Manifeste des mères survivantes au meurtre de leur(s) enfant(s) par leur ex-conjoint et père biologique

Six mères survivantes du meurtre de leurs enfants par leur ex-conjoint ont adressé un manifeste au gouvernement du Québec, afin de développer des mesures pour prévenir et accompagner les mères confrontées à ce type de situation.

L’article du 7 décembre 2013 de Sisyphe à propos de ce manifeste : Le manifeste des mères survivantes

Le PDF de ce manifeste publié en décembre 2013 : Manifeste des survivantes

Début du manifeste : « Le meurtre de nos enfants, par leur propre père, notre ex-conjoint, quelqu’un avec qui nous avons partagé un jour nos vies, notre corps, notre intimité, ne nous a pas laissées que sans voix ; c’est un acte qui nous a tranché la gorge de part en part, nous coupant le souffle, nous coupant l’accès à notre cœur… Il ne nous reste que nos pensées, où tournoient l’absurdité, le surréalisme, le froid de l’existence pure, dénuée de tout sentiment. On pleure et on meurt et, pendant un certain temps, là se résume notre expérience de l’existence. Quand on récupère notre cœur, on pleure et on meurt… Les souvenirs, la culpabilité, le manque, la détresse et le désespoir nous envahissent complètement, nous submergent et on tombe dans une chute qui semble sans fin, sans fond. Puis vient le jour où l’on revoit le monde… dans un corps étranger, où l’on doit cohabiter avec un inconnu, cet autre alter ego prévu pour les scénarios apocalyptiques, que nous ne connaissons pas et qui nous fait peur. A-t-il connu nos enfants ? A-t-il déjà aimé un monstre ? Fait-il confiance au monde ? M’aidera-t-il à vivre ou à mourir ? »

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Manifeste des survivantes

Autres passages du début du manifeste : « Pour nous toutes, ces actes terribles ont été commis dans un contexte où des procédures légales au sujet d’un ou des enfants et/ou une séparation conjugale étaient en cours. »

« Dans notre groupe, les responsables de l’assassinat de nos enfants sont les ex-conjoints, qui sont les pères biologiques de ces derniers. La raison pour laquelle nous nous arrêtons à cette dynamique particulière n’est pas de nature discriminatoire, mais est plutôt issue de notre vécu spécifique. »

Plus loin dans leur manifeste, les mères survivantes formulent plusieurs demandes :

« I. Reconnaissance du statut de victime par l’IVAC

II. Une indemnisation de 50 000 $ par enfant assassiné, montant rétroactif jusqu’en 1972

III. De l’aide psychologique et psychiatrique à vie

IV. De l’aide à l’intégration à l’emploi

V. Simplification du processus et meilleur accompagnement de la part du réseau CAVAC

VI. Respect total des exigences du parent survivant quant à la disposition des dépouilles des enfants assassinés

VII. Une meilleure formation et concertation des intervenants sociaux et judiciaires en matière de violence conjugale, particulièrement de la DPJ

VIII. Transfert de la succession du meurtrier au conjoint survivant ou à la famille de ce dernier, une mesure dissuasive

IX. Révision des politiques d’intervention de la DPJ »

Le point VIII (transfert de succession au conjoint survivant ou à sa famille) est une mesure fondamentale qui peut empêcher un homme violent de tuer ses enfants : « Pour nous toutes, les meurtres de nos enfants ont été perpétrés comme mesures de représailles à notre égard. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seules. Dans le documentaire Les Survivantes, la chercheuse Suzanne Léveillée, spécialisée en meurtres intrafamiliaux, avance que 80% des hommes qui tuent leurs enfants après une séparation ou dans le cadre de conflits entourant la garde des enfants, passent à l’acte comme mesure de représailles envers la mère.

Ces hommes, dont plusieurs sont atteints de troubles de la personnalité, ne veulent qu’une chose : déposséder la mère de tout.

