En ce qui concerne la prise en charge des victimes de violence, la Gestalt-thérapie est une psychothérapie particulièrement efficace pour traiter les troubles psychotraumatiques résultant de traumatismes simples (trauma unique) ou de traumatismes complexes (traumas répétés et lien avec l’agresseur).
La pertinence de la Gestalt-thérapie pour traiter des troubles psychotraumatiques est due au fait que cette psychothérapie est centrée sur la relation, l’expérience présente et la conscience immédiate ou awareness (notamment l’awareness émotionnelle et corporelle). Se reporter à la page Gestalt-thérapie pour plus de précisions sur cette méthode psychothérapeutique.
Les psychothérapies relationnelles et émotionnelles/corporelles comme la Gestalt-thérapie sont particulièrement indiquées dans le cas de troubles psychotraumatiques causés par des agressions répétées avec lien avec l’agresseur (traumatismes complexes ou traumatismes de type 2) qui sont les traumas dont le traitement est le plus long et difficile.
Le travail psychothérapeutique gestaltiste va permettre à la personne confrontée à des troubles psychotraumatiques complexes d’expérimenter une relation saine et sécure où elle peut se positionner, accéder à ses propres désirs, prendre ses propres décisions et construire ses propres représentations : « (…) porter une grande attention au moment présent, ce qui veut dire que dans une séance thérapeutique, l’observation des modifications de la frontière-contact entre le thérapeute et le patient prend une importance primordiale. C’est dans ces moments-là que les deux sont à même d’apprendre exactement où et comment le contact est perturbé. » (Perls, Hefferline et Goodman, 2001, pp. 28-29).
Toutefois, seuls les praticien-ne-s en psychothérapie ayant de solides connaissances en psychotraumatologie devraient prendre en charge des victimes de traumas. C’est la condition sine qua non pour éviter toute revictimisation ou traitement inadéquat voire iatrogène (pathologie engendrée par le traitement lui-même).
« La méconnaissance par le corps médical des conséquences psychotraumatiques des violences et des mécanismes neurobiologiques en jeu, fait que les symptômes présentés par les victimes ne sont presque jamais reliés aux violences. Les professionnels des secteurs du social et de la santé posent encore bien trop rarement la question des violences subies, particulièrement sexuelles. De ce fait leurs conséquences psychotraumatiques ne seront que très rarement dépistées, les symptômes et les signes de souffrance qui en sont la traduction seront minimisés ou banalisés et mis sur le compte de l’âge (comme les troubles de la conduite et du comportement des adolescents), du sexe féminin (hystérie), ou bien à l’inverse dramatisés et étiquetés psychose maniaco-dépressive ou schizophrénie (comme les manifestations de la mémoire traumatique confondus avec des troubles hallucinatoires, ou les troubles dissociatifs post-traumatiques) et traités abusivement comme tels. » (Salmona, 2013b, p. 53)
De solides connaissances en matière d’aide aux victimes (structures d’accueil, lois, mesures de protection, etc.) me paraissent également indispensables pour accompagner des victimes de violences, afin d’assurer leur sécurité et de leur donner toutes les chances de se reconstruire.
En ce qui concerne la violence conjugale, les praticien-ne-s en psychothérapie devraient avoir une parfaite connaissance des processus de violence, par exemple le cycle de la violence conjugale qui définit très clairement la stratégie des agresseurs. Connaître ces processus est indispensable pour aider les victimes à sortir de l’emprise et décrypter la situation correctement sans tomber dans le piège de l’inversion qui est l’un des stratagèmes que les agresseurs mettent systématiquement en place afin de faire passer la victime pour l’agresseur. D’autant plus que les victimes de violences conjugales sont rarement des personnes qui attirent la sympathie, car elles sont souvent totalement détruites et paraissent agressives, étranges, peu cohérentes, confuses voire folles. Alors que les agresseurs ont souvent beaucoup de charismes et savent attirer la sympathie (manipulation, perversion). Le décryptage de ces comportements demande donc de grandes compétences en la matière de la part des praticien-ne-s qui prennent en charge ces personnes en psychothérapie, notamment en ce qui concerne leur contre-transfert (résonances personnelles chez les praticien-ne-s) qui risque de les faire s’acharner sur la victime et soutenir corps et âme l’agresseur puisque ce dernier sait provoquer ce genre d’affect chez autrui, même chez les professionnel-le-s. Le surinvestissement des praticien-ne-s pour l’un des partenaires du couple est d’ailleurs le signe d’un puissant contre-transfert créé par l’agresseur. Dans ce cas, ces professionnel-le-s doivent absolument aller en supervision avec un-e superviseur-e qui connaît parfaitement le domaine et qui ne tombe pas, lui non plus, dans le piège de l’agresseur, sinon cela fait « boule de neige » : tout le système va s’acharner contre la victime et devenir le bras armé de l’agresseur (violence institutionnelle qui s’ajoute à la violence conjugale).
Cycle de la violence conjugale
Pour les traumatismes complexes (violences conjugales, inceste, etc.), une grande partie de la psychothérapie consiste à aider la victime à se défaire de l’emprise de l’agresseur : « Déconstruire l’emprise et restaurer la personnalité de la victime est un des buts essentiels de la psychothérapie, cela passe par une mise en sécurité la victime et par le traitement de ses troubles psychotraumatiques et plus particulièrement de sa mémoire traumatique et de ses troubles dissociatifs. » (Salmona, 2015, p. 237). Une partie centrale de la thérapie a également été « la compréhension des mécanismes à l’œuvre dans la production des symptômes traumatiques, et l’identification des violences et de la stratégie de son agresseur » (Salmona, 2015, p. 237). Les outils gestaltistes sont particulièrement efficaces pour réaliser ce travail.
Une part de l’emprise peut aussi provenir de conduites dissociantes de survie. En effet, par un mécanisme neuro-biologique de survie, ces conduites dissociantes peuvent permettre à la victime de se redissocier et de retrouver ainsi un état d’anesthésie émotionnelle et physique, mais avec la conséquence dramatique de la ramener vers son agresseur : « elles [les victimes de violence conjugale] peuvent paradoxalement se sentir « mieux » (en fait plus dissociées et anesthésiées, voir hypnotisées) avec leur conjoint violent que séparées de lui et penser à tort qu’elles l’ont dans la peau, qu’elles l’aiment, alors qu’elles sont en fait tellement terrorisées avec lui qu’un seul regard suffit à les dissocier et à les anesthésier. Se remettre avec un agresseur c’est échapper à sa mémoire traumatique par dissociation en se mettant en danger » (Salmona, 2015, p. 246). Le travail psychothérapeutique consistera à aider la victime à prendre conscience de l’existence d’éventuelles conduites dissociantes, puis à sortir progressivement de l’anesthésie affective/corporelle et prendre ainsi pleinement conscience de la violence qu’elle subit, ce qui va lui permettre peu à peu de quitter définitivement l’agresseur. Tant que ce travail de désamorçage des conduites dissociantes de survie n’est pas fait, la victime retournera toujours vers l’agresseur. Donc si les victimes retournent vers leur agresseur, elles n’y peuvent strictement rien (c’est une conséquence de la violence). Elles ont tout simplement besoin de soins adéquats, avec des professionnel-le-s bien formé-e-s en psychotraumatologie, pour traiter ces conduites dissociantes. Dans ce cas-là, les outils gestaltistes sont également particulièrement appropriés.
Références bibliographiques
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