STOP AU DÉNI : les séquelles à l’âge adulte des violences sexuelles faites aux enfants

Le 2 mars 2015, la Dresse Muriel Salmona était invitée dans l’émission Les Maternelles sur France 5 pour parler de l’enquête STOP AU DÉNI.

Cette excellente interview donne une synthèse facilement abordable des principaux points de l’étude STOP AU DÉNI.

L’interview est retranscrite dans son intégralité plus loin dans cet article.

La Dresse Muriel Salmona parle notamment de la fameuse mémoire traumatique qui est une « véritable torture » pour les victimes de violences sexuelles, car elle leur fait « revivre à l’identique » les violences, la douleur, la terreur, etc.

Ces traumatismes laissent des traces dans le cerveau (comme des fractures, des blessures) visibles sur les IRM.

C’est la psychothérapie qui permet de soigner ces traumatismes. Les médicaments ne sont que des béquilles qui soulagent, anesthésient la douleur (donc fondamental pour aider les victimes), mais ne guérissent pas.

L’enquête STOP AU DÉNI

STOP AU DÉNI est une grande enquête sur les violences sexuelles publiée le 1er mars 2015 par l’association Mémoire traumatique et victimologie (dont la Dresse Muriel Salmona est la présidente) et soutenue par Unicef France dans le cadre de la campagne internationale ‪#‎ENDViolence.

La publication de l’enquête STOP AU DÉNI a créé un choc et fait grand bruit, puisqu’elle a révélé que l’immense majorité des victimes de violences sexuelles sont des enfants (1 victime sur 5 avant 6 ans et 1 victime sur 2 avant 11 ans) et que les agresseurs sont en grand majorité des hommes proches des enfants.

L’enquête a révélé les conséquences désastreuses sur la santé mentale et physique des victimes, ainsi que les possibilités de soins tout à fait efficaces qui existent mais sont rarement accessibles aux victimes en raison de la loi du silence qui règne dans ce domaine et du manque de formation des professionnels (psychiatres, médecins, psychologue, etc.) qui ne font pas de lien entre les pathologies des personnes et de possibles violences, notamment dans l’enfance.

Voici un article avec plus d’informations sur cette enquête et de nombreux liens : Les violences sexuelles faites aux enfants : STOP AU DÉNI

Transcription interview du 2 mars 2015 de Muriel Salmona (Les Maternelles)

Voici la vidéo de l’interview (environ 12 minutes) : Dr Muriel Salmona – Violences sexuelles : quelles séquelles à l’âge adulte ?

Dresse Muriel Salmona, psychiatre, psychothérapeute, victimologue et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie

Muriel Salmona - France 5 (Stop au déni)

(capture d’écran de l’interview)

Transcription complète de la vidéo :

« Intro de l’émission (0.00 à 0.24)

La journaliste : nous accueillons aujourd’hui le Dr. Muriel Salmona. Bienvenue à vous sur notre plateau.

Muriel Salmona : merci beaucoup.

La journaliste : alors je vais vous présenter. Vous êtes psychothérapeute et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie et vous avez mené en partenariat avec l’Unicef une étude sur les victimes de violences sexuelles qui paraît ce matin-même.

Merci beaucoup de nous donner la primeur de cette enquête.

Alors cette enquête a été menée auprès de plus de 1’200 victimes de violences sexuelles, dont 95 % de femmes, pour évaluer l’impact et la prise en charge de ces violences sexuelles.

C’est une grande première en France, parce que jusqu’à présent il existait des études, mais qui avaient été menées auprès de professionnels et finalement, on n’avait jamais donné la parole aux victimes.

Pour vous, il était nécessaire, justement, de faire parler ces victimes ?

Muriel Salmona : oui, c’est essentiel, parce que la loi du silence, le déni, s’imposent à elles. C’était une façon de leur donner la parole et de leur permettre à la fois de témoigner sur les violences qu’elles avaient subies et de témoigner de leur parcours, de ce qui s’était passé, de toutes les maltraitances qu’elles avaient aussi pu vivre, la non-reconnaissance.

