrétée par les glandes surrénales) pour stimuler le système cardio-vasculaire et la respiration, ainsi qu’une forte production de cortisol (sécrétée par les glandes corticosurrénales) pour stimuler la production d’énergie. Cette surproduction d’hormones de stress va booster l’organisme et lui donner des capacités extraordinaires pour réagir face à une situation de danger (force musculaire, perceptions, etc.). Les personnes auront alors l’impression d’avoir des ailes lorsqu’elles courent pour s’enfuir, une force décuplée pour combattre et une rapidité d’action exceptionnelle. Une fois le danger passé, elles seront souvent stupéfaites par leurs prouesses et trembleront parfois de peur après coup en pensant à ce qui se serait passé si elles n’avaient pas eu de tels réflexes et de telles capacités.

« Cortisol : une hormone essentielle en cas de danger – Quand vous êtes face à une situation risquée, plusieurs hormones boostent votre organisme pour vous aider à surmonter le danger. La plus connue d’entre elles est l’adrénaline. Surnommée « l’hormone guerrière », elle mobilise toute votre énergie disponible et aiguise instantanément vos sens. Quant au cortisol, il est produit en masse quelques minutes après la poussée d’adrénaline. Ses effets sont moins perceptibles mais extrêmement importants. Il participe activement à la production d’énergie en transformant les réserves de graisse en sucres. Il dirige également cette énergie au bon endroit, comme dans les muscles de vos jambes si vous devez prendre la fuite ! Le cortisol contribue réellement à vous sauver la vie. » (Santé Médecine – Journal des Femmes)

Toutefois, dans un grand nombre de situations de violences, les victimes n’ont aucune possibilité de fuite ou de combat. Elles sont coincées par leur(s) agresseurs(s), piégées par eux, en raison d’une emprise (pédocriminalité, violence conjugale, par exemple) ou de l’environnement (lieu isolé, etc.) ou du contexte (inceste, travail, etc.).

La fuite ou la combat est également impossible, bien sûr, lorsque les victimes sont déjà en état de sidération, totalement paralysées par un cortex sidéré, paralysé. Or, c’est précisément le rôle du cortex de réguler la réaction au stress de l’organisme. Donc lorsque cette instance supérieure ne fonctionne plus, les hormones de stress vont affluer massivement, de façon incontrôlée en raison d’une hyper-activité de l’amygdale cérébrale (visible sur les IRM) qui crée un risque de survoltage (surchauffe de l’amygdale cérébrale). Ce survoltage présente un risque vital pour l’organisme : cardio-vasculaire (adrénaline) et neurologique (cortisol).

La dissociation : la victime se déconnecte de son propre corps

Le cerveau déclenche alors un processus de survie qui consiste à faire disjoncter le circuit cérébral responsable de la production des hormones de stress « en libérant des substances chimiques, de la morphine, de la kétamine, qui vont faire disjoncter le système d’alarme. L’amygdale est isolée, exactement comme un réacteur nucléaire fermé dans un coffrage. Résultat : la production d’hormones de stress est alors stoppée » (Allodocteurs, 2012). Cette disjonction va entraîner une anesthésie émotionnelle, une dissociation, des troubles de la mémoire (amnésie du traumatisme, partielle ou totale), ainsi que la création d’une mémoire traumatique qui va rester piégée dans l’amygdale cérébrale déconnectée, sans pouvoir se diriger normalement vers l’hippocampe pour être transformée en mémoire autobiographique. Cette mémoire traumatique renfermant la situation violente telle quelle, avec tout son déchaînement d’effroi, de chaos, de douleur, de non-sens, etc., est la source du stress post-traumatique qui risque de se développer à la sortie de l’événement traumatique.

Après la disjonction, la personne dissociée se retrouve dans un état d’irréalité, ne ressentant quasiment plus rien, avec perte de la notion du temps, du lieu, etc. et perception de la situation comme si cela ne la concernait pas, comme s’il s’agissait d’une situation vécue par quelqu’un d’autre. La dissociation propulse donc la personne hors d’elle-même (corps, émotions, sensations, etc.) et hors du temps, de l’espace (désorientation temporo-spatiale). Autrement dit, la personne n’est plus présente, même si son corps est toujours là et qu’elle n’est pas morte.

Les victimes de violences sont d’ailleurs presque toujours confrontées à la peur de mourir (effroi). A ce titre, il est intéressant de noter que le récit de décorporation (sortie de leur corps) que font certaines personnes qui ont vécu la dissociation peut comporter des ressemblances sur certains points avec des récits de décorporation de personnes ayant précisément frôlé la mort, par exemple celles ressortant du coma ou celles ayant vécu une expérience de NDE et EMI (Near-Death Experience ou expérience de mort imminente).

La sidération – Le Magazine de la Santé, France 5 (Allodocteurs, 2012)

L’émission Allodocteurs (Magazine de la Santé, France 5) a diffusé le 26 novembre 2012 un excellent sujet consacré à la sidération, avec des images de synthèse montrant très clairement ce qui se passe au niveau de l’amygdale cérébrale et de l’hippocampe au moment de la sidération et de la dissociation. Un petit bémol : ce sujet passe un peu vite sur le rôle du cortex dans la sidération. Il n’y a d’ailleurs aucune image de synthèse sur la panne du cortex (très visible sur des IRM). Or, c’est bien le cortex sidéré, le cortex paralysé qui est à l’origine de la sidération, de la paralysie de la victime.

Le Nouvel Obs a publié le 26 novembre 2012 un article sur cette émission contenant la vidéo à télécharger directement à partir de l’article.  (Nouvel Obs, 2012). Cette vidéo est aussi proposée en lecture sur une page intitulée « Viol : quelle prise en charge pour les victimes ? » (2ème sujet de la page) sur le site Allodocteurs (Allodocteurs, 2012).

Je retranscris intégralement ce remarquable sujet sur la sidération de Allodocteurs (vidéo téléchargeable sur article du Nouvel Obs), car les images de synthèse et les explications données sont d’une grande clarté et décrivent parfaitement le processus qui conduit à la surchauffe de l’amygdale cérébrale, à la disjonction du circuit responsable du stress, à la dissociation traumatique, à la création d’une mémoire traumatique et, finalement, au stress post-traumatique. L’ensemble du sujet s’appuie sur les travaux de Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie. Les images qui ponctuent la transcription sont des captures d’écran de la vidéo.