Ainsi, nous sommes persuadées que si, dans un cas authentifié comme étant de nature criminelle, les biens et les avoirs du meurtrier pouvaient être détournés de la succession au profit du conjoint survivant, cela aurait pour effet de dissuader certains parents aux prises avec une rage meurtrière de mettre leur plan funeste à exécution.

Le conjoint dangereux ne pourrait supporter l’idée qu’en tuant les enfants, le parent survivant hérite de tous ses biens et avoirs.

En somme, cet amendement suggéré vise essentiellement à « prendre à son propre jeu diabolique » le conjoint violent et à mettre en échec sa stratégie morbide. »

Le point VII (meilleure formation des professionnels à propos de la violence conjugale) est aussi capital : « Pour celles d’entre nous ayant cherché de l’aide avant que leurs enfants ne soient assassinés, elles ne se sont pas senties écoutées ou entendues par différentes ressources clés, qui auraient pu changer les choses dans le déroulement des événements.

La crédibilité accordée aux plaintes concernant notamment les appréhensions, peurs, inquiétudes avant le drame, est d’une importance cruciale.

Cependant, les menaces et les comportements suspicieux/inquiétants ne retiennent pas une attention et une considération adéquates.

Malgré les recours auxquels nous pensions pouvoir nous tourner et la dénonciation de nos appréhensions, de comportements inquiétants de l’ex-conjoint, de menaces de nature suicidaire et morbide sur la vie de nos enfants, aucune mesure sérieuse, proportionnelle avec la gravité de la situation, n’a été prise.

Pourtant, les instances vers lesquelles nous nous sommes tournées ont comme mandat la protection et la sécurité des individus, la protection des enfants, le respect des droits, le soutien en situation de crise.

Ainsi, nous avons demandé de l’aide à nos avocats, aux services policiers, aux travailleurs sociaux, à la DPJ, mais aucune de ces ressources ne nous a permis, même un tant soit peu, de nous sentir en sécurité ou de nous assurer que nos enfants seraient protégés.

Dans le cas où des conjoints(es) sont effrayés(es) et appréhendent que du mal soit fait à leurs enfants, une investigation devrait être mise en branle pour se pencher sérieusement sur la situation. (…)

Une personne ressentant une peur vive et profonde pour la sécurité de son enfant ressentira du soulagement et un sentiment de sécurité par une telle mesure. En effet, il y a des situations où certaines d’entre nous ont dû laisser aller leurs enfants avec le père, alors qu’elles étaient parfaitement conscientes du danger de mort qui planait sur eux, que des menaces claires avaient été proférées, en raison des droits du père sur son enfant.

Les lacunes évidentes quant à la sécurité avant le drame sont un élément qui a été vigoureusement soulevé dans notre groupe. Et nous ne sommes pas les seules.

En 1997, le coroner Jacques Bérubé écrivait dans un rapport sur les meurtres de Françoise Lirette et de son fils de 14 ans, tués par l’ex-conjoint et père des victimes : «L’incompréhension du phénomène social qu’est la violence conjugale, écrit le coroner, a fait en sorte qu’un individu a harcelé pendant des mois son ex-conjointe, l’a menacée de mort à plusieurs reprises, en a informé plusieurs personnes et intervenants sociaux, avec le résultat que personne ne l’a réellement pris au sérieux, à l’exclusion d’un seul témoin, et qu’il a pu mettre à exécution son funeste projet.»

Jacques Bérubé en appelle à une meilleure formation. «Que le gouvernement du Québec prenne les moyens nécessaires pour s’assurer que tous les intervenants sociaux, médicaux et judiciaires bénéficient d’une formation continue adaptée à leurs mandats spécifiques. Cette formation doit être orientée de manière à assurer une réelle et efficace complémentarité entre les ressources… (…) »

Par ailleurs, l’une des recommandations du comité d’experts sur les homicides intrafamiliaux, dont le rapport a été déposé en novembre 2012 au ministre de la Santé et des Services sociaux et ministre responsable des aînés, va aussi dans ce sens : «Offrir une formation spécifique sur les homicides intrafamiliaux (repérage et intervention) aux intervenants concernés.»