C’est à tel point que l’on a été étonné du nombre de personnes qui ont répondu à ce questionnaire, parce que c’est un questionnaire de plus de 180 questions, avec plus de 1’200 personnes. Et avec de longs témoignages, parce qu’il y avait beaucoup de questions ouvertes.

La journaliste : ça veut dire que ces victimes avaient besoin d’être entendues et besoin de parler.

Muriel Salmona : oui.

La journaliste : vous cherchez notamment avec cette étude à évaluer l’impact à l’âge adulte des violences sexuelles subies durant l’enfance. On va y revenir, on va voir que les conséquences peuvent être multiples, que ce soit psychologiquement, physiquement et même, évidemment, socialement.

En tout cas, vous poussez un cri d’alarme, car vous dites qu’on est face à un problème de santé publique qu’on ignore.

C’est-à-dire ? On ne les entend pas ces victimes ?

Muriel Salmona : oui, on ne les entend pas. L’immense majorité reste seule, abandonnée, sans prise en charge, sans reconnaissance, sans non plus …

Autre journaliste : d’accompagnement.

Muriel Salmona : oui, sans avoir accès à la justice. Et avec de très lourds symptômes. Avoir subi des violences dans l’enfance, ça peut être vraiment le déterminant principal de la santé, même cinquante ans après, si aucune prise en charge n’est faite.

La journaliste : comment vous expliquez ça, qu’on les laisse de côté ou qu’elles se laissent elles-mêmes de côté, ces victimes ?

Muriel Salmona : elles ne se laissent pas de côté. Elles tirent la sonnette d’alarme, le plus souvent, mais personne ne fait de liens entre leurs symptômes et les violences qu’elles ont subies. On ne leur pose pas la question de savoir qu’est-ce qu’elles ont subi. Il y a vraiment une loi du silence. On ne veut pas savoir, le plus souvent.

Et même si elles parlent, les symptômes qu’elles présentent, qui sont des symptômes typiques, qui sont vraiment les symptômes, les conséquences psychotraumatiques, ne sont pas du tout reliés aux violences.

La journaliste : on ne fait pas le lien.

Muriel Salmona : on ne fait pas le lien…

Autre journaliste : surtout quand elles apparaissent si loin derrière, à l’occasion d’une naissance, par exemple, qu’elles sont déjà engagé dans la vie professionnelle…

Muriel Salmona : oui. Et puis des symptômes très importants, avec un impact non seulement sur la santé mentale – c’est l’impact psychotraumatique – mais aussi sur la santé physique, avec de lourdes conséquences qui peuvent aller de conséquences cardiovasculaires, pulmonaires, gynécologiques, endocriniennes, immunitaires… Et si on ne fait rien, ces conséquences s’aggravent.

Alors que les soins sont efficaces. Et c’est ça qui est d’autant plus terrible.

La journaliste : rageant ?

Muriel Salmona : rageant, révoltant et scandaleux. Les soins sont efficaces.

Même les atteintes neurologiques qui sont produites par le stress extrême lors des violences, ces atteintes neurologiques vont régresser. Il y a une neuroplasticité du cerveau qui permet de récupérer par rapport à des atteintes que maintenant on connaît bien et qu’on peut voir sur des IRM.

La journaliste : par contre, il faut les prendre à temps. En tout cas, il faut les prendre en charge à un moment donné.

Muriel Salmona : il faut les prendre en charge à un moment donné. On peut les prendre même assez tard, mais c’est dommage, parce que … quel gâchis !

Les personnes ont été abandonnées, à souffrir, à avoir des risques suicidaires très importants, une souffrance mentale terrible…

La journaliste : ce qui est très impressionnant dans cette étude, un des résultats les plus marquants, ça concerne l’âge au moment des premiers sévices sexuels.