Titre du sujet : « Pourquoi parle-t-on de sidération lors d’un viol ? »

Marina Carrère d’Encausse : « Pourquoi parle-t-on de sidération et de stress post-traumatique après un viol ? C’est une question aujourd’hui en forme d’erratum pour repréciser ce que nous vous avions dit lors du Allodocteurs consacré au viol. On vous avait montré une animation qui permet de comprendre pourquoi, après une agression sexuelle, la violence du traumatisme ne s’arrête pas. Pourquoi, c’est une véritable torture qui touche l’intimité de la personne. Tout ça, on le sait aujourd’hui, grâce aux travaux d’une psychiatre, le Dr. Muriel Salmona. »

Michel Cymes : « Alors sur le plan cérébral, dès le début d’une agression, notre système d’alarme que vous allez voir, l’amygdale, qui est chargée de décoder les émotions et les stimuli de menace, va s’activer. Elle va déclencher une cascade de réactions pour préparer notre fuite. Elle provoque entre autre la production par les glandes surrénales, que vous allez voir en jaune au-dessus du rein, des hormones du stress, vous connaissez, l’adrénaline, le cortisol. Résultat : tout l’organisme est sous tension, le flux sanguin, le rythme cardiaque, la respiration s’accélèrent et les muscles sont contractés, prêts à amorcer la fuite. »

L’amygdale cérébrale s’active

Marina Carrère d’Encausse : « Quand une victime est immobilisée par un agresseur, très vite, c’est la surchauffe. L’amygdale cérébrale s’affole, les centres nerveux au niveau du cortex censés analyser et modérer les réactions sont comme dépassés par les signaux d’alerte. Et c’est la panique totale. L’amygdale surchauffe et donc la victime est en état de sidération, comme paralysée. Du coup, elle ne peut plus se défendre, ni crier, ni même plus réagir, elle est comme paralysée. La victime est dans un état de stress extrême, dépassé. Elle sent qu’elle va mourir. »

Michel Cymes : « Alors pour éviter que le survoltage de cette amygdale ne provoque un arrêt cardiaque, le cerveau, vous allez le voir, déclenche une sorte de court-circuit en libérant des substances chimiques, de la morphine, de la kétamine, qui vont faire disjoncter le système d’alarme. L’amygdale est isolée, exactement comme un réacteur nucléaire fermé dans un coffrage. Résultat : la production d’hormones de stress est alors stoppée. »

L’amygdale cérébrale libère des substances chimiques,
de la morphine, de la kétamine pour faire disjoncter le système d’alarme
(court-circuit)

L’amygdale est isolée (disjonction)

Marina Carrère d’Encausse : « La victime est comme coupée du monde, déconnectée de ses émotions, et pourtant la violence continue, mais elle ne ressent presque plus rien, ce qui lui donne un sentiment d’irréalité totale. C’est ça qu’on appelle la dissociation. D’ailleurs, les victimes le disent : à un moment donné, elles ont l’impression d’être spectatrices de l’événement. »

Michel Cymes : « Oui, c’est cette dissociation qui permet de rester en vie. Mais ce système de sauvegarde fait aussi des dégâts. Isolée, anesthésiée par des décharges permanentes de morphine et de kétamine, cette amygdale n’évacue pas le traumatisme du viol vers une autre structure que vous voyez clignoter, l’hippocampe. Cette structure, c’est notre système de mémorisation et d’analyse des souvenirs. Ce qui fait que le moment du viol va resté piégé, en l’état, dans l’amygdale. Et à chaque flashback, c’est le souvenir du viol qui n’a pas été traité par le cerveau que va revivre la victime. C’est un moment extrêmement violent. Et c’est ce qu’on appelle le stress post-traumatique. »

L’amygdale isolée et l’hippocampe

La sidération, par la Dre Muriel Salmona (2013)

Dans un article du 23 août 2013 intitulé «Une victime de viol qui ne se débat pas, ça ne veut pas dire qu’elle consent », Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, s’indigne de la façon dont la sidération traumatique est utilisée contre les victimes pour mettre en doute leur crédibilité. En plus de la description du processus de la sidération, elle décrit aussi la parfaite connaissance que les violeurs ont de ce mécanisme psychique paralysant et la manière dont ils l’utilisent à 2 niveaux : pour piéger leurs victimes, puis pour inverser la situation en justice (la victime devient la coupable). Cet article synthétise si bien l’ensemble de cette problématique que je le retransmets intégralement :

« À toutes celles et ceux qui sont encore tenté-e-s de dire, ou de se dire en leur for intérieur, quand on leur rapporte un viol : « pourquoi n’a-t-elle pas crié, ne s’est-elle pas débattue, n’a-t-elle pas fui ? », « moi, à sa place, jamais je ne me serais laissé faire ! » ; et si la victime est un homme : « comment est-ce possible ? », Beverly Donofrio leur répond dans son excellent article « J’ai été violée à 55 ans et je n’ai pas crié« , sur Slate.fr.

Pourquoi ces personnes ont-elles de fausses croyances aussi tenaces ? Au mieux, elles n’ont pas beaucoup d’imagination et sont très mal informées sur la sidération traumatique, et, au pire, elles adhèrent au déni de la réalité des viols et aux stéréotypes sexistes, en sont complices et projettent la culpabilité sur la victime.

Le minimum serait déjà qu’elles se représentent le risque encouru par la victime face à un violeur armé ou non qui menace sa vie, à un violeur dont la détermination criminelle et la haine en font un individu extrêmement dangereux (les victimes décrivent presque toutes un regard de tueur qui les a tétanisées), à un violeur qui les nie, les chosifie, les humilie et veut jouir de leur détresse.

Beverly Donofrio nous le rappelle, lors d’un braquage, d’un cambriolage, la première recommandation que l’on fait est de ne surtout rien tenter, de se soumettre et d’obéir en raison des risques graves encourus.

Faudrait-il, pour laver une victime de viol de tout soupçon de consentement et de complicité, qu’elle soit grièvement blessée ou morte ? Les stéréotypes catastrophiques ont la vie bien dure…

Ensuite, ces personnes pourraient réfléchir à ce qui se passe dans la tête du violeur plutôt que de se focaliser sur la victime et sur ce qu’elle a fait ou n’a pas fait. Elles pourraient se rendre compte qu’il s’agit d’un prédateur qui, très rarement, agit de façon impulsive, mais qui, tel un chasseur, prémédite, organise sa traque, affûte ses stratégies et attend son heure.

Un état de sidération qui paralyse la victime

Les scénarios qu’il imagine font déjà partie de sa jouissance perverse. Et dans ses stratégies, il va élaborer des plans pour pouvoir commettre son crime dans les meilleures conditions, et faire en sorte que la victime ne puisse pas crier, ni se débattre ou fuir, et que personne ne puisse venir la secourir.

S’il connaît la victime (ce qui est le cas dans près de 80% des viols), il va organiser son impunité en lui imposant le silence, en la manipulant, en l’embrouillant, en faisant en sorte de créer chez elle des doutes et un sentiment de culpabilité et de honte.

Et contrairement au commun des mortels, et malheureusement de bien des professionnels censés prendre en charge les victimes, il [le violeur] sait très bien ce qu’est un état de sidération, qui paralyse la victime, car c’est ce qu’il cherche avant tout à mettre en place avec des stratégies très efficaces.

Ce serait donc la moindre des choses que tout le monde s’informe sur les conséquences et les mécanismes psychotraumatiques des violences, qui sont parfaitement connues et décrites depuis plus de 30 ans, et que tous les professionnels au contact des victimes soient formés à ces connaissances !

À commencer par le mécanisme de sidération qui paralyse l’activité corticale de la victime de viol et l’empêche de réagir. Cela éviterait pour les victimes beaucoup de questions injustifiées, empreintes des pires soupçons.

Une effraction qui balaie les représentations mentales

Le viol crée une effraction psychique et balaie toutes les représentations mentales, toutes les certitudes, le cortex se retrouve alors en panne (nous verrons que cette panne est visible sur les IRM). Il est dans l’incapacité d’analyser la situation et d’y réagir de façon adaptée. La victime est comme pétrifiée, elle ne peut pas crier, ni parler, ni organiser de façon rationnelle sa défense.

Pour sidérer une victime, il faut :

– soit la terroriser par la soudaineté et la brutalité de l’agression, la réduire à l’impuissance par des menaces de mort, par des violences physiques et par une volonté de destruction inexorable ;

– soit la paralyser par le non-sens, le caractère incongru, incompréhensible, impensable de l’agression et de sa mise en scène, qui est alors impossible à intégrer, comme dans les situations de viols incestueux et de viols commis par des personnes dans le cadre de leurs fonctions de responsabilité et d’autorité (comme des professeurs, des entraîneurs, des éducateurs, des responsables religieux, des soignants, etc.) pour les enfants et les adolescents (qui représentent, ne l’oublions pas, plus de la moitié des 150.000 des victimes de viol par an en France), ou pour les adultes dans le cadre de relations de confiance, de responsabilité, où la sécurité devrait normalement être assurée (amis, conjoint, médecins, kinés, collègues de travail, employeurs, policiers, etc.).

Les violences les plus sidérantes sont celles qui sont les plus « insensées », celles qui n’ont aucun sens par rapport au contexte, aucun sens par rapport à la victime, par rapport à son histoire, à ce qu’elle a fait ou pas, à ce qu’elle a dit ou pas. Le viol en fait partie. Cette violence impensable ne concerne pas la victime, c’est une violence qui vient d’une autre scène, celle de l’agresseur !

Ce dernier impose à la victime de jouer de force un rôle qui n’est pas le sien, dans un scénario inconnu d’elle, imprévisible, qui n’appartient qu’à l’agresseur et qu’il met en scène pour son propre compte.

Des troubles de la mémoire importants

Une patiente, violée par un inconnu entré par effraction avec une hache dans sa chambre d’hôtel, me rapportait qu’au bout de quelques minutes, alors qu’elle commençait à sortir de son état de sidération et cherchait autour d’elle un objet pour tenter d’assommer l’agresseur, celui-ci s’en était rendu compte, et il lui avait suffi de lui murmurer « je t’aime » et « tu aimes ça, hein ? » pour qu’elle retombe dans son état de sidération.

De plus, tant que le cortex est en panne, il ne peut pas contrôler la réponse émotionnelle, celle-ci continue alors de monter en puissance, l’organisme se retrouve rapidement en état de stress extrême avec des sécrétions de plus en plus importantes d’hormones de stress, adrénaline et cortisol qui deviennent rapidement toxiques pour le système cardio-vasculaire et le cerveau et représentent un risque vital pour l’organisme.

Pour y échapper, le cerveau (comme lors d’un survoltage dans un circuit électrique) va faire disjoncter le circuit responsable du stress, ce qui va avoir pour effet d’éteindre la réponse émotionnelle, mais aussi de déconnecter les fibres qui informent le cortex des émotions, entraînant une anesthésie émotionnelle et une dissociation (c’est-à-dire état de conscience altérée, un sentiment d’irréalité et d’être spectateur de la scène), et de déconnecter les fibres qui permettent la transformation de la mémoire émotionnelle non consciente en mémoire consciente autobiographique.

Cela va entraîner des troubles de la mémoire : amnésie partielle ou complète du traumatisme et mémoire traumatique, mémoire émotionnelle qui reste piégée, hypersensible, immuable, l’intensité des affects restant intacte, et qui peut « s’allumer » lors de situations, d’affects, de sensations sensorielles rappelant l’événement traumatique, envahissant alors la conscience et faisant de façon incontrôlable revivre à l’identique le viol avec la même détresse, les mêmes angoisses et entraînant la même sidération, le même survoltage et le même risque vital.

Un état de stress post-traumatique

Des expériences effectuées par des scientifiques américains [1] ont permis de mettre en évidence cette paralysie corticale sur des IRM encéphaliques fonctionnelles qu’ils ont faites à chaque fois à deux personnes, une qui a subi de graves violences et qui présente un état de stress post-traumatique, et une autre qui n’a pas subi de violence, ces IRM fonctionnelles permettent de visualiser les zones du cerveau qui s’activent.

Lors de l’examen, les chercheurs font écouter simultanément aux deux personnes un enregistrement avec d’abord un récit neutre, puis soudain un récit de violences extrêmes. Ce récit violent entraîne chez les deux personnes une réponse émotionnelle.

Chez la personne qui n’a pas de troubles psychotraumatiques, on voit sur l’IRM de nombreuses zones corticales s’activer pour répondre au stress déclenché par le récit ce qui permet d’analyser la situation (il ne s’agit que d’un récit) et de moduler et d’éteindre la réponse émotionnelle, la personne développe un discours intérieur qui lui permet de se calmer, et elle peut décider de se plaindre à la fin de l’examen.

En revanche, sur l’IRM de la personne traumatisée, lors du récit des violences on constate une absence d’activité des zones corticales concernant les prises de décision (le cortex frontal ne se colore pas) et une hyperactivation de la zone émotionnelle (amygdale cérébrale), la personne est sidérée, elle ne va pas pouvoir calmer la réponse émotionnelle que le récit a enclenchée.