Il y a 81% des victimes qui ont été agressées avant 18 ans. Et parmi elles, 1 personne sur 5, avant l’âge de 6 ans. C’est extrêmement choquant. C’est terrible, ce chiffre.

Est-ce que vous, ça vous a choquée ? Ou pas plus que ça ?

Muriel Salmona : on savait que la majorité des violences sexuelles avaient lieu sur les enfants. C’est souvent très peu dit. On parle souvent des femmes adultes, par exemple, qui subissent des viols. Mais c’est rare qu’on entende que ce sont les enfants, les moins de 18 ans, qui subissent le plus de viols.

Mais on a été étonné par ces chiffres. Et c’est pour ça que l’Unicef nous a soutenus, par rapport à sa campagne mondiale #ENDViolence, pour nous permettre de pouvoir lancer ce cri d’alarme sur le fait… c’est effarant …c’est même pas parmi les 81% … c’est que dans 1 cas de violences sexuelles sur 2, c’est avant 11 ans que cela se produit.

La journaliste : c’est vraiment s’attaquer aux plus faibles.

Autre journaliste : dans l’étude, vous précisez des chiffres, effectivement, dont on avait déjà entendu parler. A savoir que ces viols, ces incestes, se passent essentiellement – à 94% – au sein même des familles. On sait malheureusement, par des membres de la famille, dans un peu plus de la moitié des cas – 52%.

Et puis il y a quelque chose qui est surprenant, qu’on découvre dans cette enquête, c’est que dans 1 cas sur 4, l’agresseur est mineur [donc 3 cas sur 4 – 75% – il s’agit d’adultes, donc de pédocriminalité].

Muriel Salmona : oui, ça aussi, c’était une surprise.

La journaliste : ça veut dire quoi ? Ça veut dire que c’est un frère ?

Muriel Salmona : ça peut être un frère, un cousin. Ça peut être un ami, enfin des mineurs qui sont dans la proximité de l’enfant. Ça peut être aussi dans le cadre du sport, dans le cadre d’activités scolaires. Mais en tout cas, ce sont des proches.

Et surtout, ce qui a été très marquant et très préoccupant, c’est que ces violences qui sont commises par ces mineurs sur des enfants, c’est souvent avant 6 ans. La grande majorité, ce sont des mineurs de moins de 6 ans.

Et la grande majorité, ce sont des viols. C’est des violences très graves.

La journaliste : c’est plus que des attouchements, vous voulez dire ?

Muriel Salmona : dans 70%, ce sont des viols.

Une chroniqueuse : alors les conséquences plus tard, elles sont désastreuses.

Muriel Salmona : elles sont d’autant plus graves, effectivement, qu’il s’agit d’un viol, que ça se produit sur des enfants plus jeunes et que c’est dans un cadre d’inceste.

Autre journaliste : et dans un cadre familial.

Muriel Salmona : oui, parce qu’il n’y a aucune possibilité pour l’enfant d’échapper à la situation, très peu de possibilité de pouvoir alerter, parler.

La journaliste : généralement, c’est répétitif, en plus.

Muriel Salmona : en plus. Et souvent, ce qu’on voit, c’est qu’il y a plusieurs membres de la famille qui peuvent exercer des violences et les enfants sont donc pris au piège. Ils ne peuvent que subir, sur des années, et les conséquences sont gravissimes.

Une chroniqueuse : et quand on est à l’âge adulte, ça a de l’impact sur la vie familiale, sur la vie affective, mais aussi sur la vie professionnelle ? Qu’est-ce qui ressort le plus, selon vous, dans votre enquête ?

Muriel Salmona : alors l’impact sur la vie, ce qui ressort le plus, c’est le nombre de tentatives de suicide. C’est impressionnant. Quand il s’agit d’enfants, c’est 1 enfant victime sur 2 qui va faire des tentatives de suicide, souvent à répétition. Il y a une solitude extrême…

Un chroniqueur : ça fait partie de la mémoire traumatique dont vous parlez dans le livre ?