Une sidération recherchée par l’agresseur

Cette sidération recherchée par l’agresseur est donc à l’origine de tous les troubles psychotraumatiques, en particulier une dissociation et une mémoire traumatique qu’il sera essentiel de traiter.

La dissociation qui anesthésie et déconnecte la victime, l’empêche d’avoir accès à ses émotions et permet à l’agresseur d’assurer encore plus son contrôle et son emprise et de lui imposer facilement son scénario culpabilisant (c’est de ta faute, tu m’as cherché, tu mérites ce que j’ai fait, tu aimes ça…) ou mystificateur (c’est parce que je t’aime, c’est normal, ce n’est pas grave…).

Il peut même parvenir à lui faire jouer un rôle, lui imposer des comportements qui seront ensuite autant de sources de culpabilisation et de honte pour elle, et d’éléments qui pourront lui être ensuite reprochés.

Le fait de n’avoir pas pu réagir, le sentiment d’irréalité, les troubles de la mémoire aggravent les doutes qui submergent la victime et l’empêchent de dénoncer le crime, de revendiquer ses droits (c’est grave, il n’avait pas le droit de me faire ça) et de se reconnaître comme victime. » (Salmona, 2013b)

Bibliographie

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L’amnésie traumatique, une mémoire déconnectée pour survivre à l’effroi

Les avancées en neurosciences et psychotraumatologie ouvrent aujourd’hui des perspectives intéressantes pour la reconnaissances des violences par la justice. Par exemple, il est probable que les traces des violences que l’on retrouve dans le cerveau et l’ADN des victimes (Kuhni, 2017), ainsi que les souvenirs d’une extraordinaire précision qui ressurgissent après une amnésie traumatique pourront dans un avenir proche servir à faire condamner en justice des agresseurs (violeurs, pédocriminels, etc.).

Sachant que ces agresseurs font rarement une seule victime, ces souvenirs parfaitement conservés et encapsulés momentanément par un processus de survie dans les amygdales cérébrales (mémoire traumatique) pourront sauver d’autres victimes potentielles. C’est pourquoi, même des années après l’agression, cette puissante mémoire qui ressurgit d’une amnésie traumatique peut être un précieux outil de survie et de changement pour la société toute entière.

Toutefois, pour que ces données soient reconnues par la justice comme preuves des agressions subies, il faut dans un premier temps que la loi change, que les délais de prescription soient allongés et surtout que les tribunaux cessent d’utiliser des théories sans aucun fondement scientifique telle la théorie des faux souvenirs pour décrédibiliser la parole des victimes. Pour cela, il faut que les juges et les expert-e-s soient solidement formé-e-s à la psychotraumatologie et aux processus de violence (phénomènes d’emprise, grooming, cycle de la violence, etc.).

Andrea Dworkin « Souvenez-vous, résistez, ne pliez pas »

La puissance de la résurgence des souvenirs après une amnésie traumatique pour changer la société me fait penser à la légendaire féministe Andrea Dworkin et à sa célèbre phrase :

« Souvenez-vous, résistez, ne pliez pas » (Dworkin, 2007)

Ces mots d’Andrea Dworkin nous disent à quel point le souvenir des agressions est un outil majeur pour mettre fin aux violences . Donc intéressons-nous à la parole courageuse des personnes qui sortent d’une amnésie traumatique, soyons solidaires avec elles pour faire reconnaître ces violences. Ces souvenirs très précis des agressions sont une clef vitale pour un réel changement de société.

Voici, résumé en quelques mots, le message d’où est tiré cette célèbre phrase « Souvenez-vous, résistez, ne pliez pas ». En 1995, à Toronto, Andrea Dworkin a livré devant une assemblée de femmes un message à l’occasion d’un colloque intitulé « The Future of Feminism ». Dans ce message d’une grande puissance, elle demande aux femmes de se souvenir, de résister et de ne pas plier face aux violences sexistes et à la domination masculine. Plus précisément, elle demande aux femmes de se souvenir des violences sexistes, des agresseurs et des victimes qui sont la plupart du temps oubliées ; de résister aux hommes et aux agresseurs ; de ne pas plier (ou céder) face à la domination masculine. Elle demande aux femmes de « briser le silence », de commencer à parler de tout ce qui a toujours été caché, occulté, parce que les femmes n’ont jamais eu la parole. Dans toute l’histoire de l’humanité, les femmes ont toujours été silenciées et tout a été décidé et fait sans elles. Elle demande aux femmes de ne pas oublier toutes ces femmes violées et tuées par les hommes et que cette mémoire serve de base à la résistance des femmes. (Tradfem, 2017)

Ce message d’Andrea Dworkin est d’une grande actualité, puisque le hashtag #metoo a précisément lancé une vague de résistance basée sur la parole des victimes et le souvenir des violences sexuelles.

Dans un autre texte célèbre intitulé « Je veux une trêve de 24 heures durant laquelle il n’y aura pas de viol », Andrea Dworkin exprime ces mêmes notions :

« Nous n’avons pas l’éternité devant nous. Certaines d’entre nous n’ont pas une semaine de plus ou un jour de plus à perdre pendant que vous discutez de ce qui pourra bien vous permettre de sortir dans la rue et de faire quelque chose. Nous sommes tout près de la mort. Toutes les femmes le sont. Et nous sommes tout près du viol et nous sommes tout près des coups. (…) Toutes les trois minutes une femme est violée. Toutes les dix-huit secondes une femme est battue par son conjoint. Il n’y a rien d’abstrait dans tout cela. Ça se passe maintenant, au moment même où je vous parle. (…) C’est fait ici et c’est fait maintenant et c’est fait par les gens dans cette salle aussi bien que par d’autres contemporains : nos amis, nos voisins, des gens que l’on connaît. (…) ce jour où pas une femme ne sera violée, nous commencerons la pratique réelle de l’égalité, parce que nous ne pouvons pas la commencer avant ce jour-là. Avant ce jour-là, elle ne veut rien dire parce qu’elle n’est rien ; elle n’est pas réelle ; elle n’est pas vraie. Mais ce jour-là, elle deviendra réelle. Et alors, plutôt que le viol, pour la première fois dans nos vies – tant les hommes que les femmes –, nous commencerons à faire l’expérience de la liberté. » (Tradfem, 2014b)

Dans autre texte intitulé « Terreur, torture et résistance », Andrea Dworkin invite à sortir de l’amnésie individuelle et sociétale qui permet aux agresseurs de poursuivre leur violences :

« Nous vivons sous un règne de terreur. Et ce que je vous dis aujourd’hui, c’est que je veux que nous cessions de trouver ça normal. Et la seule façon de cesser de trouver ça normal est de refuser d’être amnésiques chaque jour de nos vies. De nous rappeler ce que nous savons du monde dans lequel nous vivons. Et de nous lever chaque matin, décidées à faire quelque chose à ce sujet. » (Tradfem, 2014a)

Ces mots d’Andrea Dworkin sont des soutiens pour appréhender pleinement l’importance de la prise en compte des souvenirs d’une grande précision qui ressurgissent après une amnésie traumatique, car ces souvenirs sont un bienfait pour la société entière.

Mié Kohiyama

La journaliste franco-japonaise Mié Kohiyama milite pour que l’amnésie traumatique soit reconnue dans les procédures et que le délai de prescription soit allongé pour tenir compte de cette amnésie à laquelle sont confrontées un très grand nombre de victimes de violences (env. 40% des victimes).

Mié Kohiyama a été elle-même victime de viols à l’âge de 5 ans, avec une amnésie traumatique qui a duré 32 ans. Suite à la résurgence de ses souvenirs traumatiques, elle a écrit un livre sur ce thème : « Le petit vélo blanc » (B., 2015) avec le pseudo Cécile B. Cette journaliste utilise le terme de « mémoire «gelée dans le temps » » qui représente parfaitement ces souvenirs laissés tels quels, avec une précision absolue, comme s’ils avaient été enregistrés avec « une caméra à la main » (Kohiyama, 2017) et que, pour survivre à l’effroi glaçant causé par le viol, cet enregistrement a été figé, conservé par la glaciation du traumatisme depuis des années.

Pour faire connaître l’amnésie traumatique au plus grand nombre, Mié Kohiyama a créé une page Facebook sur laquelle on trouve de nombreux témoignages de victimes ayant été confrontées à une amnésie traumatique. Le nom de cette page est « moiaussiamnésie » (Moiaussiamnésie, 2017), sans doute en référence au hashtag #meetoo qui a permis la libération de la parole des victimes.

Dans une tribune publiée le 14 novembre 2017 dans Le Monde, Mié Kohiyama demande précisément à ce que la loi tienne compte du fait que le souvenir d’un traumatisme ressurgit souvent longtemps après le délai de prescription en raison de l’amnésie traumatique.

Voici le début de ce texte : « La récente actualité autour de l’animatrice Flavie Flament a remis sur le devant de la scène la question de l’amnésie traumatique, qui touche 40% des mineurs victimes de viols et peut durer plus de quarante ans, selon les travaux des psychologues Linda Meyer Wil­liams et Cathy Widom et l’enquête sur l’impact des violences sexuelles dans l’enfance de l’association Mémoire traumatique et victimologie.

Le mécanisme est désormais bien connu médicalement et scientifiquement, comme l’explique la psy­chiatre Muriel Salmona. « Il s’agit d’un mécanisme neurobiologique de sauvegarde bien documenté que le cerveau déclenche pour se protéger de la terreur et du stress extrême générés par les violences qui présentent un risque vital (cardio-vasculaire et neurologique). (…) Ce mécanisme fait disjoncter les circuits émotionnels et ceux de la mémoire, et entraîne des troubles dissociatifs et de la mémoire, responsables des amnésies et d’une mémoire traumatique. »

Il y a quatre ans, j’ai été l’une des pionnières à médiatiser ce sujet en France en menant la première procédure devant la Cour de cassation, aux côtés du bâtonnier Gilles-Jean Portejoie, pour demander une révision des délais de prescription, à la suite des viols dont j’ai été victime en 1977, soit il y a quarante ans. J’avais alors 5 ans.

C’est un cousin éloigné, âgé de 39 ans à l’époque, qui s’en est pris à l’enfant que j’étais, de façon particulièrement brutale. Mon cerveau a occulté les faits, qui ont ressurgi avec une violence inouïe en 2009 à la suite d’un choc émotionnel et d’une séance d’hypnose. Ces souvenirs ont explosé à ma conscience avec une précision « chirurgicale », comme si j’avais une caméra à la main et que je revivais les scènes dans ma chair.

Mémoire « gelée dans le temps »

Un mécanisme expliqué par le fait que la mémoire traumatique est comme « gelée dans le temps », contrairement à la mémoire autobiographique qui, elle, est plus [aléatoire, explique la docteure Salmona. « La mémoire traumatique est une mémoire émotionnelle (…)] » (Kohiyama, 2017)

Flavie Flament

L’animatrice de radio/TV et autrice Flavie Flament dont parle Mié Kohiyama dans sa tribune (Kohiyama, 2017) milite également pour l’allongement du délai de prescription des crimes sexuels commis sur des mineur.e-s.

Flavie Flament a elle-même été violée par un célèbre photographe à l’âge de 13 ans, avec une amnésie traumatique qui a duré 22 ans. En 2009, au cours d’une séance de psychothérapie, le souvenir du viol lui est brutalement revenu. En 2016, elle a publié un livre intitulé « La consolation » dans lequel elle parle de son histoire et du viol en alternant des passage à la 1ère personne et des passages à la 3ème personne, mais sans jamais citer de noms réels et en utilisant pour elle-même le surnom de « Poupette ».

Le 22 novembre 2016, Flavie Flament a été nommée par Laurence Rossignol (ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes) à la tête d’une mission gouvernementale de réflexion sur le prolongement du délai de prescription pour les viols. En avril 2017, cette mission a proposé de passer le délai de 20 à 30 ans dans les cas de crimes sexuels commis sur des mineurs.

Le 7 novembre 2017, Flavie Flament était avec Elise Lucet sur le plateau de C à vous (talk-show de France 5) pour présenter le reportage de France 5 intitulé « Viols sur mineurs : mon combat contre l’oubli » qui a été diffusé le 15 novembre 2017 (France 5, 2017). Au cours de cette émission, la journaliste qui présente le sujet se réjouit qu’il y ait enfin une étude scientifique du traumatisme. Elle précise qu’il y a 40 % des victimes qui ont une amnésie totale qui peut durer des années et que cette amnésie peut s’expliquer neurologiquement. S’en suivent des extraits du reportage de France 5. On y entend la neurologue et une voix off pour Flavie Flament : « Quand on a un stress continu avec finalement une production anormale de stress, d’hormone du stress, de cortisol, l’hippocampe va être la cible de ce cortisol. » (la neurologue), « Les vagues de stress émotionnel ont donc affecté mes hippocampes, bloqué mes souvenirs traumatiques, et provoqué mon amnésie. » (voix off), « Donc là, chez un sujet du même âge, on voit que la hauteur de l’hippocampe, ici, est normale, c’est-à-dire que la structure grise qui est l’hippocampe occupe toute la place. Alors que sur l’IRM de Flavie, on voit que cette même structure qui est ici n’occupe pas toute la place, toute la hauteur. Et à la place, on voit ce liseré noir qui est un liseré de liquide céphalo-rachidien. Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est la preuve d’une souffrance chronique matérialisée sur ces hippocampes. » (la neurologue). La journaliste termine le sujet en disant : « Donc grâce à cet IRM, on découvre les marqueurs de la souffrance, ce qui ouvre quand même des perspectives incroyables : déjà on sait que la violence a un impact sur le cerveau et sur le développement cérébral. »

Dans un article à propos de l’ADN et du cerveau (Kuhni, 2017), vous trouverez une transcription complète de cette partie du reportage « Viols sur mineurs : mon combat contre l’oubli » de France 5 dans laquelle Flavie Flament discute avec deux neurologues de ses IRM.