Muriel Salmona : oui, ça en fait partie. Ça fait partie à la fois de la mémoire traumatique qui entraîne une souffrance extrême et ça fait partie aussi de l’image que la personne a de soi, puisqu’on lui a renvoyé qu’elle ne valait rien, qu’elle n’avait aucun droit, aucune valeur, qu’on l’a piétinée. Elle n’a pas le droit d’exister, en quelque sorte.

Une autre chroniqueuse : c’est un manque de protection énorme aussi, dans l’enquête, ça ressort. Il y a 83 % qui estiment ne pas avoir eu de protection, même, certains, ne pas avoir été entendus par la police aussi.

Muriel Salmona : oui et manque de reconnaissance. Et puis, on ne pose pas la question. On ne peut pas attendre que les victimes parlent – d’autant plus pour les enfants – elles restent exposées à leurs agresseurs ou aux complices des agresseurs. Donc elles ne peuvent pas parler.

Autre journaliste : en les écoutant, ils ont l’impression qu’ils vont attaquer la sphère privée ?

Muriel Salmona : donc il faut poser la question, il faut aller chercher… Les chiffres sont énormes. On sait que par année, au moins 124’000 filles subissent des viols et des tentatives de viol. Et 30’000 garçons subissent des viols et des tentatives de viol. Donc c’est vraiment énorme.

La journaliste : et surtout la loi, elle n’est pas adaptée, parce que plus d’un tiers des victimes mineures au moment des faits ont une période d’amnésie traumatique.

C’est-à-dire qu’on oublie ce qui s’est passé, surtout quand ça a été infligé dans le cadre de la famille. Il y a un délai de prescription ?

Muriel Salmona : oui, il y a un délai.

La journaliste : il est de combien de temps ?

Muriel Salmona : alors on l’a obtenu de hautes luttes. Maintenant, il est de 20 ans après la majorité quand il s’agit de viols et d’agressions sexuelles avec circonstances aggravantes, donc avec membres de la famille, enfin personnes ayant autorité.

La journaliste : vous trouvez que c’est suffisant ?

Muriel Salmona : non, c’est pas du tout suffisant, c’est pour cela, ce qu’on demande, c’est une imprescriptibilité. Les conséquences, elles ne s’arrêtent pas.

La journaliste : elles n’ont pas de prescription, elles, pour le coup.

Muriel Salmona : et surtout, ce qui est important, c’est à la fois qu’il y ait enfin cette justice, cet accès à la justice et cette reconnaissance, mais aussi, ce qu’on sait, c’est que les agresseurs, ils vont continuer. Les victimes portent plainte aussi pour ça. Il faut qu’elles puissent porter plainte pour ça.

La journaliste : pour protéger aussi les autres victimes.

Muriel Salmona : donc on demande l’imprescriptibilité… on avait soutenu un projet de loi qui rallongeait de 10 ans, c’était déjà mieux que rien. On espère qu’on va faire bouger les choses à ce niveau…

Une autre chroniqueuse : il faut que ça bouge.

Muriel Salmona : mais là, il y a vraiment une opinion publique à alerter.

Il faut poser des questions. La souffrance … la mémoire traumatique, justement, c’est le fait de revivre les violences, à l’identique. C’est une véritable machine à remonter le temps. C’est une torture qui va continuer. Et le seul moyen d’y échapper, c’est de s’anesthésier, c’est d’avoir une dissociation qui est un mécanisme que le cerveau met en place – mécanisme de défense – qui va entraîner une anesthésie émotionnelle

Mais ça peut être aussi de prendre de l’alcool, de la drogue…

La journaliste : les comportements à risques.

Muriel Salmona : les enfants ne prennent pas de l’alcool, de la drogue pour rien. Il faut se préoccuper de pourquoi. Qu’est-ce qui leur est arrivé ? Pourquoi une telle détresse pour qu’ils aient besoin à ce point-là de s’anesthésier ?