L’amnésie traumatique, un mécanisme neurologique de survie

« Ses souvenirs étaient « enfermés » en elle comme « à double tour ». Ces confidences, extraites du documentaire Viols sur mineurs : un combat contre l’oubli, diffusé mercredi 15 novembre sur France 5 – et écrit par l’animatrice Flavie Flament –, ont remis en lumière l’amnésie traumatique.

(…) L’amnésie traumatique décrit une période pendant laquelle une personne n’a pas conscience des violences qu’elle a subies. Le souvenir, enfoui dans le cerveau, est inaccessible à cause d’une dissociation qui s’opère au moment du traumatisme. A ce moment-là, « pour se protéger de la terreur et du stress extrême générés par les violences, le cerveau disjoncte et déconnecte avec les circuits émotionnels et ceux de la mémoire », explique Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie.

Le phénomène peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années. « C’est comme regarder un paysage montagneux dans un épais brouillard, on devine que quelque chose se cache derrière mais on ne sait pas quoi exactement », décrypte la psychiatre. C’est pourquoi, bien souvent, on constate chez les personnes atteintes d’amnésie traumatique une « sensation de vide », une « souffrance » :

« Elles ont l’impression d’avoir subi quelque chose sans savoir quoi. Elles n’ont pas véritablement oublié leur traumatisme mais émotionnellement, elles n’y ont pas accès à cause de la dissociation. »

La remontée brutale des souvenirs a généralement lieu quand la victime n’est plus exposée à son agresseur ou quand elle vit un changement radical, comme la perte d’un proche, une rencontre, une émigration ou un bouleversement émotionnel du type grossesse ou maladie. 

(…) Découverte au début du XXe siècle, l’amnésie traumatique a d’abord été décrite chez des soldats traumatisés qui ne se souvenaient plus des combats. Mais c’est chez les victimes de violences sexuelles dans l’enfance que l’on retrouve le plus d’amnésies traumatiques, « leur cerveau étant beaucoup plus vulnérable aux violences et au stress extrême ainsi qu’aux traumatismes qu’elles entraînent », précise Muriel Salmona.

Le phénomène peut également toucher des personnes ayant subi dans l’enfance un traumatisme comme la mort d’un proche, ou encore des victimes d’attentat, comme le décrit Mme Salmona (…)

Dans une enquête réalisée en 2015 par le collectif Stop au déni auprès de 1 214 victimes de violences sexuelles, 37 % des victimes mineures ont rapporté des périodes d’amnésies traumatiques qui ont duré jusqu’à quarante ans, et même plus longtemps dans 1 % des cas. Elles ont duré entre vingt et un et quarante ans pour 11 % d’entre elles, entre six et vingt ans pour 29 % et moins de un an à cinq ans pour 42 %.

C’est au regard de ces résultats que plusieurs associations de victimes, telles que Mémoire traumatique et victimologie, ont fait campagne pour que les délais de prescription en cas de viol ou d’agression sexuelle, jugés « inadaptés », soient allongés.

Ainsi, en 2016, Laurence Rossignol, alors ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, confie une mission sur le viol et les délais de prescription au magistrat Jacques Calmettes et à l’animatrice Flavie Flament, violée à l’âge de 13 ans par le photographe David Hamilton et victime d’une amnésie traumatique qu’elle a racontée dans un livre, La Consolation. » (Alouti, 2017b)

Dans le texte qui suit, Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie donne une explication très claire et synthétique de l’ensemble du processus neurologique enclenché pour survivre à une situation de violence extrême, processus qui peut précisément produire une amnésie traumatique dans environ 40 % des cas, selon l’étude précitée : «  « La violence génère un état de sidération des fonctions supérieures du cerveau (cortex frontal et hippocampe) qui, en empêchant le contrôle et la modulation de la réponse émotionnelle, entraîne un stress dépassé avec des sécrétions non contrôlées d’hormones de stress (adrénaline et cortisol) qui représente un risque vital cardiologique et neurologique. Pour échapper à ce risque, le cerveau met en place un mécanisme de sauvegarde neurobiologique avec une production d’un cocktail de drogues assimilables à de la morphine et de la kétamine, qui fait disjoncter le circuit émotionnel. Cette disjonction isole la petite structure sous-corticale responsable de la réponse émotionnelle (l’amygdale cérébrale) et stoppe la sécrétion d’adrénaline et de cortisol par les surrénales, ce qui évite le risque vital mais crée un état de dissociation traumatique avec anesthésie émotionnelle du fait de l’interruption du circuit émotionnel, et une mémoire traumatique du fait de l’interruption du circuit d’intégration de la mémoire. Cette mémoire traumatique est une mémoire émotionnelle qui n’a pas été intégrée par l’hippocampe pour la transformer en mémoire autobiographique. Elle n’est pas consciente et elle contient, de façon indifférenciée, les violences, leurs contextes, les ressentis, les cris, les paroles de la victime et de l’agresseur. Au moindre lien rappelant les violences, elle est susceptible d’envahir le psychisme de la victime, et de lui faire revivre tout ou partie de ce qu’elle a subi, comme une machine infernale à remonter le temps. C’est une torture, elle transforme l’espace psychique de la victime en un terrain miné. » » (Apprendre à éduquer, 2017)

Mémoire, survie et pathologie, guérison

L’une des fonctions vitales de la mémoire est de nous protéger des dangers en conservant le souvenir des situations dans lesquelles un danger est apparu. Cette mémoire de survie permet d’éviter de se confronter à nouveau à des situations similaires (prévention), ou du moins, de se préparer à réagir si elles réapparaissent (action).

Toutefois, grâce à la psychotraumatologie et aux neurosciences, on sait aujourd’hui que pour préserver la vie d’une personne confrontée à une situation d’effroi (viols, tentatives de meurtre, attentats, par exemple) et par conséquent à un risque vital au niveau cardiologique et neurologique, des mécanismes neurologiques de survie vont bloquer l’événement traumatique dans l’amygdale cérébrale sous la forme d’une mémoire traumatique qui ne sera pas accessible consciemment. Autrement dit, pour permettre à la personne d’échapper à une mort cardiaque ou neurologique, une porte se ferme dans l’amygdale cérébrale (mémoire émotive, inconsciente, non encore traitée) pour empêcher l’information d’aller normalement vers l’hippocampe qui est chargé de la transformer en mémoire autobiographique (mémoire consciente).

Amygdale cérébrale

Hippocampe

Mais cette mémoire déconnectée est toujours accessible aux processus inconscients, afin de permettre à la victime d’assurer sa survie en développant des stratégies de protection, même sans avoir le souvenir conscient de la situation d’effroi. L’amnésie traumatique constitue donc un mécanisme extrêmement élaboré de l’organisme pour lui permettre de survivre à un trauma très violent. Il est probable, comme nous le verrons ci-après, que plus l’émotion est forte (effraction psychique) et plus l’atteinte au corps est violente (effraction corporelle), plus l’événement s’inscrira de façon extrêmement précise dans la mémoire, avec le moindre détail de ce que la victime a perçu au moment de l’agression. C’est sans doute la raison pour laquelle, lorsque la mémoire de l’événement traumatique ressurgi, par flash-backs, par exemple, cette mémoire est d’une précision impressionnante, avec des détails très précis (par exemple, les motifs de la tapisserie que la victime voyait pendant le viol, etc.).

C’est en général la mise en sécurité et la fin définitive de la situation d’agression (mort de l’agresseur, etc.) ou le contact avec un événement similaire qui vont la plupart du temps permettre de réveiller cette mémoire brutalement et recréer l’espace d’un instant la connexion avec cette mémoire. Par exemple, j’accompagnais en thérapie depuis quelques mois une jeune femme qui m’avait consultée pour des crises de tétanie foudroyantes. Lorsque cette jeune femme s’est trouvée pour la première fois à faire une fellation à un homme avec lequel elle se sentait en confiance, en sécurité, les souvenir d’un viol qu’elle a subi à l’âge de 5 ans ont ressurgi brutalement. Il s’agissait précisément d’une fellation et l’agresseur était son oncle. Elle a revu la scène de façon très précise, le sexe de son oncle, la chambre à coucher de son oncle, etc. Comme cette jeune femme était en thérapie, nous avons immédiatement travaillé sur ce viol et peu après, les crises de tétanie ont cessé.

Hippocampe et amygdale

Toutefois, malgré l’efficacité de ce mécanisme de survie, avec le temps, cette mémoire traumatique, ce contenu inconscient encapsulé dans l’amygdale cérébrale va la plupart du temps créer une forte anxiété, une forte tension, avec le risque de créer des troubles psychiques et physiques souvent sévères, et ceci pendant des années, voire toute une vie si aucun traitement n’est fait. C’est la raison pour laquelle, il faut absolument et le plus rapidement possible traiter cette mémoire traumatique. La psychothérapie va permettre à la personne de réaccéder ces matériaux psychiques dans un environnement sécurisant et de les remettre en circulation. Ce travail autour de la mémoire traumatique doit se faire dans des conditions ultra-sécures, avec beaucoup de bienveillance, une grande prudence, et, surtout, un grand professionnalisme, c’est-à-dire avec des professionnel-le-s formé-e-s et expérimentée-s. Ainsi, peu à peu, cette mémoire déconnectée va pouvoir émerger en toute sécurité à la conscience parce que la personne aura pris pleinement conscience qu’elle n’est plus en danger, qu’elle n’est plus une enfant ou une personne vulnérable (face à un viol, un attentat, etc,) et qu’elle a les ressources pour contacter corporellement et émotionnellement ce contenu traumatique, cet événement effroyable qu’elle avait du mettre de côté pour survivre. La mémoire traumatique (enfermée dans l’amygdale cérébrale) va ainsi être libérée et pouvoir enfin prendre le circuit cérébral normal vers la transformation en mémoire autobiographique (travail de l’hippocampe).

Fosse postérieure du cerveau

Mémoire, émotions et mouvement

Les neurosciences ont évolué rapidement depuis quelques décennies, mais n’en sont sans doute qu’au début de leurs découvertes dans le domaine fascinant et complexe de la mémoire. « (…) les scientifiques commencent à peine à comprendre comment fonctionne la mécanique des souvenirs. » (Molga, 2017). « « Plus la recherche en neurosciences avance, plus on comprend que de nombreux centres cérébraux sont impliqués dans la mémoire, (…) On suppose que les multiples aspects d’un souvenir sont stockés à différents endroits. À un endroit, il va y avoir la composante émotionnelle, à un autre la composante sensorielle, à un troisième l’aspect factuel… » » (Dufour, 2017)

Une corrélation entre puissance d’impression de la mémoire et puissance des émotions a été observée depuis fort longtemps, ce qui expliquerait la précision chirurgicale des souvenirs ressurgissant de la mémoire traumatique suite à une amnésie traumatique, ou, plus largement, des souvenirs très nets des personnes ayant vécu un trauma sans pour autant déclencher une amnésie traumatique.

«  (…) plus la charge émotionnelle associée au souvenir est forte, mieux on s’en souvient. « À Toulouse, la plupart des gens savent ce qu’ils faisaient lors de l’explosion de l’usine AZF, même s’ils n’étaient pas en train de faire attention à leurs activités » (…). » (Dufour, 2017)

Mieux encore, en 2016, une étude a constaté qu’une personne exposée à des émotions fortes imprime mieux dans sa mémoire les événements qui suivent, même s’ils n’ont pas créé d’émotion particulière pour elle (Actu Santé, 2016). Autrement dit, les émotions fortes semblent augmenter la capacité à mémoriser, et ceci même au-delà de l’instant fortement émotionnel.

Une hypothèse couramment admise au début des années 90 a été que la mémoire ne s’imprime que s’il y a suffisamment d’émotion. « Une expérience ne peut être mémorisée que lorsqu’une émotion suffisante est suscitée » (Ginger, 1995, p. 97). Cette hypothèse s’est appuyée sur les connaissances de l’époque des neurosciences, notamment par le fait que la mémoire et les émotions sont traitées par la même zone du cerveau : le système limbique (zone logée en profondeur au centre du cerveau).