Donc c’est tout ça qu’il faut absolument interroger. Il faut poser la question. Il faut aller chercher les violences.

Il faut faire des campagnes d’information, c’est essentiel. Informer, former les professionnels. On est dans un pays où on ne forme pas encore les professionnels, les médecins. Je suis psychiatre : les psychiatres ne sont pas formés à la psychotraumatologie.

La journaliste : et on n’a pas forcément envie d’entendre les enfants. Les enfants ne sont pas des électeurs aussi. C’est pas forcément les victimes idéales pour l’opinion publique.

Muriel Salmona : ils ont des droits.

La journaliste : voilà, merci beaucoup Dr. Muriel Salmona.

Oui, les droits de l’enfant, on en parle souvent sur le plateau des Maternelles.

Vous pouvez retrouver l’intégralité de l’enquête Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte sur le site de l’Unicef. »

STOP AU DÉNI : la mémoire traumatique, « véritable torture » pour les victimes de violences sexuelles

Le 2 mars 2015, la Dresse Muriel Salmona était invitée dans l’émission Hondelatte Direct (talk-show de Christophe Hondelatte) sur BFMTV pour parler de l’enquête STOP AU DÉNI.

Cette excellente interview est retranscrite dans son intégralité plus loin dans cet article.

La Dresse Muriel Salmona parle notamment de la fameuse mémoire traumatique qui est une « véritable torture » pour les victimes de violences sexuelles, car elle leur fait « revivre à l’identique » les violences, la douleur, la terreur, etc.

Ces traumatismes laissent des traces dans le cerveau (comme des fractures, des blessures) visibles sur les IRM.

La Dresse Muriel Salmona précise que c’est la psychothérapie qui permet de soigner ces traumatismes. Les médicaments ne sont que des béquilles qui soulagent, anesthésient la douleur (donc fondamental pour aider les victimes), mais ne guérissent pas.

L’enquête STOP AU DÉNI

STOP AU DÉNI est une grande enquête sur les violences sexuelles publiée le 1er mars 2015 par l’association Mémoire traumatique et victimologie (dont la Dresse Muriel Salmona est la présidente) et soutenue par Unicef France dans le cadre de la campagne internationale ‪#‎ENDViolence.

La publication de l’enquête STOP AU DÉNI a créé un choc et fait grand bruit, puisqu’elle a révélé que l’immense majorité des victimes de violences sexuelles sont des enfants (1 victime sur 5 avant 6 ans et 1 victime sur 2 avant 11 ans) et que les agresseurs sont en grand majorité des hommes proches des enfants.

L’enquête a révélé les conséquences désastreuses sur la santé mentale et physique des victimes, ainsi que les possibilités de soins tout à fait efficaces qui existent (notamment, la psychothérapie) mais sont rarement accessibles aux victimes en raison de la loi du silence qui règne dans ce domaine et du manque de formation des professionnels (psychiatres, médecins, psychologue, etc.) qui ne font pas de lien entre les pathologies des personnes et de possibles violences, notamment dans l’enfance.

Voici un article avec plus d’informations sur cette enquête et de nombreux liens : Les violences sexuelles faites aux enfants : STOP AU DÉNI

Transcription interview du 2 mars 2015 de Muriel Salmona (Hondelatte Direct – BFMTV)

Voici la vidéo de l’interview (environ 6 minutes) : La mémoire traumatique, « véritable torture » des victimes de violences sexuelles

Dresse Muriel Salmona, psychiatre, psychothérapeute, victimologue et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie

Muriel Salmona - Bfmtv 5

(capture d’écran de la vidéo)

Descriptif de la vidéo : « L’association Mémoire traumatique et victimologie dévoile dans un rapport les lourdes conséquences à l’âge adulte des violences sexuelles subies dans l’enfance, faute de prise en charge appropriée. En France, une femme sur cinq et un homme sur quatorze déclarent avoir subi des violences sexuelles. Les enfants sont les principales victimes: 81% ont subi ces violences avant l’âge de 18 ans, dont 51% avant 11 ans et 21% avant 6 ans. Devenus adultes, leur « santé physique est impactée », explique Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, pour qui il faut former les médecins. »

Transcription complète de la vidéo :

« Christophe Hondelatte : les résultats font froid dans le dos. Les victimes de viols et d’agression dans l’enfance deviennent des adultes ultra-traumatisés. Pas toutes, mais majoritairement.