« Terme introduit par Paul MacLean en 1952, le système limbique fut longtemps considéré comme le siège des émotions (agressivité, peur, plaisir, colère). Mc Lean proposa que le cerveau était composé de trois parties : le cerveau reptilien, le système limbique et le néocortex. » (Neuromedia, 2017).

Le système limbique fut d’ailleurs surnommé le « cerveau émotionnel », dénomination utilisée par exemple par le neuropsychiatre et chercheur David Servan-Schreiber (Psychologies, 2003), fondateur de l’Institut français d’EMDR et de l’association EMDR-France. Notons au passage que le système limbique contient précisément l’hippocampe (rôle central dans les processus de mémorisation / mémoire épisodique ou autobiographique) et l’amygdale cérébrale (rôle central dans la gestion des émotions / mémoire émotive) dont nous découvrons depuis quelques années le rôle essentiel en psychotraumatologie.

Une autre hypothèse a été que la mémoire s’imprime plus fortement lorsqu’il y a du mouvement. Cette hypothèse s’est également appuyée sur les neurosciences de l’époque, notamment par le fait que l’hémisphère cérébral droit est majoritairement émotionnel, corporel, intuitif, visio-spatial (images et espace), alors que l’hémisphère cérébral gauche est majoritairement verbal, rationnel, analytique. Autrement dit, l’hémisphère cérébral droit prend en charge à la fois les émotions et l’espace (Ginger, 1992, p. 321), en tant que navigation spatiale (sens spatial, orientation, etc.). Partant de là, il n’est pas incohérent d’imaginer que le mouvement puisse avoir un impact identique à celui des émotions sur les processus de mémorisation. Et c’est effectivement ce qui a été observé dans les processus d’apprentissage, sachant que l’hémisphère gauche gère également les apprentissages.

« C’est en effet l’hémisphère droit qui gère – avec son approche globale – la nouveauté et tous les apprentissages, comme l’explique Elkhonon Goldberg (In Prodiges du cerveau – Robert Laffont, 2007), professeur de neurologie à l’école de médecine de l’université de New York, aux États-Unis. Toutes les informations nouvelles passent donc par l’hémisphère droit, le gauche servant au stockage et à l’organisation plus précise et systématique de nos savoirs. » (Psychologies, 2008)

En partant des hypothèses d’une mémorisation favorisée par émotion et mouvement, il n’y aurait donc rien de plus inefficace pour la mémorisation qu’un-e élève passif-ve (assis à un pupitre, par exemple) face à un-e professeur-e incapable de mobiliser de l’émotion chez ses élèves. Depuis, les données en neurosciences ont servi à étayer progressivement les hypothèses des sciences cognitives, ainsi que les méthodes de pédagogie active dans laquelle les élèves/étudiant-e-s participent activement (Pelvillain, 2015). Les thérapies dites « psycho-corporelles » et « psycho-émotionnelles » se sont pour la plupart développées avant que les neurosciences n’apportent ce premier éclairage. En revanche, les thérapeutes intéressé-e-s par les neurosciences y ont sans doute vu une confirmation de l’intérêt d’un travail thérapeutique corporel et émotionnel (Ginger, 1992, pp. 297-324).

Instrumentalisation sexiste des neurosciences

La découverte des neurosciences concernant les hémisphères cérébraux a malheureusement été aussitôt genrée de façon bien patriarcale en attribuant des valeurs féminines et masculines aux cerveaux gauche et droit. Par exemple, certain-e-s ont prétendu que les femmes fonctionneraient majoritairement avec le cerveau gauche (de façon logique, rationnelle, verbale, non émotive, etc.) et les hommes fonctionneraient majoritairement avec le cerveau droit (de façon émotive, non verbale, créative, imaginative, spatiale, etc.) (Ginger, 1992, pp. 322-324).

Cette manière de genrer le cerveau ne sert qu’à aggraver les inégalités et des discriminations pour les femmes et les filles, alors que l’on trouve autant de représentant-e-s de chaque sexe dans les différentes spécificités. Ces stéréotypes de genre ont même souvent inversé la situation puisque les hommes parlent plus que les femmes. Or, ces pseudo-scientifiques ont attribué le fait de parler beaucoup aux femmes, ce qui est un comble alors qu’elles ne peuvent souvent pas s’exprimer et que leur parole est sans cesse coupée par celle des hommes.

Système limbique, hippocampe, amygdale et cortex préfrontal

Pour celles et ceux que cela intéresse, voici quelques très brèves explications concernant les parties et structures du cerveau dont parle cet article.

Système limbique

Source : Mémoire Traumatique et Victimologie

Situé dans le système limbique qui est un groupe de structures de l’encéphale, l’hippocampe (structure du cerveau) joue un rôle essentiel dans l’acquisition des connaissances et la gestion de la mémoire autobiographique « Hippocampe : contrôle de l’humeur, mémorisation, concentration, acquisition de connaissance (…) L’hippocampe participe à des fonctions aussi essentielles à la vie relationnelle que la régulation de l’humeur, l’acquisition des connaissances et de façon plus générale, à l’adaptation d’un individu à son environnement. »  (Neuroplasticité, 2016)

Également logée dans le système limbique, l’amygdale cérébrale (structure du cerveau) joue un rôle essentiel dans toutes les situations de stress et la gestion des émotions. « Amygdale : gestion des émotions, réactions de peur, anxiété, agressivité (…) Structure en forme d’amande située près de l’hippocampe, l’amygdale joue un rôle essentiel dans la gestion de nos émotions et en particuliers nos réactions de peur et d’anxiété. Siège de nos émotions les plus primitives, l’amygdale reçoit des afférences directes de différentes modalités sensorielles et se projette sur de nombreuses régions cérébrales, comme l’hippocampe ou l’hypothalamus. L’action amygdalienne a donc un rôle de survie car c’est elle qui nous fait réagir en une fraction de seconde à la suite d’un stimulus menaçant. L’amygdale a également un rôle important dans la reconnaissance des émotions. » (Neuroplasticité, 2016)

Quant au cortex préfrontal qui est la partie antérieure du cortex du lobe frontal du cerveau, il prend en charge le mental, le rationnel et la mémoire à court terme : « Cortex préfrontal : mémoire à court terme, prise de décision, prise d’initiative (…) A l’inverse des structures du système limbique qui dominent notre comportement lié aux émotions, le cortex préfrontal est en charge de notre capacité d’adaptation. C’est le cerveau de l’intelligence, de l’esprit d’initiative, de la prise de décision, du sang-froid. » (Neuroplasticité, 2016)

Cortex préfrontal

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