Muriel Salmona : oui, tout à fait, ultra-traumatisées, mais ça pourrait être évité. C’est pour ça aussi que je me bats et c’est pour ça que j’essaye d’alerter les pouvoirs publics.

Parce que si elles le sont, à ce point-là, des années, voire des dizaines d’années, voire cinquante ans après, c’est aussi parce qu’elles ont été abandonnées, depuis le départ, sans protection et sans soins.

Parce que les troubles psychotraumatiques qui suivent ces violences peuvent être traités.

Christophe Hondelatte : alors, on va expliquer quelque chose. Vous allez le faire, mais je vous laisse le soin de l’expliquer. Un viol, ça crée un traumatisme dans le cerveau qui est visible si on fait une IRM. C’est-à-dire, ça n’est pas que psychologique, c’est physiologique.

Muriel Salmona : oui, c’est physiologique, c’est neurologique, c’est neurobiologique et il y a des atteintes corticales, il y a des atteintes que l’on peut maintenant très bien voir sur des IRM. Des atteintes aussi…

Christophe Hondelatte : c’est des zones de douleur.

Muriel Salmona : oui, en fait, c’est un peu comme un impact, c’est comme des blessures, et voire comme des fractures puisqu’il y a des circuits émotionnels, des circuits de la mémoire… c’est un peu comme s’il était fracturé. Et du coup, il faut que ça se répare.

Mais si les personnes continuent à subir des violences, si rien n’est fait … c’est un peu comme quelqu’un qui aurait des fractures, ça peut se réparer tout seul, le tissu osseux se répare pareil. C’est pareil pour le tissu neurologique, il y a une neurogenèse, mais encore faut-il que ce soit dans de bonnes conditions.

Et il faut pouvoir réparer ces blessures et ça marche, mais …

Christophe Hondelatte : c’est pour ça que tous les adultes traumatisés par ces viols de l’enfance parlent de problèmes physiques, des dizaines d’années plus tard ? Par exemple, 43% disent vivre des conséquences sur leur santé physique

Muriel Salmona : oui, sur leur santé physique, effectivement. Et puis beaucoup plus, 95%, sur leur santé mentale. Mais la santé physique est impactée

Christophe Hondelatte : ça peut aller jusqu’à un cancer.

Muriel Salmona : oui, ça peut aller jusqu’à un cancer. Avoir subi de nombreuses violences dans l’enfance peut entraîner aussi une perte d’espérance de vie.

Mais c’est le stress, c’est les facteurs stress … quand on subit des violences, on développe ce qu’on appelle une mémoire traumatique. Ce sont les flashbacks, les cauchemars, tout ce qui revient… c’est le fait de revivre à l’identique les violences, les douleurs, le stress, la terreur … et c’est une véritable torture.

Et si rien n’est fait pour traiter cette mémoire traumatique, les personnes vont devoir survivre avec ça et ça va vraiment impacter leur santé. Au niveau cardiovasculaire aussi, au niveau de l’immunité…

Christophe Hondelatte : est-ce qu’elles boivent plus, elles prennent plus de drogues, elles fument plus de cigarettes ?

Muriel Salmona : oui, parce que les conduites addictives servent à anesthésier cette fameuse mémoire traumatique. Si on les laisse seules, à devoir se débrouiller, à devoir survivre avec cette mémoire traumatique … il faut bien y échapper.

Donc c’est soit des conduites d’évitement, des phobies, des troubles obsessionnels, soit des conduites addictives qui permettent de s’anesthésier.

Christophe Hondelatte : quand vous parlez de traitement, vous parlez de prise en charge psychothérapeutique ou de prise de médicaments ?

Muriel Salmona : alors, c’est exactement pareil qu’une fracture. Le médicament ne répare pas la fracture. Ce qu’il fait, le médicament, c’est qu’il diminue la douleur. Là c’est pareil, les médicaments peuvent diminuer les douleurs, mais ils ne vont pas réparer la fracture. C’est la psychothérapie qui répare.

Christophe Hondelatte : alors comme beaucoup de français, j’ai lu Boris Cyrulnik et je crois sincèrement à la puissance de la résilience. Ce que nous dit Cyrulnik, c’est que malgré tous les traumatismes qu’on a pu subir dans son enfance, on peut les poser à un moment donné, en sachant qu’ils sont là, puis tracer sa vie. Mais ce que vous nous dites, c’est qu’au final, c’est pas si simple.

Muriel Salmona : non, c’est pas si simple. Et on n’a pas le droit, en quelque sorte, de laisser des personnes se débrouiller toutes seules, sans soins, avec des impacts très importants, en attendant qu’elles puissent petit à petit se relever.

Oui, bien entendu, on peut guérir de ces traumatismes. On peut ne plus être continuellement colonisé par ces violences. On ne va pas les oublier, bien entendu, mais on peut…

Christophe Hondelatte : les poser, savoir qu’elles sont là.

Muriel Salmona : oui, les déposer. Mais ça, ça se fait très bien s’il y a des soins, s’il y a des prises en charge. Et puis, il s’agit de protéger les victimes, il s’agit de les accompagner, de reconnaître ce qu’elles ont subi. Et ça, c’est absolument essentiel.

Christophe Hondelatte : pourquoi il n’y a pas de soins ? Parce qu’on ne va pas chercher ces gens pour les amener vers les soins ? Parce qu’on a un système de santé formidable en France. Si ces gens saisissaient le système de santé, elles seraient prises en charge.

Muriel Salmona : c’est pas du tout le problème, parce qu’il y a très peu d’offres de soins.

Christophe Hondelatte : y a pas d’offres de soins ?

Muriel Salmona : non, très peu, très peu. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas, mais il y en a très peu… et ça, il faut le demander.

Christophe Hondelatte : centrées sur les violences sexuelles ?

Muriel Salmona : et en fait même la Convention d’Istanbul demande expressément qu’ils soient créés, ces centres de soins. Et les professionnels ne sont pas formés à la psychotraumatologie. Or, maintenant on a des connaissances…

Christophe Hondelatte : vous voulez dire, y compris les psychiatres ?

Muriel Salmona : oui, y compris les psychiatres.

J’ai participé à un groupe de travail avec la mission interministérielle de protection des femmes victimes de violences pour faire démarrer un peu cette formation, mais il y a urgence. Il faut former les médecins.

Alors que l’on connaît très bien l’impact psychotraumatique, on sait que c’est une partie très importante de tous les troubles psychiatriques, des problèmes de santé mentale, mais rien pour l’instant ne permet aux professionnels de santé de se former.

Donc il faut leur offrir des formations et il faut ouvrir des centres de soins.

Il faut que les victimes puissent aller quelque part. Parce que les victimes, souvent, elles vont galérer pendant des années, des dizaines d’années, avant de trouver enfin un professionnel. Elles les cherchent.

Christophe Hondelatte : et parfois, sans avoir dit qu’elles avaient été victimes de violences sexuelles, ce qui fait que personne dans leur entourage ne peut les aider.

Muriel Salmona : oui et les professionnels de santé, il faut qu’ils posent la question systématiquement, puisque c’est un des déterminant principal de la santé.

Il faut poser systématiquement la question « est-ce que vous avez subi des violences » et que la personne réponde.

On a fait des études qui montrent qu’il faut que ce soient les professionnels qui aillent vers personnes et pas l’inverse. »